La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique (projet n° 369, texte de la commission n° 437, rapport n° 436).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
Monsieur le président, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui ne peut assister à l’entame de ce débat mais nous rejoindra tout à l’heure.
Nous parlons ici d’un phénomène qui touche plus d’un tiers des femmes dans le monde : c’est le chiffre révélé l’an dernier par l’Organisation mondiale de la santé.
Les violences faites aux femmes prennent des formes très variables. Elles ont pour point commun de se nourrir des représentations sexistes et patriarcales de notre société.
Violences conjugales, violences sexuelles, harcèlement sexuel, violences liées aux pratiques traditionnelles : toutes ces violences sont le prolongement d’une certaine vision de la femme dans notre société.
En France, nous estimons qu’une femme sur dix est victime de violences conjugales. En 2012, 148 femmes sont mortes à la suite de violences conjugales.
Les enquêtes de victimation révèlent qu’une femme sur dix déclare avoir subi des rapports forcés ou des tentatives de rapport forcé au cours de sa vie.
Pour faire reculer durablement les violences, il faut d’abord savoir les voir et les dénoncer.
Cela veut dire que nous devons briser le silence.
Cela veut dire aussi que nous devons relever notre niveau d’intolérance à la violence : les gestes déplacés, les insultes sexistes dans la rue, les violences conjugales dans le voisinage, ce n’est pas parce que c’est tristement banal que c’est normal.
Pour faire reculer durablement les violences, il faut qu’elles soient effectivement sanctionnées. Ce qui est le plus choquant, c’est que l’immense majorité des faits ne sont pas signalés à la police ou à la gendarmerie.
Ce n’est pas parce que les violences sont commises à l’abri des regards qu’elles sont moins insupportables. Comme l’a dit Najat Vallaud-Belkacem en présentant ce projet de loi de ratification au conseil des ministres, nous ne voulons plus faire rimer « intimité » avec « impunité ».
L’enjeu, pour tous les pays, c’est l’augmentation du nombre de signalements, de plaintes, et donc de condamnations.
La convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, signée à Istanbul en avril 2011, est un instrument précieux. Elle est le fruit d’un travail parlementaire : celui du réseau « pour le droit des femmes de vivre sans violence » constitué en 2006 au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Les parlementaires, sur vos travées comme sur les bancs de l’Assemblée nationale, ont souvent eu l’occasion d’en souligner l’intérêt, l’urgence et la portée.
La France en a été l’un des premiers signataires. Elle sera l’un des premiers États à ratifier la convention d’Istanbul. Le seuil de dix ratifications venant d’être atteint, cette convention entrera donc en vigueur le 1er août prochain.
La convention d’Istanbul, si elle a été adoptée dans un cadre régional paneuropéen, peut avoir un effet d’entraînement beaucoup plus vaste. Elle a en effet une vocation universaliste, et tout État peut y adhérer. Najat Vallaud-Belkacem profite de chacun des échanges bilatéraux qu’elle peut nouer pour promouvoir cette convention auprès des États qui n’en sont pas encore parties.
C’est cette volonté de promouvoir la convention qui a amené la France à co-organiser avec le Conseil de l’Europe un événement sur ce thème en marge de la Commission de la condition de la femme, à New York l’an dernier.
Il s’agit d’un texte fondamental sur la scène internationale. L’ONU-Femmes le présente comme la « norme d’excellence ».
C’est le tout premier instrument contraignant en Europe visant à prévenir et à combattre toutes les formes de violences à l’égard des femmes.
C’est un texte qui prend acte de cette réalité fondamentale pour le mouvement de lutte contre les violences faites aux femmes : il y a un continuum des violences, qui commence avec les inégalités, qui se poursuit dans les coups et qui se prolonge malheureusement parfois jusqu’aux crimes.
Cette convention tend à proposer une réponse globale à travers la politique des « trois P » : prévention des violences, protection des victimes, poursuite des auteurs.
La France a participé activement aux négociations qui ont permis d’adopter la convention d’Istanbul. Il est donc naturel qu’elle en tire les conséquences.
Avec la loi du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, le Parlement a déjà adopté les mesures d’adaptation du droit pénal français aux stipulations de la convention : elles concernent en particulier la lutte contre le mariage forcé et les mutilations sexuelles féminines.
Contre les mariages forcés, nous avons été amenés à proposer la création d’un nouveau délit, constitué par le fait de tromper quelqu’un en vue de lui faire quitter le territoire français pour lui faire subir un mariage forcé à l’étranger.
Contre les mutilations sexuelles féminines, notre droit pénal sera complété par l’interdiction de l’incitation d’un mineur à subir une mutilation, et celle de l’incitation à faire subir une mutilation à un mineur.
Toutefois, cette convention ne se résume pas à ces dispositions pénales. C’est la nécessité d’engager une démarche globale contre les violences faites aux femmes qui s’impose d’abord aux parties.
Le Gouvernement français se reconnaît totalement dans cette approche globale. C’est un engagement porté au plus haut niveau de l’État. À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre 2012, le Président de la République a demandé au Gouvernement de lancer un « plan global » contre les violences faites aux femmes. C’est l’objet du quatrième plan de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, qui porte sur la période 2014-2016. Najat Vallaud-Belkacem l’a présenté en novembre dernier. Il traduit cet engagement en chiffres : avec 66 millions d’euros, le montant consacré par l’État à cette politique a doublé.
D’abord, la victime ne doit pas avoir à se battre pour être entendue. Nous voulons donc que les victimes reçoivent la bonne réponse dès leur première alerte : nous formons les professionnels qui sont au contact des victimes, nous renforçons le 3919, numéro de téléphone national gratuit destiné aux femmes victimes de violences, nous améliorons l’enregistrement des plaintes, nous réorganisons l’accueil des victimes en commissariats ou en gendarmeries pour qu’elles soient toujours orientées vers un intervenant social ou une association spécialisée.
Ensuite, la victime doit être protégée. Nous développons donc les dispositifs nécessaires à la mise en sécurité des victimes : ce sont les 1 650 nouvelles solutions d’hébergement d’urgence spécialisées et sécurisées que nous ouvrons, c’est également le téléphone d’appel d’urgence, que nous voulons fournir à toutes les femmes en très grand danger.
Enfin, la violence, ça se soigne. Les victimologues apportent beaucoup à ces travaux. Ils doivent être écoutés attentivement. Nous comptons développer les soins ouverts aux victimes et le suivi prévu pour les auteurs de violences.
Pour répondre concrètement au besoin de coordination entre les multiples interlocuteurs que rencontrent les victimes –les tribunaux, la police, les services sociaux, les collectivités territoriales et les associations –, nous voulons créer une mission interministérielle composée d’experts de ces différents profils.
Cette mission interministérielle est née en janvier 2013. Elle réunit les données, elle partage les bonnes pratiques, elle organise la formation des professionnels.
Avec le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes que vous avez examiné le mois dernier en deuxième lecture, nous renforçons les moyens de faire face à toutes les formes de violences faites aux femmes.
Nous renforçons le dispositif de l’ordonnance de protection, pour qu’il soit mis en œuvre plus vite et pour une durée plus longue.
Pour mieux protéger les victimes, et éviter qu’elles ne soient doublement victimes en étant contraintes de déménager, nous renforçons les moyens d’écarter l’auteur des violences du domicile conjugal et de maintenir la victime dans son logement.
Pour lutter contre la récidive, nous établissons également des stages afin de responsabiliser les auteurs de violences.
La politique mise en œuvre par la France contre les violences à l’égard des femmes s’inscrit donc dans une approche intégrée, pluridisciplinaire, fondée sur les droits de la personne humaine.
Cet engagement est partagé par le Gouvernement. Vous avez pu constater qu’il est conforme à l’esprit et à la lettre de la convention d’Istanbul. Je sais qu’il est partagé également au sein de cet hémicycle. Je tiens à saluer la qualité du rapport de Joëlle Garriaud-Maylam et à remercier Brigitte Gonthier-Maurin, ainsi que l’ensemble des membres de la délégation pour les droits des femmes, de leur engagement. §
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique adoptée par le Conseil de l’Europe il y aura trois ans après-demain.
Cette convention traite d’un sujet qui me préoccupe depuis fort longtemps et aux conséquences duquel je suis souvent confrontée en tant qu’élue, notamment lors de mes déplacements à l’étranger, où j’ai de fréquents débats avec les autorités des pays d’accueil, ou à l’occasion de rencontres avec des femmes étrangères victimes sur notre sol de telles violences. Là comme dans beaucoup d’autres domaines, une coopération internationale est absolument indispensable !
Revenons-en à la présente convention.
Adoptée par le Conseil de l’Europe le 7 avril 2011, elle a été signée par la France dès la date d’ouverture à la signature, le 11 mai 2011. Vous me permettrez donc de déplorer, une fois de plus, les lenteurs de la procédure législative, puisqu’elle n’a été adoptée par l’Assemblée nationale que le 13 février dernier. Nous avions plaidé pour que ce projet de loi de ratification, qui a été adopté par la commission des affaires étrangères du Sénat le 9 avril, fasse l’objet d’un examen en procédure simplifiée, afin de gagner du temps. Il n’en a rien été, et la discussion en séance publique du projet de loi, prévue le 15 avril, a une nouvelle fois été repoussée. Ces retards sont d’autant plus regrettables que nous assistons à une augmentation, voire à une banalisation, de ces phénomènes de violences conjugales, des violences physiques mais aussi psychiques qui tendent tellement à dégrader, à écraser et parfois à culpabiliser les victimes qu’elles ne sont que 33 % à porter plainte au commissariat ou à la gendarmerie.
Cette convention est l’aboutissement d’un long travail du Conseil de l’Europe, qui se consacre depuis sa création à la sauvegarde et à la protection des droits de l’homme : c’est pour cette raison même qu’il a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes une de ses priorités.
Cette préoccupation est ancienne puisqu’elle date du début des années quatre-vingt-dix, avec notamment, en 1993, la conférence ministérielle européenne intitulée « Stratégies pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes dans la société : médias et autres moyens », en 2002, la recommandation du Conseil de l’Europe prônant une approche globale de la prévention et de l’éradication de la violence fondée sur le genre, et, entre 2006 et 2008, la campagne du Conseil de l’Europe pour combattre la violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique.
La task force du Conseil de l’Europe chargée du suivi de cette campagne recommandait déjà, dans son rapport de 2008, l’adoption d’un instrument contraignant sous la forme « d’une convention […] pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes ».
En décembre 2008, en réponse à cette recommandation, un comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, le CAHVIO, a été institué. Sa mission est d’élaborer un ou plusieurs instruments contraignants en la matière.
La convention aujourd’hui soumise à notre examen correspond au texte final approuvé par le CAHVIO en décembre 2010, puis adopté définitivement par le Conseil de l’Europe le 7 avril 2011.
L’utilité de cette convention n’est plus à démontrer. La task force du Conseil de l’Europe dressait déjà en 2008 un constat édifiant des violences faites aux femmes. Plus récemment, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a mené une enquête auprès de 42 000 femmes dans vingt-huit États de l’Union. Son rapport, en date du 5 mars dernier, révèle une situation alarmante quant à l’étendue des violences physiques, sexuelles, psychologiques vécues par les femmes, y compris pendant leur enfance.
Je tiens à livrer ces quelques chiffres à votre réflexion : un tiers des femmes interrogées ont été victimes de violences physiques ou sexuelles commises par un adulte pendant leur enfance ; un autre tiers d’entre elles ont été victimes de violences physiques ou sexuelles depuis l’âge de 15 ans. S’y ajoute un constat encore plus inacceptable : 5 % des femmes ont été violées. Sachant que 67 % de ces femmes n’ont pas signalé ces violences à la police ou à un autre organisme, on comprend immédiatement quel est l’enjeu de ce texte.
Au reste, il ne s’agit là que des faits les plus graves. En effet, 55 % des 42 000 femmes ayant répondu à cette enquête ont été victimes de harcèlement sexuel.
Dès lors, comment s’étonner que, dans les conclusions de son rapport, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne encourage les États membres de celle-ci à ratifier la convention dont nous sommes saisis, en suggérant même que l’Union européenne y adhère ?
Quant à la France, nous ne disposons malheureusement pas de données systématiques et sûres concernant l’ensemble de ces violences faites aux femmes. Il nous faudra attendre, pour disposer d’un outil statistique complet, le résultat des travaux de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences, mise en place en janvier 2013.
La production de statistiques fiables est un enjeu essentiel pour mieux cerner le phénomène multiforme de la violence contre les femmes, et ainsi concevoir de meilleurs dispositifs de prévention, de répression et de protection. D’autres pays sont bien plus en avance que la France en la matière. Là encore, nous devrions nous inspirer de leurs modes d’action, de leurs bonnes pratiques. Dans le cadre de la ratification de la convention d’Istanbul, l’élaboration d’outils statistiques pertinents, fiables et réguliers exigera de la France des efforts spécifiques.
Je trouve également fort décevante – c’est là un avis personnel – la réserve française relative « au report du point de départ du délai de prescription à la majorité de la victime pour certaines infractions » telles que violences sexuelles, mariages forcés, mutilations génitales féminines, avortement et stérilisation forcés. La France ne souhaite en effet s’y conformer que pour les crimes et délits pour lesquels un tel report est prévu par son droit interne et n’envisage pas de modifier ce dernier s’agissant de l’interruption volontaire de grossesse commise sans le consentement de l’intéressée et des mariages forcés. Nous parlementaires devrons nous pencher très sérieusement sur cette question.
Considérons maintenant les chiffres présentés au titre du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes pour la période 2014-2016. Ils montrent l’ampleur de la tâche restant à accomplir : M. le secrétaire d’État l’a rappelé, une femme sur dix est victime de violences conjugales ; en 2012, 148 femmes sont mortes de ces violences ; moins d’une victime sur cinq se déplace à la police ou à la gendarmerie ; concernant les violences sexuelles, 16 % des femmes déclarent avoir subi des rapports forcés et, en 2010 et en 2011, 154 000 femmes de 18 à 75 ans se sont déclarées victimes de viol.
Face à cette situation, la convention d’Istanbul apparaît comme un instrument régional novateur et essentiel.
Concernant la dimension régionale de cet outil, je rappelle que, actuellement, seules deux organisations internationales se sont dotées d’un traité spécifique relatif aux violences faites aux femmes : l’Organisation des États américains, en 1994, et l’Union africaine, en 2003.
Cette convention est un instrument novateur dans la mesure où elle établit des normes contraignantes pour les parties. Elle renforce donc utilement la lutte contre la violence à l’égard des femmes menée par les Nations unies, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Ces institutions ont certes toutes adopté des déclarations, mais elles ne se sont dotées d’aucun instrument contraignant visant spécifiquement les violences faites aux femmes.
Cette convention est également novatrice parce qu’elle déploie une stratégie globale d’éradication des violences faites aux femmes, sur la base de ce que l’on nomme les « trois P » : prévention, protection et poursuite.
En matière de prévention, la convention engage les parties à promouvoir des changements de comportements et de mentalités par la sensibilisation, l’éducation, la formation, des programmes de soutien à destination des auteurs de violences.
En matière de protection, la convention impose de manière évidente d’apporter aux victimes toutes sortes de formes de soutien : information, assistance juridique et médicale, refuge, logement, soutien économique. Elle exige également, ce qui est particulièrement intéressant, la protection des témoins, en s’attachant notamment au cas de l’enfant témoin.
La convention oblige en outre les parties à établir des lignes d’assistance téléphonique gratuite pour les situations d’urgence, fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En France, le 3919 est déjà à la disposition des femmes victimes de violences. Ce numéro est gratuit et assure l’anonymat de la personne qui appelle.
Néanmoins, au-delà de la réponse immédiate aux urgences, la France a des progrès à faire quant à l’assistance fournie aux victimes à plus long terme. La convention d’Istanbul insiste sur la notion de « guichet unique ». La simplification de l’accès aux différents volets de protection et de soutien est en effet essentielle pour aider des personnes en situation de grand désarroi et de forte vulnérabilité à reconstruire une vie normale.
À titre d’exemple, en matière de recouvrement des pensions alimentaires et de conflits relatifs à l’autorité parentale – en particulier lorsqu’ils revêtent une dimension internationale, l’autre parent étant de nationalité étrangère ou vivant à l’étranger –, le dispositif d’aide français reste insuffisamment réactif comparé à celui d’autres États. Il s’agit là d’un aspect extrêmement important.
Enfin, en matière de poursuites, la convention oblige les parties à adopter un arsenal répressif. Son spectre, très large, recouvre non seulement, bien entendu, les violences physiques et sexuelles – y compris le viol –, mais aussi la violence psychologique et le harcèlement sexuel, ainsi que les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, l’avortement et la stérilisation forcés. La convention sanctionne également les crimes commis « au nom du prétendu honneur ». Elle interdit à leurs auteurs d’invoquer ce motif pour leur défense.
En conclusion, cette convention qui vise à créer une Europe sans violence à l’égard des femmes en appelant à combattre toutes les formes de discrimination à leur égard devrait donner un nouveau souffle aux politiques menées par la France depuis de très nombreuses années.
Le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, récemment adopté par le Sénat, relève d’ailleurs d’une approche intégrée comparable à celle de la convention d’Istanbul. Il a en effet pour objet de traiter de l’égalité « dans toutes ses dimensions […] : égalité professionnelle, lutte contre la précarité spécifique des femmes, protection des femmes contre les violences, image des femmes dans les médias, parité en politique ».
Un autre texte aura une incidence sur l’application par la France des principes de la convention d’Istanbul : le projet de loi relatif à la réforme du droit d’asile.
Les articles 60 et 61 de la convention préconisent un examen « sensible au genre » des demandes d’asile. À ce titre, j’attire l’attention de notre commission sur les préconisations du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, au sein duquel j’ai l’honneur de représenter le Sénat. Actuellement, la pratique montre que les violences de genre ne sont pas considérées comme des motifs suffisants pour accorder le statut de réfugié ; tout juste permettent-elles d’octroyer une « protection subsidiaire ».
Enfin, nous devrons veiller à ce que la proposition de loi n° 1856, relative à l’autorité parentale, si elle est adoptée, ne remette en question certaines avancées, certains acquis de la convention, comme la dénomination de la violence économique.
Ces quelques exemples montrent qu’une fois la ratification de la convention d’Istanbul définitivement validée, la France aura encore d’importants efforts à fournir pour parvenir à appliquer les principes posés par ce texte.
Quoi qu’il en soit, la première étape, pour notre pays, est évidemment de ratifier rapidement cette convention. L’entrée en vigueur de celle-ci est en effet subordonnée à sa ratification par dix États, dont au moins huit membres du Conseil de l’Europe. À ce jour, huit États, tous membres du Conseil de l’Europe, l’ont ratifiée.
C’est pourquoi je vous demande, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, de bien vouloir adopter ce projet de loi autorisant la ratification de cette convention du Conseil de l’Europe. §
La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vois au moins deux raisons de se féliciter que le Sénat examine en séance publique le projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite convention d’Istanbul.
Tout d’abord, il aurait été dommage que l’autorisation de la ratification de ce texte très attendu de tous ceux et de toutes celles qui s’impliquent dans la lutte contre les violences faites aux femmes intervienne via la procédure simplifiée.
Je suis certaine que le présent débat aura son utilité.
Ensuite, le Sénat est appelé à autoriser cette ratification en présence de Najat Vallaud-Belkacem, que je remercie d’être ce soir au banc des ministres.
Le contenu de la convention d’Istanbul a déjà été commenté par les précédents intervenants ; je n’y reviendrai pas. Je me contenterai de me féliciter que la France, en ratifiant ce texte, valide un instrument international complet en ce qu’il vise tant la prévention des violences que la protection des victimes et la poursuite des auteurs des faits.
Les types de violences traités par cette convention correspondent aux préoccupations de notre délégation aux droits des femmes, dont les membres constatent régulièrement combien les violences subies par les femmes, partout dans le monde, s’inscrivent dans un continuum dont font partie les harcèlements, les violences conjugales, les violences sexuelles, les mutilations génitales, le mariage forcé et les crimes dits « d’honneur ».
Je note toutefois que la convention n’aborde pas une forme de violence : la prostitution, qui relève pourtant incontestablement des violences faites aux femmes. Mais nous débattrons de cette question, du moins je l’espère, lors de l’examen en séance publique de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
Malgré cette lacune, je relève avec intérêt que le préambule de la convention reconnaît les violences, notamment sexuelles, dont les femmes sont victimes du fait des conflits armés. Dans cette logique, son article 2 précise qu’elle « s’applique en temps de paix et en situation de conflit armé ». Je rappelle que la délégation aux droits des femmes a consacré, en décembre 2013, un rapport d’information à ce sujet si grave du « viol de guerre ».
Mes collègues et moi-même ne pouvons que nous féliciter que cette convention ait pris en compte la particulière vulnérabilité des femmes dans les conflits armés et reconnaisse la « violence fondée sur le genre » qui prospère dans le contexte des guerres.
Aucun pays ne peut en effet se blottir à l’abri de ses frontières et se considérer comme non concerné par les violences dont traite la convention d’Istanbul.
En ce qui concerne les violences sexuelles du fait des conflits armés, les représentantes du Comité médical pour les exilés, le COMEDE, que la délégation a entendues, nous ont appris que 65 % des femmes suivies médicalement en France dans le cadre d’un parcours migratoire avaient subi des violences dans leur pays d’origine et que 16 % d’entre elles avaient subi des tortures. Ces souffrances physiques et psychologiques liées aux guerres doivent donc aussi être traitées médicalement dans notre pays.
Quant aux violences conjugales, il faut inlassablement répéter que, sur notre territoire, tous les deux jours et demi, une femme meurt sous les coups de son conjoint.
Enfin, le drame des mariages forcés menacerait, selon le Haut Conseil à l’intégration, environ 70 000 jeunes femmes et jeunes filles en France, qu’il s’agisse de jeunes Françaises mariées de force dans le pays d’origine de leurs parents ou de jeunes binationales. Les consulats français traiteraient ainsi chaque année entre douze et quinze cas de mariage forcé.
Une autre raison d’être favorable à la ratification de cette convention est qu’elle considère l’égalité entre hommes et femmes comme un « élément clé dans la prévention de la violence à l’égard des femmes », rejoignant ainsi, là encore, une conviction de la délégation aux droits des femmes, qui constate régulièrement l’existence d’un lien étroit et fort entre les inégalités entre hommes et femmes et les violences faites aux femmes.
Dans ce domaine, la convention reflète les préoccupations habituelles de la délégation, puisque son article 14 invite les pays parties prenantes à intégrer la thématique de l’égalité dans leurs programmes d’enseignement et à sensibiliser les élèves au respect mutuel et à la « résolution non violente des conflits dans les relations interpersonnelles ».
L’étude que mène actuellement la délégation aux droits des femmes sur le thème de la prostitution, en vue de l’examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, confirme que la sensibilisation à l’égalité et au respect doit impérativement être renforcée dans le cadre scolaire, et ce le plus tôt possible : au lycée, il est déjà trop tard.
Dans un autre registre, le travail conduit par la délégation depuis le début de cette année sur les stéréotypes masculins et féminins dans les manuels scolaires nous conforte, audition après audition, dans la conviction que ces stéréotypes renforcent les discriminations entre filles et garçons, puis entre hommes et femmes.
Les stéréotypes se mettent en place d’abord au stade des études, puis dans le milieu professionnel, notamment parce que l’orientation professionnelle contribue très directement à enfermer les jeunes filles dans des parcours de formation qui ne représentent pas, tant s’en faut, des « passeports vers la réussite »…
Il est donc particulièrement regrettable que le débat sur les « ABCD de l’égalité » ait réduit ce qui n’était rien d’autre que l’apprentissage du respect entre filles et garçons à l’école à une polémique inappropriée sur le « genre ».
Une autre stipulation de la convention rejoint une préoccupation de la délégation et confirme la pertinence de ce texte : je veux parler du point 2 de l’article 17, qui engage les parties à développer les capacités des enfants, des parents et des éducateurs « à faire face à un environnement des technologies de l’information et de la communication qui donne accès à des contenus dégradants à caractère sexuel ou violent qui peuvent être nuisibles ».
De fait, dans notre société, les risques liés au contact avec des images qui, par leur violence ou leur caractère pornographique, peuvent constituer de véritables agressions contre les jeunes publics, doivent impérativement être pris en compte. On sait, par exemple, qu’il existe des jeux vidéo en ligne banalisant le viol.
Les conséquences de la diffusion de ces images sur les relations entre garçons et filles puis, plus tard, entre hommes et femmes doivent impérativement être prises en considération. À cet égard, la convention encourage de manière très opportune la mise en œuvre d’actions d’éducation, indispensables eu égard à la prolifération d’images non maîtrisables dans le monde d’aujourd’hui.
Cette convention nous invite donc à mettre en place ou à renforcer des actions de sensibilisation auprès des jeunes, actions qui sont indispensables à la construction d’une société d’égalité entre hommes et femmes.
Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les remarques que peut inspirer la convention d’Istanbul, au vu des travaux actuellement conduits par la délégation aux droits des femmes. Ces réflexions ne peuvent que nous encourager à adopter le présent projet de loi, comme nous y invite la commission des affaires étrangères, afin d’autoriser la ratification d’un texte opportun et nécessaire. §
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi destiné à autoriser la ratification de la convention sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique constitue un signal fort. Il est en effet plus que jamais nécessaire d’harmoniser, à l’échelle de l’Union européenne, les politiques de lutte contre les violences.
À la suite d’une évaluation particulièrement alarmante réalisée entre 2008 et 2012, le Parlement européen a chargé l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne de réaliser, entre mars et septembre 2012, une enquête d’une ampleur inégalée sur tout le continent européen, auprès de 42 000 femmes âgées de 18 à 74 ans, dans chacun des vingt-huit pays de l’Union européenne.
Les chiffres obtenus font froid dans le dos, tant ils révèlent une situation dramatique : dans les États membres, les violences envers les femmes sont perpétrées à une échelle massive, dans la sphère la plus intime qui soit, celle de la vie conjugale.
Dans l’Union européenne, une femme sur trois a été victime de violences sexuelles ou physiques depuis l’âge de 15 ans ; 55 % des femmes ont été victimes de harcèlement sexuel ; 22 % des femmes ont fait l’objet de violences physiques ou sexuelles et 5 % ont été violées. Surtout, 67 % des femmes déclarent ne pas avoir signalé ces agissements ; en France, elles sont même 90 % dans ce cas.
Je rappelle que, dans notre pays, 400 000 femmes se déclarent victimes de violences conjugales et que, en 2012, 148 femmes sont décédées sous les coups de leur conjoint.
Tout cela a déjà été dit, mais il faut le répéter. En effet, malgré une prise de conscience et le travail accompli ces dernières années, beaucoup reste encore à faire. Il nous faut combattre avec force la loi du silence et les tabous, afin que les femmes qui refusent de porter plainte, par honte ou par crainte des représailles, trouvent enfin la force de parler.
Cette loi du silence inflige une double peine aux victimes, retardant leur prise en charge et la mise en œuvre des solutions d’accompagnement pour les extraire de la violence. Ce sont les femmes, le plus souvent, qui quittent le domicile. S’ajoutent alors aux problèmes de violences des difficultés de logement, de maintien dans l’emploi et de précarisation. De surcroît, l’échelle de temps de la victime n’est pas celle de la police, de la justice ou des associations spécialisées. Sur le terrain, au quotidien, dans l’urgence, les attentes des uns peuvent se heurter à celles des autres.
Il est inutile de rappeler que la liberté même de ces femmes est entravée. L’enquête révèle que 53 % d’entre elles évitent certaines situations ou certains lieux, de peur d’être agressées physiquement ou sexuellement, alors que, dans les enquêtes sur la victimisation criminelle, les hommes restreignent beaucoup moins leurs déplacements.
L’enquête rappelle également que les violences envers les femmes sont multiples – physiques, sexuelles, morales, psychologiques –, qu’elles n’épargnent aucun âge et peuvent intervenir partout : dans la famille, dans la rue, au travail.
Enfin, les violences conjugales n’affectent pas seulement les femmes, mais toute la cellule familiale, et en premier lieu les enfants, qui en sont les victimes collatérales. L’Union européenne doit tout mettre en œuvre pour les extraire du cercle vicieux de la violence.
Dans le rapport pour avis de juin 2010 sur les violences au sein des couples que j’avais eu l’honneur de défendre au nom de la délégation aux droits des femmes, j’étais arrivée aux mêmes conclusions alarmantes. La vingtaine de recommandations alors formulées ont pour la plupart été reprises, depuis, dans le projet de loi pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, ainsi que dans le texte de la convention que nous examinons. C’est pour nous une grande satisfaction.
Je rappellerai brièvement quelques-unes de ces préconisations : lutter contre la loi du silence, qui laisse les victimes dans la honte et les agents publics dans l’incapacité de recueillir leur parole ; lancer des campagnes de sensibilisation et de prévention auprès du grand public et des enfants dans les écoles ; faciliter l’accès à l’emploi et au logement des victimes de violences conjugales afin d’éviter toute désocialisation ; reconnaître le délit de violence psychologique ; accorder des titres de séjour aux victimes, qu’il faut rapatrier dans le cas de séquestration et de mariage forcé hors des frontières d’un État membre.
Ce catalogue n’est pas exhaustif, mais il constitue les bases de l’arsenal présenté par la convention dont il nous est proposé aujourd’hui d’autoriser la ratification et qui est destinée à briser la loi du silence au nom de l’égalité des droits, de la protection de l’intégrité physique des femmes, du respect de l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de la convention d’Istanbul, adoptée par le Conseil de l’Europe en 2011.
Inciter davantage les États membres à s’organiser plus efficacement pour coordonner leurs actions en la matière, telle est l’une des priorités affirmées par ce projet de ratification.
Pour rompre le cercle vicieux de la violence conjugale en Europe, la convention propose aux États membres de déployer la stratégie des « trois P » : prévention, protection, poursuite.
Le volet de la prévention repose sur l’un des principaux leviers d’action : la lutte contre les stéréotypes sexistes qui font accepter la violence envers les femmes et que l’on doit combattre en développant, par exemple, l’apprentissage systématique à l’école de l’égalité des sexes et de l’égalité des droits entre les filles et les garçons ou la formation des professionnels et des agents en contact avec les victimes. Ce sont là autant de facteurs de réussite.
Ce volet prévoit également d’associer les médias en les sensibilisant à ce problème, tout comme l’ensemble des institutions et du secteur privé, dans une approche transversale.
Libérer la parole des victimes et mieux la recueillir est un autre aspect des dispositions proposées, tout comme le nécessaire volontarisme demandé aux institutions ou la lutte contre l’alcoolisme.
Comme l’explique le psychiatre Gérard Lopez, spécialisé dans la formation des personnels de la police, le cycle de la violence conjugale repose sur le déni, la honte d’être victime, la peur de se retrouver sans ressources, la culpabilité d’envoyer le parent de ses enfants en prison. Il s’agit d’un « long processus de domination qui, par des violences psychologiques et physiques, déstructure la personne ».
Les États membres de l’Union européenne seront contraints d’élaborer des plans d’action nationaux et d’organiser la collecte de données. Ils seront également invités à pérenniser les financements des organisations de la société civile qui luttent contre la violence faite aux femmes et viennent en aide aux victimes ainsi qu’à leurs enfants.
Quant au volet relatif à la protection, il exhorte les États à tenir compte des besoins spécifiques des victimes en améliorant notamment les procédures judiciaires d’urgence et en leur imposant d’agir avec « diligence » : secret du lieu de résidence, priorité en matière de relogement, augmentation de l’offre d’hébergement d’urgence, lignes d’assistance téléphonique gratuite, ordonnances d’interdiction, d’injonction ou de protection afin de soustraire la victime à de nouvelles violences. Le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes permet d’anticiper sur bon nombre de ces dispositions.
Les violences à l’encontre des femmes doivent être reconnues comme une violation des droits fondamentaux et sévèrement sanctionnées dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. Je pense par exemple à la tentative d’interruption de grossesse sans le consentement de l’intéressée ou au fait de tromper une personne aux fins de l’emmener à l’étranger pour la forcer à y contracter un mariage.
La convention du Conseil de l’Europe dont il nous est proposé aujourd’hui d’autoriser la ratification est la plus contraignante jamais soumise aux États membres en matière de violences conjugales. Avec elle, l’Europe se dote d’un arsenal juridique ambitieux et transversal et met en place des leviers d’action efficaces, grâce à une approche intégrée et à une coopération internationale renforcée.
Il était temps d’harmoniser la lutte contre les violences envers les femmes en Europe. À travers sa représentation nationale, la France s’honorerait de donner l’exemple en apportant son soutien à cette convention. Elle adresserait ainsi un message clair aux agresseurs et aux victimes : le « harcèlement conjugal » est un comportement inacceptable.
À la veille des élections européennes, il est important de rappeler quel sens nous entendons donner à notre maison commune, l’Europe. Cette convention en est une traduction concrète : elle marque une étape supplémentaire franchie sur le long chemin de l’émancipation des femmes et de la construction européenne.
L’Union européenne a besoin de ce socle commun de droits sociaux, car c’est bien ce socle qui lui donne tout son sens et fait naître un sentiment d’appartenance chez nos concitoyens, ainsi qu’une véritable adhésion au projet européen ; nous ne devons jamais l’oublier. Ces orientations sont en parfaite cohérence avec les valeurs défendues par les membres du groupe RDSE.
L’ensemble des mesures prévues dans cette convention pour mettre fin au fléau de la violence envers les femmes dans l’Union européenne marque des avancées importantes. Les violences conjugales, tout particulièrement, ne doivent pas être traitées comme de simples violences ; elles appellent non seulement une réponse judiciaire, mais aussi un traitement d’ensemble réunissant compréhension, accueil, protection et reconstruction de la victime.
Le groupe RDSE approuve ces orientations concrètes qui, n’en doutons pas, porteront leurs fruits à moyen et long terme. Vous ne serez donc pas surpris, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, que je vous confirme que mon groupe soutiendra sans réserve l’adoption du projet de loi autorisant la ratification de cette convention européenne. §
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette convention, adoptée par le comité des ministres du Conseil de l’Europe le 7 avril 2011, à Istanbul, constitue le premier instrument juridiquement contraignant au niveau européen et offre un cadre juridique complet pour la prévention de la violence, la protection des victimes et la poursuite des auteurs des faits.
L’entrée en vigueur de cette convention, signée par près d’une trentaine d’États, est conditionnée à sa ratification par au moins dix pays. L’Espagne a procédé, il y a quelques semaines, à cette ratification ; la France s’honorerait d’être le dixième État à accomplir cet acte, ce qui permettrait, trois ans après la signature de la convention, la mise en œuvre de ce bel instrument.
La situation en matière de violences faites aux femmes est pour le moins préoccupante. Mes chers collègues, je vous épargnerai la répétition des chiffres déjà cités par les orateurs précédents. La France, dans ce domaine, ne se révèle pas exemplaire.
Malgré cette situation préoccupante, les médecins en général, et les psychiatres en particulier, s’intéressent toujours aussi peu aux victimes de violences, y compris sexuelles. Cet état de fait est d’autant plus incompréhensible que nos connaissances quant aux conséquences des violences sur la santé ont beaucoup évolué ces deux dernières décennies.
Les victimes se trouvent souvent abandonnées par le corps médical. Aucune formation sur les psychotraumatismes n’est actuellement dispensée pendant les études médicales, pas même aux psychiatres durant leurs études de spécialité. Les médecins capables d’identifier des symptômes psychotraumatiques typiques chez leurs patients et de les relier à des violences subies sont rares. Or une reconnaissance de ces violences, un dépistage des troubles psychotraumatiques, une prise en charge de qualité, précoce, empathique et bienveillante sont primordiaux pour protéger, soulager les victimes et pour empêcher que des troubles psychotraumatiques ne s’installent dans la chronicité.
Hélas, alors que l’on sait que de 22 % à 35 % des femmes qui consultent dans les services d’urgence des hôpitaux présentent des symptômes consécutifs à des violences principalement sexuelles ou conjugales, seulement 2 % d’entre elles sont identifiées par les médecins comme victimes de violences. À ce propos, pour prendre l’exacte mesure de la situation, je vous invite, mes chers collègues, à lire et à méditer l’ouvrage du docteur Muriel Salmona intitulé Le Livre noir des violences sexuelles.
La violence faite aux femmes, malgré sa tendance à engendrer de la souffrance et de nouvelles violences, n’est nullement une fatalité. Pour prévenir les violences, il convient avant tout de les identifier, de protéger et de soigner les victimes, et de ne pas laisser impunis les auteurs. Les violences sont une affaire de droit. Les agresseurs ont à rendre des comptes, et leur addiction à la violence doit être traitée le plus tôt possible.
Dans un système très hiérarchisé et discriminatoire pour les femmes, le statut inférieur de celles-ci traduit leur assimilation à une marchandise, qui n’aura de valeur que si elles appartiennent à un « légitime » propriétaire : père, frère, mari, concubin, compagnon. Des hommes peuvent se livrer à des violences sur elles, souvent en toute impunité, dès lors qu’ils exercent sur elles leur droit de propriétaire.
À quelques semaines des élections européennes, la ratification de cette convention permettrait de montrer au plus grand nombre que l’Europe, avec la construction de son droit commun, peut aussi contribuer à renforcer les droits fondamentaux de tous ses citoyens, en l’occurrence de toutes ses citoyennes.
Le groupe écologiste votera naturellement le projet de loi autorisant la ratification de la convention d’Istanbul, dans le droit fil de la lutte constante qu’il mène pour l’égalité entre les femmes et les hommes et contre les violences faites aux femmes.
Permettez-moi, mes chers collègues, de clore mon intervention en vous livrant un témoignage, celui d’une victime :
« Nous les victimes de violences, enfants et adultes, la plupart du temps, on ne nous voit pas, et on dit qu’on ne parle pas, mais c’est faux, c’est totalement faux. Quand nous essayons de parler, on ne nous entend pas, ou on a peur de nous, on a peur de ce qu’on pourrait dire, et on nous fait taire très rapidement, mais nous parlons quand même, nous parlons énormément, nous parlons avec nos comportements et avec nos corps, et on ne nous comprend pas, on nous juge, on juge ce que nous sommes et comment nous sommes.
« Nous finissons par penser que nous ne sommes pas des êtres normaux, que nous n’appartenons pas ou plus à l’espèce humaine, nous finissons par nous sentir en dehors de votre monde, nous nous terrons dans nos maisons, derrière nos ordinateurs, nous rasons les murs et nous ne croisons plus vos regards. […]
« Nous ne vivons pas, nous survivons avec nos douleurs et nos souffrances à l’intérieur, nous survivons dans une solitude que vous n’imaginez même pas. […]
« Nous avons besoin d’être pris très au sérieux et avec le plus grand respect par les institutions médicales, sociales, policières, judiciaires, et par l’État lui-même. Nos droits doivent être réels, et non plus de simples mots allongés sur du papier. »
À nous, chers collègues, de montrer que, cette fois, nous avons entendu. §
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je dois avouer que, avant de préparer cette intervention, je n’avais jamais pris connaissance, dans leur intégralité, des termes de la convention d’Istanbul.
Bien sûr, j’avais lu plusieurs articles de presse et des tribunes qui en présentaient les grandes lignes, et il était alors clair pour moi qu’il s’agissait d’un traité historique du Conseil de l’Europe, créant au niveau paneuropéen un cadre juridique extrêmement complet pour protéger les femmes contre toutes les formes de violence. Mais je n’avais pas été plus loin dans mon analyse… Quelle erreur, tant la lecture des quatre-vingt-un articles de cette convention s’est révélée rassurante et motivante !
Sans m’engager dans une présentation de ladite convention – cela a été excellemment fait par M. le secrétaire d’État, Mme la rapporteur, Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes et les collègues qui m’ont précédée –, je me contenterai de formuler quatre observations.
Premièrement, la violence à l’égard des femmes n’épargne aucun des États membres du Conseil de l’Europe.
Selon le secrétariat du comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, le CAHVIO, entre un cinquième et un quart des femmes subissent des violences physiques une fois au moins au cours de leur vie adulte, et plus d’une femme sur dix a déjà souffert d’abus sexuel avec usage de la force.
Plus parlants sont les résultats de l’enquête menée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne sur la violence à l’égard des femmes, qui ont été publiés le 5 mars dernier. Je n’y reviendrai pas, car ils ont été commentés par les oratrices qui m’ont précédée, mais ils confirment une étude américaine aux termes de laquelle six femmes sur dix ont subi des violences sexuelles.
Deuxièmement, la lutte contre la violence à l’égard des femmes est l’objet d’une mobilisation européenne et internationale. La convention d’Istanbul fait partie d’une série de mesures prises par le Conseil de l’Europe pour promouvoir la protection des femmes contre la violence.
En 2002, la recommandation 5 du conseil des ministres du Conseil de l’Europe a été adoptée, marquant le début d’une campagne européenne de lutte contre la violence à l’égard des femmes, qui s’est déroulée entre 2006 à 2008. À cette occasion, les gouvernements et les parlements ont travaillé main dans la main. Si elle a révélé l’ampleur des problèmes, cette campagne a aussi mis en lumière les mesures nationales en matière de lutte, les bonnes pratiques et les initiatives très diverses prises dans de nombreux États membres.
Troisièmement, notre législation contient déjà nombre de dispositions de la convention d’Istanbul. C’est le cas en matière de définition de différentes formes de violences à l’égard des femmes, dont le mariage forcé, les violences sexuelles, les violences physiques et psychologiques, le harcèlement sexuel. Il en est de même en matière d’actions de sensibilisation et d’éducation, de mesures de prévention, de prise en charge, de soutien et de protection juridique, ainsi que de procédures civiles et pénales.
Quatrièmement, notre législation doit toutefois continuer d’évoluer.
Dans sa communication sur la convention d’Istanbul, le Conseil de l’Europe parle d’« éliminer ou d’éradiquer la violence à l’égard des femmes ». C’est exactement cette stratégie que nous devons adopter au travers de la mise en place de notre arsenal législatif.
J’ai eu, à plusieurs reprises, l’occasion de le souligner dans cette enceinte : le projet que je conduis au sein de l’association « Stop aux violences sexuelles », dont la présidente est Violaine Guérin, gynécologue et endocrinologue, est de mettre en place une véritable stratégie d’éradication des violences sexuelles, à l’instar d’une stratégie vaccinale ou des campagnes de sécurité routière. Le 13 janvier dernier, j’ai parrainé au Sénat, avec Chantal Jouanno, les premières assises sur les violences sexuelles, organisées par cette association.
Ces assises furent le point de départ de la mise en place de cette stratégie d’éradication. L’un des chantiers majeurs est la modification du délai de prescription de l’action publique en matière d’agressions sexuelles.
Je suis persuadée que, dans le cadre de notre dispositif législatif, ce délai est inadapté au traumatisme des victimes de violences sexuelles, inadapté à une procédure douloureuse et complexe.
Pour porter plainte contre son agresseur, son violeur, la victime, en particulier si elle est mineure, doit être physiquement et psychiquement en état de le faire. Il ne suffit pas de libérer la parole des victimes ; il faut la leur donner, pour qu’elles puissent, quand elles sont prêtes, les dénoncer aux autorités administratives et judiciaires.
C’est la raison pour laquelle j’ai déposé une proposition de loi dont l’objet est de s’attacher à l’identité de la souffrance ressentie par la victime et de donner à celle-ci le temps nécessaire à la dénonciation des faits. Elle prévoit donc un report du point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, c’est-à-dire expressément au jour où elle se sent en mesure de porter plainte.
L’article 58 de la convention d’Istanbul dispose : « Les parties prennent les mesures législatives et autres nécessaires pour que le délai de prescription pour engager toute poursuite du chef des infractions établies conformément aux articles 36, 37, 38 et 39 de la présente convention » – ce sont les articles qui portent sur la violence sexuelle – « continue de courir pour une durée suffisante et proportionnelle à la gravité de l’infraction en question, afin de permettre la mise en œuvre efficace des poursuites, après que la victime a atteint l’âge de la majorité ». Ma proposition de loi s’inscrit parfaitement dans ce cadre.
Mes chers collègues, je ne doute pas que nous allons adopter à l’unanimité le projet de loi autorisant la ratification de la convention d’Istanbul ; nous prendrons ainsi une décision majeure, puisqu’elle entraînera l’entrée en vigueur de cette convention. Je me permets de vous inviter à faire preuve de cohérence en adoptant aussi ma proposition de loi, qui sera prochainement soumise à votre examen.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à vous faire part à mon tour de la satisfaction que j’éprouve à voir ce projet de loi débattu au Sénat, alors que, à l’Assemblée nationale, il a été adopté sans être discuté sur le fond.
Pour les sénateurs de mon groupe – et aussi pour d’autres, comme je me réjouis de le constater –, ce projet de loi revêt un caractère important.
Important, il l’est d’abord sur le plan de la procédure, puisque nous devons ratifier la convention que la France a signée en 2011. Au 23 avril dernier, trente-deux États l’avaient signée et onze l’avaient ratifiée, de sorte qu’elle pourra entrer en vigueur dès le 1er août prochain. C’est une très bonne nouvelle !
Important, il l’est ensuite sur le plan de la thématique, car les violences faites aux femmes, dans la sphère publique comme dans la sphère privée, constituent toujours un fléau malheureusement universel. Ces violences prennent différentes formes, de la plus insidieuse à la plus visible ; mais, toutes, elles reflètent, poussée à son paroxysme, la domination masculine exercée sur les femmes.
Bien entendu, nous ne nions pas que les hommes puissent eux aussi être victimes de violences. Reste que les chiffres sont sans appel : ils témoignent d’un phénomène de masse dont les femmes sont les principales victimes.
Pour ne donner que quelques chiffres illustrant cette réalité en France, je signalerai, en m’inspirant de l’étude d’impact, que, au cours des deux dernières années, 300 000 femmes ont été victimes de violences sexuelles et 160 000 autres de viol ou de tentative de viol. Au cours de la même période, une femme sur sept a été insultée, victime le plus souvent de propos sexistes. Une femme sur vingt a subi des gestes déplacés, très souvent sur son lieu de travail.
Tout féministe, mais également tout démocrate, se doit de rappeler ces chiffres, ces faits. En effet, nous sommes souvent confrontés à une certaine banalisation de cette violence, intégrée par la société et, parfois, intériorisée par les femmes elles-mêmes.
Comme la convention le prévoit dans plusieurs de ses articles – plusieurs de nos collègues viennent de le rappeler –, il ne faut pas oublier que, parmi les violences infligées aux femmes, figurent aussi les mariages forcés, le harcèlement sexuel, les mutilations génitales et les crimes dits d’honneur, sans oublier le viol utilisé comme arme de guerre, auquel la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a consacré un rapport d’information.
Ces phénomènes ne sont ni rares ni isolés. Une fois entrée en application, cette convention constituera le premier outil permettant la mise en œuvre, à l’échelle internationale, d’actions visant à éradiquer ces violences. C’est une prise de conscience et une volonté communes qui s’expriment à travers elle !
Certes, plusieurs textes ont déjà été adoptés dans le cadre des Nations unies, notamment la Déclaration de 1993 sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, mais ces instruments n’ont pas de portée contraignante. La convention d’Istanbul présente, avec cette portée, un atout supplémentaire.
De même, le fait que le groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, le GREVIO, soit chargé de contrôler la mise en œuvre effective de la convention constitue, comme l’a souligné notre rapporteur, une garantie de voir éradiquée la violence infligée aux femmes.
Autant dire que l’entrée en vigueur de la convention d’Istanbul va marquer un moment important pour les femmes. C’est d’autant plus vrai que le champ d’application de cette convention est assez large : il comprend, outre les quarante-sept pays membres du Conseil de l’Europe, les États-Unis, le Canada, le Mexique, le Japon et d’autres pays encore !
De plus, ce débat tombe à point nommé à la veille des élections européennes. Je crois que les questions de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les violences et les discriminations devront occuper une place importante dans les programmes des différentes listes. C’est en tout cas ce que j’espère, d’autant plus vivement que nous traversons une période où les forces conservatrices, rétrogrades et – n’ayons pas peur des mots – dangereuses pour notre vivre ensemble attaquent de toutes parts, en Europe et ailleurs, comme le montre notamment le rejet au Parlement européen, en décembre dernier, du rapport Estrela sur les droits sexuels et génésiques.
Ces forces tentent d’imposer leur vision moraliste et traditionnelle de la société, de la famille, du couple et du rôle de la femme, en agissant notamment contre le mariage pour tous et toutes et contre le droit à l’avortement. Je pense en particulier à ce qui se passe actuellement en Espagne, …
… mais, malheureusement, plusieurs autres pays européens sont concernés par une remise en cause, voire par une interdiction, de l’avortement : c’est le cas, entre autres pays, de la Pologne, de l’Irlande, de Malte et de Chypre.
En France et en Europe, des actions de solidarité sont menées par des progressistes, pour défendre le droit des femmes à choisir d’avoir ou non un enfant.
À cet égard, ne pensons pas, mes chers collègues, que la France ne connaisse pas de difficultés. Nous savons, au contraire, que ce droit chèrement acquis reste fragile, tant des groupuscules extrémistes s’efforcent, par tous les moyens, d’empêcher les femmes d’accéder à des centres d’interruption volontaire de grossesse.
Sans compter que les restrictions budgétaires, année après année et, hélas, gouvernement après gouvernement, entraînent la fermeture de certains de ces centres. Comme je l’ai fait observer dans la discussion de notre proposition de loi tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d’établissements de santé ou leur regroupement, qui a malheureusement été rejetée, cent trente de ces centres ont été fermés en dix ans, selon un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes paru en novembre dernier.
Au vu des engagements du Gouvernement en la matière et de ses projets d’économies touchant essentiellement les dépenses publiques, je crains que le nombre de fermetures ne s’arrête pas là. Or, faute de structures suffisantes, il devient de plus en plus difficile d’obtenir un rendez-vous dans le délai prévu par la loi pour la réalisation d’une interruption volontaire de grossesse.
Cette remise en cause des acquis de ces dernières années et ces attaques récurrentes menées un peu partout en Europe prouvent que nous avons fort à faire pour que l’égalité entre les femmes et les hommes reste un droit fondamental et passe des déclarations d’intention aux actes. Si la convention d’Istanbul traite de la question de l’avortement, il est regrettable que son article 39 ne fasse pas mention des attaques et des remises en cause que je dénonce.
De même, je dois dire que mes collègues du groupe CRC et moi-même ne comprenons pas que la prostitution soit, en tant que telle, absente de la convention. Si l’expression de « violence sexuelle » est bien présente dans plusieurs articles, jamais le terme de « prostitution » n’est mentionné. C’est une lacune plus que regrettable, dont il résulte que la prostitution n’est pas reconnue comme une violence. Or si certains voudraient faire croire à un métier, à un choix, nous sommes nombreuses et nombreux à penser que c’est bien une violence extrême que subissent celles et ceux qui sont victimes des réseaux de proxénétisme. Les auditions menées actuellement par la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel en témoignent.
À ce sujet, permettez-moi de donner rapidement quelques chiffres. En France, 85 % des personnes qui se prostituent dans la rue sont des femmes et, parmi elles, 90 % sont des femmes étrangères ; preuve que la mondialisation de ce fléau s’amplifie et que, pour le combattre, les États doivent disposer d’outils communs.
D’un côté, notre Parlement s’apprête à adopter une proposition de loi destinée à lutter contre la prostitution, qui réaffirme fort justement la position abolitionniste de la France, et, de l’autre, cette convention internationale ne dit mot du problème de la prostitution. En vérité, il y a là un certain paradoxe !
Même si je sais bien que les législations en la matière sont différentes d’un pays à l’autre, je pense qu’il aurait été bon de s’accorder collectivement pour lutter contre l’exploitation sexuelle des individus, la traite des êtres humains et le proxénétisme. Je le répète, la convention présente à cet égard une lacune fondamentale. Celle-ci ne constitue bien évidemment pas un oubli, mais une acceptation politique de cette violence de la part de certains.
Je veux également souligner que, pour notre groupe, la violence économique est un problème tout aussi crucial. De fait, l’austérité frappe toujours en premier lieu les femmes ; j’en veux pour preuve les chiffres relatifs à la précarité, aux inégalités salariales et au temps partiel subi, ainsi qu’aux salaires et aux retraites partiels. L’eurodéputée portugaise Inês Zuber, membre du groupe de la gauche unitaire européenne – gauche verte nordique, a très bien montré les conséquences des politiques d’austérité sur la situation sociale et économique des femmes dans son fameux rapport sur l’égalité entre les femmes et les hommes, qui, lui aussi, a malheureusement été rejeté par le Parlement européen il y a quelques semaines.
C’est cette même austérité, cette précarité galopante, qu’un certain nombre d’entre nous ont dénoncées dans cet hémicycle lors des débats sur l’accord national interprofessionnel de sécurisation des parcours professionnel, en démontrant combien les femmes en seraient les premières victimes. Nous regrettons que cette dimension économique ne soit pas abordée dans la convention.
En dépit des lacunes que je viens de déplorer, nous soutenons bien entendu la ratification de cette convention. Nous la soutenons d’autant plus que, en France, nous avons beaucoup travaillé sur la question des violences faites aux femmes.
Je pense à la discussion en deuxième lecture du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui s’est déroulée dans notre hémicycle il y a quelques jours, mais surtout à la proposition de loi, déposée en juillet dernier sur l’initiative de mon groupe, relative à la lutte contre les violences à l’encontre des femmes. Pour préparer ce texte, qui s’inspire de la loi globale espagnole, une référence en la matière, nous avons accompli un travail important, en liaison étroite avec le collectif national pour les droits des femmes, avec le souci de traiter des violences dans toutes leurs dimensions.
Malheureusement, comme je l’ai déjà déploré lors du débat sur le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, le système des niches parlementaires ne permettra pas que cette proposition de loi soit débattue. Une intervention du Gouvernement, et notamment de vous-même, madame la ministre, serait donc bienvenue, car j’ai bon espoir que nous puissions réunir une majorité qui dépasse les clivages politiques traditionnels ; les interventions des oratrices qui m’ont précédée me confortent dans cette conviction.
En vérité, madame la ministre, il serait bon que le Parlement puisse examiner un texte vraiment complet sur la lutte contre les violences faites aux femmes : un texte plus protecteur pour les femmes et qui permette de mieux répondre aux ambitions de la convention d’Istanbul.
En définitive, compte tenu de l’importance de cette convention et des ambitions affichées en matière de prévention, de protection et de poursuites, notre groupe votera bien évidemment le projet de loi de ratification. La position de la France l’engage profondément à lutter contre toutes formes de violences à l’égard des femmes, à prôner une éducation non sexiste et une culture de l’égalité et à promouvoir une Europe sans violence.
Nous continuerons à être attentives et attentifs à ces combats, en défendant également une clause de non-régression, afin d’empêcher que, au gré des changements de gouvernements dans les différents pays européens, les droits des femmes ne subissent des reculs. Cette proposition pourrait d’ailleurs se conjuguer avec une revendication chère à Mme Gisèle Halimi : la clause de l’Européenne la plus favorisée, qui vise à harmoniser par le haut les droits des femmes. Même si elle rencontre un accueil contrasté parmi les féministes, cette dernière idée est porteuse d’une belle ambition et mériterait pour le moins de faire l’objet d’un grand débat public, qui s’impose à la veille des élections européennes.
Mes chers collègues, le projet de loi autorisant la ratification de la convention d’Istanbul a un mérite supplémentaire : il met en lumière la nécessité de bâtir une Europe sans violence et de franchir un pas supplémentaire vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes !
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au nom de nos collègues qui, comme moi, représentent le Sénat à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et notamment de Mme Bernadette Bourzai, qui est membre de la commission sur l’égalité et la non-discrimination et du réseau parlementaire « pour le droit des femmes de vivre sans violence », je tiens à vous faire part de notre satisfaction de voir ce projet de loi soumis, enfin, à l’examen du Sénat.
Dès votre arrivée aux affaires, madame la ministre, vous vous êtes engagée, avec beaucoup de force et de conviction, à ériger la lutte contre les violences faites aux femmes en priorité. La ratification de la convention d’Istanbul va venir compléter l’arsenal dont la France dispose pour lutter contre ces violences et elle aura en outre une portée paneuropéenne. C’est un acte d’autant plus fort que cette convention doit entrer en vigueur lorsque dix pays l’auront ratifiée. Or la France aurait pu être ce dixième pays, si l’examen du projet de loi n’avait pas été reporté.
Seulement voilà : le 23 avril dernier, la principauté d’Andorre, qui est l’un des quarante-sept membres du Conseil de l’Europe, nous a devancés, permettant à la convention d’entrée en vigueur. C’est un peu dommage, mais c’est ainsi !
Comme de nombreuses oratrices l’ont déjà souligné, ce nouveau traité est décisif, dans la mesure où il constitue le premier instrument juridiquement contraignant à s’appliquer en Europe, et dans une Europe élargie ; il instaure une structure juridique détaillée visant à protéger les femmes contre toutes les formes de violences.
Dès lors qu’un pays ratifie cette convention, il doit prendre toute une série de mesures pour combattre toutes les formes de violences à l’égard des femmes. À ce jour, trente-deux pays sur les quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe sont signataires.
Pour la première fois dans l’histoire, une convention énonce clairement que la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ne peuvent plus être considérées comme des questions privées et que les États ont l’obligation de prévenir la violence, de protéger les victimes et de sanctionner les auteurs.
Cette convention correspond parfaitement aux objectifs visés par les politiques menées par la France en matière de lutte contre les violences depuis de nombreuses années.
Elle est l’aboutissement d’un long travail du Conseil de l’Europe, qui se consacre à la sauvegarde et à la protection des droits de l’homme sur le continent européen et qui, pour cette raison même, a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes l’une de ses priorités.
Précédentes oratrices ont souligné les manques en matière de prostitution. Je vous rappelle, mes chères collègues, que nous avons voté au Sénat la transposition en droit interne d’une directive européenne visant à lutter contre la traite des êtres humains et les mariages forcés. Le Conseil de l’Europe a également pris en compte le phénomène prostitutionnel puisqu’il a voté lors de sa dernière séance au mois d’avril dernier un rapport intitulé Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe, du rapporteur portugais José Mendes Bota.
En 2005, une convention a été signée à Varsovie, qui a pris en compte la lutte contre les violences faites aux femmes, y compris la violence domestique. Depuis 2006, un réseau parlementaire « pour le droit des femmes de vivre sans violence » s’est mis en place au sein du Conseil de l’Europe. Il se compose de cinquante et un parlementaires issus des délégations d’États membres et d’observateurs auprès de l’assemblée parlementaire et des délégations des partenaires pour la démocratie et s’emploie sans relâche à promouvoir la convention d’Istanbul. Notre collègue Bernadette Bourzai, qui est l’un de ses membres, peut témoigner de la volonté politique présente dans les parlements européens.
Nous soutenons le travail accompli par le Conseil de l’Europe, qui ouvre la voie à la création d’un cadre juridique de portée paneuropéenne pour protéger les femmes contre toutes les formes de violence ainsi que pour prévenir, réprimer et éliminer la violence contre les femmes et la violence domestique. Cette lutte se construit au travers de toutes les actions qui ont été rappelées précédemment ; je n’insisterai donc pas davantage sur ces différents points. Vous l’avez dit, madame la ministre, intimité ne doit pas rimer avec impunité, comme c’est malheureusement souvent le cas aujourd'hui !
L’enquête menée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, basée à Vienne, est la première du genre à porter sur la violence à l’égard des femmes dans les vingt-huit États membres de l’Union européenne. Néanmoins, beaucoup de pays manquent encore d’outils de collecte de données. Dans le cadre d’entretiens, 42 000 femmes issues de l’Union européenne ont donc été interrogées sur leur tragique expérience de violences physiques, sexuelles ou psychologiques, perpétrées notamment par un ou une partenaire intime.
L’enquête confirme que la violence à l’égard des femmes est une maltraitance à grande échelle : 33 % des sondées ont connu de la maltraitance physique ou sexuelle dès l’âge de quinze ans, 22 % d’entre elles ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint et 67 % admettent ne pas avoir signalé de faits commis par leur conjoint à la police ou à une autre organisation.
Cette convention, qui vise à créer une Europe sans violence à l’égard des femmes et sans violence domestique en appelant à combattre, en premier lieu, toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, rejoint bien les politiques menées par la France. Elle se présente comme un instrument novateur qui établit des normes contraignantes, dans une approche intégrée, en vue de prévenir la violence et de protéger les victimes.
Les trois piliers – prévention, protection, poursuites – ont été évoqués ; je n’y reviendrai donc pas. Je mentionnerai simplement que les États parties devront veiller à ce que la culture, les traditions ou l’« honneur » ne soient pas considérés comme des justifications à ces comportements.
Une fois ces nouveaux délits intégrés dans les droits nationaux, le cadre juridique existera pour poursuivre les auteurs de violence ; cela impliquera également la mise en place des mesures d’enquête et de protection des victimes.
La convention prévoit en outre un mécanisme de suivi permettant de mesurer son efficacité, la mise en place d’observatoires nationaux indépendants ainsi que la collecte systématique des données, qui sont encore trop lacunaires aujourd’hui. La France a déjà mis en œuvre certaines de ces préconisations.
Outre l’adoption de mesures spécifiques, telles que celles prévues dans le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes que nous avons voté au Sénat et qui complète notre droit en introduisant des éléments correspondant à ce que requiert cette convention, tous les ministres se sont impliqués personnellement dans la rédaction d’une feuille de route pour l’égalité femmes-hommes dans leur champ de compétence. Une fois la convention ratifiée, nous devrons maintenir notre exigence et notre vigilance pour renforcer l’accès à l’égalité. De plus, le suivi de la convention d’Istanbul devra prendre en compte l’image complète des mesures et des politiques pour chaque pays. Ce suivi sera assuré par des experts indépendants, qui évalueront, sur la base de visites et de rapports, dans quelle mesure les États parties respectent les normes définies.
Vous le savez, mes chers collègues, cette convention est une étape importante. C’est donc avec beaucoup de conviction que mes collègues du groupe socialiste et moi-même voterons le projet de loi de ratification.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant toute chose à rendre hommage à notre rapporteur, Joëlle Garriaud-Maylam, non seulement pour le formidable travail qu’elle a accompli sur la convention d’Istanbul qui est soumise aujourd'hui à notre ratification, mais aussi, de façon plus générale, pour les combats qu’elle mène contre les violences faites aux femmes et en faveur des droits des femmes, au niveau tant national qu’international. C’est avec la pugnacité qu’on lui connaît qu’elle continue de s’impliquer, notamment sur des sujets connexes à ce projet de loi tels que la traite des êtres humains, en particulier celle des femmes. Son intervention, en février dernier, à la conférence de la fondation Marmara à Istanbul, témoigne de ses engagements. Qu’elle en soit remerciée !
La ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique constitue une étape importante non seulement pour la progression en Europe des droits des femmes, mais surtout pour la mise en place d’outils permettant leur protection contre toutes formes de violences.
Cette convention a pour vocation, à terme, d’éradiquer les violences contre les femmes au-delà des frontières européennes. En effet, en rendant possible sa ratification par des États non membres de l’Union européenne, la convention se fixe une ambition très large et permet à cette cause d’avoir une vocation universelle.
Pour nous, sur ces travées, cela semble évident, mais l’actualité nous démontre quotidiennement que le chemin sera encore long et difficile.
Le mois dernier, au Nigeria, une centaine de lycéennes ont été kidnappées alors qu’elles s’apprêtaient à passer un diplôme qui leur aurait permis de travailler dans les pays anglophones d’Afrique. J’ai appris ce soir qu’elles étaient vendues pour 10 euros. Elles ont entre douze et quinze ans…
À mon sens, cet acte odieux est la preuve d’une double perversité. Des individus organisés et armés n’hésitent pas à s’attaquer à des écolières sans défense, mais, en réalité, l’objectif qu’ils visent est d’empêcher leur émancipation en les privant d’instruction et, donc, d’un avenir dont elles seraient les seules maîtresses. Il semble que cet acte de terreur soit revendiqué par la secte Boko Haram. Au XXIe siècle, nous ne pouvons rester sans rien faire face à des individus qui prônent le mariage de force des jeunes filles et qui les considèrent comme des esclaves.
La situation au Pakistan n’est pas meilleure. Le droit des femmes, en particulier le droit à l’instruction, régresse. Depuis quelques années, le radicalisme religieux progresse et l’on observe que l’accès à l’école devient plus difficile pour les jeunes filles.
Selon l’UNICEF, entre 2007 et 2011, 61 % des jeunes femmes âgées de quinze à vingt-quatre ans étaient alphabétisées. À la même époque, le taux de fréquentation des écoles primaires par les filles était de 62 %. Mais c’est à la fin de l’école primaire que les jeunes filles désertent les écoles. En effet, le taux de scolarisation des jeunes filles dans le secondaire, selon des chiffres mesurés entre 2008 et 2011, est de 29 %.
Les statistiques officielles publiées par le ministère fédéral de l’éducation du Pakistan sont encore plus alarmantes. Selon ce dernier, le taux global d’alphabétisme est de 46 %, tandis que seulement 26 % des filles savent lire et écrire. Selon un rapport de Pakistan Press International, le taux global d’alphabétisme est de 26 % et celui des filles et des femmes de 12 %. Or, nous le savons, la liberté des femmes est indissociable de l’éducation. Cette privation des savoirs est l’une des premières violences qui leur sont faites.
En Inde, c’est grâce à une mobilisation populaire et médiatique sans précédent que la justice a condamné fermement les auteurs de viols collectifs. Cela témoigne aussi d’un changement sociétal, car peu à peu on observe que les femmes ayant subi ces viols sont de moins en moins considérées comme des parias et qu’elles peuvent être reconnues comme victimes.
Ces situations de part et d’autre du globe ne peuvent que nous encourager à ratifier ce projet de loi.
S’il n’y a pas de doute quant à la position française, il nous semble que notre pays doit aller plus loin, en usant de son influence diplomatique pour que ce texte puisse être ratifié par le plus grand nombre d’États. C’est primordial, car cette convention entrera en vigueur si dix États la ratifient. Or, aujourd’hui, trente-deux États l’ont signée, mais huit seulement l’ont ratifiée.
C’est dans ce cadre qu’il me paraît essentiel de promouvoir le véritable objectif initial de cette convention. Quel est-il ? Il s’agit d’ériger des standards minimaux en matière de prévention, de protection des victimes et de poursuite des auteurs de violences à l’égard des femmes. C’est en cela que cette convention est novatrice. Elle n’est pas une énième déclaration, dont le contenu reposerait sur de simples incantations. Non, cette convention a pour objectif la mise en œuvre d’un instrument juridique contraignant ! Nous pouvons nous en féliciter, mais c’est aussi cela qui pourrait freiner l’ardeur de certains États à la ratifier.
En effet, les États qui auront ratifié cette convention devront procéder à une modification de leur droit national. Sur ce point, la France n’a pas à rougir de sa politique.
Notre pays a déjà anticipé l’application de la convention et le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, en cours de discussion, précise que l’égalité entre les femmes et les hommes doit intervenir « dans toutes ses dimensions [...] : égalité professionnelle, lutte contre la précarité spécifique des femmes, protection des femmes contre les violences, image des femmes dans les médias, parité en politique et dans les responsabilités sociales et professionnelles ».
Par ailleurs, je tiens à rappeler ici que la France en est à son quatrième plan national de lutte contre les violences faites aux femmes. Le 24 novembre 2004, la France a mis en place un plan global, sur deux ans, de lutte contre les violences faites aux femmes, en particulier les violences exercées dans le cadre conjugal. Depuis lors, tous les gouvernements qui se sont succédé ont poursuivi cette politique.
Articulés autour de mesures phares, ces plans apportent des réponses sociales et économiques, qui visent à assurer une meilleure protection juridique des femmes. Ces plans ont également vocation à moderniser l’action publique grâce au renforcement de partenariats et à une mise en cohérence des politiques. Il est donc des sujets sur lesquels notre pays est en avance sur ses partenaires européens ; il est bon de ne pas l’oublier.
Ainsi, mes chers collègues, il n’y a pas de doute quant à la position du groupe UMP sur ce texte. Nous le soutiendrons pleinement, et nous nous félicitons que, depuis 2004, les différents gouvernements poursuivent les politiques non seulement contre les violences à l’égard des femmes, mais aussi en faveur d’une égalité qui puisse s’inscrire dans la réalité du quotidien.
En intervenant à ce moment du débat, je souhaiterais éviter les redites, car beaucoup d’autres collègues se sont exprimées avant moi. Je reviendrai donc sur quelques points qui méritent notre attention.
Je tiens à insister sur la stratégie des « trois P », pour « prévention, protection et poursuites », qui répond à une vision et propose un plan d’action très pragmatique. Dans le cadre de la prévention et de la protection, il est important de noter que la convention intègre la notion « de témoin » des violences faites aux femmes. Il s’agit, en premier lieu, des enfants.
Toutefois, je souhaiterais ajouter que les enfants, en dehors du cadre familial, sont de plus en plus exposés à une violence plurielle à l’égard des femmes. Dans la publicité, à la télévision, dans les clips musicaux, dans les dessins animés, les jeux vidéo, l’image de la femme répond à des « diktats » sur lesquels nous devrions également nous interroger. En effet, dans tous ces supports « sociaux », l’image de la femme est bien éloignée des politiques que nous souhaitons mener. Pour ma part, j’estime qu’il nous faut travailler sur ces leviers, peut-être plus que sur les polémiques liées au genre ou relatives aux stéréotypes colportés par les jouets.
Pour conclure, je voudrais en venir aux poursuites contre les auteurs des violences faites aux femmes. Pour être crédible, la France doit être exemplaire. Cela ne sera possible que si nous mettons en place une véritable politique pénale contre ces auteurs.
Nous devons aller au-delà du cadre conjugal : je pense aux agressions contre les femmes, qu’elles soient sexuelles ou non, je pense aux vols avec violence, ... Les femmes qui en sont victimes ne peuvent se satisfaire des trop nombreuses peines avec sursis dont écopent leurs agresseurs. Pour que cette convention soit réellement appliquée et qu’elle trouve une réalité dans le quotidien des Françaises, la France doit aussi modifier son droit pénal.
Si le groupe UMP du Sénat se réjouit de ratifier ce texte, il forme aussi le vœu que d’autres pays rejoignent rapidement la France dans cette cause, afin que la lutte contre les violences faites aux femmes devienne une réalité. Enfin, je tiens à rappeler que ce combat doit s’inscrire dans un combat global contre toutes les formes de violences contre l’humanité.
Applaudissements.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai en vous adressant un clin d’œil. En effet, certaines d’entre vous ont évoqué le fait que la principauté d’Andorre avait ratifié cette convention avant la France. Pour votre information – j’avoue que je ne l’ai moi-même appris que récemment –, sachez que cette ratification a été signée par François Hollande, en sa qualité de coprince d’Andorre. Le Président de la République est en effet amené, en vertu de la Constitution de la principauté, avec l’autre coprince qui se trouve être l’évêque d’Urgell, à manifester la volonté de l’État andorran dans ses engagements internationaux. À défaut d’avoir ratifié cette convention au nom de la France, le Président de la République l’a donc déjà fait pour le compte de la principauté d’Andorre.
Sourires.
Cela étant, je souscris aux propos des différentes intervenantes à la tribune : comme elles, j’aurais aimé que nous procédions plus vite que nous ne l’avons fait. L’essentiel est que cette étape soit franchie, ce qui permettra à cette convention d’entrer en vigueur au mois d’août prochain.
Le fait de discuter de ce texte ce soir est loin d’être anodin pour moi – je vous prie encore une fois de bien vouloir excuser mon retard, mais j’étais retenue au dîner officiel donné en l’honneur du Premier ministre japonais. En effet, vous l’avez évoqué, madame Kammermann, nous avons reçu aujourd’hui des nouvelles qui sont loin d’être réjouissantes – elles sont même plutôt très préoccupantes – des lycéennes nigérianes enlevées il y a maintenant quelques semaines. La vente des femmes…
… sous prétexte de mariage forcé – une expression à prendre avec un peu de recul, car il n’y a que de la violence derrière tout cela – fait encore partie de notre monde. C’est pour nous l’occasion de réaffirmer que toutes nos sociétés doivent encore se mobiliser contre les violences faites aux femmes.
Aujourd’hui, 5 mai 2014, la justice militaire congolaise vient de rendre son jugement concernant des soldats accusés de viols de masse – vous avez d’ailleurs rappelé, madame la présidente de la délégation, le travail que vous avez réalisé sur la situation des femmes dans les zones de conflit. Je ne commenterai pas ce jugement dont vous connaissez la teneur : trois des trente-neuf soldats mis en cause ont été reconnus coupables, les autres ont été acquittés. Cette décision nous a donné l’occasion de nous replonger dans les atrocités commises lors de ces journées de novembre 2012, où cent cinquante femmes ont été victimes de viols de masse, véritables crimes contre l’humanité.
Là encore, nous constatons qu’il n’est pas anodin de ratifier un texte comme la convention d’Istanbul. Nous avons la chance d’appartenir à un continent où une institution comme le Conseil de l’Europe a réussi à avancer assez loin, car il s’agit du texte le plus poussé sur le sujet. Je me félicite que nous donnions vie à cette convention en la ratifiant.
Je ne reviendrai pas sur tout ce que vous avez dit, mesdames les sénatrices, si ce n’est pour confirmer la volonté du Gouvernement et répondre à quelques questions.
En ce qui concerne l’évaluation des violences, l’enquête nationale VIRAGE dont je vous parle depuis quelques mois est bel et bien lancée, comme vous le savez. Cette enquête nous permettra de disposer de données fiables et objectives sur la réalité et la diversité des violences faites aux femmes. Elle portera sur un échantillon de 17 500 hommes et 17 500 femmes, ce qui est relativement important. Aussitôt que cette enquête sera achevée, la MIPROF, la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains, rendra ses données publiques, car l’intérêt de cette enquête est aussi de faire comprendre au grand public le caractère massif de ces violences et d’adapter nos politiques publiques.
J’ai également entendu certaines d’entre vous exprimer leur déception à l’égard de la réserve exprimée par la France sur les délais de prescription. Je tiens à préciser que cette réserve était nécessaire pour ne pas prolonger le délai de prescription applicable à l’avortement forcé. En effet, le consentement à l’avortement est très difficile à apprécier longtemps après les faits et prolonger le délai de prescription ne rendrait pas forcément service aux plaignantes. Telle est la raison pour laquelle les choses ont été ainsi clarifiées.
Je retiens également des propos que j’ai entendus l’importance à accorder à la formation des professionnels. Je tiens à rappeler que le Gouvernement y voit un véritable enjeu. Je saisis cette occasion pour vous préciser que nous avons lancé, en novembre dernier, un plan national de formation des personnels médicaux et paramédicaux à la lutte contre les violences faites aux femmes. Avec Gynécologie sans frontières, nous avons obtenu des représentants de chaque spécialité médicale qu’ils signent un manifeste contre les violences faites aux femmes. Enfin, Marisol Touraine et moi-même avons récemment chargé une mission de définir un véritable protocole de prise en charge sanitaire des femmes victimes de violences, car il s’agit effectivement d’une priorité de santé publique. Nous avançons donc dans ce domaine, et je vous remercie de m’avoir permis d’évoquer ces actions.
Je vous remercie également toutes de la qualité du travail effectué. Il est vrai que cette convention est longue, l’une d’entre vous l’a dit. Il faut s’y plonger, mais cela fait du bien, car il s’agit d’un texte précieux.
Applaudissements.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Est autorisée la ratification de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (ensemble une annexe), signée à Istanbul, le 11 mai 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce sujet me préoccupe au plus haut point depuis de nombreuses années. Il y a quelques semaines encore, nous en débattions dans le cadre du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Il est toujours aussi difficile pour moi d’admettre qu’au XXIe siècle, dans notre société moderne et développée, nous ayons encore à en passer par de tels textes pour combattre les comportements déviants et faire reconnaître la dignité humaine, en l’occurrence celle de la femme, à l’extérieur comme à l’intérieur du foyer. Pourtant, force est de constater, quand on connaît les statistiques, quand on lit les témoignages, quand on rencontre ces femmes, que ces textes sont plus que nécessaires, plus que légitimes. C’est pourquoi il était plus que temps que l’Europe s’engage à son tour, au travers d’un texte contraignant, dans la lutte contre ces violences.
La France a pris en son temps – je peux en témoigner pour y avoir participé – la mesure de l’importance de lutter contre ces violences et contre ce fléau en adaptant sa législation à la gravité de ces actes. Je songe, bien sûr, à la première loi, en 2006, visant à lutter contre les violences au sein du couple, un texte qui m’est cher, vous vous en doutez, à la deuxième loi sur le sujet, en 2010, à celle de 2012 relative au harcèlement sexuel ou encore au projet de loi, que j’ai déjà cité, pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Mais voilà, ce problème de violence à l’encontre des femmes n’est pas circonscrit à nos frontières. La violence, les humiliations, les souffrances se développent et s’insinuent partout où l’impunité perdure. Tous les pays et toutes les catégories sociales sont touchés par ce fléau. C’est pourquoi cette convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique était nécessaire et ô combien indispensable.
La ratification qui nous est proposée aujourd’hui répond à l’engagement permanent de la France sur ces problématiques, tant à l’échelle nationale que sur la scène internationale. Nous ne pouvons que nous féliciter de voir que cette convention reprend de nombreux points de notre législation. C’est la preuve, s’il en fallait, que, dans la lutte contre les violences à l’égard des femmes, nous avons fait ce qu’il fallait, du moins en grande partie, même s’il reste encore à faire.
Jusqu’à cette convention, l’Europe ne s’était pas dotée d’instruments contraignants destinés à lutter efficacement contre les violences faites aux femmes. Voilà qui est réparé avec ce texte, lequel relève d’une stratégie globale consistant à appliquer la méthode des « trois P » : prévention, protection, poursuites. Il s’agit d’ailleurs, je le rappelle volontiers, des trois priorités que nous avions avancées lors des débats sur la loi de 2006. Je ne reviens donc pas sur chacune d’elles, telles que définies dans la convention.
Je conclurai simplement en indiquant que cette convention va dans le bon sens. Évidemment, la France étant en avance sur bien des points, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter, ce texte ne changera que peu de choses à notre droit national. Mais je pense aux pays qui n’ont pas pris la mesure de ce fléau et dans lesquels la convention s’appliquera désormais. Je pense aux femmes qui, jour après jour, ont à souffrir des violences qui leur sont infligées. Je pense à ces femmes qui, demain, ne se sentiront plus isolées et qui auront désormais les moyens de se battre contre ce mal qui bafoue leur dignité et engendre souffrances et malheurs.
Bien évidemment, je voterai le présent article, pour qu’en France et au-delà de nos frontières, et pour reprendre vos propos, madame la ministre, « intimité » ne rime pas avec « impunité ».
Applaudissements.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, dans le texte de la commission.
Le projet de loi est définitivement adopté.
M. le président. Je constate que le projet de loi a été adopté à l’unanimité des présents.
Applaudissements.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 6 mai 2014 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales
(Le texte des questions figure en annexe)
À quatorze heures trente et le soir :
2. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale (n° 397, 2013-2014) ;
Rapport de Mme Anne Emery-Dumas, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 487, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 488, 2013-2014).
3. Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires (n° 396, 2013-2014) ;
Rapport de M. Jean-Pierre Godefroy, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 458, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 459, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures vingt.