Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 15 mai 2014 à 9h30
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Christiane Taubira, garde des sceaux :

C’est sur la base de la réflexion conduite par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté que nous avons nourri notre propre pensée, et que vous avez pu, mesdames, messieurs les sénateurs, élaborer la présente proposition de loi.

Ce texte ajoute un élément supplémentaire de rupture avec la perception de l’ordre carcéral comme ordre très particulier : il reconnaît la prison comme espace de droit et le détenu comme sujet de droit. J’évoquais voilà un instant les mesures prises dans les années quatre-vingt ; je pense notamment à la mesure de suppression des dispositifs d’isolement dans les parloirs, que j’ai déjà mentionnée en ces lieux et qu’il me paraît significatif de rappeler afin de ne pas oublier ce qui existait alors : grâce à cette mesure, les familles venant rendre visite à un détenu peuvent désormais s’en approcher, le toucher, alors que c’était absolument impossible jusqu’alors.

Ce texte de loi vient en quelque sorte parachever cette évolution réelle, importante, même s’il restera sans doute encore des choses à faire. Mais c’est le propre de la vie humaine et de la vie en société, mesdames, messieurs les sénateurs, que de prévoir, sur la base de principes clairement établis, la façon dont les choses peuvent évoluer et de préparer l’opinion publique à accepter ces changements.

J’en viens aux principales dispositions désormais contenues dans la présente proposition de loi, ne citant que celles qui ont été modifiées par l’Assemblée nationale. Je pense tout d’abord à la possibilité pour les députés européens élus en France de saisir le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, alors que cette compétence était jusqu’alors réservée au Premier ministre, aux membres du Gouvernement, aux membres du Parlement ou au Défenseur des droits. D’ailleurs, c’est très logique : la loi de 2000 les avait associés à la possibilité, reconnue aux parlementaires français, de visiter de manière inopinée nos établissements pénitentiaires.

Du fait de la présente proposition de loi, le Contrôleur général pourra désormais avoir accès aux procès-verbaux équivalents aux procès-verbaux de garde à vue, c'est-à-dire ceux qui sont dressés dans les autres lieux de privation de liberté, que la privation soit exercée sous la responsabilité de la police, de la gendarmerie ou de la douane. Je pense notamment aux lieux de retenue pour vérification du droit au séjour ou pour vérification d’identité.

Le Contrôleur général pourra également émettre un avis sur les projets de construction, de restructuration ou de réhabilitation de tout lieu de privation de liberté.

En outre, l’Assemblée nationale a introduit une modification relative au délit d’entrave. Alors que vous aviez prévu à cet égard un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, les députés ont retenu les 15 000 euros d’amende et supprimé l’année d’emprisonnement. Ils ont cependant étendu le champ d’application du délit aux représailles. Nous avons donc, en amont, le délit d’entrave et, en aval, les éventuelles représailles. Ce sont les principales dispositions qui ont été amendées.

Je le disais, la proposition de loi parachève une dynamique, même si elle ne l’achève pas. C’est une dynamique importante, celle qui consiste à poser le principe de limitation aux droits fondamentaux. Le détenu fait l’objet d’une restriction, voire d’une suppression de liberté, prononcée par l’institution judiciaire. Mais, dans une décision du 25 avril 2014 sur une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a lui-même rappelé que les droits et libertés garantis constitutionnellement s’appliquaient également aux détenus, dans la limite évidemment des exigences liées à l’exercice des missions publiques de l’administration pénitentiaire.

Nous sommes donc totalement dans une logique d’équilibre entre le respect des droits fondamentaux des détenus, qui ne peuvent être limités que de manière strictement nécessaire, le besoin d’impliquer le détenu dans la préparation de sa sortie et, bien entendu, les exigences liées à l’exercice de la mission publique qui incombe à l’administration pénitentiaire.

Il importe de le rappeler, il y a là une évolution juridique absolument indispensable, non seulement pour nous conformer à notre État de droit, mais aussi pour faire de la prison une institution républicaine et un lieu où l’incarcération est utile.

Il ne sert à rien de reconnaître – les membres de la Haute Assemblée savent très bien le faire depuis plusieurs années, et nous le faisons également au sein du Gouvernement – l’importance et la qualité de l’action menée par les personnels pénitentiaires, mais aussi la difficulté de leurs conditions de travail à l’intérieur des établissements si, par la loi ou les politiques publiques, nous contribuons à rendre l’exercice de leurs missions encore plus compliqué !

Il faut que le temps d’incarcération soit utile. Il faut que le détenu soit acteur de l’exécution de sa peine. Il faut que le détenu soit fortement impliqué dans la préparation de sa sortie, afin de prévenir la récidive. Pour cela, il est indispensable de faire en sorte par la loi et les politiques publiques que la prison soit bien une institution républicaine et s’inscrive bien dans un État de droit.

L’action menée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté y contribue. Les dispositions nouvelles que vous allez accorder à l’institution sont de nature à améliorer encore l’exécution de sa tâche. §

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