Les restrictions à la liberté d’opinion ne seraient valables constitutionnellement que si elles sont proportionnées. Très bien !
Tout d’abord, le négationnisme n’est pas une opinion ; c’est un délit qui porte atteinte gravement à la dignité et à l’identité des victimes et de leurs descendants.
Ensuite, vous relevez qu’aucun discours de nature comparable à l’antisémitisme ne paraît viser aujourd’hui en France nos compatriotes d’origine arménienne. Permettez-moi de dénoncer la confusion. La loi Gayssot ne sanctionne pas uniquement l’antisémitisme, elle incrimine la négation de la Shoah. C’est tout de même différent !
Cette proposition de loi vise précisément à rayer de notre droit de telles comparaisons malsaines entre les victimes de négationnisme. Monsieur le président de la commission, vous vous en expliquerez tout à l’heure, mais la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité que vous avez déposée me semble bien plus guidée par la volonté de faire échouer l’adoption de ce texte que par de réels motifs d’inconstitutionnalité.
Mes chers collègues, le génocide est une forme extrême de crime contre l’humanité. Il est défini par le statut de Rome, acte fondateur de la Cour pénale internationale, comme « l’extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d’un groupe ethnique, national, religieux ou racial ». Le génocide arménien de 1915 a été reconnu dans une loi de la République le 29 janvier 2001. Pouvons-nous accepter qu’il soit impunément nié sur notre territoire ?
Le samedi 30 avril dernier, une délégation du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France, le CCAF, a été reçue par M. le Président de la République. M. Sarkozy a garanti qu’il ne s’opposerait pas au vote de cette proposition de loi, qu’il laisserait le Sénat libre de déterminer son vote et qu’il maintenait sa position sur la nécessité de combattre le négationnisme du génocide des Arméniens en France. Nous prenons acte de cette avancée.
En rejetant la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité déposée par M. Hyest, au nom de la commission des lois, et en adoptant cette proposition de loi, le Sénat s’honorera au nom des valeurs humanistes, démocratiques et républicaines qui sont les nôtres.
C’est le fondement même d’une démocratie que d’établir des règles et de faire en sorte que la liberté de l’un n’entrave pas celle de l’autre. La pénalisation de la négation de la Shoah n’a jamais entravé le travail des historiens. Nous ne pouvons plus longtemps nous montrer complices d’une censure en acceptant l’histoire officielle d’une nation qui n’a pas encore fait son travail de mémoire.
Il ne saurait être question en aucune façon de considérer l’actuelle Turquie comme responsable du génocide des Arméniens. Nous voulons simplement dire aux autorités turques qu’un État aussi grand ne peut s’affaiblir en regardant en face son passé. Par ce geste fort, en votant cette proposition de loi, nous éliminerons sur notre territoire la concurrence malsaine entre les victimes du génocide, entretenue par leur inégalité au regard de la loi.