Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je dois avouer que, avant de préparer cette intervention, je n’avais jamais pris connaissance, dans leur intégralité, des termes de la convention d’Istanbul.
Bien sûr, j’avais lu plusieurs articles de presse et des tribunes qui en présentaient les grandes lignes, et il était alors clair pour moi qu’il s’agissait d’un traité historique du Conseil de l’Europe, créant au niveau paneuropéen un cadre juridique extrêmement complet pour protéger les femmes contre toutes les formes de violence. Mais je n’avais pas été plus loin dans mon analyse… Quelle erreur, tant la lecture des quatre-vingt-un articles de cette convention s’est révélée rassurante et motivante !
Sans m’engager dans une présentation de ladite convention – cela a été excellemment fait par M. le secrétaire d’État, Mme la rapporteur, Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes et les collègues qui m’ont précédée –, je me contenterai de formuler quatre observations.
Premièrement, la violence à l’égard des femmes n’épargne aucun des États membres du Conseil de l’Europe.
Selon le secrétariat du comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, le CAHVIO, entre un cinquième et un quart des femmes subissent des violences physiques une fois au moins au cours de leur vie adulte, et plus d’une femme sur dix a déjà souffert d’abus sexuel avec usage de la force.
Plus parlants sont les résultats de l’enquête menée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne sur la violence à l’égard des femmes, qui ont été publiés le 5 mars dernier. Je n’y reviendrai pas, car ils ont été commentés par les oratrices qui m’ont précédée, mais ils confirment une étude américaine aux termes de laquelle six femmes sur dix ont subi des violences sexuelles.
Deuxièmement, la lutte contre la violence à l’égard des femmes est l’objet d’une mobilisation européenne et internationale. La convention d’Istanbul fait partie d’une série de mesures prises par le Conseil de l’Europe pour promouvoir la protection des femmes contre la violence.
En 2002, la recommandation 5 du conseil des ministres du Conseil de l’Europe a été adoptée, marquant le début d’une campagne européenne de lutte contre la violence à l’égard des femmes, qui s’est déroulée entre 2006 à 2008. À cette occasion, les gouvernements et les parlements ont travaillé main dans la main. Si elle a révélé l’ampleur des problèmes, cette campagne a aussi mis en lumière les mesures nationales en matière de lutte, les bonnes pratiques et les initiatives très diverses prises dans de nombreux États membres.
Troisièmement, notre législation contient déjà nombre de dispositions de la convention d’Istanbul. C’est le cas en matière de définition de différentes formes de violences à l’égard des femmes, dont le mariage forcé, les violences sexuelles, les violences physiques et psychologiques, le harcèlement sexuel. Il en est de même en matière d’actions de sensibilisation et d’éducation, de mesures de prévention, de prise en charge, de soutien et de protection juridique, ainsi que de procédures civiles et pénales.
Quatrièmement, notre législation doit toutefois continuer d’évoluer.
Dans sa communication sur la convention d’Istanbul, le Conseil de l’Europe parle d’« éliminer ou d’éradiquer la violence à l’égard des femmes ». C’est exactement cette stratégie que nous devons adopter au travers de la mise en place de notre arsenal législatif.
J’ai eu, à plusieurs reprises, l’occasion de le souligner dans cette enceinte : le projet que je conduis au sein de l’association « Stop aux violences sexuelles », dont la présidente est Violaine Guérin, gynécologue et endocrinologue, est de mettre en place une véritable stratégie d’éradication des violences sexuelles, à l’instar d’une stratégie vaccinale ou des campagnes de sécurité routière. Le 13 janvier dernier, j’ai parrainé au Sénat, avec Chantal Jouanno, les premières assises sur les violences sexuelles, organisées par cette association.
Ces assises furent le point de départ de la mise en place de cette stratégie d’éradication. L’un des chantiers majeurs est la modification du délai de prescription de l’action publique en matière d’agressions sexuelles.
Je suis persuadée que, dans le cadre de notre dispositif législatif, ce délai est inadapté au traumatisme des victimes de violences sexuelles, inadapté à une procédure douloureuse et complexe.
Pour porter plainte contre son agresseur, son violeur, la victime, en particulier si elle est mineure, doit être physiquement et psychiquement en état de le faire. Il ne suffit pas de libérer la parole des victimes ; il faut la leur donner, pour qu’elles puissent, quand elles sont prêtes, les dénoncer aux autorités administratives et judiciaires.
C’est la raison pour laquelle j’ai déposé une proposition de loi dont l’objet est de s’attacher à l’identité de la souffrance ressentie par la victime et de donner à celle-ci le temps nécessaire à la dénonciation des faits. Elle prévoit donc un report du point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, c’est-à-dire expressément au jour où elle se sent en mesure de porter plainte.
L’article 58 de la convention d’Istanbul dispose : « Les parties prennent les mesures législatives et autres nécessaires pour que le délai de prescription pour engager toute poursuite du chef des infractions établies conformément aux articles 36, 37, 38 et 39 de la présente convention » – ce sont les articles qui portent sur la violence sexuelle – « continue de courir pour une durée suffisante et proportionnelle à la gravité de l’infraction en question, afin de permettre la mise en œuvre efficace des poursuites, après que la victime a atteint l’âge de la majorité ». Ma proposition de loi s’inscrit parfaitement dans ce cadre.
Mes chers collègues, je ne doute pas que nous allons adopter à l’unanimité le projet de loi autorisant la ratification de la convention d’Istanbul ; nous prendrons ainsi une décision majeure, puisqu’elle entraînera l’entrée en vigueur de cette convention. Je me permets de vous inviter à faire preuve de cohérence en adoptant aussi ma proposition de loi, qui sera prochainement soumise à votre examen.