Aussi, bien que la possibilité juridique d’amender ce texte existe, pour notre part, nous n’avons pas souhaité l’utiliser puisque nous ne savons pas comment il sera finalement transposé dans la loi.
Cette situation nous renvoie directement au fond : ce projet de loi nous semble insatisfaisant pour répondre aux besoins des gestionnaires d’établissements recevant du public, et aux attentes des personnes en situation de handicap.
Ainsi, le seul fait d’instaurer des délais supplémentaires pour réaliser les mises aux normes d’accessibilité sur les constructions existantes peut ne rien résoudre si aucun financement solidaire n’est prévu ou si aucune péréquation entre les plus riches et les plus modestes des villes n’est instaurée. Dans ces conditions, le risque est grand de nous retrouver, dans trois ou six ans, dans une situation d’inachèvement identique à celle que nous connaissons aujourd’hui.
Par ailleurs, le délai de neuf ans apparaît comme excessif et le caractère contraignant des agendas d’accessibilité n’est pas assez affirmé. J’en veux pour preuve les déclarations du Conseil national consultatif des personnes handicapées, qui, dans son avis, déplore avec vigueur « l’absence de sanction pour non-dépôt d’Ad’AP », « l’absence de sanction pour inexécution des Ad’AP dans le domaine des transports », et souligne « le recul dommageable qu’est de rendre facultatif l’élaboration d’un PAVE – plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics – pour les communes les moins peuplées ».
En outre, il appartiendra au préfet, et à lui seul, de décider de la validation ou non des agendas. Or, ces agendas permettant de geler les sanctions, il nous semble regrettable que le projet de loi d’habilitation ne prévoie pas expressément que la décision du préfet soit éclairée par un avis du comité départemental de l’accessibilité, de telle sorte que la voix des personnes en situation de handicap soit entendue, et ce d’autant que le projet de loi d’habilitation ne pose aucun critère précis sur la qualité des Ad’AP pour qu’ils soient recevables par le préfet.
Aussi, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ma chère Claire-Lise Campion, bien que nous trouvions les Ad’AP tout à fait positifs, ces inquiétudes sont pour nous trop fortes. Avec mes collègues du groupe CRC, nous nous trouvons devant un choix difficile à faire : celui qui consiste à opter pour la moins mauvaise solution.
En effet, compte tenu de la non-réalisation d’une grande partie des dispositifs d’accessibilité, si la loi de 2005 s’applique, la quasi-totalité des opérateurs, qu’ils soient publics ou privés, sont susceptibles de se voir infliger des pénalités non négligeables au 1er janvier 2015, sans pour autant qu’existent de véritables perspectives de réalisation.
Or, j’y faisais allusion tout à l’heure, nombre de collectivités et d’acteurs ont véritablement pris à leur compte les dispositions de la loi de 2005 au prix d’efforts importants. Toutefois, beaucoup n’ont pu aller au bout souvent pour des raisons financières, mais aussi pour des raisons d’ingénierie. Pour ces collectivités et ces acteurs privés qui ont eu à cœur de répondre aux besoins et aux attentes suscitées légitimement par la loi de 2005, la possibilité d’aller au bout de leurs engagements au-delà de janvier 2015 – mais bien sûr dans des délais véritablement raisonnables – sans se voir infliger de pénalités serait sans doute une bonne chose.
Néanmoins, les collectivités ou les opérateurs privés qui n’ont à aucun moment fait le choix de l’accessibilité se verront octroyer les mêmes possibilités de repousser les échéances et de se soustraire aux pénalités, ce qui me semble plutôt injuste. Je pose donc la question : quel message voulons-nous envoyer aux collectivités vertueuses et aux personnes en situation de handicap, qui n’ont d’autres attentes que de pouvoir vivre et évoluer librement dans la ville, travailler, se déplacer, partir en vacances de manière indépendante et sécurisée ? Quelle image de l’avenir projetons-nous alors que, dans le même temps, se dessine la loi visant à adapter la société au vieillissement et prônant l’autonomie des personnes ?
Environ 16 % de la population serait aujourd’hui directement concernée par les mises aux normes d’accessibilité. Peut-être ce chiffre paraît-il encore trop faible aux yeux de certains pour rendre ces normes indispensables, mais demain, il sera doublé. Faut-il alors encore attendre pour réaffirmer le caractère universel de telles mesures et se donner les moyens de les mettre en œuvre ?
Il nous semble donc difficile de voter en l’état un projet de loi d’habilitation, qui ne fixe de manière claire ni les obligations des opérateurs ni le calendrier, qui ne prévoit ni pénalités pour ceux qui s’y soustraient ni financements – pas plus qu’en 2005 – à la hauteur de ces enjeux de société autres que ceux provenant d’un fonds dédié, alimenté par d’hypothétiques amendes et sanctions financières.
Cela constituerait une renonciation à une loi d’égalité à laquelle nous ne pouvons nous résoudre, un déni des personnes en situation de handicap et la non-reconnaissance des réalisations faites par certaines de nos collectivités.
Mes chers collègues, de retour d’une mission en Espagne avec une délégation de la commission des affaires sociales, nous avons constaté que l’accessibilité était une réalité dans une grande ville comme Madrid. Les Espagnols ont pu le faire, donnons-nous les moyens d’y parvenir également.
Tout cela, mes chers collègues, conduit mon groupe à s’abstenir sur ce projet de loi.