Intervention de Virginie Klès

Réunion du 15 mai 2014 à 9h30
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, intervenir la dernière est un exercice périlleux parce que j’ai clairement l’impression que tout a été dit, tout sauf peut-être cette expérience que j’ai vécue et que j’ai envie de vous faire partager.

Exemplarité, rayonnement, valeurs, République, éthique, liberté et respect sont des termes qui sont en effet revenus très fréquemment ce matin à cette tribune : belle unanimité aujourd'hui au Sénat !

Depuis une semaine, je me suis interrogée sur les raisons de cette unanimité. Elle s’explique peut-être tout simplement par la façon de fonctionner du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, que j’ai pu comprendre lors d’une visite inopinée que j’ai faite avec une de ses équipes dans des locaux parisiens de garde à vue.

Manifestement, notre visite était une surprise totale. Le secret avait été parfaitement gardé. Je dois avouer que, moi-même, j’ignorais où nous allions ; je savais simplement qu’il s’agissait de locaux de garde à vue situés en région parisienne, et ils sont nombreux.

L’équipe du Contrôleur général travaille, si nécessaire, dans la confidentialité la plus parfaite, ce qui a permis cette visite réellement inopinée. Pour autant, il n’était ni question de tendre un piège ni de venir en inquisiteurs. Nous venions voir comment les choses fonctionnaient au jour le jour, tant pour les personnes privées de liberté, et uniquement de liberté, que pour celles chargées de surveiller cette privation de liberté.

Quand vous dites que vous venez au nom du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, vous êtes accueilli avec surprise, crainte – c’est normal, personne n’aime se faire inspecter ! –, mais aussi respect par des personnes qui ont une parfaite connaissance de l’institution et de ses droits.

Là encore, cela montre l’efficacité de l’équipe du Contrôleur général, qui n’a besoin ni de se présenter plus avant ni d’affirmer ce à quoi elle a droit : en l’occurrence, tout cela était parfaitement connu et a été parfaitement respecté.

Les premiers contrôles portent sur ce qu’il est facile de rectifier ou de modifier. L’équipe est professionnelle : elle sait parfaitement ce qu’il faut immédiatement aller voir. Là encore, le but était non pas de chercher à punir ou de faire de l’inquisition, mais de comprendre comment les choses se passaient dans ces locaux de garde à vue.

La visite a donc été menée avec professionnalisme, mais avec simplicité, aussi, toujours dans le respect de ceux qui étaient en face de nous – les gardés à vue comme le personnel qui œuvrait dans ces locaux – et le souci du détail : chaque élément recueilli était analysé et vérifié. Les entretiens avec le personnel et les gardés à vue étaient de réels dialogues : la personne qui posait des questions écoutait les réponses sans a priori, les notait, faisait préciser certains points, soulevait d’autres questions et manifestait sa curiosité - une curiosité non pas malsaine, mais bien au contraire très saine -, en vue de savoir, comprendre et enregistrer.

Grâce à la sincérité de ces échanges, le personnel, au début réticent et qui exprimait une certaine crainte– c'est, je le redis, tout à fait normal –, s’est peu à peu laissé « apprivoisé », et s’est de plus en plus livré, comprenant que l’équipe était là non pour le juger, mais pour entendre, noter et analyser, peut-être proposer des pistes d’amélioration et de nouvelles voies à explorer.

Le dialogue a aussi eu lieu avec les gardés à vue. Ils savaient parfaitement qui était le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et étaient heureux de lui parler. Là encore, il n’y avait pas de jugement a priori sur la sincérité des uns et des autres. Les informations qu’ils nous ont apportées ont également fait l’objet de vérifications, dans un échange toujours empreint de respect et marqué du souci de l’écoute.

Le professionnalisme, le souci du détail, l’écoute permanente, le respect de l’autre ont sans doute été pour moi les éléments les plus marquants de cette visite de locaux de garde à vue.

Ensuite, chacun des collaborateurs de l’équipe a rédigé un compte rendu à partir d’un questionnaire, en faisant sa propre analyse de la situation. Ces documents ont été mis en commun. Tout a été de nouveau discuté entre les collaborateurs, qui forment véritablement une équipe, au sens le plus profond du terme. Chacun des détails a été pesé, soupesé, certains remis en perspective, d’autres relativisés. Le rapport final a bien évidemment été soumis, selon le principe du contradictoire, à ceux qui ont été inspectés.

Voilà comment j’ai compris pourquoi on peut faire l’unanimité sur les travées de notre Haute Assemblée lorsque l’on parle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Tous les qualificatifs qui ont été employés, j’en ai éprouvé la pertinence, à un moment ou à un autre, lors de ces quelques jours passés avec une équipe de Jean-Marie Delarue dans des locaux de privation de liberté.

C’est pourquoi je remercie encore le rapporteur et coauteur de cette proposition de loi, Mme Catherine Tasca, d’avoir compris la nécessité d’inscrire aujourd’hui dans la loi ces améliorations relatives aux modes d’enquête et de fonctionnement de l’institution – je pense notamment au secret médical et aux sanctions en cas d’entrave à l’activité du Contrôleur général.

N’oublions jamais que c’est l’honneur de la République française d’avoir créé cette institution, qui permet à la démocratie de garder tout son sens dans ces enclaves, nécessaires, que sont les lieux de privation de liberté.

N’oublions jamais que, dans ces enclaves, les relations interhumaines sont évidemment affectées par le fait que certains sont privés de liberté tandis que d’autres sont chargés de surveiller cette privation de liberté. Les relations naturelles d’autorité et de hiérarchie sont forcément beaucoup plus difficiles à assumer dans ces enclaves de notre République.

C’est tout à l’honneur de Jean-Marie Delarue et de son institution de veiller à ce que ces enclaves restent des lieux de droit, des parties intégrantes de la République française.

Pour l’ensemble de ces raisons, vous l’aurez compris, mes chers collègues, avec l’ensemble de mon groupe, loin de m’inscrire en faux contre ce qui a été dit par les orateurs précédents, je voterai bien évidemment cette proposition de loi, avec enthousiasme et conviction.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion