Intervention de Grégoire Théry

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 30 avril 2014 : 1ère réunion
Audition de Mme Hélène de Rugy déléguée générale de l'amicale du nid de Mm. Yves Charpenel président de la fondation scelles grégoire théry secrétaire général du mouvement du nid et philippe moricet président de l'association altaïr

Grégoire Théry, secrétaire général du Mouvement du Nid :

L'article 3 prévoit la création dans chaque département d'une commission, placée sous l'autorité du préfet et du procureur, chargée de coordonner l'action de protection et d'accompagnement à la sortie de la prostitution. Cela peut changer beaucoup de choses. Est-ce applicable ? Oui, du reste cela existe déjà dans plusieurs régions, comme en Alsace. L'article renforce et étend ces dispositifs. La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) s'est déjà plainte à nous que le législateur était trop précis, l'obligeant à agir : eh bien tant mieux ! Dans la proposition de loi, il semblerait que les personnes prostituées entamant un parcours de sortie devront contractualiser avec ces commissions : ce n'est pas crédible. Il serait préférable que la contractualisation se fasse avec les associations, qui aujourd'hui déjà sont les médiateurs, et présentent les problèmes à résoudre : une personne dont la plainte n'a pas été enregistrée, une victime envoyée en centre de rétention pour défaut de titre de séjour, une personne qui s'en sort depuis deux ans mais ne trouve pas d'emploi... Voilà pourquoi ces commissions sont nécessaires ; rien de plus efficace que d'évoquer les besoins et les blocages quand siègent autour de la table des représentants de tous les services concernés. En revanche, comment une telle commission pourrait-elle vérifier que l'engagement de cesser la prostitution est tenu ? Les associations pourront se porter garantes sur deux points essentiels : que la personne a rompu avec l'auteur du crime - nous sommes parfois instrumentalisés par des réseaux qui télécommandent des demandes de papiers pour mieux exploiter les personnes ; et qu'elle est inscrite dans une démarche sérieuse, qu'elle suit un cours de français et se rend à des formations professionnelles... Mais ne nous leurrons pas, il y aura des allers et retours, il pourra subsister des activités de prostitution résiduelle, surtout s'il n'y a pas d'attribution automatique de l'allocation temporaire d'attente (ATA) et du revenu de solidarité active (RSA).

L'article 4 prévoit un budget spécifique, le fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement des personnes prostituées, ce que nous demandons depuis des années. Mais quels seront les arbitrages dans la loi de finances ? La ministre des droits des femmes a parlé de 20 millions d'euros par an : s'agit-il de nouveaux budgets ou de réallocations ? Il est cohérent également que ce fonds soit abondé non seulement par des crédits de l'État, mais aussi par les confiscations des biens des proxénètes et les amendes des clients. La confiscation est possible aujourd'hui, mais pas assez appliquée : pour un proxénète bulgare, être condamné à quatre ans de prison dont il n'exécutera que deux peut faire partie d'un business plan ; se voir confisquer ses biens sera autrement mal vécu. Certes les proxénètes se rendent insolvables, envoient leurs gains dans des pays qui coopèrent mal, mais cela doit être une priorité dans toutes les procédures. Les proxénètes veulent surtout faire de l'argent. L'Organisation des Nations Unies le dit bien : la traite des êtres humains est trop rentable. Pour lutter contre elle, il faut faire en sorte qu'elle ne le soit plus.

L'article 6 prévoit l'attribution, comme nous le réclamons depuis quatre ans, d'un titre de séjour de six mois, même en l'absence de dénonciation. Des personnes sont menacées, ou ne sont pas prêtes psychologiquement, ou encore ont leurs enfants, otages au pays - les Bulgares et les Roumaines qui envoient 1 500 euros par mois prétendument pour l'éducation de leur enfant. Cet article constitue donc une petite révolution. Les victimes ont des droits de par leur statut de victime et non parce qu'elles coopèrent. La coopération est dans leur intérêt, puisque le procès leur apporte la reconnaissance de ce qu'elles ont subi et potentiellement une indemnisation. Mais la mesure est insuffisante : le pouvoir discrétionnaire du préfet demeure. L'article est pourtant précis : il faut des motifs raisonnables de croire qu'il s'agit d'une victime, qu'elle soit engagée dans un parcours de sortie vérifié en commission départementale, qu'elle ait cessé l'activité de prostitution... Tout cela est suffisant pour une attribution automatique. Sinon, l'impact sera limité et les associations devront encore négocier au cas par cas.

L'article 9 ajoute une circonstance aggravante pour le viol d'une personne prostituée, prenant le contre-pied de la pratique actuelle, qui considère souvent que c'est le métier d'une personne prostituée d'être pénétrée par des gens qu'elle ne désire pas. Cela évitera des affaires comme celle de policiers à Nîmes qui ont obtenu, comme ils disent, des « faveurs sexuelles », et qui n'ont pas été condamnés parce que l'absence de consentement était difficile à prouver.

L'article 10 amende l'article 706-3 du code de procédure pénale conformément à une demande ancienne, en incluant le proxénétisme dans la liste des crimes les plus graves ouvrant droit à une indemnisation même en cas d'insolvabilité de l'auteur, par des recours devant les commissions d'indemnisation des victimes d'infractions. Savez-vous qu'aujourd'hui le Fonds d'indemnisation des victimes d'infraction dépose des recours pour ne pas indemniser les victimes de proxénétisme et de traite d'êtres humains ? Comment accepter cela d'un organisme paraétatique ? On voit pourquoi cet article est important.

L'article 13, qui abroge le délit de racolage - qui existe depuis 1939 - est unanimement salué, et a déjà été adopté par le Sénat sous la forme d'une proposition de loi. L'article 15 insère dans le code de l'éducation la prévention de la marchandisation des corps et la sensibilisation à la prostitution. Comment ces mesures seront-elles mises en oeuvre ? Tout reste à faire. La prostitution des adolescentes et des adolescents est une réalité. Certains sont la proie de proxénètes à la sortie des Maisons d'enfants à caractère social (Mecs) : après une semaine d'absence pendant laquelle ils sont sexuellement exploités, tout ce qui leur est demandé à leur retour est de signer une déclaration de fugue !

L'article 16 interdit l'achat de services sexuels tarifés, qui devient une contravention de cinquième classe, passible d'une amende de 1 500 euros. Des stages de sensibilisation peuvent être organisés, et la récidive devient un délit. Le fait que la personne prostituée soit mineure ou vulnérable devient une circonstance aggravante. Mais le recours à la prostitution d'une personne mineure ou vulnérable est une infraction depuis 2003 : pourquoi y a-t-il eu si peu d'affaires jugées ? C'est qu'il faut, pour établir ces faits, que les acheteurs de sexe soient systématiquement interpelés. La généralisation de l'interdiction est le point d'entrée pour réprimer enfin ce délit.

Cet article 16 est justifié par au moins trois raisons. D'abord, c'est une question de principe. S'il est interdit d'imposer un acte sexuel sous la contrainte - sous peine d'être accusé de viol - ou en usant de l'autorité dont on dispose, pourquoi admettre qu'on puisse le faire contre de l'argent ? Il s'agit bien de l'exploitation d'une situation de domination économique pour obtenir ce que l'on n'aurait pas eu autrement. Ensuite, on ne peut plus dire, comme on le faisait à la fin des années quatre-vingt-dix en Allemagne ou aux Pays-Bas, qu'il faut séparer la traite, qui est mauvaise, du travail du sexe, qui serait légitime. Le Parlement européen a pris une résolution le 26 février dernier sur la prostitution, l'exploitation sexuelle et la traite des êtres humains. L'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a fait de même le 8 avril. Comment lutter contre la traite des êtres humains, qui est une violation des droits humains énumérés par la Charte européenne des droits fondamentaux, sans s'attaquer à la demande ? Europol a déclaré que la légalisation conduisait à un développement de la traite, car elle suscitait un appel d'air, comme l'a aussi montré une étude de la London School of Economics. Enfin, la force de cette proposition de loi est sa cohérence. La prostitution est avant tout une violence, contraire à l'égalité, exercée au détriment des plus vulnérables, qui justifie une prévention et nécessite que les victimes se voient offrir des alternatives et soient indemnisées. Si la prostitution n'est pas légalement réprimée, pourquoi faire de la prévention ? Comment lutter si l'on considère que les victimes n'en sont pas vraiment, qu'elles cherchent de l'argent facile ? Comment les indemniser mieux ?

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