Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public – les ERP –, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.
Le contexte qui nous amène à recourir à l’ordonnance, vous le connaissez : les échéances fixées par la loi de 2005 sont très proches, 2015 c’est demain. Or le constat est partagé par tous les acteurs : des délais et des aménagements seront nécessaires pour réussir l’objectif ambitieux de cette loi.
En effet, la loi de 2005, combien louable dans ses intentions, n’a pas été accompagnée par une volonté politique et des moyens suffisants permettant d’éviter ce constat.
Organiser de manière systématique l’accès des personnes handicapées au droit commun, adapter ce dernier ou le compléter par des dispositifs spécifiques afin de garantir, en toutes circonstances, une réelle égalité d’accès aux soins, au logement, à l’école, à la formation, à l’emploi et reconnaître ainsi la pleine citoyenneté des personnes handicapées est sans aucun doute l’objectif qui doit guider l’ensemble de nos politiques.
Cependant, dès la discussion de cette loi, nous émettions des doutes sur les moyens qui l’accompagnaient et sa faisabilité. Nous n’avions pu la voter en l’état, estimant qu’elle était également insuffisante dans sa définition du handicap. Ces doutes se sont confirmés à chaque bilan.
Ainsi, en 2006, nous constations les retards pris et dénoncions une loi d’affichage. Nous notions que le délai de six ans pour établir un diagnostic de l’existant était excessif et ne laissait que quatre ans pour engager les travaux, ce qui n’était évidemment pas suffisant. Nous relevions parallèlement l’absence de nombreux textes d’application et l’existence de fortes pressions pour élargir les dérogations. Nous préconisions une incitation par les pouvoirs publics à anticiper les dates butoirs par le biais des commissions communales d’accessibilité, outil de planification idéal, nous semblait-il, pour les travaux à entreprendre.
En 2010, cinq ans après la promulgation de la loi, nous prenions acte que nous étions loin du résultat escompté, en particulier sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui : l’accessibilité n’était toujours pas généralisée dans chacun des domaines de la vie sociale. Ce retard était manifestement à mettre en lien avec le manque d’incitation de l’État qui laissait les acteurs de terrain face à des difficultés inextricables. Nous constations encore des mouvements récurrents de va-et-vient entre la loi d’accessibilité et les tentatives de dérogations réglementaires du Gouvernement qui plongeaient les offices publics de l’habitat dans la plus grande confusion et introduisaient des incertitudes juridiques telles qu’il en résultait un gel des programmes de construction.
Enfin, en 2012, si 99 % des textes d’application étaient publiés, le sérieux retard du chantier était confirmé. Nous déplorions alors l’absence criante de données sur l’état d’avancement de la mise en accessibilité, la loi ne prévoyant pas de remontées d’information obligatoires de la part des acteurs publics ou privés concernés.
Cependant, malgré cela, de réels progrès étaient salués, témoignant d’une dynamique enclenchée, en dépit des défauts manifestes de structuration de cette loi, je le répète, ambitieuse.
Cette dynamique, cet élan, ce regard différent porté sur le handicap ne doivent pas être freinés, mais doivent être accompagnés avec volonté et réalisme pour que 2015 marque une étape fondatrice dans la prise en compte du handicap dans la citoyenneté.
C’est pourquoi, s’appuyant sur le bilan de septembre 2012 et les conclusions montrant que les échéances fixées ne pourraient être tenues, le Premier ministre a demandé à notre collègue Claire-Lise Campion de faire le point sur l’état d’avancement de l’accessibilité et de rechercher des solutions pour répondre aux attentes et aux espoirs soulevés.
Après un travail remarquable – plusieurs fois souligné – que je tiens particulièrement à saluer ici, Claire-Lise Campion a remis, en mars 2013, son rapport intitulé « Réussir 2015 », rapport riche en enseignements qui a ouvert ensuite les deux chantiers de concertation définis lors du Comité interministériel du Handicap, réuni le 25 septembre 2013. Six mois pour agir, six mois intenses pour Claire-Lise Campion, qui a beaucoup donné de sa personne pour rencontrer élus, usagers et associations.
Le premier chantier a concerné la mise en œuvre des agendas d’accessibilité programmée, les Ad’AP, proposition phare du rapport. Ce dispositif dérogatoire, temporaire, permettra d’éviter la multiplication des procédures judiciaires, sans renoncer à la date butoir de 2015.
Le second chantier visait à ajuster les normes d’accessibilité afin de les adapter à l’évolution des techniques, aux besoins et contraintes identifiés lors des nombreuses rencontres ayant alimenté ce riche et précieux travail.
Les chiffres sur l’état d’avancée de la mise en accessibilité, aujourd’hui à peu près connus, même s’il reste des zones d’ombre, obligent à l’adaptation. Si tous les établissements recevant du public, construits depuis 2005, sont accessibles et si 86 % des préfectures, 40 % des lycées, 60 % à 90 % des transports urbains, sont accessibles, force est de constater que le retard est cependant important.
Concernant les ERP de l’État, 37 % des 10 000 établissements, pour 90 % de cinquième catégorie, ont effectué leur diagnostic d’accessibilité, mais le nombre d’ERP ayant mené les travaux de mise en accessibilité n’est pas communiqué. Le coût total de ces travaux est estimé à 3, 6 milliards d’euros ; c’est beaucoup !
Au 1er juillet 2012, sur les 300 000 ERP des collectivités territoriales, 74 000, répartis sur les 23 000 communes, n’avaient pas encore effectué leur diagnostic. Le coût global est estimé à 16, 8 milliards d’euros. Pour les petites communes, cette charge est quasiment insurmontable. Le montant moyen des travaux se situe à 73 000 euros par ERP pour les communes de plus de 3 000 habitants, soit 5 % du budget annuel d’une commune de 4 000 habitants. Sachant que ces communes ont en moyenne un parc de onze ERP, la charge pourrait atteindre 55 % de leur budget d’équipement. Au-delà de l’impact financier, les faibles capacités techniques des petites communes sont un frein supplémentaire à l’établissement des diagnostics et à la mise en accessibilité.
En ce qui concerne les transports, le rapport de 2012 de l’Obiaçu révèle que seuls 15 % des schémas directeurs d’accessibilité n’ont pas été initiés. Toutefois, l’importance des coûts et la multiplication des acteurs expliquent que la chaîne de déplacements sans interruption est loin d’être effective contrairement à ce qui était préconisé dans le concept d’accessibilité universelle. D’ailleurs, devant l’importance du poids financier, un consensus s’est dégagé pour concentrer les travaux dans un premier temps sur les gares et les trajets les plus fréquentés.
Ainsi, devant l’ampleur et la complexité de ce qui reste à faire, il est nécessaire de recourir à l’ordonnance pour réussir 2015 et rester dans les temps imposés par la loi. En effet, dans le cadre de la concertation, les Ad’AP doivent être opérationnels à la rentrée, afin de permettre aux propriétaires et aux gestionnaires d’établissements recevant du public et de transports urbains et interurbains de faire connaître avant le 31 décembre 2014 leur intention de recourir à un Ad’AP. Les dossiers déposés devront faire l’objet d’une validation par les préfets, date à laquelle s’ouvrira la période sur laquelle courra l’Ad’AP. Dans l’éventualité où le dépôt d’un Ad’AP ne pourrait être effectué avant le 31 décembre, les maîtres d’ouvrage devront s’engager, dans les mêmes conditions, à entreprendre la démarche au plus tard douze mois après la publication de l’ordonnance, délai qui sera décompté de la durée de l’Ad’AP.
L’accessibilité est actée : rouvrir le débat pourrait être l’occasion de revenir sur des acquis, ce qui retarderait d’autant la mise en place d’un outil cohérent et opérationnel, et qui a trouvé un équilibre entre les attentes légitimes des usagers et des associations d’un côté, et les difficultés rencontrées par les maîtres d’œuvre de l’autre, lesquels doivent tenir compte de toutes les formes de handicap.
Le vaste travail mené lors de la concertation garantit le réalisme et la pertinence des choix qu’il fallait faire pour que, enfin, la loi de 2005 s’applique et que les retards soient comblés. Plus de 120 personnes ont participé aux réunions, au cours desquelles la qualité d’écoute réciproque a permis de comprendre les besoins et les contraintes. Cette méthode a été saluée par tous, et elle le mérite !
Ainsi, dans ce contexte, recourir à l’ordonnance, c’est faire preuve de volonté politique et affirmer la nécessité que l’accessibilité ne reste pas un vœu pieux et devienne une réalité du quotidien, pour le confort de tous.
Maintenant, passons aux actes et permettons au Gouvernement d’avancer pour le bien de tous. Il ne faudrait pas que, lors des prochains bilans que nous dresserons, nous fassions les mêmes constats qu’aujourd’hui. Dès lors, la mise en conformité avec la loi de février 2005 doit être accélérée. C’est ce que permettent l’outil et le cadre proposés dans ce texte, car ils prennent en compte les réalités de chacun.
En outre, le caractère irréversible de l’Ad’AP a contribué à rassurer les associations, même si celles-ci restent parfois sur la réserve ou dans l’expectative, ce qui est bien normal au vu des enjeux et de l’accumulation des retards.
Le présent projet de loi va apporter à la loi de 2005 la sécurité juridique qui lui manquait : les préconisations issues du rapport « Réussir 2015 » et des concertations vont, nous en sommes convaincus, sauver la loi, et non pas l’enterrer ou la reporter sine die, comme certains le craignent ou comme d’autres, peut-être, l’espèrent.
Ainsi, des contrôles seront mis en place tout au long de la mise en œuvre de l’Ad’AP, à la fin de la première année puis au terme de chaque période de la planification validée.
Des sanctions pourront se déclencher en cours d’Ad’AP, chaque fois que des manquements seront identifiés. Les ressources émanant des sanctions pécuniaires viendront alimenter un fonds d’accessibilité universelle tourné à la fois vers la recherche et le développement et vers les subventions des travaux d’accessibilité.
En fin d’Ad’AP, une attestation remise par un bureau de contrôle technique viendra valider la mise en conformité.
Dans le domaine du transport, des sanctions seront fixées pour inciter à la formation des personnels et pour accroître l’accessibilité du parc des autobus et des cars.
Face à la situation que nous avons évoquée, si l’Ad’AP entraîne la suspension de la sanction pénale, il représente surtout, pour les gestionnaires d’établissements recevant du public, la possibilité de se mettre en conformité avec la loi, certes dans un délai plus long, mais ils s’y mettent, et d’aller au bout d’une démarche qui est actuellement en panne.
Parallèlement à l’outil de planification, moteur de l’action, la concertation a aussi permis des avancées significatives sur le chantier normatif. Ainsi, aujourd’hui, nous allons prendre en compte tous les handicaps, ce qui complète la loi de 2005.
Il me semble que les associations représentant les personnes en situation de handicap ne peuvent qu’apprécier que la sécurité des déplacements, le repérage dans l’espace, la formation des personnels d’accueil et l’information des usagers et des citoyens sur les questions d’accessibilité soient améliorés, grâce au registre d’accessibilité, notamment, mais aussi à l’intégration des contraintes topographiques et à la possibilité d’utiliser des solutions novatrices.
Le libre accès des lieux ouverts au public pour les chiens guides d’aveugles, inscrit dans la loi depuis 1987, sera réaffirmé et élargi.
En outre, les commissions consultatives départementales de sécurité et d’accessibilité, auxquelles sont intégrées les associations, voient leur rôle renforcé puisqu’elles deviennent, de fait, un renfort administratif dans la gestion des Ad’AP. Elles deviennent également paritaires, en réunissant associations et représentants du secteur des ERP.
Certes, les délais annoncés n’ont pas fait l’objet d’un consensus, mais je crois que chacun, au fond, en comprend et en admet la nécessité, le réalisme et le pragmatisme.
Certains s’insurgent contre le délai supplémentaire de neuf ans, au plus, pour la mise en conformité. Ce délai ne correspond évidemment pas à la réalité de tous les établissements puisque, par exemple, 80 % des établissements recevant du public sont de cinquième catégorie, et auront donc seulement trois ans pour se mettre en conformité avec la loi.
En effet, trois durées d’Ad’AP ont été arrêtées par la concertation : trois ans au maximum pour les ERP de cinquième catégorie et les transports urbains, six ans au plus pour les ERP de première à quatrième catégories et les Ad’AP de patrimoine, c’est-à-dire ceux qui portent sur plusieurs établissements, et neuf ans pour les ERP de patrimoine complexe et les transports ferroviaires.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en procédure accélérée débouchera donc sur la mise en place des Ad’AP, qui permettront aux acteurs publics et privés qui ne seraient pas en conformité avec les règles au 1er janvier 2015 de s’engager sur un calendrier prévisionnel de travaux, précis et encadré. Ces Ad’AP lèveront ainsi le risque pénal sur toute la durée de l’agenda, à condition bien sûr que celui-ci soit respecté.
Le présent texte autorise également l’évolution d’un certain nombre de normes relatives à l’accessibilité, afin de les simplifier mais aussi de les actualiser, sur la base de propositions fondées sur les retours d’expérience. L’actualisation des normes est particulièrement liée à une meilleure prise en compte de toutes les formes de handicap.
En outre, ce texte permettra le recrutement de 1 000 ambassadeurs de l’accessibilité, afin d’aider les collectivités territoriales à faire face aux échéances et à la finalisation de leurs projets d’accessibilité, avec des outils financiers adaptés, en lien avec Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations.
Enfin, et c’est très important, le texte marquera le lancement d’une grande campagne nationale d’information et de sensibilisation aux enjeux de l’accessibilité ; Mme la rapporteur l’a souligné tout à l’heure à l’adresse de Mme la secrétaire d’État.
Notre volonté d’une société où chacun a sa place est plus que jamais affirmée ; les mesures que nous voulons engager en témoignent, car elles vont encourager nos concitoyens à trouver et à mettre en œuvre les meilleures solutions juridiques, techniques et financières, dans un secteur porteur de projets, de travaux et d’emplois. Comme l’a indiqué Mme la secrétaire d’État, elles contribueront ainsi à ce que la France atteigne l’objectif de l’accessibilité pour tous.
Par conséquent, je ne doute pas, mes chers collègues, que vous votiez en faveur de ce texte, qui garantit enfin la réalité de l’accessibilité universelle, nécessité que le vieillissement de la population auquel nous sommes confrontés rend tous les jours plus pressante.
Bien entendu, le groupe socialiste votera ce texte. §