Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 avait prévu la date butoir du 1er janvier 2015 pour l’élaboration, dans chaque commune, d’un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics.
En juillet 2012, seulement 13 % de ces plans, qui ne couvrent que 30 % de la population, ont été adoptés. Qui est responsable ?
Je prendrai l’exemple de Paris, dont je suis l’un des élus. Alors qu’elle compte 2 000 établissements recevant du public et 1 700 kilomètres de voirie, la collectivité parisienne n’est pas parvenue à respecter le principe d’accessibilité universelle. Pourtant, plus de 330 000 Parisiens sont dans une situation de handicap.
Je ne rappellerai pas tout ce qui n’a pas été fait, me contentant de lire le témoignage de Mme Françoise Rudetzki, fondatrice de SOS Attentats.
« Invalide moteur depuis trente ans, je refuse de vivre enfermée. Je peux conduire ma voiture. J’ai un périmètre de marche de 100 mètres ; au-delà, j’utilise ma chaise roulante.
« Le métro, bien entendu, n’est pas praticable – 20 stations sur 309 sont accessibles – et les bus ne vous déposent pas devant chez vous. […] Les places handicapées sont souvent occupées de manière illicite, les faux macarons fleurissent. […] Les fréquentes pannes d’ascenseur sont un cauchemar.
« Pour trouver des cafés et des restaurants avec des toilettes accessibles, bonne chance ! Impossible de faire ses courses dans un supermarché. […] La Poste, dont je dépends, est dépourvue de pente d’accès et de barre d’appui. Et je ne parle pas des services des mairies d’arrondissement non accessibles comme le sont le palais de justice, les grands magasins, les cinémas, la Cité de la Musique, l’Opéra Bastille, ainsi que la plupart des musées.
« PAM, société de transports pour handicapés dont la Ville est si fière, fonctionne en sous-effectifs, il faut prévoir ses sorties quatre à cinq jours à l’avance. »
En septembre 2012, l’IGAS reconnaissait l’impossibilité de respecter la date butoir légale de 2015, en raison du contexte économique et budgétaire, mais aussi de l’ampleur des travaux à réaliser.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Conservons l’exemple de la Ville de Paris, qui dispose d’un budget annuel de plus de 8 milliards d’euros, dont 4 % sont dévolus au handicap. Ce serait bien s’il ne me fallait ajouter, toutefois, que seuls 20 millions d’euros sont consacrés à l’accessibilité proprement dite : 20 millions sur huit milliards !
Pourtant, la Ville dépense 800 millions d’euros pour la « Canopée » des Halles, les « Nuits blanches » et « Paris Plage », et 35 millions d’euros pour transformer les berges en lieux festifs…
Il est évident que, dans cet échec de la loi de 2005, la responsabilité des communes est importante.
J’ai tendance à penser, madame la rapporteur, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur pour avis, que le moratoire est hypocrite et moralement inacceptable.
Malheureusement, il est nécessaire. En effet, à la décharge des communes, il faut noter que, dès le vote de la loi de 2005, les délais fixés étaient, aux yeux de tous, intenables. Il suffit de relire les débats qui se sont tenus à l’époque dans ce même hémicycle pour s’en convaincre.
Aujourd'hui, soyons vraiment pragmatiques et garantissons une accessibilité intelligente, c'est-à-dire une accessibilité souple du service plutôt que du bâtiment. Lorsque la personne ne peut pas aller au service public, le service public doit pouvoir aller à elle.
Autrement dit, même s’il est trop difficile, techniquement, d’adapter un bâtiment, tous nos concitoyens doivent pourtant avoir accès, d’une manière ou d’une autre, à la prestation publique. Cela, les textes le permettent. Encore faut-il que l’État s’en fasse le relais. Alors seulement notre société sera accessible et n’aura plus à courir de moratoire en moratoire.
Ce débat est celui d’un choix de société, que les propos de mon parent, Philippe Pozzo di Borgo, dont la vie a été retracée dans le film Intouchables, permettent de dévoiler.
Voici ce qu’il écrivait, et qu’il m’a demandé de lire ici, pour les Trophées 2014 de l’accessibilité : « Une société inaccessible est une société de parias, d’intouchables. Une société qui promeut l’accessibilité en se laissant toucher par l’autre différent est enfin réconciliée avec elle-même.
« Nous nous sentons tous fragiles, à des degrés divers, et inquiets du refus de la société de considérer notre nature fondamentalement vulnérable et multiple. La tyrannie de la norme et de la force est une impasse. L’accessibilité est une solution aux maux de notre société. »
Sachons nous inspirer de ces paroles ! Cependant, parce que les communes, l’État et les différents acteurs n’ont pas encore conscience que le handicap est un problème majeur d’équilibre de notre pays, à titre personnel, je m’abstiendrai sur ce texte.