Sur le taux de croissance potentiel, Bruno Retailleau, vous avez raison : nous sommes, en France, un peu en dessous de celui de l'Europe. La cause n'en est pas démographique, elle est affaire de productivité, et de compétitivité, coûts et hors coûts. C'est une bonne nouvelle, car c'est un facteur sur lequel il est plus facile d'agir. Louis Gallois, sur ce sujet, a dit ce qu'il fallait, comme l'a écrit le Commissariat général à la stratégie et à la prospective.
Je ne partage pas le point de vue d'Hubert Vedrine quant au risque que courrait l'Europe de devenir « l'idiot du village global ». C'est un eurosceptique de talent, je suis un postnational poussif...Notre itinéraire n'est pas le même, même si nous sommes partis et arrivés à peu près au même point. Il relaie une légende bien française qu'aucun chiffre ne vient étayer. Comment prétendre que l'Europe est l'idiot du village global quand son excédent industriel sur les États-Unis est de 300 milliards ? La politique commerciale de l'Europe ne souffre d'aucune faiblesse structurelle, et l'Europe ne se protège ni mieux ni moins bien que d'autres. Tenir un tel discours ne me semble pas le meilleur moyen de mobiliser les troupes.
Le renminbi chinois n'est plus sous-évalué. C'est ce que nous apprend le FMI, grand arbitre des beautés en la matière. En taux de change constant effectif réel, il s'est réévalué de 25 % ces dix dernières années, même s'il a un peu décroché à court terme. Les Chinois savent bien qu'ils n'internationaliseront pas leur monnaie si elle reste faible. Il est vrai que le compte de capital de la Chine n'est pas libéralisé : aussi étrange que cela puisse paraître, ce n'est pas une exigence pour appartenir au FMI - les règles internationales sont ce qu'elles sont aussi longtemps qu'on ne les change pas. Quant au salaire chinois, il se réévalue de 15 % par an. Et de temps en temps, on voit se déclencher des grèves. Peu à peu, l'excédent commercial chinois se réduit, à mesure que la consommation intérieure prend le relai.
La compatibilité des mesures de subvention américaines contenues dans le Farm Bill avec les règles existantes à l'OMC n'a pas été examinée. Un tel examen devrait avoir lieu devant l'OMC. L'Union européenne pourrait en avoir l'initiative, mais on sait qu'elle n'est pas très allante pour se lancer sur ces questions de subvention à l'agriculture, pour des raisons que l'on comprend bien...
Ce que Marie-Noëlle Lienemann appelle libéralisme, je l'appelle ouverture des échanges. Il y a là une nuance sémantique de taille. Ouvrir n'est pas déréguler. L'ouverture des échanges a donné de très bons résultats. Elle a réduit la pauvreté dans le monde. Il est vrai que cela a pu être au prix d'une augmentation des inégalités au sein des pays développés. C'est pourquoi je parle, dans mon livre, d'une mondialisation Janus, faite de forces et de courants contraires, qui exigent de savoir prendre le vent. L'équilibre entre les marchés et les sociétés, comme on l'a déjà vu par le passé, est mis en cause par une nouvelle phase de la globalisation, conduisant à un désencastrement, pour reprendre le terme de Polanyi, entre l'économie et la société au niveau mondial. Je suis de ceux qui pensent qu'il existe des solutions. Ce n'est pas un hasard si les pays dont les systèmes sociaux sont les plus sophistiqués sont aussi les plus performants. Quant au principe du juste échange, il est, j'en suis d'accord, de nature à rétablir un équilibre des échanges, à condition que les partenaires se mettent d'accord sur ce qui est juste...On se mord un peu la queue.
Le raisonnement qui semble prévaloir en France sur l'Europe est typique de notre propension à l'autoflagellation. On cherche toujours des causes externes à nos problèmes. Regardez l'Allemagne, qui était, après la réunification, « l'homme malade » de l'Europe. Les Allemands n'ont pas réclamé que l'on change l'Europe, mais se sont lancés dans une opération de redressement qui les a sortis de la mouise.