Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 mai 2014 : 1ère réunion
Contrôle de la mise en application des lois — Communication

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, président :

Chaque année, les commissions permanentes doivent dresser le bilan des mesures prises par le Gouvernement pour appliquer les lois votées. Leurs contributions sont publiées en annexe du rapport établi par la commission pour l'application des lois.

Cette année, nous contrôlons à la fois l'application, au 31 mars 2014, des mesures votées entre octobre 2012 et septembre 2013, et l'application des mesures votées avant septembre 2012 mais pour lesquelles les textes réglementaires ne sont pas encore parus.

Quelques indications statistiques, pour commencer. S'agissant de la période antérieure à septembre 2012, 22 mesures d'application ont été prises sur les 58 attendues. Le fait que ces mesures aient été votées en 2011 ou avant, sous une majorité différente, explique-t-il ce peu d'empressement ? La plus ancienne des mesures non appliquées reste le régime de TVA applicable au duty free entre la métropole et l'outre-mer. Selon la direction de la législation fiscale, le décret serait à la signature du ministre...

Au cours de la période d'octobre 2012 à septembre 2013, sous revue cette année, la commission des finances a été saisie au fond de 9 lois définitivement adoptées. Ce chiffre est le même qu'en 2011-2012 ; auparavant, la moyenne était plutôt de cinq textes. Deux de ces lois étaient d'application directe : la loi organique sur la nomination du directeur général de la Banque publique d'investissement et la loi de règlement de 2012 ; 190 mesures étaient attendues, contre 118 l'année dernière. Cet écart est lié à la loi sur la séparation et la régulation des activités bancaires, qui prévoit 81 mesures d'application.

Avant 2009, la commission des finances contrôlait entre 10 et 15 % des mesures réglementaires attendues. Désormais, cette proportion est de 20 ou 30 %. Sur 190 mesures attendues, 58 % ont été prises, contre 76 % l'année dernière ; 65 des 79 mesures attendues mais non prises se rapportent à la loi bancaire, dont le taux de mise en oeuvre n'est que de 20 %. Sur 11 dispositions législatives d'origine sénatoriale nécessitant un texte d'application, seules 4 ont été mises en application. Pour les dispositions issues d'initiatives de députés, le chiffre est de 20 sur 34.

Le contrôle porte aussi sur les rapports au Parlement. S'agissant des rapports sur la mise en oeuvre des lois adoptées par le Parlement qui, depuis 2004, doivent être remis dans les six mois suivant la publication des lois, seuls 4 sur 7 l'ont été. Manque notamment celui sur la loi bancaire. On attendait en outre 21 rapports demandés par le Parlement : 10 ont été déposés, 1 est devenu sans objet et 10 sont toujours en attente.

J'en viens aux appréciations qualitatives. Citons deux décrets importants du 23 décembre 2013, pris près d'un an après le vote de la loi qui les prévoyait : le décret relatif aux modalités d'application du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, qui fixe notamment les obligations déclaratives des entreprises, et le décret relatif à la procédure d'évaluation de l'impact socio-économique des investissements publics, qui fixe les conditions d'exercice de cette compétence par le Commissariat général à l'investissement.

L'application des lois se heurte à plusieurs sortes de difficultés. Premier exemple : une loi d'origine parlementaire que l'exécutif ne semble pas pressé de mettre en oeuvre. Ainsi, dans la loi de finances rectificative de décembre 2010, le Parlement a souhaité créer une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur les sacs plastiques et plus particulièrement sur les sacs de caisse. Le Gouvernement s'abrite derrière la nécessité d'une concertation préalable avec la filière ; dans l'attente, point de taxe. Il serait plus franc de supprimer cette disposition plutôt que de la laisser subsister de manière théorique. Le prochain collectif budgétaire sera l'occasion d'interroger le Gouvernement sur ce point.

Deuxième exemple : une mesure réglementaire prise pour contourner non pas une disposition législative, mais une décision du Conseil constitutionnel. La loi de finances pour 2013 comporte un dispositif de plafonnement de l'ISF qui incluait certains revenus non réellement perçus par le contribuable, comme les intérêts capitalisés sur des plans d'épargne logement ou certains contrats d'assurance-vie. Cette mesure a été censurée par le Conseil constitutionnel, mais rétablie six mois plus tard, en juin 2013, par instruction fiscale ! Nous avons souvent constaté que dans l'esprit de l'administration financière, la hiérarchie des normes était inversée... La loi de finances pour 2014 comportait à nouveau un plafonnement des revenus ; cette mesure a été censurée à nouveau par le Conseil constitutionnel, au motif que le législateur avait méconnu l'autorité de la chose jugée par le Conseil l'année précédente.

Troisième exemple : le texte réglementaire qui crée une polémique en raison du flou des dispositions législatives. La loi de finances rectificative de décembre 2012 crée un fonds exceptionnel de soutien aux départements, comportant deux sections. La première a été répartie sans problème, selon les critères prévus par la loi ; pour la deuxième, qui avait affolé le Sénat, la loi renvoyait au décret le soin de définir les critères. Résultat : la liste des départements bénéficiaires a été contestée. En matière de finances locales, mieux vaut voter des dispositions élaborées dans la transparence, sur la base de simulations publiques.

Quatrième exemple : les rapports attendus mais publiés avec retard, voire jamais. Le jaune budgétaire sur l'application de notre réseau de conventions fiscales, attendu, avec le projet de loi de finances, en octobre 2013, n'a été remis que le 4 avril 2014 et n'explique pas pourquoi Jersey et les Bermudes ont été retirées de la liste des États et territoires non coopératifs. L'annexe au projet de loi de finances relative à la mise en oeuvre par l'administration fiscale des dispositifs anti-abus et de leur application aux filiales des entreprises françaises détenues à l'étranger, censée exister depuis 2009, n'a toujours pas été publiée. Cette date prouve qu'il s'agit d'une attitude constante de l'administration envers le Parlement, quel que soit le ministre... et prouve également que mon analyse n'a rien de partisan.

La loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, principal texte examiné l'année dernière et qui mérite une analyse plus détaillée, doit donner lieu à 81 mesures d'application ; 13 ont été prises, 3 sont devenues sans objet, une mesure non prévue est intervenue. Le taux de mise en oeuvre de la loi est de 20 %. Si le Gouvernement a lancé beaucoup de concertations de place, les mesures restent à concrétiser. À ce jour, aucune mesure n'a été prise pour séparer les activités bancaires, alors que les activités à filialiser doivent être recensées à partir du 1er juillet 2014 et que la séparation doit être effective le 1er juillet 2015. Nous avions trouvé un point d'équilibre pour éviter une séparation trop brutale tout en favorisant la transparence des activités financières ; nous ne pouvons qu'être déçus que les éléments techniques de mise en oeuvre ne soient pas au rendez-vous. En revanche, les textes ont été pris rapidement pour mettre en oeuvre la procédure de résolution.

Le Parlement avait souhaité que la transparence des activités pays par pays s'applique dès 2014, avec la publication d'une partie des données de 2013. Le Gouvernement est revenu sur ce choix dans une ordonnance du 20 février 2014, qui transpose les dispositions de la directive CRD-4 : la transparence ne s'appliquera qu'à compter de 2015...

Pour finir, une disposition iconoclaste : la loi bancaire prévoit un transfert aux mécanismes successeurs du fonds de développement pour l'Irak des avoirs détenus par l'ancien régime irakien sur le territoire français. Les projets de décret et d'arrêtés ont été rédigés mais n'ont pas été publiés en raison de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) du 26 novembre 2013 condamnant la Suisse pour avoir appliqué les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies imposant aux États membres de geler les avoirs financiers sortis d'Irak par les responsables de l'ancien régime et de les transférer à un fonds mis en place par le Gouvernement irakien. La Cour considère en effet que la Suisse a violé le droit à un procès équitable résultant de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. L'affaire a été portée par la Suisse devant la Grande chambre de la CEDH. On comprend que les autorités françaises attendent la décision définitive avant de prendre les mesures d'application. Il faut être un jurisconsulte de haut vol - avec des honoraires proportionnés - pour percer les mystères de l'entrelacs des dispositions conventionnelles multilatérales et de leur enchevêtrement avec les droits nationaux !

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