Intervention de Jean Bizet

Réunion du 6 mai 2014 à 14h30
Lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean BizetJean Bizet :

En d’autres termes, ne dénigrons pas les outils, même insuffisants, qui ont été mis en place, car ce sont ces outils qui nous permettront de résoudre pour une large part le problème des salariés low cost.

On l’oublie trop souvent, les travailleurs détachés ne sont que la partie émergée de l’iceberg. On en compte 210 000 en France, plus de 300 000 en Allemagne et près de 150 000 en Belgique. Mais quid de ceux qui ne sont pas inscrits ? Les estimations ne nous permettent pas d’appréhender le phénomène avec précision.

Une chose est sûre : après avoir plus ou moins fermé les yeux, les pays européens sont en train de prendre la mesure du problème. Certaines économies se sont longtemps satisfaites de cet afflux de main-d’œuvre bon marché pour exécuter des tâches à faible valeur ajoutée. Cependant, ceux qui croyaient que l’utilisation de travailleurs détachés pouvait améliorer la compétitivité de leur économie se sont trompés : d’abord parce que, à l’exception des transports, les secteurs concernés ne sont pas délocalisables ; ensuite parce que – le cas allemand le montre –les excédents commerciaux sont d’abord le fruit d’une meilleure compétitivité hors prix.

Aujourd’hui, la prise de conscience est générale. La Commission européenne n’y échappe pas puisqu’elle a présenté le 21 mars 2012 une proposition de directive relative à l’exécution de la directive Détachement.

Rappelons également que l’utilisation du système d’information du marché intérieur, l’IMI, pour la coopération administrative entre États membres est prévue par le règlement du 25 octobre 2012.

Le Parlement européen a poursuivi dans cette voie : le 20 juin 2013, sa commission de l’emploi et des affaires sociales a décidé d’entamer des négociations avec le Conseil. Enfin, le 9 décembre 2013, un accord sur une orientation générale a été conclu lors de la réunion du Conseil « Emploi et affaires sociales ».

Le groupe UMP n’est pas hostile par principe à une proposition de loi qui cherche à accélérer un processus déjà bien avancé, mais qui ne devrait s’achever qu’à compter de 2016.

C’est quant à son caractère opérationnel que cette proposition de loi soulève toutefois des difficultés.

L’article 2 prévoit la responsabilité solidaire du donneur d’ordre en cas de non-paiement des salaires des travailleurs détachés par un sous-traitant direct ou indirect. Nous vous rejoignons sur ce point, mais pourquoi étendre le dispositif de responsabilité solidaire à l’ensemble du noyau d’obligations de l’employeur qui détache des travailleurs ? Cette disposition va consacrer une forme d’ingérence du donneur d’ordre à l’égard de ses sous-traitants. Par principe, nous ne pouvons souscrire à une telle extension de la responsabilité solidaire.

En outre, comment les donneurs d’ordre pourront-ils, concrètement, procéder aux vérifications qui leur incombent ? Cette difficulté est d’autant plus regrettable que la rédaction de l’article 2 a été considérablement améliorée à l’issue de la première lecture à l’Assemblée nationale.

Nous nous interrogeons par ailleurs sur l’efficacité de la mise en place d’une liste noire d’entreprises indélicates en matière de travailleurs détachés. En effet, le caractère coercitif de cette mesure nous échappe, puisqu’il nous semble qu’elle sera sans conséquence pour les entreprises concernées, notamment en termes d’accès aux marchés publics ; nous craignons qu’il ne s’agisse que d’un affichage. Plus surprenant encore : les donneurs d’ordre et les maîtres d’ouvrage pourront continuer à conclure des contrats avec les entreprises inscrites sur la liste noire.

De même, l’article 7 donne aux syndicats la possibilité de se constituer partie civile, y compris sans l’accord du salarié lésé, et l’article 6 bis permet aux organisations syndicales représentatives d’ester en justice devant le conseil de prud’hommes en faveur du salarié détaché ou en cas de travail dissimulé sans avoir à justifier d’un mandat de l’intéressé, à condition toutefois que ce dernier ne s’y soit pas opposé. Ces dispositions me paraissent justifiées sur le plan éthique, mais très approximatives sur le plan constitutionnel ; monsieur le ministre, je pense que, dans votre for intérieur, vous en êtes conscient. Le principe selon lequel « nul ne plaide par procureur », qui est une sous-catégorie du principe de sécurité juridique, ne me semble pas respecté par les articles 6 bis et 7. Nous invitons donc la majorité et le Gouvernement à affiner leur dispositif.

Autre exemple de disposition justifiée sur le plan éthique : l’article 7 bis instaure une nouvelle peine pour les entreprises condamnées pour travail dissimulé, à savoir l’exclusion de toute aide publique pendant cinq ans. Nous comprenons le caractère symbolique de la mesure, mais nous craignons qu’elle ne mette en danger les salariés de l’entreprise, et, en cas de reprise, les futurs repreneurs, qui devront payer pour autrui. Là encore, ce sont les salariés qui subiront les conséquences, et je doute que ce soit là votre volonté fondamentale.

Notre dernière interrogation porte sur la forme : votre nouvel article 9, qui prévoit l’obligation pour les employeurs de veiller à ce que le repos hebdomadaire des conducteurs routiers soit pris dans les conditions énoncées par les règles européennes, ne constitue-t-il pas un cavalier ?

La somme de ces imprécisions nous conduit à juger cette proposition de loi avec la plus grande circonspection, alors même que de nombreuses dispositions rencontrent un écho favorable au sein de notre groupe. Nous sommes par exemple en accord avec l’article 1er, selon lequel toute entreprise bénéficiaire d’une prestation internationale doit vérifier que l’entreprise prestataire établie hors de France avec laquelle elle conclut un contrat dépose bien une déclaration de détachement auprès des services de l’inspection du travail. Nous sommes également favorables à l’article 4 sur l’habilitation de l’inspection du travail à exiger la production immédiate de documents relatifs au détachement des travailleurs. Nous nous réjouissons enfin de la suppression de l’article 5, qui portait sur les sanctions en cas de poursuite d’activité avec un partenaire en situation irrégulière.

Nous sommes donc quelque peu déçus par les approximations que contient cette proposition de loi, car, comme je l’ai dit en préambule, celle-ci est bienvenue. Nous souscrivons à son esprit et à nombre des mesures qu’elle comporte. Malheureusement, l’applicabilité de l’extension de la responsabilité solidaire, la liste noire des entreprises condamnées pour travail illégal et l’extension du droit d’agir en justice pour les syndicats ne nous permettront pas de la voter.

J’achèverai mon intervention en revenant sur deux points.

Je tiens en premier lieu à souligner la pertinence des directives Bolkestein et Détachement.

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