Je ne reviendrai pas sur la problématique des digues, qui vient d’être développée par mon collègue Daniel Laurent, mais j’évoquerai une question particulièrement sensible, celle de la cartographie des zones à risques, qui a provoqué, dès son annonce, ire, incompréhension, exaspération ou encore sentiment d’injustice, … la liste des qualificatifs n’étant malheureusement pas exhaustive.
Une fois encore, ce sont les élus et les sinistrés, qui se sont constitués en associations, qui doivent faire l’interface avec les services de l’État pour que l’intérêt collectif, mais également individuel, soit pris en compte.
En effet, l’annonce de la cartographie des « zones noires ou de solidarité » – à vrai dire, on s’y perd ! – a suscité une vive émotion parmi la population. Nous avons tous reçu, au lendemain de l’annonce, pléthore de messages circonstanciés arguant du caractère ubuesque de ces classifications, d’appels à l’aide – le mot n’est pas trop fort –, d’expertises fortement documentées ; je pense notamment aux travaux de l’université de La Rochelle sur l’histoire des submersions marines, ou vimers, pour reprendre une terminologie rétaise, ou encore au colloque actuellement en préparation sur les littoraux à l’heure des changements climatiques.
Ce sentiment d’injustice a été décuplé par le manque total de transparence du processus de zonage et le refus de communication aux victimes et aux élus des études ayant servi à l’élaboration de la cartographie, entraînant de facto suspicion et confusion.
Aux termes de la circulaire du 18 mars 2010, sont considérées comme « zones de solidarité » les zones remplissant au moins deux des critères suivants : hauteur d’eau constatée sur le terrain supérieure à un mètre ; zone située à moins de 110 mètres d’une digue ; phénomènes hydrauliques induisant une forte vitesse de montée des eaux ; habitations fortement endommagées ne pouvant être reconstruites avec un refuge ; zone formant un ensemble cohérent et homogène et ne créant pas de mitage – le maintien de propriétés éparses risque en effet de rendre l’évacuation plus difficile.
Ce zonage est complété par les « zones jaunes », définies comme zones à risques, qui seront grevées de prescriptions particulières de protection, et les « zones orange », pour lesquelles une expertise complémentaire est en cours.
Ainsi, des maisons ont été classées en « zone de solidarité » alors qu’il n’y avait pas eu de submersion, tandis que d’autres sinistrés demandaient en vain leur classement « en zone de solidarité » ; je pense notamment au secteur de Pied-du-Coteau sur la commune de Port-des-Barques, déjà fortement touché par la tempête de 1999, et dont les résidents demandent leur classement en « zone de solidarité » ou, comme le souhaite la mission sénatoriale, en « zone d’acquisition amiable ». L’incompréhension est donc totale.
En voulant éviter de maintenir les sinistrés dans une situation d’incertitude, on a établi une cartographie en un temps record, en faisant l’impasse sur de nombreuses données pourtant essentielles, mais surtout en omettant de procéder à une vérification in situ et de mener une concertation avec la population et les élus.
Par exemple, le plan de submersion de l’île d’Aix, remis par les services du département, comportait, d’après ce que le maire nous a rapporté, de nombreuses lacunes, les « experts » ayant travaillé sur un plan de nivellement incomplet et n’ayant pas pris l’attache de la mairie.
Résultat : aujourd’hui, l’incertitude demeure sur l’avenir de ces maisons, et cette situation est fortement anxiogène. Aux Boucholeurs, chez notre collègue député Jean-Louis Léonard, un nouveau zonage a été réalisé à la suite d’expertises complémentaires : des maisons passeraient ainsi en zone jaune, quand d’autres deviendraient « noires ». Or ce nouveau zonage ne convient absolument pas aux élus, en raison de son manque de réalisme.
Les communes et les riverains qui demandent leur classement en « zone d’acquisition amiable », pour reprendre la terminologie idoine, ont déjà travaillé sur des plans de reconstruction, mais n’ont à ce jour aucune visibilité sur une programmation éventuelle, alors que les conséquences sont vitales pour l’avenir et la pérennité même de communes comme Charron.
Les maires des communes de Fouras et d’Yves nous faisaient part de l’absence de dialogue et de concertation qui a précédé l’annonce du zonage, laissant les élus seuls face à une population qui commence à se diviser en comparant les propositions faites aux uns et aux autres. Avec les nouveaux zonages proposés hier, ils ont de nouveau l’impression que leur expertise du terrain n’a jamais été prise en compte. On s’achemine vers de douloureux contentieux.
Selon les conclusions d’une expertise rédigée par M. Thierry Sauzeau, géohistorien du littoral, sur le quartier de La Perrotine dans l’île d’Oléron, « le système hydraulique peut être remis en état pour un coût raisonnable. Malgré l’abandon dont a fait l’objet ses défenses traditionnelles, le village de La Perrotine apparaît bien moins exposé que sa submersion, durant sept marées consécutives, ne le laisse croire ».
Les élus des zones insulaires ont demandé une étude au cas par cas, en tenant compte d’éléments objectifs d’évaluation, la restauration des protections existantes et la mise en œuvre effective d’un plan communal de sauvegarde. Les îliens sont exposés à des risques spécifiques dont ils ont parfaitement conscience et qu’ils ont acceptés.
Bien entendu, le zonage est un travail difficile et délicat, mais les sinistrés ont besoin d’avoir des réponses rapides. Tous veulent tourner la page au plus vite, on doit les écouter et les entendre.
L’indemnisation des « zones d’acquisition amiable » doit être recherchée en priorité, et gageons qu’il ne sera pas nécessaire de recourir à des expropriations.
Il y a donc des alternatives à la « destruction ou à la délocalisation ». Ayons une approche raisonnée et raisonnable du principe de précaution. Nous avons des efforts à faire en matière de gestion du risque, à l’instar de ce qui existe aux Pays-Bas.
Le renforcement de la protection de nos côtes doit être une priorité et les moyens financiers doivent être à la hauteur de l’ampleur de la tâche, tout comme la protection et la sauvegarde des populations. Une réflexion doit également être engagée sur les modes de construction adaptés au risque de submersion.
Aujourd’hui, quelles réponses concrètes peut-on apporter aux élus et aux sinistrés sur l’arrêt définitif de la cartographie, notamment celle des « zones orange », et sur les délais d’indemnisation des particuliers et des agriculteurs ?