Intervention de Frédéric Cuvillier

Réunion du 15 mai 2014 à 15h00
Activités privées de protection des navires — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Frédéric Cuvillier :

Monsieur le président, madame la rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui est soumis à votre examen aujourd’hui vise à autoriser et à encadrer le recours à des entreprises de protection privées à bord d’un navire français dans les zones les plus exposées à la piraterie.

Il s’agit, d’une part, d’assurer la sécurité de nos navires, et, d’autre part, de renforcer la compétitivité du pavillon français et du transport maritime. Ce projet de loi répond, je le rappelle, à l’un des engagements forts pris par le Gouvernement après le comité interministériel de la mer. Il a fait l’objet d’un travail approfondi de la part de mes services, en lien avec ceux des ministères de la défense et de l’intérieur et du Secrétariat général de la mer.

Ce sujet important, récurrent, touche à la fois à la sécurité et à la compétitivité économique. Je ne saurais manquer ici de saluer l’excellent rapport que Jack Lang a rendu sur la thématique de la piraterie, en janvier 2011, à la demande du secrétaire général de l’ONU. Ce rapport, qui insistait sur les recommandations établies par l’Organisation maritime internationale, a mis en lumière l’importance et l’urgence, pour les États, de se saisir de ce sujet. C’est dans cette lignée que s’inscrit le texte que je soumets aujourd’hui à l’examen du Sénat.

La piraterie continue en effet de constituer une menace majeure pour le commerce maritime international et la sécurité des approvisionnements : malgré un recul apparent, notamment au large de la corne de l’Afrique et dans le détroit de Malacca, le phénomène tend à s’accentuer dans d’autres zones, particulièrement dans le golfe de Guinée. Au total, plus de 264 attaques ont été recensées en 2013 par le Bureau maritime international.

Outre les graves conséquences physiques et psychologiques, pour les marins, des actes de piraterie, ces derniers ont des incidences économiques lourdes pour les armateurs, évaluées entre 5 milliards et 8, 5 milliards d’euros chaque année au niveau mondial, en raison notamment du renchérissement des primes d’assurances et des dispositions opérationnelles mises en œuvre pour éviter certaines zones.

Assurer la sécurité du transport maritime représente donc un enjeu économique considérable pour les armateurs dont les navires transitent ou opèrent régulièrement dans ces zones à hauts risques.

Afin d’assurer la protection des navires civils battant pavillon français, l’État a déjà mis à disposition des équipes de protection embarquées de la marine nationale, soit l’équivalent de 152 personnels militaires mobilisés à cette fin.

Le déploiement de ces équipes, dont l’efficacité et la qualité sont largement saluées par les armateurs, présente toutefois des contraintes d’ordre logistique ou diplomatique qui ne sont pas toujours compatibles avec des délais commerciaux fort contraints. Toutes les situations à risques ne peuvent aujourd’hui être couvertes par la marine nationale, tandis que le besoin de protection armée va croissant.

Les dispositifs de sécurité que le projet de loi a pour objet d’autoriser et d’encadrer viennent donc en complément de mesures déjà existantes visant à prévenir les attaques. Je pense notamment à la mise en place de centres spécialement destinés au signalement de la présence de navires dans les zones à risques.

Le projet de loi va permettre aux armateurs de mieux protéger leurs navires battant pavillon français. Il s’agit de les autoriser à avoir recours à des agents d’entreprises privées de sécurité pour faire face aux risques croissants d’attaques. Le Gouvernement a ainsi souhaité donner suite à une demande forte émanant notamment des armateurs, afin de mieux assurer la sécurité des navires battant pavillon français, de leurs équipages et de leurs cargaisons.

Cela répond à un impératif de sécurité, mais également de compétitivité. En présentant ce texte, j’entends en effet aussi renforcer l’attractivité du pavillon français. La France dispose de la première surface maritime en Europe. De nombreux États européens disposant d’une façade maritime et d’une flotte de commerce importante se sont déjà dotés d’un dispositif semblable. Le Gouvernement a donc souhaité donner aux navires français les outils dont bénéficient leurs concurrents internationaux. Le projet de loi, s’il est adopté, contribuera donc à un renforcement de la compétitivité du pavillon français.

Je rappelle ce qui, je pense, est une conviction partagée : la flotte de commerce française est un acteur économique d’importance décisive pour notre pays. Il faut donc faire en sorte que nos compagnies maritimes nationales, que notre pavillon restent compétitifs. En effet, le secteur compte plus de 300 navires, représente un gisement d’emplois considérable et l’on trouve dans ses rangs des géants nationaux qui figurent parmi les premiers armateurs au monde. En ne prenant en compte que les marins, ce sont environ 12 500 emplois directs qui dépendent de cette activité.

Avec ce projet de loi, nous estimons que plusieurs centaines d’emplois directs seront créés afin de sécuriser les navires battant pavillon français vulnérables à la menace pirate, sur l’ensemble des zones à risques que le Gouvernement veillera à définir en lien étroit avec les armateurs.

Conscient du caractère exceptionnel que revêt le fait d’autoriser des acteurs privés à assurer la sécurité des navires marchands, le Gouvernement a veillé, dans le projet de loi qui vous est présenté, à ce que cette pratique s’exerce conformément aux lignes directrices définies au niveau international et soit très encadrée à de nombreux égards, pour éviter les dérives.

Tout d’abord, cette activité ne sera autorisée que dans les zones à hauts risques de piraterie et sur certains types de navires. En dehors de ces zones, si des équipes de protection sont à bord, leurs armes devront être remisées, de même que dans les eaux territoriales des pays fréquentés par les navires, sauf accord particulier avec ces pays, en application du principe du passage inoffensif défini par la convention internationale de Montego Bay.

Ensuite, il convient d’encadrer rigoureusement l’accès au secteur par la mise en place d’un agrément administratif, similaire à celui qui existe pour les activités de protection exercées à terre – je pense notamment aux convoyeurs de fonds, dont le modèle nous a inspirés –, auquel viendra s’ajouter une certification externe obligatoire des entreprises.

Au travers de ce projet de loi, nous entendons également demander l’apport de garanties professionnelles par tous les acteurs : les dirigeants et gérants devront être titulaires d’une autorisation d’exercer, et les agents d’une carte professionnelle, délivrée après examen du respect de conditions de moralité, ainsi que de leurs compétences maritimes et en matière de protection armée. Les référentiels de formation seront définis par l’État et les centres de formation seront agréés pour délivrer les formations correspondantes.

Nous souhaitons encadrer les conditions d’armement par un dispositif strict : seules certaines catégories d’armes et de munitions seront autorisées ; les modalités d’acquisition, de détention, de transfert et de stockage des armes et des munitions à bord seront précisément réglementées.

Nous voulons par ailleurs garantir la transparence de l’activité par des contrôles administratifs sur le territoire national et à bord, ainsi que par un suivi régulier des activités des entreprises et de leurs agents.

Nous entendons assurer la transparence de l’activité par le biais de plusieurs dispositifs, tels que la déclaration de l’embarquement des équipes de sécurité, la tenue de registres d’activité ou encore le signalement des incidents.

Enfin, nous souhaitons ne rendre possible l’usage de la force que dans le cadre strictement défini de la légitime défense.

Il est de la responsabilité de l’État de s’assurer que les navires battant pavillon français ont les moyens de se protéger. Ce texte recherche donc un équilibre entre l’ouverture aux entreprises privées d’une activité susceptible d’impliquer le recours à des armes et un encadrement très strict sur plusieurs aspects que je viens de détailler. Les principes sont fixés par les dispositions du texte.

Plus largement, au-delà du fait que, à côté de ce dispositif nouveau, la marine nationale conservera l’ensemble de ses prérogatives, je tiens à rappeler ici que la France continue à agir résolument, au niveau international, pour lutter contre la piraterie, notamment en participant aux différentes opérations engagées par l’Union européenne ou l’OTAN – je pense notamment à l’opération Atalante –, et reste très active sur le plan diplomatique. La piraterie est un véritable fléau pour les relations internationales et les échanges commerciaux.

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