Intervention de Odette Herviaux

Réunion du 15 mai 2014 à 15h00
Activités privées de protection des navires — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Odette HerviauxOdette Herviaux, rapporteur :

Or les armateurs ont besoin de visibilité sur la disponibilité de cette protection, qui tend à devenir un facteur essentiel de la compétitivité des armements français. On constate en effet aujourd’hui que les compagnies maritimes françaises perdent des marchés, faute de pouvoir garantir systématiquement la protection des navires, de leur équipage et de leur cargaison. Les assurances comme les clients refusent de courir le moindre risque, dans un contexte où l’offre de protection de certains pavillons apparaît plus étoffée. À titre d’exemple, l’armateur danois Maersk a interdit à sa filiale française de prendre part à certains marchés, du fait de l’aléa que représente l’absence de protection des navires français. La perte est évaluée à 15 % des rotations ! Cette incertitude sur la disponibilité de la protection alimente le mouvement de dépavillonnement, alors que le pavillon français connaît déjà une situation préoccupante.

Dans ce contexte, la seule protection militaire ne suffit plus à couvrir l’ensemble des besoins. Tous les pays d’Europe ont d’ailleurs adapté leur législation pour permettre l’embarquement de gardes armés privés. Nous sommes les derniers, avec les Pays-Bas qui sont eux aussi en train d’évoluer, à ne pas offrir cette possibilité.

Certes, les armateurs français ont eux-mêmes longtemps été réticents à embarquer du personnel armé au contact de leurs marins. Je vous rappelle que les débats sur le « mercenariat » des sociétés militaires privées, à la fin des années 2000, ont alimenté les crispations. Dans les faits, toutefois, les compagnies françaises sont aujourd’hui contraintes de recourir à cette solution.

Pour éviter que les armateurs français n’aillent s’immatriculer à l’étranger, il est donc devenu impératif d’adapter le cadre juridique à la situation de fait. En l’état actuel, notre législation, notamment sur le port d’armes à bord des navires, empêche l’émergence de prestataires nationaux et pose des problèmes de responsabilité.

Je tiens d’emblée à rassurer ceux qui, parmi nous, pourraient encore s’inquiéter. Il ne s’agit en aucun cas d’abdiquer un élément de souveraineté au profit du secteur privé. Il ne s’agit pas non plus d’un début de privatisation des missions dévolues à nos forces armées. La marine nationale n’envisage nullement de réduire son effort, et nous non plus. Elle continuera de mettre à la disposition des armateurs ses équipes de protection embarquées. L’offre privée ne se substitue donc pas à l’offre publique ; elle vient simplement et utilement la compléter, afin de permettre aux armateurs de faire face plus rapidement à certaines contraintes logistiques ou diplomatiques.

En ce qui concerne l’examen du texte, la commission du développement durable a décidé de déléguer à la commission des lois l’examen au fond des titres II, IV et V, dans la mesure où ceux-ci s’inspirent largement des dispositions du code de la sécurité intérieure. Je tiens à saluer le travail de codification minutieux qu’elle a effectué, sur le rapport d’Alain Richard, qui vous en explicitera plus précisément les enjeux tout à l’heure.

Grâce à ce travail, je crois pouvoir dire que le texte que nous vous soumettons permet de mieux distinguer les dispositions qui relèvent des spécificités de la protection des navires, figurant dans le code des transports, de celles qui relèvent de la régulation classique d’une activité de sécurité privée, inscrites dans le code de la sécurité intérieure. Ce n’était pas gagné d’avance, puisque le projet de loi initial n’était, lui, pas codifié, compte tenu du caractère très spécifique de ses dispositions qui concernent, certes, la sécurité, mais aussi les personnels embarqués. Tel est donc le travail que nous avons effectué.

Pour les autres titres, à savoir les titres Ier, III et VI, la commission du développement durable n’a pas modifié fondamentalement l’équilibre dégagé par l’Assemblée nationale. Celui-ci est satisfaisant, car il ménage à la fois les impératifs de sécurité pour les marins, les intérêts économiques et les besoins légitimes du contrôle par l’État d’une activité qui s’exercera loin de son regard. C’est pourquoi tous les acteurs que j’ai entendus réclament que ce texte soit adopté, sans modification, le plus rapidement possible.

Je m’étais par ailleurs assurée auprès de vos collaborateurs, monsieur le secrétaire d’État, que les décrets d’application prévus seraient prêts à temps. Vous nous avez encore rassurés sur ce point en confirmant que ces décrets font l’objet d’une concertation avec l’ensemble des acteurs depuis le mois de janvier.

La commission du développement durable a apporté quelques modifications au projet de loi. Elle a notamment supprimé, dans un premier temps, la liste de non-éligibilité des navires, à l’article 18, l’intérêt de ce dispositif n’étant pas apparu évident. Nous reviendrons sur ce sujet lors de l’examen de l’amendement, puisque des évolutions sont à prévoir dans ce domaine.

De même, elle a clarifié, à l’article 21, les conditions d’usage de la force armée dans le cadre de la légitime défense prévu par le code pénal. Notre objectif a été d’éviter de laisser subsister des ambiguïtés dans un article, certes nécessaire, mais non normatif.

J’achève cette présentation en remerciant à nouveau la commission des lois et son rapporteur pour avis, Alain Richard, pour leur utile contribution et l’excellent climat de coopération qui a animé nos travaux sur ce texte. Nous l’avons examiné « à deux voix », dans des délais contraints mais il fallait être rapide !

Certes, cette future loi ne pourra, à elle seule, résoudre tous les problèmes de piraterie, ne serait-ce que parce qu’elle est inopérante dans les eaux territoriales d’États souverains, comme le Nigeria, où la majeure partie des attaques a lieu dès la sortie du port. La fonction première de ce dispositif est bien la dissuasion. Et dans ce domaine, comme l’actualité nous le rappelle, chaque jour compte !

En adoptant rapidement ce texte, non seulement nos navires et ceux qui les font naviguer se sentiront mieux protégés, mais le monde entier saura aussi que la flotte française reste l’une des plus sûres au monde, grâce aux équipes de sa marine nationale et à nos gardes armés.

Pour terminer, je tiens à remercier tous ceux qui nous ont aidés à travailler rapidement sur ce texte, les collaborateurs du Sénat et les membres du cabinet ministériel.

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