Intervention de Vincent Capo-Canellas

Réunion du 28 avril 2014 à 16h00
Accessibilité pour les personnes handicapées — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas :

Privilégiez les travaux et l’évaluation simple : y a-t-il une progression ou pas ? Il faut évaluer chaque collectivité à cette aune simple : progressez-vous en accessibilité et le faites-vous de manière claire et volontaire ? Mais ce serait bien sûr beaucoup demander que de lutter contre le penchant naturel de notre beau pays à tout régler par la contrainte et la complexité administrative.

Les élus vont découvrir ce texte et le trouver à bien des égards plus complexe que le précédent. Ils vont découvrir qu’il résout un problème pénal, certes, mais qu’ils avaient a priori oublié, et ils vont devoir se confronter à un nouveau mode d’emploi complexe. C’est une bonne nouvelle, mais vous conviendrez qu’elle est tout de même relative.

L’analogie avec le processus de sanction et de carences de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, la loi SRU, n’est guère enthousiasmante quant aux résultats à attendre. Aussi ai-je regardé avec intérêt les amendements de notre collègue Jean-Pierre Vial et de la présidente Jacqueline Gourault, qui ont eu le grand privilège de se pencher avant nous sur le sujet au titre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.

Il y a là de sérieuses pistes. Puissiez-vous les entendre et veiller dans la rédaction des ordonnances à ce mot : simplicité. Il rime souvent avec efficacité. La cause est noble ; elle le mérite.

Cela posé, j’en viens maintenant aux dispositions du projet de loi de façon plus détaillée.

La démarche et le texte se veulent pragmatiques. Ils le sont pour une bonne part ; pas assez sans doute. Tout part du constat peu glorieux que nous ne serons pas au rendez-vous de 2015. L’étude d’impact du présent texte l’explique très bien : c’est la mesure de l’impact financier et technique sur les maîtres d’ouvrages qui n’a pas été suffisamment prise en compte.

Ces maîtres d’ouvrages, ce sont en particulier les collectivités, que nous représentons ici, parce que leurs ERP représentent une part non négligeable de ceux qui doivent être mis en conformité. Elles cofinancent l’accessibilité des transports.

Si beaucoup reste à faire, il ne faut pas oublier que beaucoup a été fait. Dans quelles proportions, voilà qui est bien difficile à dire. Selon l’Association des paralysés de France, l’APF, seulement 15 % des ERP seraient aux normes d’accessibilité, tandis que l’administration en compterait au moins 30 %. Au moins y a-t-il maintenant une vraie dynamique et une vraie volonté politique… à conforter.

Il s’agit à présent de répondre concrètement à des besoins tout aussi concrets. C’est ce qu’entend faire le texte qui nous est soumis en tâchant de déterminer un équilibre entre maintien des objectifs de la loi de 2005 et moyens donnés pour les atteindre.

En matière de bâti, les ERP devront bien être accessibles. C’est le calendrier de la mise en accessibilité qui sera susceptible d’évoluer grâce à ce nouvel outil qu’est l’agenda d’accessibilité programmée, l’Ad’AP. Toutefois, en l’absence d’Ad’AP, la date du 1er janvier 2015 est maintenue, de même que les sanctions associées.

Pour ce qui est des transports, la priorisation des points d’arrêt à aménager est compensée par l’obligation de mettre en place des moyens de substitution pour tous les autres points d’arrêt. J’oserais dire que l’on a été plus pragmatique en matière de transports qu’on ne l’a été lorsqu’il s’est agi des collectivités.

Les objectifs de la loi de 2005 semblent donc bien confirmés. Mais, en contrepartie, plus de souplesse est donnée aux maîtres d’ouvrages et aux organisateurs de transports, toujours dans le cadre de l’Ad’AP. Cette souplesse sera-t-elle suffisante ? Là réside selon nous la question centrale soulevée par le projet de loi d’habilitation.

La procédure de dérogation pour raisons financières est un élément encourageant du nouveau dispositif, et même un élément clé, parce que l’horizon financier des collectivités est aujourd’hui à la fois incertain et dégradé.

Il faut ainsi rattacher notre débat au contexte général des finances locales. La mise en accessibilité doit être programmée à l’heure où les dotations aux collectivités ne cessent de diminuer.

À cela, il faut ajouter la réforme des rythmes scolaires et sans doute bientôt les mesures relatives à la transition énergétique.

Les collectivités sont aujourd’hui corsetées dans un écheveau d’agendas qui leur interdit de s’engager dans un programme pluriannuel, ou en tout cas qui les invite à le faire avec prudence. Or la pluriannualité est le socle et la raison d’être de l’Ad’AP, d’où le doute qui nous étreint.

Et encore, il n’y a pas que la question financière. Il y a aussi celle, capitale, de l’expertise technique. C’est le problème de la simplification. Le dispositif proposé n’est-il pas d’une extrême complexité, bien trop complexe pour beaucoup de collectivités, notamment les plus petites d’entre elles ?

La question est traitée pour ce qui concerne le plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics, le PAVE, que les plus petites communes ne seront pas tenues d’élaborer ou pourront faire en forme simplifiée. Encore vaudrait-il mieux que le projet de loi d’habilitation précise les seuils démographiques au-dessous desquels les communes bénéficieront de ces allégements. Le Sénat gagnerait à être éclairé sur ce point, et nous défendrons un amendement en ce sens.

Mais qu’en sera-t-il pour les ERP ? Comment une petite commune peut-elle faire face à son obligation de mise en accessibilité ? Comment dispose-t-elle de l’expertise technique lui permettant de se mettre en conformité ?

C’est un problème majeur, dont l’État a d’ailleurs parfaitement conscience puisque l’étude d’impact fait état de la nécessité d’un renfort administratif pour l’instruction des Ad’AP au profit des commissions consultatives départementales de sécurité et d’accessibilité, les CCDSA.

Ce qui est vrai des CCDSA l’est à plus forte raison des petites communes. Or rien n’est prévu pour cela. Vous évoquerez les financements de la Banque publique d’investissement et de la Caisse des dépôts et consignations, mais je parle d’un point de vue technique.

Certes, la procédure d’Ad’AP sera simplifiée pour les ERP de cinquième catégorie, qui constituent la grande majorité des ERP, et nous ne pouvons que nous en réjouir. D’un autre côté, la procédure de suivi de l’Ad’AP nous semble extrêmement lourde et pour tout dire quasiment bureaucratique.

Il va falloir rendre compte périodiquement de l’état d’avancement des travaux, c'est-à-dire dépenser son temps, son énergie et ses moyens à de nouvelles formalités administratives au lieu de les consacrer à avancer plus vite. C’est de nature à faire perdre de vue l’objectif pour se concentrer sur la méthode. Je préfère que l’on privilégie l’objectif plutôt que la méthode.

À l’issue des Ad’AP, il y a bien des sanctions. Les maîtres d’ouvrages le savent ; ils sont responsables. Il faut donc les laisser libres d’organiser leur mise en conformité. En un mot, communiquons plus sur l’accompagnement et sur l’objectif à respecter et moins sur la façon d’y parvenir !

Aussi déposerons-nous des amendements visant à supprimer les obligations d’information incombant au maître d’ouvrage sur la mise en œuvre de l’Ad’AP.

En effet, en l’état actuel du dispositif, comment voulez-vous que la durée moyenne des Ad’AP ne soit que de trois ans ? Il faut regarder les choses en face : entre la saisine d’un bureau d’études après mise en concurrence, la désignation de la maîtrise d’œuvre, la validation par l’autorité préfectorale, le délai d’appel d’offre pour travaux, les arbitrages et les travaux eux-mêmes, les trois ans sont vite passés.

En l’absence d’assouplissement authentiquement pragmatique, nous courons le risque de n’avoir fait que répondre à une incantation par une autre incantation, ce dans quoi pourraient nous précipiter les délais envisagés pour les engagements d’Ad’AP et leurs dépôts.

Il est ainsi prévu que ces engagements devront intervenir avant le 31 décembre 2014, ce qui paraît très tendu. J’ose le dire, pour une ordonnance publiée pendant l’été, ce n’est qu’à la rentrée que les communes prendront pleinement conscience de cet engagement et de la nécessité d’y avoir souscrit avant la fin de l’année.

Madame la secrétaire d’État, les ordonnances seront-elles publiées dès le mois de juillet ? Y aura-t-il une information claire pour tout le monde ? À partir de cette publication, les maîtres d’ouvrages n’auront que quelques mois pour s’engager dans un Ad’AP. Pourriez-vous nous préciser sous quelle forme ? On nous parle d’un CERFA…

Ensuite, les maîtres d’ouvrages auront un an pour établir l’Ad’AP à partir de la publication desdites ordonnances. N’est-ce pas un délai extrêmement court ?

Comme vous pouvez le constater, madame la secrétaire d’État, si nous saluons le pragmatisme global de la démarche, il fallait bien en sortir ; en un mot, sa mise en œuvre nous semble encore poser d’importantes questions, et pas des moindres, auxquelles nous attendons des réponses.

Notre « oui » de principe, qui est un « oui » franc et clair pour l’accessibilité, pour une cause que nous partageons, mériterait d’être conforté par des assouplissements dans la discussion qui va débuter.

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