Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du 28 avril 2014 à 16h00
Accessibilité pour les personnes handicapées — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, moins d’un an avant l’échéance fixée pour la mise en application de la loi dite « Handicap » de 2005, le Gouvernement présente un projet de loi l’habilitant à prendre par ordonnance les dispositifs de mise en œuvre de l’accessibilité des établissements recevant du public, les fameux ERP.

Entre la volonté de permettre l’accessibilité de tous et la réalité du bâti, en particulier du bâti ancien, il y a parfois un ravin infranchissable. C’est le cas, sur lequel je voudrais m’arrêter un instant, des cabinets des professionnels de santé.

Je m’étonnais que certains médecins baby boomers de mon département, pourtant en pleine forme, me parlent de retraite obligée en 2015 pour des raisons administratives, lorsque j’ai découvert – je l’avoue, avec retard – que l’accessibilité s’appliquait à tous, quel que soit l’immeuble, et même s’il s’agit d’un immeuble collectif.

Les professionnels concernés ont donc découvert, comme moi, à la suite de la question orale que j’ai posée le 19 février ici même, la mise en place d’un dispositif ad hoc, les fameux agendas d’accessibilité programmée, ainsi que l’existence d’un guide en ligne pour la mise aux normes de leurs locaux classés ERP.

Mais ces Ad’AP, me disent-ils, ne répondent pas à des questions très basiques. Quid, par exemple, des immeubles anciens en copropriété ? Qui supportera le financement : le professionnel seul ou toute la copropriété ? Si les autres copropriétaires refusent de cofinancer la mise aux normes, que se passera-t-il ? La copropriété sera-t-elle soumise à une obligation de dépenses ? Si la loi Duflot est rentrée dans moult détails, celui-ci, en supposant que c’en soit un, ne semble pas avoir été évoqué.

Certes, une exemption pour conséquences excessives sur l’activité est prévue. Mais il est question de santé et d’accès à la santé, et non pas d’activité commerciale. J’ai du mal à imaginer comment les commissions consultatives départementales de sécurité et d’accessibilité feront pour établir un barème. S’appuieront-elles sur les déclarations fiscales du professionnel de santé, ou bien sur les statistiques de la CNAM, pour décider des dérogations ? Tout cela soulève de vraies interrogations.

J’ai donc déposé un amendement sur ce thème, dont le dispositif reprend les trois types d’exception qui existaient déjà dans la loi de 2005 pour les locaux professionnels situés dans du bâti ancien. Je veux parler de l’impossibilité technique, de la préservation du patrimoine, et de la disproportion économique. L’idée est de ne pas exempter tous les professionnels de santé de cette obligation, même si j’affirme qu’il existe des moyens plus simples pour permettre l’accès à la santé des personnes handicapées, comme l’obligation pour tout professionnel d’effectuer les actes médicaux à domicile sans frais supplémentaires pour le patient.

Il est vrai que certains actes supposent un équipement difficilement déplaçable – passer une radiographie, une IRM, bénéficier de soins dentaires ou ophtalmologiques, et je dois en oublier –, mais, quand un local ne peut être mis aux normes, la visite à domicile semble être un élément à même de combler une petite partie de la disproportion économique subie par les professionnels de santé, disproportion qui ne sera jamais mesurable.

Mes chers collègues, vous le savez, le principal risque de ces normes, en matière de santé, réside dans la fermeture anticipée de certains cabinets de professionnels. Ce risque est d’autant plus avéré que ceux qui devaient prendre leur retraite dans trois ou quatre ans, et qui se sont renseignés sur le sujet à la suite de la question orale que j’ai posée au Gouvernement sur la procédure administrative, ont été effrayés par la complexité administrative.

Le choc de simplification, ce n’est pas pour eux, et pas dans cette procédure !

Dans mon département, le Val-de-Marne, qui est pourtant très urbain, cela aurait des conséquences pour 15 % à 20 % des seuls cabinets médicaux. L’arrêt d’activité de ces professionnels ne fera qu’accroître la désertification médicale, en particulier dans les zones les plus sensibles en milieu urbain ; cela aura également, je n’en doute pas, une influence en milieu rural. En plus, la désertification sera accentuée par l’impossibilité de trouver un successeur : personne ne reprendra un cabinet qui ne sera pas aux normes et qui sera soumis aux mêmes contraintes en termes de copropriété.

Il ne faudrait donc pas oublier la réalité de la démographie médicale sous couvert de donner une nouvelle dynamique à la mise en accessibilité : le nombre de médecins devrait fondre de près de 8 % d’ici à 2017. Je ne dispose pas de statistiques sur les autres professionnels de santé, mais ils sont tous concernés. Et songez qu’en cas de déménagement de ces professionnels de santé, les personnes handicapées auront des distances plus longues à parcourir.

Pour rester sur le sujet des déplacements, je pense plus particulièrement aux personnes atteintes de handicaps visuels accompagnées de leur chien guide. Je les défends avec cœur depuis mon entrée au Sénat, et plus encore depuis la loi de 2005. Le premier amendement que j’ai déposé en tant que sénateur visait d’ailleurs à permettre la gratuité des chiens guides d’aveugles dans tous les transports. Au demeurant, ces chiens d’assistance sont refusés, selon les associations, dans près d’un quart des cas, y compris à l’hôpital. Pourtant, le chien permet à son maître d’accéder à tous les bâtiments, qu’ils soient anciens ou neufs.

Madame la secrétaire d’État, j’aimerais également que vos ordonnances prévoient des locaux sécurisés dans lesquels les aveugles pourraient laisser leur chien sans inquiétude de garde ou de vol quand ils vont se faire soigner ou pratiquer une activité sportive au sein des équipements prévus à cet effet. Les associations ne demandent pas des locaux spécifiques. Il suffit d’un bureau fermé à clé où le chien peut rester pendant que son maître, par exemple, fait du sport, va à la piscine ou reçoit les soins requis.

Dans cet esprit, et à ma demande, le bureau du Sénat a autorisé la création d’un espace de détente pour les chiens guides dans le jardin du Luxembourg. Nous l’avons inauguré le 16 octobre dernier avec certains de nos collègues, dont Jean-Noël Cardoux, ainsi, me semble-t-il, que Catherine Deroche.

Madame la secrétaire d’État, j’espère que, dans les ordonnances, vous saurez tenir compte de la légitime inquiétude des professionnels de santé en activité et faire en sorte que vos Ad’AP ne soient pas pour eux un nouveau parcours du combattant, situation que la loi sur le handicap visait précisément à régler.

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