Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité de Rome de 1957, qui visait à poser « les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens », a consacré la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux.
Cela signifiait notamment qu’un prestataire de services établi dans un pays de l’Union européenne avait le droit de détacher temporairement des travailleurs dans un autre pays membre pour y accomplir une mission complexe. Si ce droit offrait un plus grand choix de prestataires et pouvait répondre à une éventuelle pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs bien précis, il n’en reste pas moins qu’il a aussi ouvert la voie à l’optimisation sociale, au dumping social.
Le 17 février 1894, devant la Chambre des députés, Jean Jaurès déclarait : « Ce que nous ne voulons pas, c’est que le capitalisme international aille chercher la main-d’œuvre sur les marchés où elle est le plus avilie, humiliée, dépréciée, pour la jeter sans contrôle et sans réglementation sur le marché français et pour amener partout dans le monde les salaires au niveau des pays où ils sont le plus bas. » Ce que Jean Jaurès redoutait il y a cent vingt ans s’est malheureusement produit ! Nos salariés ont été confrontés à la concurrence déloyale de prestataires issus de pays dans lesquels les règles de protection des travailleurs sont beaucoup moins exigeantes, et certains employeurs y ont vu l’occasion de disposer d’une main-d’œuvre à bon marché !
Avec la crise économique, le mouvement s’est amplifié. Selon l’excellent rapport de notre collègue Éric Bocquet intitulé « Le travailleur détaché, un salarié low cost ? », le nombre de travailleurs détachés a augmenté de 45 % depuis 2004.
Pour mettre un terme aux dérives et au dumping social, la directive européenne de 1996 relative au détachement de travailleurs, devait « concilier l’exercice de la liberté de fournir des services transfrontaliers et la protection appropriée des droits des travailleurs détachés temporairement à l’étranger à cet effet ». Elle établissait ainsi un socle de conditions de travail et d’emploi, imposé au prestataire de services dans le pays d’accueil pour garantir une protection minimale des travailleurs.
La Cour de justice de l’Union européenne a toutefois quelque peu ébranlé cet édifice protecteur. Selon la jurisprudence qui ressort de quatre arrêts rendus par la Cour entre 2007 et 2008, les droits fondamentaux sont susceptibles de subir des restrictions et des limitations. La Cour a ainsi privilégié les libertés économiques garanties par les traités et privé la directive Détachement des moyens d’atteindre son objectif de protection des salariés détachés.
Le constat est sans appel : les principes édictés par la directive de 1996 sont quotidiennement bafoués par des entreprises sans scrupules, au point que certains ont parlé de l’émergence d’un « nouvel esclave moderne » !