Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 15 mai 2014 à 9h30
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Christiane Taubira :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux remercier très chaleureusement les parlementaires qui ont participé à la commission mixte paritaire : si celle-ci a permis l’adoption d’un texte à l’unanimité, c’est au prix d’efforts mutuellement consentis par les députés et les sénateurs pour surmonter les divergences qui demeuraient et régler les difficultés rédactionnelles et techniques qui avaient été identifiées.

Nous arrivons aujourd'hui au terme du processus qui nous permettra d’adopter le projet de loi transposant la directive adoptée par le Parlement européen et par le Conseil en mai 2012. Nous pourrons ainsi respecter le délai de transposition qui nous avait été assigné, fixé au 2 juin prochain.

Rappelons-nous à quel point il importe de respecter ces délais, car la question est loin d’être indifférente.

D’abord, nous devons mettre notre droit interne en conformité avec le droit communautaire. Les États membres de l'Union européenne élaborant les directives, nous participons, nous-mêmes, à leur élaboration.

Il convient de le faire dans les délais impartis, sans quoi nous nous exposons à une procédure d’infraction dont l’issue est coûteuse : une indemnisation est due à l'Union européenne, sous astreinte journalière.

Surtout, nous devons veiller à la sécurité de nos procédures. Même conformes à notre droit national, elles demeurent susceptibles d’être annulées si elles ne sont pas conformes à une directive dont le délai de transposition a expiré.

Depuis plusieurs années – tout particulièrement ces derniers mois –, nous avons compris à quel point il est important de veiller à la sécurité des procédures. Des actes conformes à une loi peuvent être contestés par nos juridictions suprêmes et aboutir à des annulations de procédure, dès lors que cette loi n’est pas reconnue comme étant conforme, soit à la convention européenne, soit à la Constitution.

Une grande vigilance est donc requise quant à la conformité de nos lois pour éviter des annulations de procédure qui, bien entendu, peuvent concerner des infractions extrêmement graves.

Plus encore que le respect des délais, il importe de rappeler que cette transposition s'inscrit dans un processus initié en 1999 par le Conseil européen de Tampere, qui a décidé de construire un espace de liberté, de sécurité et de justice, posant les fondations mêmes de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et des décisions pénales, un espace prévoyant des normes minimales pour la protection tant des victimes que des personnes poursuivies.

Ainsi, nous sommes passés du programme de Tampere, avec la mise en place des principes inspirant aujourd'hui l’action que nous conduisons dans le domaine judiciaire – cela aboutit, d'ailleurs, à la création d’instruments européens tels que le mandat d’arrêt européen –, au programme de La Haye, puis au programme de Stockholm de 2010 à 2014, que nous sommes en train d’achever. Ce dernier programme a défini les normes minimales en faveur des victimes et des personnes protégées.

Désormais, sous l’empire du traité de Lisbonne, l’ensemble du champ pénal relève du droit communautaire. Je suis donc conduite à travailler à la mise en place d’un parquet européen. À cet égard, nous avons commencé à enregistrer quelques succès. La Commission envisageait un dispositif placé au-dessus des États, mais nous avons obtenu un vote majoritaire en faveur d’un dispositif collégial qui permettra à chaque État d’avoir un représentant national veillant à la compatibilité de ce parquet européen avec les ordres juridiques et judiciaires nationaux. Cela évitera des frictions, même s'il reste encore à déterminer les conditions dans lesquelles ce parquet exercera l’action publique.

Nous nous inscrivons donc dans ce processus, dont la directive que nous transposons constitue la traduction concrète.

Je dois également vous rappeler que cette directive est articulée avec une autre, à venir, dont la date limite de transposition échoit à la fin de cette année 2014 ; celle que nous transposons ce jour, la « directive B », concerne le droit à l’information, et celle que nous devrons transposer, dite « directive C », concerne l’accès à l’avocat.

Nous nous situons donc dans un processus en construction. Dans un souci de cohérence, nous avons introduit des dispositions concernant la directive C dans la transposition actuelle, qui nous donne en effet l’occasion non seulement d’introduire les nouveaux droits prévus par la directive B, mais aussi de consolider une jurisprudence du Conseil constitutionnel remontant à 2011 et aux débats sur la garde à vue.

La question avait alors été posée, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’ici, au Sénat, de l’encadrement de l’audition libre. Les dispositions législatives en cause n’avaient pas été votées, mais le Conseil constitutionnel, lui, avait eu à se prononcer : il a considéré que, dans le cadre de l’audition libre, le justiciable doit être informé du fait qu’il peut quitter les locaux de l’enquête lorsqu’il le souhaite, ainsi que de la nature et de la date de l’infraction dont il est soupçonné.

Bien entendu, nous avons introduit les dispositions de la directive B, qui concernent le droit au silence, à l’interprétariat et à la traduction. Mais, même pour l’audition libre, nous considérons que la personne soupçonnée d’un délit ou d’un crime doit pouvoir recourir à un avocat – ce qui relève de la directive C.

D’une manière générale, les mesures contenues dans ce projet de loi encadrent les procédures pénales à tous les stades, de l’enquête à la poursuite et au jugement.

Nous l’avons dit, l’audition libre est encadrée. La garde à vue est améliorée. La personne a le droit d'en connaître le motif, elle peut avoir accès au dossier – accès jusqu’à maintenant réservé à l’avocat – et elle obtient une déclaration écrite de ses droits.

Concernant les personnes susceptibles d'être entendues au cours d’une instruction sous le statut de mis en examen ou de témoin assisté, là aussi, les droits sont consolidés ; mieux encore, les parties ont un accès facilité aux pièces du dossier. En contrepartie, l’Assemblée nationale a estimé qu’il importait de renforcer les sanctions en cas de violation du secret de l’instruction, si ces justiciables transmettaient des pièces du dossier à un tiers.

Enfin, les personnes faisant l’objet d’une comparution immédiate, qui sont entendues par le procureur, peuvent être assistées par un avocat. Cela permet d’éclairer le procureur, qui peut ainsi décider, par exemple, d’une instruction préparatoire.

Les personnes entendues dans ce cadre peuvent aussi demander des investigations complémentaires. Le président du tribunal correctionnel peut décider d’y donner suite, voire d’en charger un juge d’instruction, et pas seulement un membre de la formation de jugement.

Ainsi, toute une série de dispositions viennent consolider les droits de la défense et encadrer plus précisément l’audition libre des personnes soupçonnées, l’audition en garde à vue ou les auditions au cours de l’instruction.

Je veux rappeler ici une chose extrêmement importante et à laquelle je crois savoir, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous êtes particulièrement sensibles. Certains d’entre vous l’ont rappelé au cours de la première lecture, jusqu’à maintenant, nos procédures pénales ont été améliorées – ou du moins modifiées – sous le coup du droit européen ou, plus souvent encore, de décisions des cours suprêmes, notamment de la Cour européenne des droits de l’homme.

Cela n’est pas satisfaisant, car on ne peut anticiper les modifications ainsi introduites, et donc en assurer la cohérence.

Cela n’est pas satisfaisant, parce que ceux qui interviennent dans ces procédures pénales – je rappelle qu’il s’agit à 97 % d’enquêtes préliminaires ouvertes par le parquet, par le procureur de la République – n’ont pas de visibilité sur les modalités de la conduite de ces enquêtes.

Il est donc nécessaire de penser nos procédures pénales avec un souci de cohérence et de réfléchir notamment à la façon dont on peut améliorer l’exercice des droits de la défense et les conditions d’un procès équitable sans avoir à réagir dans la précipitation, soit à une décision d’une juridiction suprême, soit sous le coup du droit communautaire.

Pour ces raisons, j’ai chargé Jacques Beaume, procureur général près la cour d’appel de Lyon – son activité juridictionnelle arrive à son terme –, entouré d’un avocat, d’un haut fonctionnaire de la police, d’un procureur de la République et d’un magistrat du siège, de réfléchir à l’architecture même de notre procédure pénale et de faire des propositions pour introduire davantage de contradictoire, notamment dans les enquêtes préliminaires et les enquêtes de flagrance, ce dans la perspective d’un meilleur équilibre.

Les représentants des enquêteurs, des policiers, se sont parfois inquiétés de l’introduction du contradictoire – on les a, par exemple, entendus lors de la réforme de la garde à vue – parce qu'ils ont le sentiment que la conduite des enquêtes est fragilisée et qu’on les désarme.

Mais l’expérience a montré que nous avons raison, dans un État de droit, de considérer qu’il faut faire droit à la défense et que les principes constitutionnels doivent être respectés et traduits dans des dispositions normatives. En effet, il s'avère à la pratique que les enquêtes sont plus performantes avec l’introduction du contradictoire.

Certes, nous entendons et comprenons ces inquiétudes – tout en les relativisant, car elles ne sont pas unanimes -, mais l’introduction du contradictoire ne désarme pas les enquêteurs. Comme vous le rappeliez, monsieur le rapporteur, nous pouvons préciser dans nos lois que certaines pièces ne peuvent pas être mises à disposition des défenseurs, y compris en référence aux dispositions communautaires.

C'est l’un des arguments auxquels j’ai récemment recouru à l’Assemblée nationale pour expliquer qu’il n’était pas judicieux de faire droit à un amendement consistant à donner accès à l’intégralité du dossier.

Les travaux de la mission Beaume nous permettront de définir avec plus de précision et de cohérence encore les modalités d’une introduction du contradictoire dans nos enquêtes de flagrance et dans l’ensemble de nos procédures pénales.

La mission Beaume me rendra son rapport au début du mois de juin. Quelques semaines plus tard, je vous le soumettrai, je vous consulterai et vous solliciterai afin que nous écrivions ensemble les nouvelles dispositions qui seront nécessaires pour construire en amont, et à notre main, l’architecture de nos procédures pénales.

Il s'agit donc d’un changement de méthode propre à mettre un terme à ces affrontements tout à fait factices tant avec les enquêteurs, qui se demandent quelles dispositions vont leur tomber sur la tête et comment ils maîtriseront la conduite de leurs enquêtes, qu’avec les avocats, qui, eux, considèrent que le défenseur est exclu, que les droits de la défense ne sont pas suffisamment respectés, que l’on fragilise le procès équitable et que nos procédures pénales ne sont pas conduites dans le plus strict respect de notre droit.

Ces inquiétudes comportent, des deux côtés, une part de subjectivité. Nous devons en tenir compte, mais il nous faut aussi éliminer ce qui se trouve à la source de cette subjectivité. Avec les travaux de la mission Beaume, nous devrions y parvenir.

En attendant, les travaux de la CMP nous ont permis d’avancer, avec une transposition bien construite et bien écrite. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous en remercie très chaleureusement et, une fois de plus, je vous sais gré de nous avoir permis de respecter les délais – sans quoi il en eût coûté quelques millions d’euros à la France !

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