Les modifications apportées par l'Assemblée nationale complètent et précisent le texte voté par le Sénat en première lecture. Sous réserve des quelques modifications rédactionnelles que nous vous proposerons conjointement, je vous inviterai à adopter le projet de loi dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.
À l'article 1er, qui vise à reconnaître des droits au suspect entendu dans le cadre d'une audition libre, l'Assemblée nationale a apporté plusieurs clarifications bienvenues.
Deux points méritent examen. Le premier concerne le droit du « suspect libre » d'être assisté lors de son audition par un avocat. Sur proposition de sa commission des lois, l'Assemblée nationale a précisé que les modalités d'accès à l'aide juridictionnelle devraient être «brièvement rappelées [au suspect], le cas échéant au moyen d'un document ou d'un affichage dans les locaux des services d'enquête ». Nous vous proposerons une rédaction commune pour simplifier cette rédaction.
En outre, la rédaction de l'Assemblée nationale pose l'obligation d'indiquer dans la convocation écrite, que l'officier de police judiciaire pourra adresser à la personne suspectée, le droit d'être assistée par un avocat, les lieux où elle peut obtenir des conseils juridiques ainsi que la nature de l'infraction, « sauf si les nécessités de l'enquête ne le permettent pas ». Cette formulation risque d'ouvrir la voie à des contestations de la part des avocats des personnes interrogées. En accord avec la chancellerie, nous vous proposerons une rédaction plus souple, qui précise qu'il appartiendra aux seuls officiers de police judiciaire de juger si le déroulement de l'enquête permet de mentionner, sur la convocation, la nature de l'infraction reprochée.
À l'article 3, relatif à la garde à vue, l'Assemblée nationale a procédé à plusieurs modifications d'ampleur inégale, susceptibles d'être adoptées en l'état, sous réserve d'ajustements rédactionnels. Je salue la solution assez habile que l'Assemblée nationale a trouvée pour les gardes à vue prolongées en matière d'escroquerie en bande organisée. Dans sa décision du 4 décembre 2013 sur le projet de loi relatif à la fraude fiscale, le Conseil constitutionnel a jugé qu'il était disproportionné d'autoriser des gardes à vue de quatre jours pour des infractions de corruption et de fraude fiscale en bande organisée. La rédaction votée par le Sénat, sur proposition du Gouvernement, rendait impossible, par cohérence, le recours à des gardes à vue prolongées pour des faits d'escroquerie en bande organisée, ce qui a légitimement inquiété les services d'enquête. Le texte adopté par les députés prévoit un régime dérogatoire, à condition d'être spécialement motivé, dans trois hypothèses : si les faits portent atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes ; s'ils portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ; ou si l'un des faits constitutifs de l'infraction a été commis hors du territoire national. En outre, le report de l'intervention de l'avocat au-delà de 48 heures ne sera plus possible pour ces faits. Cet amendement, travaillé avec les services de la chancellerie, constitue une bonne façon de nous conformer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel tout en autorisant les services d'enquête à pouvoir continuer à réaliser des gardes à vue de quatre jours pour des faits susceptibles d'être particulièrement complexes, comme dans le cas de la fraude à la taxe carbone par exemple. Je soutiens cette rédaction.
À cet article 3, nous ne vous proposerons qu'une précision rédactionnelle s'agissant des modalités concrètes dans lesquelles une personne gardée à vue peut demander au magistrat de mettre un terme à la mesure lorsqu'elle n'est pas effectivement présentée à ce dernier.
Les modifications apportées par les députés aux autres articles du projet de loi ne posent pas de difficultés.
L'article 1er bis, introduit au Sénat pour permettre à la victime d'être assistée par un avocat lors des confrontations, a été voté conforme.
En outre, les députés sont revenus en séance publique sur l'amendement voté en commission des lois ouvrant à l'avocat l'accès à l'intégralité du dossier en garde à vue. Lors de la première lecture, nous avions souligné les difficultés qu'une telle modification pourrait entraîner. En outre, le droit communautaire permet d'exclure une telle possibilité : nous ne sommes pas en infraction sur ce point.
Enfin, l'Assemblée nationale a introduit un article 6 ter, afin de permettre à une personne détenue faisant l'objet d'une procédure disciplinaire d'avoir accès aux enregistrements de vidéo-surveillance pour l'exercice des droits de la défense. Dans plusieurs cas, en effet, des détenus se sont vu refuser l'accès à de tels documents alors que les images de vidéo-surveillance permettaient d'établir les faits qui leur étaient reprochés. Le Défenseur des droits a été saisi. Une récente décision de la cour administrative d'appel de Lyon a validé ce type de pratique, qui soulève un problème du point de vue du respect des droits de la défense. D'une façon plus générale, le 25 avril 2014, le Conseil constitutionnel a rappelé qu'« il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux personnes détenues ; que celles-ci bénéficient des droits et libertés constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à la détention ». Or, à l'heure actuelle, les conditions d'accès au dossier disciplinaire et les restrictions apportées aux droits de la défense sont définies par un décret et par une circulaire du 9 juin 2011. Avec la rapporteure de l'Assemblée nationale, nous vous proposerons de les inscrire dans la loi.