Intervention de Jacky Le Menn

Réunion du 30 avril 2014 à 14h30
Don de jours de repos à un parent d'enfant gravement malade — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jacky Le MennJacky Le Menn :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est proposé aujourd'hui est la conséquence d’actions généreuses, celles de salariés ayant fait don de leurs jours de repos pour aider un collègue parent d’enfant malade à demeurer auprès de lui pendant sa longue hospitalisation ; M. le ministre et Mme la rapporteur viennent de le rappeler.

Nous devons avant tout nous interroger sur la cause de ces dons. En effet, il existe déjà dans notre droit une panoplie de congés liés à des circonstances familiales.

Certains de ces congés ne sont pas indemnisés. Je pense au congé pour enfant malade d’une durée de trois ou cinq jours par an, qui s’applique dans le cas d’affections relativement bénignes, ou au congé de soutien familial, entre trois mois et un an, pour venir en aide à un membre de la famille atteint d’un handicap ou d’une perte d’autonomie particulièrement grave.

D’autres congés sont indemnisés. C’est le cas du congé de solidarité familiale, d’une durée de trois mois renouvelables, qui permet d’assister un proche souffrant d’une pathologie mettant en jeu le pronostic vital ou en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable. L’indemnité est aujourd'hui de 54, 82 euros dans la limite de vingt et un jours ; elle n’est pas cumulable avec d’autres prestations.

Le congé de présence parentale est celui qui semble le plus adapté à la situation qui nous préoccupe. Il est attribué pour une période maximale de quatorze mois et il est indemnisé par la sécurité sociale, sous forme d’une allocation journalière de présence parentale. L’enfant doit avoir moins de vingt ans, le parent doit en assurer la charge effective et le congé peut être renouvelé si nécessaire. L’allocation est de 50, 74 euros par jours pour un parent seul et de 42, 71 euros pour un couple. Un complément peut être versé par la caisse d’allocations familiales sous forme d’un remboursement de frais de 109, 24 euros par mois. J’ajoute que ce remboursement est soumis à un plafond de revenus et tient compte du nombre total d’enfants à charge.

Il est bien évident que ce n’est pas avec les sommes que je viens de citer qu’une personne ou une famille peut vivre, a fortiori avec un enfant malade ou hospitalisé.

Nous savons tous ce qui se passe alors : les parents les moins fortunés – c’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de femmes – utilisent d’autres congés, notamment leurs propres congés maladie. Au demeurant, la situation qu’ils vivent les conduit souvent à avoir eux-mêmes un besoin absolu non seulement de disponibilité, mais aussi de repos. Ces arrangements sont parfaitement compréhensibles, mais ils ne sont pas légaux et peuvent faire courir des risques aux salariés sur le plan professionnel.

Confrontés à des situations dramatiques dans des entreprises, les salariés collègues de parents en difficulté ont mis en œuvre des initiatives généreuses. Ils ont donné une partie de leurs jours de repos pour leur permettre d’être avec leur enfant. Ce sont des gestes remarquables, d’une grande humanité, des gestes fraternels dans un monde que l’on dit trop souvent individualiste et égoïste. En tant qu’êtres humains, ils nous apportent un espoir. En revanche, en tant que législateurs, ils nous interrogent. Comment devons-nous répondre ?

Le texte nous propose une généralisation de ce système. Soit ! Cependant, si les initiatives des salariés ont eu lieu, c’est bien parce que les dispositifs légaux existants ne répondent pas correctement aux besoins et sont insuffisants, surtout sur le plan financier.

Ce sont environ 1 000 à 1 500 familles qui sont concernées chaque année. À combien s’élèverait l’augmentation du montant de l’allocation journalière de présence parentale pour permettre à ces familles de s’occuper de leur enfant gravement malade ? On nous dit que le contexte budgétaire ne se prête pas aux dépenses, qu’il faut au contraire faire des économies ; nous le croyons volontiers. Reste que nous savons aussi que les sommes concernées ici sont très peu de choses au regard des masses budgétaires en jeu et qu’elles auraient une valeur considérable, et à nos yeux peu discutable, pour les familles. C’est donc là avant tout, nous semble-t-il, qu’il faut agir. Un relèvement des plafonds de ressources serait une mesure minimale. J’ajoute que cela aurait un avantage considérable par rapport à ce qui nous est proposé ce soir : la garantie d’exister pour tous, dans les mêmes conditions.

Il est de notre rôle de législateur d’entamer un dialogue sur cette question avec le Gouvernement pour régler cette affaire de manière équitable.

Il me semble, ainsi qu’aux collègues de notre formation politique, qu’il est particulièrement difficile de légiférer en matière de générosité ; vous l’avez vous-même noté voilà quelques instants, monsieur le ministre. On peut, et c’est notre cas, souscrire pleinement aux initiatives individuelles ou collectives, je le répète, généreuses des salariés, ne pas vouloir les empêcher, bien entendu, et même les soutenir. Toutefois, notre rôle de législateur se situe au-delà. Il nous appartient de travailler pour l’intérêt général et de faire en sorte que chacun dispose, en vertu de la loi, des mêmes droits et des mêmes devoirs. Or le texte qui nous est proposé ne répond pas à cette obligation.

Permettez-moi de faire quelques observations.

Il y a d’abord une évidence : le salarié parent qui travaille dans une entreprise de 500 salariés – M. Watrin l’a souligné – obtiendrait vraisemblablement beaucoup plus de journées que celui qui travaille dans une entreprise de 30 personnes. Le dispositif proposé est donc structurellement biaisé. Nous ne pouvons pas inscrire dans la loi une telle inégalité, qui serait l’un des fondements du texte.

Comment l’anonymat du don, surtout dans une PME, serait-il garanti ? Le salarié qui reçoit devrait-il alors se sentir redevable auprès des autres salariés ? Ne risque-t-on pas d’assister à des pressions, à des conflits si des salariés ne peuvent pas, voire ne veulent pas donner des jours de repos ? Certains ne risquent-ils pas d’être rétifs si leur générosité a pour eux des conséquences fiscales et sociales négatives ? D’autant que le texte ne fixe comme seule borne que les vingt-quatre jours de congés annuels. N’y a-t-il pas alors un risque de stigmatisation, ce qui irait à l’encontre des objectifs visés ?

L’idée d’une chaîne de solidarité est très belle, mais nous devons être très attentifs aux difficultés que je viens de soulever.

Par ailleurs, comment s’organisera concrètement l’opération ? Les salariés ont des métiers différents. Ils ne sont pas interchangeables.

En outre, comment seront formalisés la demande du salarié et l’accord de l’employeur ? La réponse à cette question n’est pas sans importance en cas d’accident du travail du salarié offrant des jours de repos.

Le texte de la proposition de loi ne prévoit pas la signature d’un accord. Pourtant, c’est bien par ce canal que sont intervenues les opérations de dons ayant déjà eu lieu, par exemple dans l’entreprise Merial ou l’entreprise Badoit dans la Loire.

L’employeur apportera-t-il une participation sous une forme restant à définir ? Laquelle ? Des jours de congé supplémentaires ? S’il n’y a pas d’accord, ce point reste soumis à sa seule bonne volonté, même si personne n’en doute. Mais, surtout, en l’absence d’accord, nous restons dans le flou : un mouvement spontané, généreux, mais aux conséquences juridiques et pratiques imprévisibles.

Enfin, pour les fonctions publiques, le texte de la proposition de loi prévoit un décret. C’est reconnaître ainsi que nous interviendrions aux limites du domaine réglementaire.

Au total, nous constatons que les élans de générosité des salariés pour soutenir des parents d’enfant malade suscitent l’émotion et le soutien non seulement de nos compatriotes, mais aussi des médias. Nous recevons cela, en tant que législateurs, comme un appel à agir. Nous devons donc nous garder de notre premier mouvement, qui nous pousse naturellement vers la générosité. Jusqu’à présent, le don de jours de repos s’est effectué dans les entreprises, par voie d’accord, de façon ponctuelle et sans intervention législative. Au demeurant, rien ne l’interdit.

Pour autant, cette voie, remarquable sur le plan humain, n’est, je le répète, pas satisfaisante sur le plan juridique. De surcroît, elle n’est pas vraiment généralisable. Elle pourrait même mettre en péril les dispositifs existants, alors qu’il conviendrait au contraire de les renforcer. Il faudra d’ailleurs bien s’atteler à cette tâche, et nous devrons tout mettre en œuvre pour travailler sur ce volet de la protection sociale, afin de le faire avancer.

Compte tenu de toutes ces interrogations, le groupe socialiste s’abstiendra.

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