Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la reconnaissance du génocide arménien et la pénalisation de sa contestation sont des combats que le groupe socialiste et apparentés du Sénat continue de mener depuis plus de vingt ans.
François Mitterrand, mais aussi Jacques Chirac et de nombreux parlementaires, de gauche comme de droite, ont dit leur volonté de voir reconnue une tragédie que certains, aujourd'hui encore, cherchent à nier.
C’est il y a dix ans, le 29 janvier 2001, que Jacques Chirac, alors Président de la République, a promulgué une loi par laquelle « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915. »
Je ne reviendrai pas ici sur la funeste date du 24 avril 1915, qui a vu l’élite arménienne de Constantinople massacrée par les agents d’un régime aveugle, massacre qui a conduit à l’extermination de plus de 1 million de personnes. Il s’agissait, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, du premier génocide du XXe siècle. Des historiens et spécialistes de l’Holocauste, dont Elie Wiesel et Yehuda Bauer, ont fait connaître publiquement leur position à l’orée de ce siècle pour que soit déclarée « incontestable la réalité du génocide arménien et inciter les démocraties occidentales à le reconnaître officiellement ».
En reconnaissant l’existence de ce génocide, la République française a donc symboliquement rendu au peuple arménien la part que certains ont cherché à effacer, à détruire, il y a plus de quatre-vingts ans.
L’Assemblée nationale a voté, le 12 octobre 2006, la pénalisation de la négation du génocide arménien.
Aujourd’hui, je veux insister sur la nécessité qu’il y avait, alors, à légiférer. Mille six cent soixante-trois jours après, la niche parlementaire socialiste permet de poursuivre le travail législatif des députés et met entre les mains des sénateurs une véritable responsabilité.
Devant vous, mes chers collègues, face à des tribunes où je reconnais nombre de visages, conscient de la gravité de cette discussion, je veux, en citant Stefan Zweig, souligner que « presque toujours, la responsabilité confère à l’homme de la grandeur ».
Oui, notre assemblée est face à ses responsabilités. Aujourd’hui, le débat sur la légitimité du Parlement à légiférer ou non est dépassé ; il relève du passé ! Aujourd’hui, nous avons le devoir d’être cohérents avec ce que nous avons voté en reconnaissant les moyens de sanctionner la négation du génocide.
Un parlementaire ne peut accepter que l’on contrevienne impunément à une loi de la République.
Je me permets d’insister sur la valeur d’exemplarité et le caractère préventif de la sanction pénale, qui ne peut – je vous le concède, mes chers collègues – être une fin en soi. L’heure n’est pas aux débats techniques ou juridiques, mais elle est bien au pragmatisme.
Permettez-moi, tout de même, de préciser qu’une loi prévoyant une sanction pénale ne limiterait pas la liberté d’expression. Cette dernière est encadrée, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Je ne suis pas juriste, mais je n’ignore pas qu’une loi ne doit pas être contraire à une convention internationale liant la France. Cependant, en l’absence d’une telle convention, il est logique que le peuple souverain, par l’intermédiaire de ses représentants, puisse voter une loi qu’il considère comme juste.
Quant à la question de la constitutionnalité de la présente proposition de loi, elle me laisse un goût amer : le bon sens aurait voulu que cette question soit soulevée en 2001. Est-il réellement utile et, surtout, est-il réellement judicieux de revenir dix ans après sur cet aspect du dossier ? L’argument est-il véritablement à la hauteur des responsabilités qui sont les nôtres face à l’attente de nos concitoyens d’origine arménienne et à la réalité sordide du négationnisme ?
J’insiste sur le fait que le négationnisme n’est pas un mode d’expression comme les autres ; son objectif premier est de falsifier l’histoire pour nier une réalité historique et effacer toute trace des génocides de la mémoire collective, voire de minimiser certains faits historiques. Personne ne doit accepter une telle attitude.
Je conclus mon propos en réaffirmant que garantir à chacun le respect auquel il a droit en tant qu’être humain est un instrument efficace pour combattre le communautarisme.
Enfin, il me semble que la société turque est plus courageuse que bon nombre d’entre nous, puisqu’elle est capable d’organiser des manifestations pour commémorer le 24 avril 1915, …