Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à permettre le don de jours de repos à un parent d’enfant gravement malade, déposée par le député Paul Salen, a été adoptée par l’Assemblée nationale le 25 janvier 2012 et transmise au Sénat. Je salue à cet égard les propos tenus tout à l’heure par M. le président Sueur sur le retard trop souvent pris dans l’examen des propositions de loi par la seconde assemblée saisie.
La présente proposition de loi s’inscrit dans la lignée de plusieurs textes tendant à permettre aux salariés et aux fonctionnaires de concilier les événements les plus tragiques de l’existence – maladie, décès d’un proche – avec leur vie professionnelle. Déjà possible dans le cadre d’un accord collectif dans les entreprises du secteur privé, le don de jours de repos n’est pas prévu dans le secteur public. Certains employeurs publics locaux ont néanmoins décidé d’organiser des mécanismes analogues, généralement pour répondre à une situation individuelle précise, mais sur un fondement légal incertain.
Portée par une véritable attente au sein de la population, cette volonté de solidarité, même si les modalités de sa traduction pourraient à terme être précisées, demande à être pleinement soutenue par le législateur. Le groupe UMP, qui a inscrit ce texte à l’ordre du jour qui lui est réservé, juge important de consacrer par la loi, tout en prévoyant, naturellement, certaines garanties fondamentales, la possibilité du don de jours de repos à un parent d’enfant gravement malade, afin notamment de permettre aux agents de la fonction publique de bénéficier de ce système.
De nombreuses entreprises, le groupe Casino, le groupe PSA, la compagnie d’assurances April, Merial, mais également la Mutualité sociale agricole de Picardie et l’Association pour l’emploi des cadres, ont, au cours des deux dernières années, mis en place par voie d’accord des mécanismes de don de jours de repos pour permettre à un salarié d’accompagner un enfant malade. À plusieurs reprises, comme dans l’accord signé au sein du groupe PSA, les négociations ont été engagées à la demande de salariés désireux de venir en aide à un de leurs collègues.
La possibilité pour les salariés et fonctionnaires d’exprimer leur solidarité envers un collègue suscite une véritable attente, et la presse s’est fait l’écho de cas où le don de jours de RTT s’est révélé impossible, faute de dispositions légales.
Certes, il existe déjà, dans le droit du travail, différents dispositifs permettant de prendre soin d’un enfant malade. Les absences pour enfant malade sont prévues par le code du travail. Par ailleurs, le passage à temps partiel est de droit pour s’occuper d’un enfant atteint d’une pathologie grave.
Enfin, un mécanisme spécifique pour ces cas graves, nécessitant une présence soutenue, a été mis en œuvre au travers du congé de présence parentale – c’est l’article L. 1225-62 du code du travail –, dont le bénéfice a été étendu il y a trente ans aux fonctionnaires, par la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État.
Ce mécanisme, complété par plusieurs textes, dont la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, ouvre la possibilité d’interrompre son activité à tout salarié, sans condition d’ancienneté, si l’enfant à charge, au sens des prestations familiales, est atteint d’une maladie ou d’un handicap ou victime d’un accident d’une particulière gravité, rendant indispensables une présence soutenue à ses côtés et des soins contraignants.
À l’issue du congé de présence parentale, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire, assorti d’une rémunération au moins équivalente. Le congé peut être écourté, dans des conditions prévues à l’article L. 1225-52 du code du travail, en cas de diminution importante des ressources du ménage ou, tragiquement, de décès de l’enfant. Dans ces cas également, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire, assorti d’une rémunération au moins équivalente.
Le cadre existant permet aux parents de faire face aux cas les plus graves concernant leurs enfants. Il est cependant très contraignant pour les familles concernées, ce qui a incité plusieurs salariés ou employés de la fonction publique, informés de la situation d’un parent, à vouloir lui venir en aide par le don de jours de RTT.
Les différents congés prévus actuellement par la législation ne sont pas rémunérés, sauf accord collectif pour les salariés du secteur privé. Toutefois, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 a créé une allocation journalière de présence parentale, servie par les caisses d’allocations familiales, pour les parents qui réduisent leur activité professionnelle pendant plus de quatre mois. Le montant de cette allocation est cependant plafonné à un peu plus de 945 euros par mois pour un couple et son attribution est soumise au respect d’un plafond de revenus.
Les jours non travaillés et rémunérés dans le cadre des accords de réduction du temps de travail antérieurs à la loi du 20 août 2008 sont, dès lors, un moyen de permettre l’absence d’une personne sans perte financière pour celle-ci. C’est donc un choix généreux et logique, de la part des collègues d’un parent, de vouloir mettre à disposition une partie des jours dont ils disposent au-delà des quatre semaines légales de congés payés.
Seules de grandes entreprises ont actuellement mis en place des systèmes de don de jours de RTT, le plus souvent à la demande de salariés. Ainsi, ce sont les entreprises où la négociation professionnelle est la plus active qui offrent à leurs salariés la possibilité de mettre en œuvre ce mécanisme de solidarité. Les salariés des autres entreprises ne disposent d’aucun moyen de faire don des jours de repos dont ils disposent.
Surtout, un tel dispositif ne peut être mis en place, à l’heure actuelle, dans la fonction publique, sauf à sortir de la légalité. Or les cas douloureux qui ont retenu l’attention des médias montrent que cette solution répond concrètement aux besoins des familles et que l’aspiration des collègues de l’un des parents à l’aider est réelle. Ils appellent donc une réponse urgente.
La proposition de loi soumise à notre examen ne vise pas à se substituer aux accords déjà passés au sein des entreprises pour permettre le don de jours de repos. Elle étend simplement cette possibilité à l’ensemble des salariés, sous réserve de l’accord de l’employeur, ainsi qu’à la fonction publique, selon des modalités définies par décret. Elle offre un cadre et des garanties minimales, qui seront susceptibles de précisions ultérieures si la mise en œuvre du dispositif l’impose.
Les modalités du don et les motifs pour lesquels il peut intervenir sont encadrés par la proposition de loi.
L’article 1er ouvre la possibilité, pour tout salarié, de faire don de jours de repos dont il dispose à un de ses collègues ayant la charge d’un enfant gravement malade. Conformément aux dispositions du code du travail, ce don ne peut porter que sur les jours disponibles au-delà de quatre semaines de congés payés. Le don peut donc porter sur les jours correspondant à la cinquième semaine de congés payés et sur les jours compensateurs accordés à certains salariés qui travaillent au-delà de trente-cinq heures hebdomadaires.
Ce don ne peut se faire qu’à partir d’une démarche individuelle et volontaire. Il est soumis à l’accord du chef d’entreprise, en raison de l’incidence du transfert des jours de congés sur l’organisation du travail. Le don se fait pour un collègue déterminé. Il n’y a donc pas de don a priori pour tout collègue susceptible de se trouver dans la situation prévue par le texte. Conformément aux règles générales en matière de don en droit français, celui-ci doit être anonyme et gratuit, c’est-à-dire sans contrepartie. L’anonymat du don sera néanmoins quelque peu relativisé selon la taille de la structure : garanti dans une grande entreprise, il se trouvera nécessairement amoindri dans une PME. L’anonymat et la gratuité protègent le donateur et le donataire, et il conviendra que l’employeur veille à ce que le don volontaire ne devienne pas une obligation imposée à certains salariés ou que le salarié qui reçoit les jours ne soit pas l’obligé de ses collègues donateurs. Je récuse donc le terme de « charité », que l’on a pu lire parfois dans la presse ; il s’agit bien plutôt d’une démarche de partage, entre collègues, des conséquences d’une situation nécessairement injuste, la première des injustices étant la survenue de la maladie.
Concrètement, le don de jours de repos augmente le nombre de jours disponibles pour un salarié ayant la charge d’un enfant gravement malade. Il dispose donc de temps pour être présent auprès de son enfant, sans diminution de salaire ou de droits à retraite. Par ailleurs, dans les entreprises où un compte épargne-temps a été mis en place, les jours de repos donnés seront affectés et pourront donc faire l’objet d’une conversion en argent ou être utilisés pour un départ anticipé à la retraite.
Le mécanisme proposé sera rendu applicable à la fonction publique au travers de l’article 2 de la proposition de loi, qui renvoie à un décret.
La réalité de la situation dans laquelle se trouve une personne du fait de la particulière gravité de la maladie, du handicap ou de l’accident dont a été victime un de ses enfants est attestée par un certificat médical détaillé, établi par le médecin qui suit l’enfant au titre de la pathologie en cause. La proposition de loi ne précise pas qui doit être destinataire de ce certificat, mais il semble logique que ce soit l’employeur, car c’est lui qui est appelé à autoriser les dons de jours de repos.
La proposition de loi déposée par M. Paul Salen et adoptée par l’Assemblée nationale tend d’abord à poser le principe et les principales modalités du don de jours de repos. C’est au sein des entreprises que se négociera une partie des modalités pratiques du don, tenant au rôle des représentants de l’employeur, notamment des services des ressources humaines, ou à l’organisation de l’entreprise. Les dispositions réglementaires prévoiront le détail de l’organisation pour la fonction publique.
La commission des affaires sociales a fait le choix de ne pas retarder encore l’adoption de ce texte et n’a donc adopté aucun amendement. Par conséquent, je vous invite, mes chers collègues, à voter ce texte sans modification. Il ne répond certes pas à toutes les situations, mais même s’il ne devait permettre qu’à quelques enfants malades de bénéficier de la présence de leurs parents à leurs côtés, cela justifierait que nous le votions. §