Intervention de Aline Archimbaud

Réunion du 28 avril 2014 à 16h00
Accessibilité pour les personnes handicapées — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Aline ArchimbaudAline Archimbaud :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le 1er janvier 2015 devait être une date d’une grande importance pour des millions de Français qui, du fait d’un handicap permanent ou temporaire, ne peuvent bénéficier de l’accès aux transports ou aux infrastructures aussi bien publiques que privées.

La loi du 11 février 2005 sur l’accessibilité universelle impose que les établissements publics et privés recevant du public et les transports collectifs soient accessibles aux personnes handicapées, respectivement avant le 1er janvier 2015 et avant le 13 février 2015.

Après le rapport établi par mes collègues Claire-Lise Campion et Isabelle Debré en juillet 2012, puis après la mission conjointe de septembre 2012, il a été établi que les délais, hélas, ne pourraient être tenus.

Le projet de loi d’habilitation que nous examinons aujourd’hui aborde pourtant un enjeu majeur : les derniers chiffres publiés par l’INSEE en 2011 et cités par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées, l’AGEFIPH, établissent qu’en 2007 la France comptait 9, 6 millions de personnes handicapées au sens large, soit plus de 14 % de la population française !

L’incapacité à tenir les délais prévus initialement est liée à plusieurs raisons qui ont été soulignées par Claire-Lise Campion : une trop grande attente entre la publication de la loi et la parution des décrets, une réglementation trop complexe, une mauvaise compréhension de l’impact financier et une anticipation incorrecte des délais nécessaires – nous devons bien sûr en tirer des leçons pour la suite –, couplées à une quasi-absence de portage politique.

On ne peut que déplorer que cette question cruciale de société ait été quasiment laissée de côté par les gouvernements pendant sept années, entre 2005 et 2012, avec un manque de suivi flagrant des pouvoirs publics, qui n’ont pas su coordonner et mobiliser les acteurs de terrain. Cela a eu les conséquences que l’on connaît : un très gros retard dans les travaux de mise en accessibilité et des sanctions imminentes, à partir du 1er janvier 2015, soit dans quelques mois, pour ceux qui ne respectent pas les conditions prévues par la loi de 2005, si rien n’est fait d’ici là.

Le nombre d’ERP mis aux nouvelles normes d’accessibilité était estimé au 1er janvier 2013, par la Délégation ministérielle à l’accessibilité, à 60 % au maximum. C’est tout juste plus de la moitié des ERP, et ce huit ans après le vote de la loi de 2005 !

Le texte que nous examinons aujourd’hui est un projet de loi d’habilitation. Nous regrettons ce mode de fonctionnement qui ne doit pas être récurrent, qui ne peut pas être le mode habituel de production de la loi. De même, nous déplorons – certains de mes collègues viennent aussi de le souligner – la précipitation des débats. Cela étant dit, nous voyons bien l’urgence de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Au 1er janvier de l’année prochaine, si rien n’est fait très vite, les sanctions tomberont. De plus, rien n’est prévu pour faire en sorte que les travaux soient réalisés.

Il faut donc être maintenant pragmatique. La mission confiée à ma collègue Claire-Lise Campion en 2012 a été une bonne initiative : elle a permis – enfin ! – d’établir un état des lieux détaillé et de réfléchir à la mise en œuvre de solutions concrètes afin que le principe de l’accessibilité universelle affirmé dans la loi devienne une réalité pour nos concitoyens.

Avant cette concertation, les partenaires étaient divisés. D’un côté, les associations de solidarité avec les personnes handicapées et les personnes qui, d’une manière générale, souffrent du manque d’accessibilité dans notre pays appréhendaient la mise en place de délais à rallonge sans vraie échéance pour tous ceux qui n’auraient pas respecté la loi de 2005, et ce sans que cela ne fasse l’objet d’aucune sanction. De l’autre côté, les propriétaires et gestionnaires d’établissements recevant du public en retard mettaient en avant le poids financier trop important des travaux, la mauvaise prévision des coûts et des délais nécessaires pour effectuer les travaux.

Cela a été rappelé, Claire-Lise Campion a su mener une large concertation avec tous les acteurs, aussi bien associations que collectivités, fédérations professionnelles et maîtres d’ouvrage, écartant toute vision binaire de la problématique de la mise en accessibilité. Je me réjouis de cette méthode.

Je souhaite la remercier de son travail approfondi d’écoute attentive des acteurs et de recherche de solutions concrètes, qui a abouti au projet de loi dont nous débattons aujourd’hui.

Certes, tout n’est pas parfait, mais on a avancé.

Le sujet des contraintes financières et administratives pesant sur les infrastructures soumises à la loi de 2005 a été abordé dans ce débat et le sera sans doute de nouveau. Ces contraintes ne peuvent servir de prétexte pour repousser indéfiniment les délais. Le fait est que l’accessibilité universelle n’est toujours pas réalisée dans notre pays, quarante ans après la première loi d’orientation en faveur des personnes handicapées, en 1975, dix ans après la loi de 2005, neuf ans après la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées inscrivant l’accessibilité au cœur des priorités des États et signée par la France.

Cela témoigne bien du fait que nous sommes devant une grosse difficulté et qu’il faut avancer.

La mise en accessibilité doit être pour tous une priorité, tout d’abord parce qu’elle touche à la question des droits de l’homme, à la vision que nous avons de l’autre, au regard que nous portons sur l’autre. Elle est au cœur des principes qui fondent notre République. L’égalité entre les citoyens est un principe absolu. Cela signifie donc l’égalité dans l’accès à la vie sociale, économique, politique, culturelle, avec l’objectif de permettre à chaque citoyen d’avoir la plus grande autonomie possible.

Le handicap est encore trop souvent un sujet tabou en France. Si nous continuons à éviter de nous attaquer à ce problème, nous nous éloignerons de ce modèle de société égalitaire que nous affirmons vouloir construire. Il faut nous secouer, arrêter de fuir le problème ou de chercher de bons prétextes pour retarder encore l’échéance d’année en année.

La mise en accessibilité ne doit pas être vue seulement comme une contrainte, comme cela transparaît parfois dans les discours, elle ne doit pas être perçue comme une charge financière qui empêcherait de financer d’autres investissements. Elle demande bien sûr des choix, des arbitrages financiers, mais c’est un bénéfice pour tous, c’est un investissement qui devrait aller de soi.

Personne ne met en question, par exemple, la charge financière que représente la création de places de parking ou d’un escalier pour accéder à un bâtiment lorsqu’il s’agit d’infrastructures pour les personnes dites « valides ». Pourquoi en serait-il autrement pour les infrastructures nécessaires à l’accessibilité des personnes handicapées ?

Ensuite, le manque d’autonomie et le manque d’accessibilité ne sont pas des difficultés pour les seules personnes atteintes d’un handicap. Elles le sont aussi pour toute personne confrontée un jour ou l’autre à une difficulté de déplacement, qu’elle soit temporaire ou durable : maladie, transport d’enfants en bas âge, grossesse. Et au regard du vieillissement de la population, cette approche transversale est un enjeu considérable. Nous reverrons cette question lors de l’examen du futur projet de loi sur l’autonomie.

Enfin, autre point important, l’accès des jeunes handicapés à la formation et à l’éducation supérieure doit être développé dans notre pays. Le ministère du travail indiquait en novembre 2013 que le taux de chômage des travailleurs handicapés s’élevait à 21 %. La formation est donc un enjeu particulièrement fort. La loi de 2005 visait à donner l’exemple en demandant aux universités, notamment, d’effectuer les travaux de mise en accessibilité avant 2011. Les études menées après la date butoir sont peu nombreuses et souvent vagues. D’après les estimations du ministère de l’enseignement supérieur, seulement un quart des universités environ sont accessibles. Que va-t-il advenir des trois quarts restantes ? Pourront-elles également, madame la secrétaire d’État, intégrer le dispositif des Ad’AP, même si l’échéance prévue par la loi les concernant est déjà dépassée depuis plus de trois ans ?

L’accessibilité des établissements d’enseignement et de formation nous paraît un enjeu très fort.

La solution de l’agenda d’accessibilité programmée, qui a été établie en collaboration avec l’ensemble des partenaires, nous semble être la moins mauvaise des solutions, à condition de ne pas retomber dans les écueils de ces dix dernières années.

Nous nous devons pour cela d’être vigilants et proactifs. C’est la raison pour laquelle notre groupe propose trois amendements qui visent à faciliter l’application de la loi et à renforcer un contrôle régulier pour anticiper les éventuelles difficultés d’application.

Nous proposons tout d’abord un contrôle de l’état d’avancement des actions de mise en accessibilité, au moins tous les deux ans, par un comité de suivi constitué de représentants de tous les acteurs du dossier de l’accessibilité, y compris de représentants du Parlement.

Nous avons une mission de contrôle de l’action publique ; il faut la mener régulièrement sans attendre la fin de la période prévue par les Ad’AP. Selon nous, c’est le seul moyen d’anticiper les difficultés et de trouver des solutions en amont. Ce peut être également l’occasion d’informer et de sensibiliser largement nos concitoyens sur ce sujet, car, là encore, il existe un grand besoin.

En outre, nous considérons que le projet de loi d’habilitation peut être davantage proactif. Il est en effet prévu que les ERP n’ayant pas réalisé les travaux nécessaires au 1er janvier 2015 et n’ayant pas non plus souscrit à un agenda d’accessibilité programmée ne puissent être condamnés que sur plainte des usagers. Dans la pratique, ces plaintes sont extrêmement rares, car beaucoup d’usagers ont peu de moyens pour engager des actions en justice souvent très longues et, donc, nombreux sont ceux qui passent entre les gouttes.

Nous proposons que le Gouvernement mette en place un système de contrôle proactif des ERP en s’appuyant sur les structures locales existantes, comme les commissions consultatives départementales de sécurité et d’accessibilité, qui comportent des représentants des associations, la délégation interministérielle à l’accessibilité, l’Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle.

Enfin, et c’est l’objet de notre troisième amendement, nous souhaitons qu’une liste publique des ERP qui ont effectué les travaux de mise en accessibilité ou qui prévoient de les faire par l’intermédiaire d’un Ad’AP soit mise en ligne pour que toute personne qui s’interroge sur sa capacité à accéder à telle ou telle infrastructure puisse avoir la réponse immédiatement.

Vous l’aurez compris, le groupe écologiste est favorable à ce projet de loi d’habilitation, mais, par nos amendements, nous appelons à une plus grande et plus régulière vigilance opérationnelle en amont dans les mesures que le Gouvernement sera amené à prendre, afin de ne pas retomber dans les travers de la loi de 2005.

Nous sommes bien sûr favorables à ce projet de loi à condition que le débat d’aujourd’hui n’en affaiblisse pas la rédaction.

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