Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dans la nuit du 27 au 28 février dernier, Xynthia a tué 29 personnes en Vendée, 12 personnes en Charente-Maritime, et 53 personnes au total en France.
Ce bilan est inacceptable et, en ouvrant ce débat, je tiens, au nom de tous les membres de la mission commune d’information, à exprimer aux familles endeuillées notre immense sympathie ; bien entendu, nos pensées vont aussi à ceux qui, depuis hier, sont confrontés à la perte de proches ou d’amis dans le Var.
Je souhaite leur dire que tous leurs disparus habitent nos travaux et que le plus bel hommage que nous puissions leur rendre est non pas de nous contenter de discours, mais de faire en sorte de tirer toutes les leçons de cette catastrophe pour que, à l’avenir, un tel drame ne se reproduise pas.
C’est la raison pour laquelle nous nous sommes rapidement mis au travail grâce au président de la Haute Assemblée, Gérard Larcher, qui a proposé la création de cette mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia.
Nous avons mené plus d’une centaine d’auditions. Très vite, nous sommes allés sur le terrain, en Vendée et en Charente-Maritime, pour rencontrer les sinistrés. Nous nous sommes également rendus dans l’estuaire de la Gironde, à Bruxelles pour convaincre les commissaires de ne pas bloquer les aides promises, notamment aux agriculteurs, aux Pays-Bas pour comprendre comment ce pays, né des eaux par la main de l’homme, organise sa défense contre la mer et contre les crues.
Nos travaux se poursuivront avec la remise du rapport final qui est prévue au début du mois de juillet prochain. Ils ne s’achèveront pas pour autant : nous suivrons jusqu’au bout les mesures qui ont été annoncées ou qui le seront dans les semaines à venir, je pense par exemple au plan « digues », comme on l’appelle encore pour le moment improprement.
Nous avons cependant tenu à engager ce débat en nous appuyant sur ce rapport d’étape qui nous permettra d’enrichir nos réflexions.
Je souhaite remercier Alain Anziani, rapporteur, et tous les membres de la mission commune d’information de l’esprit dans lequel ils ont travaillé. J’ai été heureux de constater que, lorsque l’essentiel est en jeu, nous n’avions aucun mal à dépasser nos différences de tempérament, de géographie ou d’appartenance partisane.
Quels sont les premiers enseignements que nous pouvons d’ores et déjà tirer ?
Le constat est malheureusement sans appel : si Xynthia, comme phénomène climatique extraordinaire, était inévitable, le drame Xynthia, lui, n’était pas une fatalité.
La question des responsabilités est du ressort de la justice, qui est saisie. Toutefois, il est évident que ce drame a pour origine principale l’impréparation de la France au risque spécifique de submersion marine. Celle-ci a conduit à de graves défaillances et à une forte dilution de la responsabilité dans la chaîne de décisions.
Ces défaillances sont de natures diverses.
Elles apparaissent dans la phase de prévision et d’alerte : aucune évaluation des conséquences de la tempête à terre, un système d’alerte insuffisamment explicite, des plans communaux de sauvegarde inexistants, rendant délicates les mesures d’évacuation. Preuve de ce dysfonctionnement, la consigne était de se calfeutrer chez soi ; or, ce faisant, on enfermait les gens dans ce qui allait devenir leur tombeau.
Nous constatons également des défaillances dans la prévention. Pourquoi des maisons avaient-elles été construites, alors qu’il existait un risque naturel majeur avéré ? Pourquoi, en France, les plans de prévention des risques naturels sont-ils si peu nombreux, alors que, dans cette zone, le risque était bien présent ?
Enfin, les défaillances ont également concerné les systèmes de protection. La gestion des ouvrages naturels ou artificiels de défense contre la mer souffre en France de plusieurs maux : fragmentation de la propriété, retrait des financements de l’État, manque d’entretien, lourdeur des procédures, etc.
Sur chacune de ces défaillances, la mission fera des propositions concrètes.
En revanche, tous les avis convergent pour reconnaître le caractère remarquable de la gestion de la crise. Les secours, coordonnés par les préfets, ont été massifs et formidablement efficaces. Des centaines de vies humaines ont ainsi pu être sauvées et il faut rendre hommage à tous ceux qui ont fait preuve d’un courage exemplaire, souvent au péril de leur vie : sapeurs-pompiers, gendarmes, militaires, pilotes d’hélicoptères et, dans la phase suivante, secouristes et bénévoles.
C’est ainsi que, dans cette nuit noire de désolation, de nombreux actes de bravoure ou de générosité nous ont rappelé le vrai sens du mot « fraternité », qui est le plus beau, mais aussi sans doute le plus exigeant de notre devise républicaine.
Madame la secrétaire d'État, je souhaite également saluer la réactivité de l’État. Jamais un arrêté de catastrophe naturelle n’a été pris aussi rapidement, presque simultanément, au lendemain de la tempête, le 1er mars dernier.
Très vite, les mesures d’indemnisation et de soutien aux filières économiques ont été annoncées, tandis qu’un formidable élan de solidarité s’organisait entre les collectivités, les associations, les anonymes qu’il faut saluer comme le signe tangible des liens invisibles qui relient entre eux nos concitoyens.
Bien sûr, tout n’est pas parfait et il y aurait beaucoup à redire. À ce stade, je formulerai deux observations.
La première remarque porte sur les mesures de soutien aux filières. Plusieurs questions restent en suspens. Ainsi, il faut impérativement obtenir le soutien de l’Union européenne, notamment à travers le Fonds de solidarité de l’Union européenne. Il convient également de revoir les délais de versement des aides, notamment pour la filière agricole. Madame la secrétaire d'État, un contrôle administratif tatillon de la Commission européenne s’impose-t-il lorsqu’il s’agit de mesures d’indemnisation et non d’aides susceptibles d’entraîner une distorsion de concurrence ? Il faut je crois replacer les choses à leur juste mesure.
Le problème de l’équité se pose également. Pourquoi existe-t-il un traitement différent pour les conchyliculteurs et les agriculteurs ? Ainsi, le taux de vétusté forfaitaire, de l’ordre de 10 % pour les agriculteurs, sera pris en charge totalement par l’État pour la filière conchylicole.
La seconde remarque concerne les zones d’acquisitions amiables.
La mission est tout à fait favorable au principe selon lequel les terrains exposés à un risque naturel grave doivent être déclarés inconstructibles.
Toutefois, l’application de ce principe juste a souffert de trois problèmes : trop précipitation, pas assez de transparence et beaucoup de confusion dans l’expression publique.
La position que la mission avait définie dès le 14 avril dernier lors de sa visite en Charente-Maritime est sans équivoque et peut se résumer rapidement.
Les périmètres actuels n’ont pas de fondement juridique : ils donnent aux propriétaires la possibilité de vendre leur maison selon une procédure d’acquisition amiable. Je pense qu’il s’agit là d’un point positif pour tous les sinistrés qui veulent tourner la page.
Ces périmètres ne doivent pas être définitivement figés. Il faut au contraire qu’ils soient resserrés au terme des deux prochaines étapes : la constitution du dossier d’enquête publique – il faut profiter des mois qui restent à notre disposition pour mener des expertises complémentaires –, la procédure d’enquête publique avec des expertises contradictoires au cas par cas, parcelle par parcelle, avant l’expropriation.
Nous souhaitons que l’État étudie un mécanisme de compensation fiscale pour les communes qui subiront aussi une destruction de leur base fiscale.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous n’avons pas fini de gérer les conséquences de cette tempête. Mais il faut dès maintenant préparer l’avenir et ne pas se contenter de réagir à la dernière tempête. Car d’autres événements climatiques de cette nature surviendront, c’est une certitude.
Préparer l’avenir, c’est évaluer précisément les enjeux pour doter la France d’une véritable culture du risque. Ceux-ci sont de trois ordres.
Premièrement, en France, comme dans le reste du monde, les populations s’agrègent de plus en plus le long des estuaires et sur le littoral ; une délégation de l’ambassade du Japon le confirmait voilà quelques heures encore. La pression démographique et foncière ne se démentira pas sur ces zones.
Deuxièmement, le changement climatique accroîtra considérablement encore la vulnérabilité du littoral.
Ce changement climatique, qui entraîne une élévation du niveau de la mer, a été constaté dès le xxe siècle. De vingt centimètres au siècle passé, cette augmentation sera comprise entre cinquante centimètres et un mètre au cours du xxie siècle – tous les experts que nous avons rencontrés s’accordent sur cette estimation –, avec des conséquences impressionnantes en termes de surcote, donc de submersion marine, et de période de retour.
Les Néerlandais ont calculé qu’une élévation de cinquante centimètres du niveau de la mer ramenait la période de retour d’un événement centennal à dix ans !
Troisièmement, la culture du risque, c’est aussi la conscience du risque que peuvent avoir nos sociétés.
Or, vous le savez, nos sociétés, qui se considèrent hautement avancées sur les plans technologique et scientifique, ont progressivement tué l’idée même du risque, et par là même effacé la conscience du risque et affaibli la culture du risque.
La culture du risque, ce ne sont pas seulement des règles enfermées dans des codes. Nous sommes d’ailleurs sans doute les champions du monde des règles, mes chers collègues !