Merci de m'accueillir pour présenter ce projet de loi d'habilitation relatif à la désignation des conseillers prud'homaux qui, a priori, ne recueille pas l'assentiment de tous les sénateurs. Le Gouvernement souhaite réformer leur mode de renouvellement.
Ce texte ne supprime pas la juridiction prud'homale ; il ne modifie pas non plus son fonctionnement. Ses difficultés sont connues et ont été mises en lumière par le rapport Marshall : l'engorgement des tribunaux, les délais trop importants, la place de la conciliation, l'absence trop souvent de greffier, etc. J'attends prochainement la remise du rapport du président de la chambre sociale de la Cour de cassation qui présentera des pistes pour y remédier. Il s'agira d'améliorer le fonctionnement de cette juridiction importante, la plus ancienne, mais aussi l'une des plus modernes, protectrice des salariés et des plus faibles. Comme l'a écrit Pierre Joxe dans Soif de justice, « affaiblir les prud'hommes serait affaiblir les plus faibles ». Cela affaiblirait aussi notre modèle social fondé sur la résolution des litiges par les pairs. Salariés et employeurs ont besoin d'une juridiction spécifique et issue du monde professionnel pour régler les différends liés au travail. Mais tel n'est pas l'objet de ce texte. Il faut éviter tout amalgame. Nous sommes attachés à la justice prud'homale et travaillerons à son renforcement.
Ce projet de loi habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances les dispositions pour mettre en place de nouvelles modalités de désignation des juges prud'homaux à partir de 2017. Il substitue à l'élection directe une désignation fondée sur la mesure de l'audience des organisations syndicales des salariés et des employeurs. Deux réformes, en effet, ont modifié le paysage de la démocratie sociale ces dernières années : la réforme de la représentativité syndicale, grâce à la loi du 20 août 2008, dont Gérard Larcher était l'inspirateur, et la réforme de la représentativité patronale votée le 5 mars dernier. Il s'agissait d'asseoir la légitimité de la démocratie sociale. La CGT et la CFDT ont soutenu ces réformes. Le système de mesure de la représentativité syndicale est reconnu et a fait ses preuves.
Certains déplorent la suppression de l'élection des conseillers prud'homaux. Mais le principe électif demeure car le système sera fondé sur l'audience des organisations syndicales appréciées par le suffrage de 5,4 millions de salariés, soit davantage de votants que lors de la dernière élection prud'homale, où le taux de participation n'a été que de 23 %, contre 63 % en 1979. Il est vrai que ce faible taux de participation ne justifie pas à lui seul la suppression de l'élection... Toutefois, cette baisse de la participation est dommageable tant aux syndicats qu'à l'institution prud'homale.
Surtout l'élection fragilisait le mandat des conseillers prud'homaux lui-même. Pour renforcer la juridiction prud'homale, il convient d'assurer le lien entre la représentativité des syndicats, qui fonde leur légitimité à représenter les salariés, à négocier des accords, à siéger dans différentes instances, c'est-à-dire à défendre a priori les salariés, et leur capacité à les défendre, a posteriori, aux prud'hommes. La dissociation entre la mesure de l'audience syndicale et un processus de nomination spécifique aux prud'hommes était devenue néfaste. Lorsqu'aucun mécanisme ne permettait de mesurer l'audience syndicale, les élections prud'homales jouaient ce rôle par défaut. Ce n'est plus le cas. Il aurait été logique de revoir les modalités de désignation en 2008, mais il fallait aussi modifier la représentativité patronale. La réforme a accru la légitimité des élus des comités d'entreprise et des délégués du personnel, qui sont amenés à traiter au quotidien de problèmes juridiques susceptibles de conduire aux prud'hommes. Il est cohérent que les mêmes personnes défendent les salariés a priori et a posteriori. La mesure nationale de la représentativité n'empêchera pas de tenir compte des variations régionales de représentativité. Ce point technique sera précisé lors de la concertation.
Enfin le coût des élections prud'homales ne cesse d'augmenter et représente 100 millions à la charge de l'Etat et des organisations syndicales. Ces sommes ne seraient-elles pas mieux employées pour financer la démocratie sociale ou la formation des conseillers prud'hommes par exemple ?
Désigner les conseillers prud'homaux est-il conforme à notre Constitution ? L'assemblée générale du Conseil d'Etat a estimé dans son avis sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale que le mode de désignation ne soulevait aucune question de constitutionnalité.
Le recours aux ordonnances constitue toujours un sujet délicat pour les parlementaires. Mais en l'occurrence il est nécessaire, car le dossier est particulièrement technique.
Quel sera le calendrier ? Les syndicats expriment une forte demande de concertation sur les modalités concrètes de mise en oeuvre, signe d'incertitudes et d'inquiétudes. De plus, le mandat des conseillers prud'homaux expire fin 2015, date de la fin du premier cycle de la représentativité syndicale issue des élections de 2012. Les résultats du deuxième cycle ne seront connus qu'en 2017. Pour le patronat, la réforme de la représentativité ne prendra effet que fin 2017 et les résultats du premier cycle ne seront connus qu'à cette date. C'est pourquoi le projet de loi créait un système transitoire entre 2015 et 2017, nécessairement très complexe, avec des règles différentes pour les salariés et les employeurs. Les conseillers prud'homaux auraient dû se former pendant deux ans puis le système aurait changé ! Aussi, après avoir consulté les partenaires sociaux, je propose de proroger à nouveau, une dernière fois, le mandat des conseillers actuels jusqu'en 2017. A cette date, après avoir mené une large consultation avec toutes les parties prenantes, nous établirons le régime définitif entièrement fondé sur la représentativité des organisations représentatives des salariés comme des employeurs. Le Gouvernement va consulter le Conseil d'Etat. Une lettre modificative au présent projet de loi sera préparée, ce qui décalera de quelques semaines l'examen du texte.
Après la loi du 5 mars dernier qui a posé les bases d'une réforme profonde de notre démocratie sociale, après la loi de 2008 qui avait initié le mouvement de la représentativité syndicale, il nous appartient aujourd'hui d'adapter les modes de désignation des conseillers prud'homaux. C'est une réforme qui ne change rien à ce qu'est l'institution prud'homale et n'a pour objectif que de renforcer sa légitimité. Comme il s'agit d'une réforme technique et complexe dans ses modalités de mise en oeuvre, la proposition de report que je vous fais aujourd'hui permettra de laisser le temps aux échanges et à la concertation pour la mener à son terme.