Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 15 mai 2014 à 9h30
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’Union européenne nous encourage fortement à améliorer l’équité de notre procédure pénale, et c’est une excellente chose. Notre assemblée, dont le groupe du RDSE, est très attachée à la protection des libertés, et plus précisément à l’exigence d’un procès équitable.

Le Conseil de l’Union européenne a adopté le 30 novembre 2009 une feuille de route dont découlent six mesures : elles visent toutes à instaurer des normes minimales en matière de procédure pénale. L’objectif est de permettre la reconnaissance mutuelle des décisions pénales et de compléter les obligations issues de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais aussi de la Charte de l’Union.

Plusieurs directives déclinent ces mesures. La première directive, dite « directive A », a déjà été transposée. Aujourd’hui, nous transposons la « directive B » du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales : le temps presse puisque l’échéance pour la transposition a été fixée au 2 juin prochain. Toutefois, le projet de loi ne s’arrête pas là, car il transpose en partie la « directive C », relative au droit d’accès à un avocat.

L’information délivrée à la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction ou poursuivie à ce titre est indéniablement au cœur du procès équitable. Il n’y a pas de jugement contradictoire, pas d’égalité des armes, pas de défense effective si le principal intéressé ignore les droits qui lui sont reconnus par la loi, les chefs d’accusation retenus et les charges rassemblées contre lui.

C’est la raison d’être de la directive B, et le projet de loi renforce les droits de la défense tout au long de la procédure. Le texte a été amélioré, a gagné en clarté et en cohérence lors de son passage devant les deux assemblées. Aussi voudrais-je m’attarder sur les deux points les plus marquants de ce texte, qui traduisent une innovation et une lacune : il s’agit de la consécration du statut de suspect entendu librement – si tant est que l’on puisse parler de liberté en ce cas – et de l’accès au dossier pour l’avocat.

Le projet de loi consacre le statut du suspect entendu librement. Cette évolution est d’importance, car elle vient encadrer cette zone grise qu’est « l’audition libre ». Du point de vue des enquêteurs, cette audition libre a un avantage concurrentiel évident sur la garde à vue, puisque le suspect n’a quasiment aucun droit.

En effet, si les droits de la défense ont été renforcés par la loi du 14 avril 2011 sous la pression de la jurisprudence européenne et interne, le suspect entendu librement n’a pas le droit à l’assistance d’un avocat. Le Conseil constitutionnel a seulement exigé que la personne soit informée de la nature, de la date de l’infraction et de son droit de quitter les locaux de police.

L’audition libre est largement utilisée ; elle a concerné environ 800 000 personnes en 2012, tandis que 380 000 personnes ont été placées en garde à vue.

Le projet de loi va au-delà de la légalisation de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel, en prévoyant que seront notifiés au suspect son droit au silence, le droit à un interprète et, surtout, son droit à l’assistance d’un avocat. Le projet anticipe ainsi la transposition de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales Avec ce texte, l’audition libre ne sera plus un outil de contournement des droits de la défense.

Le second point que je souhaite aborder est l’accès au dossier pour l’avocat de la personne gardée à vue. La directive n’impose que des règles minimales ; notre combat pour une justice équitable doit nous conduire à aller plus loin.

La directive transposée, en particulier son article 7, a suscité de nombreux espoirs. Le deuxième paragraphe dudit article exige en effet un accès au minimum à toutes les preuves matérielles à charge ou à décharge des suspects ou des personnes poursuivies, ce qui semble imposer l’élargissement de la liste des pièces accessibles à l’avocat.

Aujourd’hui, l’avocat du gardé à vue ne peut consulter que quelques pièces du dossier ; cette limitation entame l’efficacité de la défense, l’avocat n’ayant notamment pas accès aux procès-verbaux d’audition des victimes ou de perquisition.

Madame la garde des sceaux, sur ce point, vous nous renvoyez à un autre rendez-vous qui fera suite à la publication des conclusions de la mission que vous avez confiée à M. Jacques Beaume, procureur général près la cour d’appel de Lyon. Une réforme d’ampleur est probablement nécessaire, car nous légiférons trop souvent par petites touches.

Comment pouvons-nous être certains que cette réforme aura lieu ? De nombreuses réflexions ont été menées ; il est possible de citer par exemple la commission Donnedieu de Vabres ou encore la commission « Justice et droits de l’homme » présidée par Mme Mireille Delmas-Marty. Des propositions ont été adoptées, mais la réforme d’ensemble, cohérente, n’a pas eu lieu.

Vous nous avez proposé un rendez-vous et vous avez affirmé devant les députés qu’il ne sera pas repoussé aux calendes grecques. Sans doute faudra-t-il quitter cette approche selon laquelle le respect des droits de la défense s’oppose à l’efficacité des procédures.

Comme vous l’avez indiqué aux députés, madame le garde des sceaux, « l’on craint trop souvent d’introduire du contradictoire ou d’améliorer les droits de la défense dans le cadre des enquêtes pénales, alors que l’expérience a prouvé que l’efficacité de ces enquêtes s’en trouvait au contraire grandie ».

En attendant ce rendez-vous, comme en première lecture, le groupe du RDSE apporte son soutien à ce texte et à la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

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