Intervention de Odette Herviaux

Réunion du 15 mai 2014 à 15h00
Activités privées de protection des navires — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Odette HerviauxOdette Herviaux :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quelques heures avant que les députés n’adoptent ce projet de loi à l’unanimité, une attaque a eu lieu au large des côtes nigérianes, faisant trois morts – deux assaillants et un marin – ainsi qu’un blessé. Cette attaque visait le tanker SP Brussels, battant pavillon des Îles Marshall, à bord duquel se trouvaient pourtant deux gardes armés. Sans vouloir anticiper sur les conclusions de l’enquête en cours, on peut malgré tout se demander si le nombre de gardes n’était pas insuffisant par rapport à la taille et à la configuration du navire. Ce n’était pas la première fois que ce tanker était visé, puisqu’il avait déjà été attaqué le 17 décembre 2012 : cinq de ses marins avaient alors été pris en otages, puis heureusement libérés un mois plus tard.

Cette histoire tragique illustre l’urgence qu’il y a à légiférer aujourd’hui sur cette question, d’abord pour protéger les hommes, mais aussi pour préserver nos activités économiques maritimes et, par conséquent, notre pavillon. En effet, ce tanker ne représente pas un cas isolé, loin de là ! Le Bureau maritime international a comptabilisé 264 attaques en 2013 et déjà 72 depuis le début de l’année 2014. Les pirates sont toujours mieux équipés et plus audacieux ; ils mènent une véritable guerre contre les navires marchands, en n’hésitant pas à retenir en otages et à torturer des équipages pour obtenir des rançons. Pour l’année 2013, on dénombre ainsi 304 membres d’équipages pris en otages, 36 kidnappings, un mort et un porté disparu.

En termes économiques, l’organisation non gouvernementale One Earth Future a estimé, à la fin de 2010, le coût économique global de la piraterie à un montant extrêmement significatif : 7 milliards à 12 milliards de dollars par an ! Armateurs de France, de son côté, nous a communiqué son estimation de ce coût : 3 milliards de dollars en 2013 pour la zone somalienne, soit une diminution de 50 % depuis 2012 grâce à la forte mobilisation internationale ; 700 millions de dollars pour le golfe de Guinée où la piraterie est en augmentation.

Sur ces montants, les armateurs supporteraient 80 % des coûts directs, qui comprennent, pour moitié, des dépenses de carburant dues à l’accélération de la vitesse de transit dans les zones à risques ; pour 500 millions de dollars, des dépenses de sécurité, avec la formation des équipages, des primes aux équipages, la mise en place des Best management practices de l’Organisation maritime internationale ; pour 300 millions de dollars, des surcoûts d’assurances et, pour le reste, environ 700 millions de dollars, des coûts de déroutements pour éviter les zones dangereuses, le financement des « compensations » au personnel naviguant et les rançons.

Globalement, si les attaques sont en baisse dans le détroit de Malacca et au large de la Somalie, grâce à l’intensification des patrouilles, à une forte mobilisation internationale et, j’y insiste également, à la grande efficacité de la marine nationale, la menace croît fortement dans d’autres zones telles que le golfe de Guinée, en particulier au large du Nigeria. Les attaques y sont très violentes et visent à saccager, voire à piller les navires. Contrairement à ce qui se passait le plus souvent au large de la Somalie, il ne s’agit plus de prises d’otages pour obtenir une rançon, mais de la recherche d’un profit immédiat où la vie humaine semble avoir beaucoup moins de valeur...

La France n’est pas restée inactive face à ces dangers. La piraterie est bien sûr aussi ancienne que la navigation, les références ne manquent pas dans l’histoire : on en trouve déjà dans L’Iliade et L’Odyssée, voire dans des textes plus anciens. La protection des navires battant pavillon français est une mission dont la marine nationale s’acquitte fort bien et depuis très longtemps. Elle le fait aujourd’hui dans le cadre de coalitions internationales, comme l’opération Atalante, que vous avez citée, monsieur le secrétaire d’État, effectuée sous le drapeau de l’Union européenne dans le golfe d’Aden.

Depuis l’attaque du Ponant et de thoniers tricolores dans l’océan Indien en 2008, la marine nationale met également des équipes de protection embarquées, ou EPE, à disposition des navires français qui transitent dans une zone à risques. Reste que certains, comme les câbliers ou les navires sismiques, ne font pas que transiter mais demeurent dans ces zones. Ces équipes ont été déployées 93 fois depuis 2009 et ont repoussé quinze attaques, sans pertes ni blessés. Ces chiffres prouvent, s’il en était besoin, que leur compétence et leur savoir-faire sont la meilleure garantie d’une véritable dissuasion.

La qualité de ce dispositif est reconnue dans le monde entier, mais la marine nationale ne peut pas tout. En raison de ses moyens et de ses effectifs, mais aussi de délais logistiques et diplomatiques, elle ne peut honorer que 70 % environ des demandes reçues chaque année. Même si ce sujet ne relève pas de votre compétence, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite vous dire, avec un grand nombre de mes collègues, le prix que nous attachons au maintien des capacités de la marine nationale. En voilà un bon exemple !

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