Intervention de Guy Fischer

Réunion du 4 mai 2011 à 14h30
Répression de la contestation de l'existence du génocide arménien — Exception d'irrecevabilité

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Comment pourrions-nous remettre en cause le travail des historiens, comme certains de nos collègues nous reprochent de le faire, en créant une incrimination pénale pour réprimer la contestation d’un génocide qui a été clairement désigné comme tel par nombre d’entre eux, et non des moindres ?

Tout d’abord, n’oublions pas que, dans une déclaration commune, la France, la Grande-Bretagne et la Russie ont pour la première fois, en mai 1915, qualifié de « crime contre l’humanité » les massacres d’Arménie et annoncé que leurs auteurs seraient jugés. Le terme « génocide » sera ensuite repris à Nuremberg.

En outre, je crois qu’il s’agit ici d’un débat qui transcende, et c’est heureux, les divisions politiques. Même si quelques-uns, heureusement minoritaires, se lancent sur le terrain de la polémique partisane, ils ne m’y entraîneront pas. Le sujet est trop grave, et j’ai trop vécu dans l’intimité des familles arméniennes, dans mon quartier de Décines, pour ignorer la profonde souffrance des descendants de ceux qui ont survécu au génocide.

Oui, je le concède, nous sommes nombreux à donner une tonalité affective à un débat que les historiens voudraient plus épuré, plus scientifique. Mais c’est simplement que nous sommes des hommes et des femmes qui ne peuvent s’empêcher de penser en termes de mémoire.

On retrouve là le fameux débat que nous avions eu ici même, lors d’un colloque organisé par le Sénat sur les « troubles de la mémoire française ». Évoquant alors l’opposition histoire-mémoire, je m’étais inscrit en faux contre le parti pris, souvent trop schématique, selon lequel ces deux dimensions seraient absolument antinomiques. C’est sur un mode un peu provocateur, me semble-t-il, que l’historien Pierre Nora a écrit un jour que « la mémoire installe le souvenir dans le sacré, l’histoire l’en débusque ».

L’histoire, en effet, ne peut jamais complètement s’abstraire de ce très riche substrat qu’est la représentation que les groupes humains se font d’elle. N’est-il pas significatif, pour l’historien, qu’un peuple ait retenu tel épisode de son vécu collectif, et non pas tel autre ? Quel meilleur témoignage trouver du ressenti d’un pays ? Ces faits, bien que n’étant pas scientifiques, finissent toujours par refaire surface, par nous interroger… et par être utiles aux historiens eux-mêmes.

En outre, avec le recul du temps, on constate que la loi Gayssot n’a nullement empêché les historiens de poursuivre leur travail sur la Shoah ; il n’en irait pas autrement pour le génocide arménien si la présente proposition de loi était adoptée.

Enfin, je ne puis m’empêcher de penser que la reconnaissance du génocide arménien puis la pénalisation de sa négation constitueraient plus qu’un simple rétablissement de la vérité historique. Parce que ce peuple martyr n’a jamais pu se désolidariser du sort de ses frères humains, les Arméniens de France se sont engagés à nos côtés dans la guerre contre le fascisme qui menaçait le monde. Ce peuple qui a connu la torture, le génocide, le déni, ne s’est pas contenté de panser ses plaies : il a été de tous les combats qui avaient pour enjeu l’avenir de l’humanité. C’est dans l’espoir que justice lui soit enfin complètement rendue tout à l’heure que nous nous opposons à cette motion, que Robert Hue, pour sa part, votera.

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