Intervention de Claude Jeannerot

Réunion du 6 mai 2014 à 14h30
Lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Claude JeannerotClaude Jeannerot :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’emploi reste à l’évidence, et sans doute encore pour longtemps, la première préoccupation des Français.

Or l’Europe, il faut le reconnaître, n’est pas toujours perçue par nos concitoyens comme une alliée sur le front de l’emploi. J’avais d’ailleurs, le 13 janvier 2013, interrogé votre prédécesseur, monsieur le ministre, sur la problématique des travailleurs détachés et, plus largement, sur l’avenir d’une Europe sociale, source de progrès, de développement et d’emploi pour tous.

On l’a rappelé, la directive du 16 décembre 1996, au départ conçue comme protectrice des différents marchés du travail européens, est devenue un outil d’optimisation du profit et de dumping social au détriment de la protection des travailleurs. Ce constat se retrouve d’ailleurs dans deux résolutions européennes, l’une adoptée par l’Assemblée nationale le 11 juillet 2013, l’autre par notre assemblée le 16 octobre dernier.

Ces deux textes invitaient également le Gouvernement à faire preuve de fermeté lors des négociations à Bruxelles, notamment en ce qui concerne le renforcement de la marge de manœuvre des États membres dans les procédures de contrôle. Il faut le dire, Michel Sapin et Thierry Repentin ont défendu avec pugnacité cette position devant les États membres, ce qui a conduit à un accord le 9 décembre 2013.

Le Parlement européen, à la suite de cet accord, a voté le projet de directive d’exécution sur les travailleurs détachés, afin que soient renforcés les contrôles et la responsabilisation des entreprises donneuses d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants. L’accord doit maintenant être formellement approuvé par le Conseil des ministres.

Il s’agit, mes chers collègues, d’un signal fort : L’Europe n’accepte pas la fraude ou l’abus des règles applicables au détriment des travailleurs détachés !

Par conséquent, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui est le fruit d’une volonté politique portée jusqu’à Bruxelles : celle de renforcer la protection juridique des travailleurs détachés, qui sont de plus en plus fréquemment les victimes de dévoiements de la procédure de détachement des travailleurs.

Je le disais, la directive du 16 décembre 1996 avait pour objet d’encadrer le détachement de travailleurs dans le cadre de prestations de services. Elle dispose notamment qu’une entreprise peut détacher provisoirement ses salariés dans un autre État membre de l’Union européenne, que l’employeur doit alors se conformer aux conditions de travail de l’État membre, tels le respect du temps de travail ou encore le salaire minimum, mais que, en revanche, les cotisations sociales sont versées dans le pays d’origine et calculées selon les règles nationales.

Cette réglementation a, en pratique, été largement détournée, créant des situations inacceptables de dumping social. Notre excellent collègue Éric Bocquet avait d’ailleurs mis en exergue l’« émergence d’un salarié low cost, à bas coût, risquant de créer des tensions sur le marché du travail ». En effet, pourquoi recruter un salarié français quand on peut disposer d’un salarié venant d’un autre État membre et ainsi économiser 30 % sur la masse salariale ?

De nombreuses sociétés d’intérim ont d’ailleurs choisi de s’implanter dans les pays où les cotisations sociales sont faibles ou qui n’appliquent aucun salaire minimum.

Les entreprises qui sous-traitent ont aussi leur part de responsabilité ; elles ne peuvent ignorer totalement la situation des travailleurs détachés au sein de leur entreprise. On sait également que certains secteurs sont plus touchés que d’autres, comme ceux du bâtiment ou des transports.

En France comme partout en Europe, le nombre de travailleurs détachés ne cesse d’augmenter. L’insuffisance des dispositions de la directive de 1996 explique cette explosion de pratiques pernicieuses, consistant à contourner sciemment la législation à des fins d’optimisation des bénéfices. Notre collègue Anne Emery-Dumas, rapporteur, a parfaitement mis en relief la complexité des situations frauduleuses pouvant être liées aux règles de détachement ou constitutives de travail illégal, les deux types d’infraction pouvant d’ailleurs coexister.

Cette proposition de loi a donc pour objet, selon l’exposé des motifs, de lutter contre « les fraudes et détournements massifs qui consistent à utiliser le négoce de main-d’œuvre bon marché comme argument de concurrence », en vue de mettre fin à l’émergence de cet esclavage moderne.

Elle prévoit la responsabilisation de manière solidaire du donneur d’ordre et du maître d’ouvrage, mesure centrale qui a. pour corollaires un renforcement des contrôles et une accentuation des sanctions financières.

Il faut souligner que, dans un souci de simplification, la commission des affaires sociales du Sénat a retenu un dispositif unique de solidarité financière applicable au donneur d’ordre et au maître d’ouvrage, en cas de non-paiement du salaire minimum à un salarié d’un sous-traitant, qu’il soit détaché ou non. Son champ d’application a été logiquement étendu aux entreprises de travail temporaire.

Ce texte prévoit également la possibilité d’ester en justice pour les syndicats de salariés, afin de pouvoir faire constater les infractions sans que les intéressés, pour des raisons que l’on devine, aient l’obligation de leur donner un mandat ad hoc.

Enfin, des dispositions spécifiques pour les secteurs les plus touchés, tels que le bâtiment et les transports, sont prévues.

En résumé, cette proposition de loi est, comme le faisait justement remarquer Anne Emery-Dumas, la traduction de la volonté conjointe du Gouvernement et du Parlement de « construire une Europe sociale à la hauteur des attentes de nos concitoyens, dans laquelle le primat accordé à la concurrence ne doit plus se faire au détriment de la protection des droits des travailleurs ».

C’est pourquoi, mes chers collègues, cette proposition de loi, bien qu’importante, ne constitue à ce stade qu’une étape sur le chemin ambitieux que nous entendons suivre pour construire une Europe sociale forte et solidaire.

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