Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme M. le rapporteur vient de le rappeler, la proposition de loi s’inscrit dans le prolongement d’un grand nombre de dispositions législatives qui n’ont pas toutes produit les effets escomptés. De fait, après les lois de 2003, 2005 et 2007, nous sommes obligés de compléter un arsenal législatif qui n’a pas donné totalement satisfaction.
Sans doute, les établissements financiers ne se sont pas toujours empressés de jouer le jeu, mais il faut dire aussi que l’Assemblée nationale n’a jamais inscrit à son ordre du jour la proposition de loi de notre collègue Hervé Maurey, adoptée par le Sénat en 2010, et qui pourtant allait dans le même sens que la présente proposition de loi.
Monsieur le ministre, le souci des auteurs de cette proposition de loi est donc largement partagé. Je rappelle aussi que, lors de la discussion du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, au printemps dernier, votre prédécesseur s’était engagé, au nom du Gouvernement, à aboutir sur ce dossier dans le cadre d’un texte spécifique.
La proposition de loi soumise à notre examen est l’aboutissement d’un long processus. La réflexion sur le sujet a été enrichie par un rapport de la Cour des comptes paru en juin 2013. Par ailleurs, une large concertation a été menée avec l’ensemble des parties prenantes : Bercy et la Caisse des dépôts et consignations, les établissements bancaires, les compagnies d’assurance, les notaires et les généalogistes, sans oublier les représentants des épargnants. Le résultat de ce travail et de cette concertation est largement consensuel et dépasse les clivages habituels.
La proposition de loi concilie l’intérêt général et les intérêts particuliers en protégeant aussi bien les intérêts financiers de l’État que les droits des épargnants et de leurs ayants droit. Il reste toutefois des progrès à accomplir sur ce dernier point ; nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.
L’article 1er marque une avancée substantielle par rapport au droit positif en élargissant la question de l’assurance vie en déshérence aux comptes bancaires inactifs, dont il précise la définition, ce qui est une novation très utile.
Les chiffres qui ont été donnés par M. le ministre et par M. le rapporteur signalent l’importance des enjeux. Même si l’estimation des montants diverge, l’essentiel est qu’ils soient très élevés : plusieurs milliards d’euros de fonds dorment sur des comptes bancaires ou dans des assurances vie. Or non seulement ces fonds constituent des ressources quasiment gratuites pour les établissements financiers, puisque, en l’absence de mouvement sur le compte, les coûts de gestion pour les banques sont très faibles, voire quasiment nuls, mais, de surcroît, des frais de gestion sont parfois prélevés sur ces comptes dits dormants. En effet, si les livrets réglementés ne subissent aucun frais, tel n’est pas le cas des comptes courants. Ceux-ci supportent des frais qui s’élèvent, par exemple, à 50 euros à la Société générale, à 82 euros chez LCL et jusqu’à 135 euros au Crédit du Nord. À la longue, ces prélèvements peuvent même finir par vider complètement les comptes !
De là vient le peu d’empressement de certains établissements à rechercher les ayants droit comme à appliquer la prescription trentenaire. Songez, mes chers collègues, que, sur ces milliards dormants, seulement 50 millions d’euros ont rejoint les caisses de l’État en 2012 au titre des comptes bancaires inactifs et un peu plus de 6 millions d’euros de 2008 à 2012 au titre des contrats d’assurance vie. Pourtant, monsieur le ministre, ces milliards seraient bien plus utiles, surtout dans le contexte actuel, versés dans les finances publiques ou dans le patrimoine de nos compatriotes qui en sont les ayants droit que dormant dans les comptes des établissements financiers. Au reste, il est intéressant de remarquer que leur nature juridique demeure floue. Sont-ce des fonds propres, des quasi-fonds propres ? Entrent-ils en compte pour l’application des critères de Bâle II et de Bâle III ?
Le dispositif prévu par la proposition de loi ne remettra nullement en cause le ratio de solvabilité des établissements financiers. En effet, la somme de 1, 6 milliard d’euros contenue dans les 1, 8 million de comptes bancaires inactifs estimés ne représente que 1 % de l’encours total des établissements bancaires. De même, les 2 milliards à 4 milliards d’euros de contrats d’assurance vie en déshérence représentent moins de 0, 5 % des encours totaux de l’assurance vie.
C’est pourquoi nous nous réjouissons que la proposition de loi fasse obligation aux établissements financiers de transférer à la Caisse des dépôts et consignations, au bout de dix ans, les sommes non réclamées des contrats d’assurance vie et des comptes bancaires inactifs et, au bout de trois ans, les sommes non réclamées après le décès du titulaire d’un compte. Cette mesure permettra de garantir l’application de la prescription trentenaire, puisque la Caisse des dépôts et consignations, elle, ne saurait manquer d’opérer scrupuleusement le transfert à l’État des fonds non réclamés, d’autant qu’elle sera contrôlée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. L’obligation de transfert préalable des fonds non réclamés à la Caisse des dépôts et consignations va également dans le sens de la protection des épargnants et de leurs ayants droit, puisque cette institution garantit l’intégralité du capital sans prélever aucun frais sur celui-ci.
Le principal changement prévu par la proposition de loi réside dans la publicité en ligne que la Caisse des dépôts et consignations devra assurer via un site sécurisé, qui permettra aux ayants droit de retrouver plus facilement la trace des fonds qui leur sont dus. Cette publicité conforte la position du médiateur de la Caisse des dépôts et consignations qui, comme la Cour des comptes, a dénoncé l’insuffisance du dispositif d’alerte des épargnants ou des héritiers sur le mécanisme de déchéance trentenaire au profit de l’État. En principe, pourtant, le bénéficiaire potentiel doit être prévenu par courrier recommandé six mois avant le transfert des fonds à l’État, mais un courrier, même envoyé à une mauvaise adresse, est considéré comme une information suffisante de l’ayant droit. En vérité, le dispositif d’alerte des titulaires de compte inactif paraît bien léger, surtout lorsque l’on considère qu’il n’y a aucun retour possible de l’argent transféré au Trésor public – peu importe que l’adresse ait été erronée et que le courrier ne soit pas arrivé à son destinataire.
Même si la proposition de loi les renforce considérablement, nous considérons tous que les obligations d’information restent encore insuffisantes. Monsieur le ministre, certains amendements défendus par nos collègues Jean-François Husson et Hervé Maurey, sous-amendés sur l’initiative de M. le rapporteur, pourraient compléter utilement l’arsenal de protection des épargnants et des héritiers. Je pense en particulier à celui qui prévoit l’information du titulaire d’un compte du caractère inactif de celui-ci, sans attendre les six mois avant le transfert à la Caisse des dépôts et consignations. Je pense également à celui qui tend à obliger les banques à rechercher les héritiers connus, par exemple les enfants du titulaire décédé, clients de la même banque.
En revanche, il paraît plus compliqué de demander aux banques de rechercher les ayants droit non connus ; je rappelle qu’elles ne sont pas dans la situation des assureurs, qui sont censés inscrire dans les contrats le nom des bénéficiaires.
Au surplus, lors des successions, les notaires ont l’obligation de consulter le FICOBA, qui recense l’ensemble des comptes bancaires. Les héritiers peuvent être ainsi informés de l’existence ou non de comptes. Certes, la disposition ne protège pas complètement l’ensemble des héritiers potentiels puisque 20 % des décès n’entraînent pas l’ouverture d’une succession. Néanmoins, il s’agit là d’une avancée intéressante.
La proposition de loi prévoit, par ailleurs, d’autres améliorations appréciables. Avant l’information par la Caisse des dépôts et consignations, le texte vise à instaurer un recensement annuel de l’ensemble des comptes inactifs dans les établissements bancaires afin de garantir plus de transparence aux épargnants. Seront précisés leur nombre et leur montant.
Lorsqu’un compte est considéré comme inactif, l’établissement tenant ce compte en informe le titulaire. Sans nouvelle de sa part, il doit alors consulter le répertoire national d’identification des personnes physiques pour vérifier – chose importante – que le titulaire du compte n’est pas décédé.