Intervention de Catherine Génisson

Réunion du 6 mai 2014 à 14h30
Lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine GénissonCatherine Génisson :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi « visant à lutter contre les fraudes et les abus constatés lors des détachements de travailleurs et la concurrence déloyale ». Je retiens là le titre que vous avez fort pertinemment, madame la rapporteur, fait adopter par la commission des affaires sociales, car il réaffirme l’essence même de ce texte au moment où l’emploi est la première des préoccupations de nos concitoyens.

Permettez-moi, d’ailleurs, de saluer la qualité du travail que vous avez réalisé sur ce texte, dont les dispositions peuvent paraître très techniques alors qu’elles sont éminemment politiques.

Permettez-moi aussi de remercier chaleureusement notre collègue Éric Bocquet, auteur d’un rapport d’information sur les normes européennes en matière de détachement des travailleurs et d’une proposition de résolution adoptée par le Sénat le 16 octobre 2013. Ses travaux permettent de nous éclairer sur la situation exacte des travailleurs détachés et sur les décisions qu’il convient de prendre pour que soit respectée la dignité de leurs conditions de travail.

Nous refusons « l’Europe de la compétition des travailleurs, de la guerre civile des droits sociaux, l’Europe où la pauvreté des uns fait le malheur des autres, [une Europe qui] serait inéluctablement vouée à s’abîmer dans le rejet de nos peuples et dans les pires errements populistes ». Ainsi s’exprimait Gilles Savary, rapporteur de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, le 18 février 2014, lors de son examen en séance publique.

Ces propos sont essentiels quand il s’agit de transposer la directive n° 96/71/CE, dont l’application a été largement contournée depuis, les orateurs précédents l’ont tous dit. C’est ce qui a conduit la Commission européenne à proposer une directive d’exécution de la directive de 1996, pour en préciser les modalités d’application. Cette directive a été adoptée par le Parlement européen le 16 avril dernier, après des discussions animées et malgré de fortes oppositions de la part de certains États membres. Ces discussions se sont conclues par un accord politique obtenu au Conseil des ministres le 9 décembre 2013, grâce, en particulier, à la détermination du gouvernement français, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.

Quelle est en effet la situation actuelle, à laquelle il convient de remédier ? Les travailleurs détachés, salariés ou non, exécutent leur travail pendant une période limitée sur le territoire d’un État membre autre que celui de leur lieu de travail habituel. Les règles du droit du travail sont celles du pays d’accueil : elles sont regroupées au sein de ce que l’on dénomme le « noyau dur », dont il a déjà été suffisamment question cet après-midi pour que je n’aie pas à y revenir.

J’aimerais mettre l’accent sur une disposition qui, bien que légale, est source de distorsions : le travailleur détaché reste affilié au régime de sécurité sociale de son pays d’origine si le détachement dure moins de deux ans. Ainsi, pour une entreprise, à salaire équivalent, le coût d’un travailleur détaché dans notre pays peut être inférieur d’au moins 30% à celui d’un travailleur exerçant normalement en France.

Force est de constater que le texte que nous examinons aujourd’hui n’apporte pas de solution à ce problème fondamental.

Nous devons prendre acte du fait que le nombre de travailleurs détachés a considérablement augmenté ces dernières années : officiellement, en France, il est passé de 38 000 et 170 000 entre 2006 et 2012. Mais il semble que ce nombre se situe en réalité à ce jour entre 220 000 et 300 000, l’importance de la fourchette faisant clairement apparaître la difficulté qu’ont les pouvoirs publics à appréhender le véritable chiffre.

Cette explosion quantitative du nombre de détachements s’est accompagnée d’une hausse importante des abus et fraudes, comme vous l’avez vous-même relevé, madame la rapporteur, ainsi que beaucoup d’autres intervenants. Parmi les infractions les plus fréquentes, on peut citer : un taux de déclaration moyen très modeste, compris entre 33 % et 50% ; des entreprises prestataires qui ne sont que des coquilles vides ; le non-respect du salaire minimum du pays d’accueil, infraction parfois doublée d’un délit au regard du droit de travail. Ces infractions reposent généralement sur des montages juridiques très complexes, qui rendent la réalisation des contrôles particulièrement difficile.

Il n’est pas question de stigmatiser le principe du détachement, d’autant que, rappelons-le, environ 300 000 Français travaillent à l’étranger et que la France est, derrière l’Allemagne et la Pologne, le troisième pays de l’Union pour l’envoi de travailleurs détachés.

Néanmoins, pour les entreprises et les travailleurs détachés, nous nous devons de proposer des mesures efficaces. Du reste, cette exigence est exprimée unanimement par les organisations syndicales, les organisations patronales, les organisations professionnelles et les inspecteurs du travail.

Les dispositions prévues par cette proposition de loi s’inscrivent dans un triptyque simple : dissuasion en amont, contrôle et vigilance lors de la prestation, sanction en aval.

Le teste qui nous est soumis comporte quatre grands types de mesures.

La mesure phare est l’institution de la responsabilisation solidaire du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage.

S’y ajoute un alourdissement des sanctions.

Vient ensuite la possibilité pour les organisations syndicales d’ester en justice afin de permettre la poursuite d’infractions constatées sans que cela relève d’un souhait des intéressés. Certains s’interrogent sur la validité et l’applicabilité d’une telle mesure. Or de semblables dispositions existent déjà dans le code du travail, en particulier lorsqu’il est question de discrimination ou de harcèlement au travail. Quoi qu'il en soit, cette disposition est importante parce que de nombreux travailleurs hésitent à porter plainte personnellement.

Enfin, figurent des dispositions catégorielles, concernant notamment le BTP et le cabotage routier des marchandises ; notre collège Éric Bocquet a beaucoup travaillé sur ces questions.

Le débat fort intéressant que nous avons eu en commission des affaires sociales a permis de mettre au jour une volonté partagée de lutter contre les abus et les fraudes concernant les travailleurs détachés.

Vous avez beaucoup insisté, madame la rapporteur, sur la nécessité de simplifier les règles en matière de déclaration, de détachement et de solidarité financière, arguant que la simplicité prête nettement moins prise aux détournements. Vous avez d’ailleurs proposé à la commission une réécriture de l’article 1er qui va, me semble-t-il, dans le sens d’une telle simplification.

Vous avez aussi souligné que cette proposition de loi, si importante soit-elle, ne suffirait pas à lutter contre les abus liés au détachement de travailleurs. Nous partageons tous cette analyse, conscients que nous sommes de la nécessité absolue de faire avancer l’harmonisation sociale au niveau européen et de mettre ainsi fin à la dichotomie entre les règles relatives aux différences en matière de protection sociale et celles qui portent sur le droit du travail en cas de détachement. On a évoqué, par exemple, la différence de charges patronales entre la France et la Pologne dans le BTP.

Ce sujet est absolument central et doit donner lieu à des débats dans le cadre de la campagne électorale des élections européennes.

Monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, je veux souligner la qualité de nos échanges sur cette proposition de loi. Certes, le sujet est loin d’être clos, mais cela n’empêchera pas le groupe socialiste de voter sans hésitation en faveur de ce texte.

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