Intervention de Josselin de Rohan

Réunion du 4 mai 2011 à 14h30
Répression de la contestation de l'existence du génocide arménien — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan :

Le déplacement à Erevan du président Abdullah Gül va dans ce sens. Nous saluons cette démarche et demandons qu’elle soit suivie de nouveaux gestes qui témoignent de la volonté turque d’entrer dans la voie de la coopération et de la paix véritable avec l’Arménie.

Le signe qu’un dégel s’amorce est le fait notable que de nombreux citoyens turcs qui avaient jusqu’alors caché leurs origines arméniennes n’hésitent plus, désormais, à les dévoiler et à les revendiquer. Cela n’eût pas été possible il y a seulement cinq ans. C’est aussi le signe que quelque chose a changé en Turquie ; nous devons accompagner ce mouvement.

Ce qui rend, à mes yeux, cette proposition de loi inacceptable, ce sont les graves dérives auxquelles elle risque de conduire.

Punir de 45 000 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement quiconque aura contesté le génocide arménien et ouvrir à toute association se proposant de défendre les intérêts moraux des victimes du génocide arménien la possibilité de se porter partie civile en cas d’infraction supposée à la loi, voilà qui mène à tous les abus.

Nous en avons eu un exemple à propos de l’affaire Pétré-Grenouilleau. Qualifié par ses pairs d’« historien dont le travail irréprochable n’a jamais rien fait qui contredise les devoirs de l’historien et du citoyen », M. Olivier Pétré-Grenouilleau a été traduit devant les tribunaux par un collectif de Guyanais, d’Antillais et de Réunionnais pour avoir refusé de qualifier l’esclavage de « génocide » parce qu’il estimait, en conscience, qu’en l’occurrence le terme ne s’appliquait pas à cette catégorie de crimes contre l’humanité. Il avait également fait ressortir dans son ouvrage qu’un certain nombre de potentats ou de chefs de tribu africains avaient contribué à fournir des esclaves aux négriers, et cela aussi avait été attaqué.

Avec la proposition de loi que l’on nous propose, il en sera de même pour quiconque émettra le moindre doute sur les intentions de tel ou tel homme politique turc en 1917 de procéder à l’élimination systématique des Arméniens, ou sur l’étendue et la portée des massacres dans telle ou telle partie du territoire turc. Toute interrogation, toute critique sur ce point pourraient devenir délictuelles.

Désormais, il appartiendra au juge de dire l’histoire. Quiconque l’interpréterait dans un sens contraire à la vérité établie sera sanctionné. Mais, pas plus que le législateur, le juge n’a capacité à établir l’histoire.

Quel historien, dans ces conditions, se hasarderait à traiter d’un sujet qui l’exposerait aux foudres des associations de défense des victimes ? Faudra-t-il que les chercheurs publient à l’étranger les résultats de leurs travaux pour être sûrs de ne pas être dénoncés ? Faudra-t-il qu’ils s’exilent pour poursuivre leurs recherches ?

Comme le disait René Rémond, « c’est un trait des régimes totalitaires que de s’arroger le droit de tordre l’histoire à leur avantage et d’exercer un contrôle sur ceux dont c’est le métier d’établir la vérité en histoire ». Est-ce la voie sur laquelle veulent nous engager les auteurs de la proposition de loi ?

Pierre Nora, quant à lui, estime qu’« à travers la remise en cause de la recherche historique, c’est plus généralement la liberté de penser et de communiquer de tous les citoyens qui est en question ».

Je n’hésite pas à le proclamer, cette proposition de loi est liberticide, inquisitoriale et obscurantiste. Elle heurte la communauté des historiens, unanimes à en condamner l’esprit comme la lettre, car elle est une grave entrave à leur tâche.

Permettez-moi, enfin, de m’adresser à nos compatriotes d’origine arménienne.

Le génocide arménien, qui est l’un des pires crimes commis contre l’humanité, est un fait reconnu de tous. Nous l’avons transcrit dans la loi. Nous partageons votre souci de ne pas voir s’effacer la mémoire de ce forfait. Nous éprouvons de la compassion face à la douleur de vos pères, dont vous portez encore les stigmates.

Mais, si désireux que vous soyez de témoigner de votre histoire, vous ne pouvez pas exiger que la défense de vos intérêts moraux soit assurée aux dépens des droits fondamentaux garantis par notre Constitution que sont la liberté de parole et la liberté d’expression.

C’est justement parce que la France est une terre de liberté que tant des vôtres ont voulu s’y établir. C’est pour notre liberté que sont morts des hommes tels que Missak Manouchian et ses compagnons. N’écoutez pas ceux qui veulent dévoyer votre cause en l’entraînant sur la voie du communautarisme et de l’extrémisme ! Elle est trop juste pour que vous la laissiez altérer.

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