Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la mission commune d’information, mes chers collègues, la tempête Xynthia, ses 53 morts, ses 500 000 victimes, ses 2, 5 milliards d’euros de dommages marqueront certainement notre mémoire ; en tout cas, nous pouvons et nous devons l’espérer.
Cette tempête a provoqué l’indignation : comment se fait-il qu’un pays comme le nôtre n’ait pas été capable de prévenir sa population et de la protéger ? Le fait est là, terrible et indiscutable : nos connaissances n’ont été ni suffisantes ni suffisamment exploitées et notre organisation administrative a failli.
Notre rapport ne peut en effet se réduire à un examen des causes naturelles qui ont été rappelées ; ce serait une erreur considérable. Nous devons bien entendu aller au-delà et déterminer ce qui relève de notre responsabilité.
Celle-ci commence très tôt. Les dommages auraient été certainement très différents si nous nous étions inquiétés depuis longtemps d’un trait de côte fragilisé ou de cordons dunaires rompus.
Cependant, le pire maintenant serait d’oublier. Il est facile et souvent commode d’oublier, en retenant, par exemple, et je reprendrai ici les propos du président de la mission commune d’information, le fait que nous sommes en présence d’un risque centennal. Or, une telle fréquence théorique n’interdit pas que deux tempêtes se succèdent sur un intervalle de temps plus resserré demain, après-demain, l’année prochaine. Surtout, il suffit d’une augmentation de cinquante centimètres du niveau de la mer pour que nous passions d’un risque centennal à un risque décennal.
Xynthia peut donc devenir demain sinon une catastrophe ordinaire, du moins un événement ordinaire. Et c’est à nous, parlementaires, de faire en sorte que cet événement ordinaire ne devienne pas une catastrophe habituelle devant laquelle nous baisserions les bras.
Nous l’avons entendu cet après-midi : les armoires sont remplies de rapports sur les inondations ou les submersions, mais aucune décision n’est prise à l’issue de ces publications. C’est sans doute ce défi que nous devons relever.
Les Pays-Bas y sont parvenus avant nous. En 1953, ils ont connu une catastrophe qui a provoqué la mort de plus de 1 800 personnes. Ils ont alors changé l’ensemble de leur organisation administrative. Depuis, la submersion marine et les inondations n’ont plus fait une seule victime aux Pays-Bas.
Nous devons sans doute modifier notre manière de voir. J’examinerai avec vous quatre questions auxquelles notre mission a été confrontée.
La première, sans doute la plus médiatique, pas nécessairement la plus délicate, est celle de la délimitation des zones noires. Nous pensons que, dans certains lieux, dans certaines circonstances, il est de notre devoir d’évacuer les populations. Si notre position est claire quant au fond, elle l’est tout autant concernant la méthode : le procédé « à la hussarde » qui a été employé n’est pas satisfaisant. Les zones noires ont été pour 90 % d’entre elles créées en quinze jours, et ce davantage à l’appui de séries statistiques manipulées au sein de cabinets que lors de visites de terrain.
Cette approche technocratique a évidemment provoqué l’incompréhension et même, souvent, la colère, une colère qui perdure aujourd’hui encore. Elle a été perçue comme une sanction, là où était en réalité institué un droit de cession amiable dans de bonnes conditions.
Il me semble qu’il y a eu un manque de pédagogie et peut-être même d’humanité ; qu’il y a eu – excusez-moi pour ce terme, madame la secrétaire d’État – une cacophonie dans le vocabulaire employé par différents membres du Gouvernement ; qu’il y a eu des déclarations péremptoires sans véritable sens, la notion de zone noire n’ayant pas de fondement juridique. Tous ces éléments ont abouti à la confusion que nous avons constatée.
A contrario, dans d’autres départements, notamment dans celui dont Françoise Cartron et moi-même sommes les élus, nous avons eu la surprise de constater que des familles qui se sont retrouvées sur le toit de leur maison ne peuvent pas céder leur bien à l’amiable à l’État, ce qui, évidemment, provoque une inégalité devant la loi.
La deuxième question est celle de l’indemnisation. Elle n’est pas encore réglée.
Selon France Domaine, au 7 juin, 1 367 procédures d’acquisition avaient été engagées. L’estimation totale de l’indemnisation varie fortement : elle atteindrait 800 millions d’euros selon France Domaine, mais le ministre du budget indiquait il y a quelques jours une somme de 400 millions d’euros ; nous estimons pour notre part que le montant serait plus proche de 400 millions que de 800 millions d’euros.
Or, le fonds Barnier, chargé d’indemniser les victimes et de financer les digues, et dont les recettes annuelles ne dépassent pas 150 millions d’euros, dispose d’une trésorerie correspondant à 75 millions d’euros. Comment faire face aux indemnisations avec une telle somme ?
Plusieurs solutions peuvent être envisagées. Nous pourrions peut-être effectuer un prélèvement exceptionnel auprès de la Caisse centrale de réassurance, ou CCR, ce qui est envisageable dans la mesure où celle-ci dispose de liquidités importantes. Évitons en tout cas de faire appel à de nouvelles taxes comme certains l’ont proposé, en considérant par exemple que l’on pourrait prélever un complément sur les taxes du foncier bâti dans les communes.
Les collectivités locales ont également subi des préjudices, à l’instar des filières économiques, mais je ne reviendrai pas sur ce qu’a déjà développé M. Bruno Retailleau.
J’en viens à ma troisième question, que je tenterai d’examiner le plus rapidement possible : aurions-nous pu éviter les dommages ?
À cet égard, nous sommes face à un paradoxe : la prévision de la tempête a été parfaitement exacte, les cartes de Météo France ont donné des prévisions justes, mais l’impact sur la terre n’a pas été bien calculé, et nous n’avions pas d’informations sur les effets de la submersion dans telle ou telle commune.
Il y a là un manque de connaissances, qui tient sans doute à des raisons techniques, mais aussi au morcellement de l’intelligence. Nous avons constaté au sein de la mission d’information que les personnes intelligentes étaient nombreuses mais qu’elles travaillaient dans des pièces différentes sans jamais se parler ou mettre en commun leurs savoirs.
Par ailleurs, la mission a mis en évidence un dispositif d’alertes controversé. Les préfectures considèrent qu’elles ont fait leur travail en transmettant aux maires les informations dont elles disposaient. Les maires que nous avons rencontrés se sont plaints de ne disposer que d’une information disparate ne leur permettant pas de prendre des décisions ; il pouvait s’agir d’une simple carte de Météo France ou d’une indication de surcote d’un mètre pour une commune non déterminée.
Comme l’a indiqué l’un des maires que nous avons interrogés : « trop d’alertes tue l’alerte ». Quand trente alertes sont décrétées au cours d’une année, c’est-à-dire deux ou trois fois par mois, et qu’il ne se passe rien, les populations ne donnent plus de crédit aux élus qui en sont à l’origine.
La prévention s’est révélée quant à elle gravement incomplète.
En Vendée et en Charente-Maritime, deux départements qu’il ne faut pas stigmatiser car cet événement aurait pu toucher d’autres départements, seules 46 communes disposent d’un plan de prévention approuvé et les plans communaux de sauvegarde sont très peu nombreux. Ce laxisme, si on peut dire, a abouti à la construction de 235 000 maisons entre zéro et moins deux mètres en dessous du niveau de la mer. Il faudra évidemment examiner à qui incombe la responsabilité de cette lacune.
La tendance naturelle qui se dessine est donc la suivante : le maire est rendu responsable, il est le bouc émissaire. Une telle logique révèle une méconnaissance totale de la procédure du permis de construire. La demande est, le plus souvent, instruite par les services de l’État, en l’espèce toujours par les services de l’État dans les communes concernées. Le maire, sur l’avis du service de l’État, délivre le permis de construire, puis le service de légalité, qui dépend encore de l’État, juge de la conformité de l’autorisation aux normes en vigueur.
Malheureusement, le service de légalité a failli. Nous avons constaté que sur l’ensemble des actes déférés au tribunal administratif, seulement 0, 024 % concernent des autorisations de construire.
L’explication nous a été très clairement donnée : RGPP oblige, faute de disposer des moyens d’exercer le contrôle de légalité qui leur revient, les préfectures ne peuvent plus procéder que par échantillonnage, ce qui explique ce chiffre tout à fait insatisfaisant.
Je terminerai mon propos en évoquant le plan « digues ». Madame la secrétaire d’État, je saisis la chance de votre présence pour vous le dire très nettement : ne renouvelez pas, avec le plan « digues », l’erreur de précipitation qui a été commise avec les zones noires ou les zones de solidarité ! Je vous le dis en toute franchise, si le plan « digues » nous tombe brutalement sur la tête du haut d’un ciel technocratique, ce ciel qui sait tout, cela n’ira pas ! Un bon plan « digues », c’est un plan qui a fait l’objet d’une concertation, notamment avec les élus parfaitement avertis de l’état des ouvrages qui sont les leurs.
Je vous mets également en garde contre le risque de confondre plan « digues » et plan de protection. Il faut absolument qu’il y ait un plan de protection des populations ! Cela commence, par exemple, par le cordon dunaire. Renforçons les cordons dunaires avec du sable, réensablons les plages, comme les Hollandais savent très bien le faire ! Construisons des digues là où il le faut, rehaussons-les, ne serait-ce que pour tenir compte de l’élévation du niveau de la mer. Et puis, derrière ces digues, étudions la possibilité de constructions alternatives, soumises à des normes qui pourront différer des normes habituelles. Peut-être faudra-t-il parfois interdire purement et simplement les constructions.
Contraint par le temps qui m’est imparti, je ne peux évoquer tous les sujets. Je tiens néanmoins à dire que la digue doit être aussi un outil d’aménagement paysager. Qu’elle ressemble à un mur de béton, et elle « tuera », en quelque sorte, la commune où elle est implantée ! Elle doit être intégrée dans le paysage, qu’il soit urbain ou rural. Vous y parviendrez en créant, par exemple, des pistes cyclables sur cet espace, qui peut aussi accueillir des animations. Bref, faisons de la digue un élément qui attire le touriste au lieu de le faire fuir !
Comme l’a dit M. Retailleau, il faudra régler la question du financement et mettre en place une gouvernance des digues.
Je voudrais terminer en disant qu’il ne faut pas se tromper d’enjeu. Oui, il nous manque encore certaines connaissances – on peut toujours en avoir davantage ! Oui, il nous manque et il nous manquera toujours de l’argent ! Mais ce qui nous manque le plus, je peux l’affirmer, après tant d’années, après le rapport d’Éric Doligé, après la situation que nous avons connue à Vaison-la-Romaine, après d’autres rapports rendus sur des phénomènes similaires sans être identiques, ce qui nous manque le plus, c’est la volonté politique !