Intervention de Roland Ries

Réunion du 6 mai 2014 à 14h30
Lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Roland RiesRoland Ries :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par les députés socialistes et qui vise à « lutter contre le dumping et la concurrence déloyale » est, selon moi, une formidable invitation à nous emparer d’un sujet d’une actualité brûlante, à savoir le détachement des travailleurs au sein de l’Union européenne, qui s’est développé de façon exponentielle.

Ce sujet est aussi délicat que brûlant dans la mesure où cette possibilité, aujourd’hui transformée en une véritable mise en concurrence généralisée des travailleurs et des différents modèles sociaux, nourrit d’une certaine manière la méfiance, voire le rejet qu’inspire l’Union européenne à une frange croissante de la population. Le détachement illustre également, hélas, les impasses de l’Union en dévoyant un principe noble, celui de la libre circulation des personnes, nécessaire à l’émergence d’une véritable conscience européenne.

L’actualité du sujet se mesure au fait que, loin d’être une abstraction pour nos concitoyens, le principe du détachement dans un pays tiers de travailleurs qui continuent à être affiliés au régime de protection sociale de leur pays d’origine fait chaque jour sentir ses effets.

Cette disposition européenne s’applique avec une intensité particulière dans les zones frontalières, telle ma région, l’Alsace.

C’est précisément pour faire état des inquiétudes de nos concitoyens à cet égard que, le 18 décembre 2012, dans cet hémicycle, j’avais interpellé le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, sur le contexte de distorsions de concurrence avec leurs voisins européens dont souffrent les producteurs de fruits et légumes français, et plus particulièrement les producteurs frontaliers.

Parmi les éléments de réponse du ministre figurait déjà en bonne place la question de la directive européenne de 1996 relative au détachement des travailleurs et de son processus de révision, ou plutôt d’application. Ilm’avait en effet indiqué que la France soutenait la refonte de cette directive afin de remettre un peu d’ordre dans le marché unique européen.

Un an plus tard, le 9 décembre 2013, lors de négociations au Conseil de l’Union européenne sur la proposition de directive d’application de ce texte, Michel Sapin, alors ministre du travail, a obtenu des avancées importantes. Ces dernières visaient à faire en sorte que les États membres restent libres de déterminer les documents pouvant être exigés auprès des entreprises dans le cadre des contrôles sur la liste des mesures de contrôle nationales et que, dans le secteur de la construction, la responsabilité des contractants soit conjointe, solidaire et obligatoire.

Depuis, la proposition de directive d’application a été adoptée en session plénière, le 16 avril dernier, par le Parlement européen de Strasbourg. Je crois pouvoir dire que ce vote a constitué une première victoire politique contre le dumping social. Nous sortons en effet du seul principe d’« espace de concurrence libre et non faussée » pour entrer dans le domaine de la protection des acquis sociaux des travailleurs. Ce vote était donc porteur d’une autre vision de l’Europe, une Europe du progrès social, avec la perspective d’une révision complète du texte de 1996, au lieu d’une simple directive d’application de ce texte, telle qu’elle est proposée aujourd’hui.

Cet accord obtenu par Michel Sapin à la fin de l’année 2013, puis confirmé par le Parlement européen, représente un premier pas important. Il témoigne, à mon sens, de la détermination du gouvernement français à mener la lutte contre le dumping social, qui passe notamment, nous le savons, par une plus grande harmonisation sociale et fiscale de nos modèles nationaux, que nous appelons depuis longtemps – trop longtemps, dirai-je ! – de nos vœux.

Il importe, en effet, de mettre un terme à ce mouvement mortifère de divergence sociale et fiscale entre les États membres de l’Union européenne. Cette réalité d’aujourd’hui mine la croyance en l’Europe elle-même. J’ai, pour ma part, toujours milité en faveur d’une Europe des peuples, une Europe pensée comme un espace de coopération, plutôt que de concurrence débridée dans une zone de libre-échange généralisé où le marché est le seul régulateur.

Comme l’ensemble des sociaux-démocrates du continent européen, je pense que le marché est évidemment un moteur de développement, mais qu’il est aveugle et qu’il doit impérativement être régulé par les lois nationales et les directives européennes. C’est le fond même de la pensée économique des socialistes et des sociaux-démocrates.

Je salue d’ailleurs l’inscription à l’ordre du jour de la séance du 20 mai prochain, à la demande de la commission des affaires européennes du Sénat, d’un débat sur les perspectives de la construction européenne : il nous offrira une nouvelle occasion de préciser notre vision d’une Europe progressiste.

Pour l’heure, il nous appartient de nous prononcer sur la présente proposition de loi. Comme le résume très bien Mme Emery-Dumas dans son rapport, ce texte poursuit quatre objectifs majeurs : assurer une transposition extrêmement rapide de certaines dispositions de la directive tout juste adoptée ; mettre en œuvre certaines préconisations de la résolution européenne de l’Assemblée nationale, telle que la liste noire des personnes condamnées pour travail illégal à une amende supérieure à 15 000 euros, seuil sur lequel on peut d’ailleurs s’interroger ; renforcer l’arsenal juridique pour lutter contre le travail illégal ; répondre aux enjeux liés au cabotage routier. Sur ce dernier point, par exemple, les véhicules de moins de 3, 5 tonnes seront soumis aux mêmes règles de cabotage que les poids lourds, afin de mettre un terme à une concurrence déloyale qui porte atteinte aux entreprises françaises de transport.

L’adoption de cette proposition de loi sera donc un nouveau signe fort de l’action collective que nous pouvons mener ensemble contre le dumping social. C’est en effet une action coordonnée des parlementaires au niveau national et au niveau européen, avec l’appui ferme du Gouvernement au Conseil de l’Union européenne, qui doit nous permettre aujourd’hui de muscler notre arsenal législatif et, par là même, de protéger notre modèle social national.

Selon le fabuliste Ésope, la langue est à la fois la meilleure et la pire des choses. Je dirai qu’il en va de même pour la concurrence : elle est la meilleure des choses si elle permet la croissance et le développement, mais la pire des choses si elle aboutit à la surexploitation des travailleurs pour emporter des marchés. C’est ce dumping social qu’il nous faut combattre.

Nous soutenons ce texte qui va dans le bon sens, même s’il reste encore bien du chemin à parcourir pour parvenir à l’harmonisation fiscale et sociale et protéger ainsi efficacement et durablement les salariés de nos entreprises. §

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