Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question en débat dans le cadre de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui intéresse depuis longtemps le Sénat puisque, voilà quatre ans, nous avions discuté d’un texte ayant le même objet présenté par notre collègue Hervé Maurey.
L’an dernier, le sujet a à nouveau été abordé lors de l’examen du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires. C’est d’ailleurs parallèlement à l’examen de ce texte que nos collègues députés, dont Christian Eckert – vous l’avez souligné, monsieur le ministre –, ont exprimé le souhait que soit rapidement examinée la question des avoirs bancaires et des contrats d’assurance vie en déshérence. Ils ont sollicité en ce sens la Cour des comptes, dont le rapport rendu en juin 2013 a relevé des lacunes de la part tant des établissements financiers que de l’État.
Le constat fait par la Cour des comptes est édifiant. En effet, l’encadrement insuffisant des banques et des assureurs laisse au moins 4 milliards d’euros d’encours non réclamés par leurs titulaires et leurs ayants droit : 1, 5 milliard d’euros dans la trésorerie des établissements bancaires et 2, 7 milliards d’euros dans celle des assurances. Cela contribue à expliquer certaines disproportions comptables – tout le monde l’a souligné – relevées par le rapport : 675 000 comptes seraient détenus par des titulaires centenaires, alors que la France ne compte que 20 000 personnes de cet âge ; de surcroît, 1, 3 million de comptes bancaires appartiendraient à des titulaires âgés de plus de quatre-vingt-dix ans.
Parallèlement à cette insuffisante garantie du droit de propriété des épargnants, la Cour des comptes souligne que la prescription trentenaire, au terme de laquelle les avoirs non réclamés doivent être reversés à l’État, n’est que très partiellement appliquée. Seuls 29 millions d’euros ont été versés à la Caisse des dépôts et consignations sur la période 2006-2012.
La proposition de loi déposée par le groupe socialiste à l’Assemblée nationale vise donc à assurer tant la garantie des droits des titulaires, bénéficiaires et ayants droit, que la protection des intérêts financiers de l’État.
La commission des finances a adopté le texte la semaine dernière, en faisant sienne les amendements parfois substantiels de M. le rapporteur, dont je tiens à saluer ici le travail.
La présente proposition de loi offre en premier lieu des garanties essentielles pour les titulaires de comptes bancaires ou de contrats d’assurance vie et leurs ayants droit. Elle renforce pour cela la protection déjà existante pour les contrats d’assurance vie et en crée une pour les comptes bancaires qui en étaient dépourvus.
Comme je l’ai dit, le rapport de la Cour des comptes relève que l’encadrement juridique des contrats d’assurance vie n’est que partiellement appliqué. En particulier, les assureurs tardent à mettre en œuvre l’obligation faite par la loi du 17 décembre 2007 de consulter le répertoire national d’identification des personnes physiques. La loi du 26 juillet 2013 a renforcé cette obligation de consultation, mais cela n’était probablement pas suffisant. La Cour des comptes relève en effet que « les décès identifiés par ces assureurs grâce au RNIPP ne portent que sur les décès d’assurés âgés de plus de quatre-vingt-dix ans et/ou dont le montant du contrat est supérieur à 2 000 euros ». Je me félicite donc que la proposition de loi tende à imposer une consultation annuelle aux assureurs, qui devront également publier un état annexé à leurs comptes dans lequel seront retracés le nombre et l’encours des contrats non réclamés.
De la même manière, l’obligation d’information annuelle détaillée pour les seuls contrats de plus de 2 000 euros, instaurée par la loi du 1er août 2003, laisserait hors du champ de très nombreux contrats, qui tombent d’autant plus facilement dans l’oubli. Pour cette raison, nous nous réjouissons que la présente proposition de loi vise à étendre cette obligation à tous les contrats d’assurance vie, quel que soit leur montant.
La loi de 2007 a surtout rendu obligatoire la revalorisation du capital garanti un an après le décès du souscripteur. La Cour des comptes relève cependant que cette obligation, qui n’impose aucun niveau minimal de revalorisation, se traduit par « une revalorisation post mortem du capital moins élevé que la rémunération du capital avant le décès ». C’est pourquoi l’article 4 de la proposition de loi pose le principe d’un seuil minimal de revalorisation du capital garanti en cas de décès.
La commission des finances a adopté la semaine dernière un amendement essentiel de François Marc, dont l’objet est d’élargir le bénéfice de l’obligation de revalorisation et du seuil minimum à l’ensemble des contrats d’assurance vie, en cours et à venir.
Si le régime des contrats d’assurance vie était incomplet, celui des comptes bancaires était quasiment inexistant. Toute tentative de protection se heurtait à l’absence de définition du compte inactif. Un compte sera donc désormais considéré comme inactif en l’absence d’opération ou de manifestation du titulaire pendant un an sur l’ensemble des comptes détenus dans un même établissement bancaire – cinq ans pour les livrets et comptes à terme. En cas de décès du titulaire, le compte sera déclaré inactif un an après celui-ci en l’absence de toute réclamation par les ayants droit, ce qui paraît tout à fait logique.
Sur la base de cette définition, les établissements teneurs de compte devront publier, chaque année, le nombre et l’encours des contrats inactifs maintenus dans leurs livres et assurer la conservation des informations relatives à ces comptes. Les frais de gestion seront plafonnés de manière à garantir les droits des ayants droit sur le capital conservé ou, en leur absence, de l’État.
Conformément à l’une des recommandations du rapport de la Cour des comptes, la proposition de loi vise également à rendre obligatoire la consultation par les notaires du FICOBA dans le cadre d’une succession. Cet accès centralisé et direct devrait limiter le nombre de comptes non réclamés. La proposition de loi a aussi pour objet de consacrer la jurisprudence récente qui permet aux ayants droit de consulter ce fichier.
L’examen au Sénat a, je le crois, permis de répondre à une question laissée en suspens par nos collègues députés : celle des coffres-forts. Leur nature étant différente de celle des comptes bancaires, il fallait concevoir un régime particulier, et celui proposé par François Marc me paraît ingénieux : le coffre est inactif si deux critères cumulatifs sont remplis, à savoir aucune manifestation du client pendant dix ans et le constat d’un loyer impayé ; vingt ans plus tard, la banque pourra disperser le contenu du coffre pour se rémunérer des frais générés, le reste étant acquis à l’État.