Intervention de Thierry Braillard

Réunion du 5 mai 2014 à 21h30
Convention européenne contre les violences à l'égard des femmes — Adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission

Thierry Braillard  :

Monsieur le président, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui ne peut assister à l’entame de ce débat mais nous rejoindra tout à l’heure.

Nous parlons ici d’un phénomène qui touche plus d’un tiers des femmes dans le monde : c’est le chiffre révélé l’an dernier par l’Organisation mondiale de la santé.

Les violences faites aux femmes prennent des formes très variables. Elles ont pour point commun de se nourrir des représentations sexistes et patriarcales de notre société.

Violences conjugales, violences sexuelles, harcèlement sexuel, violences liées aux pratiques traditionnelles : toutes ces violences sont le prolongement d’une certaine vision de la femme dans notre société.

En France, nous estimons qu’une femme sur dix est victime de violences conjugales. En 2012, 148 femmes sont mortes à la suite de violences conjugales.

Les enquêtes de victimation révèlent qu’une femme sur dix déclare avoir subi des rapports forcés ou des tentatives de rapport forcé au cours de sa vie.

Pour faire reculer durablement les violences, il faut d’abord savoir les voir et les dénoncer.

Cela veut dire que nous devons briser le silence.

Cela veut dire aussi que nous devons relever notre niveau d’intolérance à la violence : les gestes déplacés, les insultes sexistes dans la rue, les violences conjugales dans le voisinage, ce n’est pas parce que c’est tristement banal que c’est normal.

Pour faire reculer durablement les violences, il faut qu’elles soient effectivement sanctionnées. Ce qui est le plus choquant, c’est que l’immense majorité des faits ne sont pas signalés à la police ou à la gendarmerie.

Ce n’est pas parce que les violences sont commises à l’abri des regards qu’elles sont moins insupportables. Comme l’a dit Najat Vallaud-Belkacem en présentant ce projet de loi de ratification au conseil des ministres, nous ne voulons plus faire rimer « intimité » avec « impunité ».

L’enjeu, pour tous les pays, c’est l’augmentation du nombre de signalements, de plaintes, et donc de condamnations.

La convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, signée à Istanbul en avril 2011, est un instrument précieux. Elle est le fruit d’un travail parlementaire : celui du réseau « pour le droit des femmes de vivre sans violence » constitué en 2006 au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Les parlementaires, sur vos travées comme sur les bancs de l’Assemblée nationale, ont souvent eu l’occasion d’en souligner l’intérêt, l’urgence et la portée.

La France en a été l’un des premiers signataires. Elle sera l’un des premiers États à ratifier la convention d’Istanbul. Le seuil de dix ratifications venant d’être atteint, cette convention entrera donc en vigueur le 1er août prochain.

La convention d’Istanbul, si elle a été adoptée dans un cadre régional paneuropéen, peut avoir un effet d’entraînement beaucoup plus vaste. Elle a en effet une vocation universaliste, et tout État peut y adhérer. Najat Vallaud-Belkacem profite de chacun des échanges bilatéraux qu’elle peut nouer pour promouvoir cette convention auprès des États qui n’en sont pas encore parties.

C’est cette volonté de promouvoir la convention qui a amené la France à co-organiser avec le Conseil de l’Europe un événement sur ce thème en marge de la Commission de la condition de la femme, à New York l’an dernier.

Il s’agit d’un texte fondamental sur la scène internationale. L’ONU-Femmes le présente comme la « norme d’excellence ».

C’est le tout premier instrument contraignant en Europe visant à prévenir et à combattre toutes les formes de violences à l’égard des femmes.

C’est un texte qui prend acte de cette réalité fondamentale pour le mouvement de lutte contre les violences faites aux femmes : il y a un continuum des violences, qui commence avec les inégalités, qui se poursuit dans les coups et qui se prolonge malheureusement parfois jusqu’aux crimes.

Cette convention tend à proposer une réponse globale à travers la politique des « trois P » : prévention des violences, protection des victimes, poursuite des auteurs.

La France a participé activement aux négociations qui ont permis d’adopter la convention d’Istanbul. Il est donc naturel qu’elle en tire les conséquences.

Avec la loi du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, le Parlement a déjà adopté les mesures d’adaptation du droit pénal français aux stipulations de la convention : elles concernent en particulier la lutte contre le mariage forcé et les mutilations sexuelles féminines.

Contre les mariages forcés, nous avons été amenés à proposer la création d’un nouveau délit, constitué par le fait de tromper quelqu’un en vue de lui faire quitter le territoire français pour lui faire subir un mariage forcé à l’étranger.

Contre les mutilations sexuelles féminines, notre droit pénal sera complété par l’interdiction de l’incitation d’un mineur à subir une mutilation, et celle de l’incitation à faire subir une mutilation à un mineur.

Toutefois, cette convention ne se résume pas à ces dispositions pénales. C’est la nécessité d’engager une démarche globale contre les violences faites aux femmes qui s’impose d’abord aux parties.

Le Gouvernement français se reconnaît totalement dans cette approche globale. C’est un engagement porté au plus haut niveau de l’État. À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre 2012, le Président de la République a demandé au Gouvernement de lancer un « plan global » contre les violences faites aux femmes. C’est l’objet du quatrième plan de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, qui porte sur la période 2014-2016. Najat Vallaud-Belkacem l’a présenté en novembre dernier. Il traduit cet engagement en chiffres : avec 66 millions d’euros, le montant consacré par l’État à cette politique a doublé.

D’abord, la victime ne doit pas avoir à se battre pour être entendue. Nous voulons donc que les victimes reçoivent la bonne réponse dès leur première alerte : nous formons les professionnels qui sont au contact des victimes, nous renforçons le 3919, numéro de téléphone national gratuit destiné aux femmes victimes de violences, nous améliorons l’enregistrement des plaintes, nous réorganisons l’accueil des victimes en commissariats ou en gendarmeries pour qu’elles soient toujours orientées vers un intervenant social ou une association spécialisée.

Ensuite, la victime doit être protégée. Nous développons donc les dispositifs nécessaires à la mise en sécurité des victimes : ce sont les 1 650 nouvelles solutions d’hébergement d’urgence spécialisées et sécurisées que nous ouvrons, c’est également le téléphone d’appel d’urgence, que nous voulons fournir à toutes les femmes en très grand danger.

Enfin, la violence, ça se soigne. Les victimologues apportent beaucoup à ces travaux. Ils doivent être écoutés attentivement. Nous comptons développer les soins ouverts aux victimes et le suivi prévu pour les auteurs de violences.

Pour répondre concrètement au besoin de coordination entre les multiples interlocuteurs que rencontrent les victimes –les tribunaux, la police, les services sociaux, les collectivités territoriales et les associations –, nous voulons créer une mission interministérielle composée d’experts de ces différents profils.

Cette mission interministérielle est née en janvier 2013. Elle réunit les données, elle partage les bonnes pratiques, elle organise la formation des professionnels.

Avec le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes que vous avez examiné le mois dernier en deuxième lecture, nous renforçons les moyens de faire face à toutes les formes de violences faites aux femmes.

Nous renforçons le dispositif de l’ordonnance de protection, pour qu’il soit mis en œuvre plus vite et pour une durée plus longue.

Pour mieux protéger les victimes, et éviter qu’elles ne soient doublement victimes en étant contraintes de déménager, nous renforçons les moyens d’écarter l’auteur des violences du domicile conjugal et de maintenir la victime dans son logement.

Pour lutter contre la récidive, nous établissons également des stages afin de responsabiliser les auteurs de violences.

La politique mise en œuvre par la France contre les violences à l’égard des femmes s’inscrit donc dans une approche intégrée, pluridisciplinaire, fondée sur les droits de la personne humaine.

Cet engagement est partagé par le Gouvernement. Vous avez pu constater qu’il est conforme à l’esprit et à la lettre de la convention d’Istanbul. Je sais qu’il est partagé également au sein de cet hémicycle. Je tiens à saluer la qualité du rapport de Joëlle Garriaud-Maylam et à remercier Brigitte Gonthier-Maurin, ainsi que l’ensemble des membres de la délégation pour les droits des femmes, de leur engagement. §

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