Intervention de Leila Aïchi

Réunion du 15 mai 2014 à 15h00
Activités privées de protection des navires — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Leila AïchiLeila Aïchi :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise à autoriser l’embarquement d’équipes de protection armées fournies par des entreprises privées à bord des navires exposés au risque de piraterie. Le groupe écologiste, conscient des conséquences humaines et économiques de ce phénomène, considère que la sécurité des navires français se doit d’être assurée, mais que la privatisation de cette mission, aujourd’hui confiée à l’armée, ne peut pas être une solution durable.

Le risque que représente aujourd’hui la piraterie pour les navires battant pavillon français est réel. La piraterie maritime constitue une menace pour le commerce international, notamment dans des zones telles que le golfe d’Aden, le sud de la mer Rouge, le golfe de Guinée, le détroit de Malacca ou encore la partie sud-ouest de la mer de Chine méridionale. Les chiffres sont là ! Ils ont été rappelés maintes fois au cours de ce débat : 234 attaques ont été recensées depuis le début de l’année 2013 par le Bureau maritime international, et les conséquences économiques pour les armateurs sont évaluées entre 7 milliards et 12 milliards de dollars chaque année.

Face à ce constat et au manque de moyens de la marine française, il paraît indispensable de réfléchir à un modèle adapté aux enjeux stratégiques. Dès lors, le Parlement se doit de rester vigilant afin de prévenir tout abus ou toute libéralisation à outrance, qui s’avérerait dangereuse. C’est pourquoi il est impératif que des garanties soient apportées et que le recours au secteur privé soit strictement et rigoureusement encadré. Sur ce point, les écologistes notent avec intérêt que le texte tend vers cet équilibre, en permettant une plus grande transparence. Il le fait en instituant le processus d’agrément administratif et de certification obligatoire, dont le but est d’encadrer l’accès des entreprises, en étant plus strict sur la question de l’armement, en limitant le champ d’activités possibles, en mettant en place un régime de contrôle ou encore en instaurant la possibilité de prononcer des sanctions pénales.

Si la France a été jusqu’à présent soucieuse de conserver dans le giron étatique l’essentiel des fonctions régaliennes, ce n’est pas sans raison. Des dérives existent ; nous en avons été témoins. Ce projet de loi ne doit pas constituer le précédent d’exceptions en cascade, surtout dans un secteur d’activité aussi sensible. L’impératif budgétaire et économique ne doit pas nous obliger à renoncer à notre marine nationale, qui souffre aujourd’hui d’un manque d’hommes et de moyens.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez insisté plusieurs fois sur l’urgence de la situation pour les armateurs français et mis en avant le principe de réalité. Nous l’entendons bien. C’est pourquoi le groupe écologiste considère, quand les circonstances l’imposent, qu’il est de notre responsabilité de soutenir une approche sécuritaire. Toutefois, s’intéresser aux seules conséquences ne permettra pas d’enrayer durablement le phénomène de la piraterie. Au contraire, la permanence de ces attaques et leur concentration dans des zones particulièrement instables nous rappellent qu’il s’agit là d’un phénomène complexe, intrinsèquement lié à la situation économique, sociale, politique et environnementale des pays concernés. Nous devons comprendre l’ensemble des ramifications qui existent derrière le phénomène de piraterie. Toute approche sécuritaire se doit donc de concourir à une vision politique plus large et plus complète en matière de développement. En effet, face à un édifice social fragilisé par la misère, la piraterie et le pillage en bande organisée apparaissent comme des processus adaptatifs, comme les seuls modes de négociation existants.

À ce sujet, le cas de la Somalie est particulièrement édifiant. La gravité des deux famines de 1992 et 2010 ainsi que l’absence d’autorité dans le pays ont contribué à exacerber la vague de piraterie qui frappe le golfe d’Aden et les côtes somaliennes. Pour la population affamée, la piraterie est devenue le seul moyen de se nourrir.

Parallèlement à ces phénomènes internes, le pillage de la biodiversité par les navires étrangers et la surpêche n’ont fait qu’aggraver la situation. Ainsi, en l’absence de toute réglementation, les bateaux-usines étrangers ont pêché sans aucune limite au large des côtes somaliennes, parmi les plus poissonneuses au monde, en se livrant parfois à des attaques violentes contre les pêcheurs locaux. Pour la seule année 2008, la pêche exercée par ces navires étrangers aurait rapporté plus de 300 millions d’euros. Plus grave encore, en 2005, les Nations unies ont reconnu que les eaux au large de la Somalie étaient utilisées, depuis les années 1990, comme une décharge pour des fûts de déchets radioactifs, d’uranium et de plomb.

Nous devons donc nous concentrer sur les causes profondes du phénomène : la paupérisation dans les pays côtiers concernés, la faiblesse étatique, la redistribution inéquitable des ressources, les risques politiques liés à la rente pétrolière, l’absence d’autorité efficace en mer et les convoitises internationales.

Depuis les années 1980, le Nigeria est en proie à des violences permanentes, découlant directement de l’exploitation pétrolière étrangère dans la région et de la pollution du delta. Dans un contexte de fragilité institutionnelle conjuguée à une dégradation socio-environnementale, l’exploitation offshore au large des côtes du Nigeria a engendré une multiplication des attaques contre les navires-citernes dans le golfe de Guinée. Ce sont ces pratiques, c’est ce scandale environnemental perpétré par les grandes puissances étrangères, qui ont obligé les pêcheurs locaux, ruinés et spoliés, à se transformer en pirates.

Le projet de loi nous donne aussi l’occasion de saluer le travail déjà effectué par l’armée française, notamment dans le golfe d’Aden. En effet, l’échelon communautaire a pu démontrer son savoir-faire dans ce domaine, notamment à travers la mission Atalante. Depuis le début de cette opération européenne, il est avéré que les opérations de piraterie dans le golfe d’Aden ont quasiment disparu. Pour preuve, en 2010, le nombre d’attaques de navires était en moyenne de quarante par mois ; aujourd’hui, ce chiffre est inférieur à trois. La France se doit donc de relancer la défense européenne. Les outils sont là ; ils existent.

À l’heure de la multiplicité des niveaux d’interaction, notre stratégie doit s’ouvrir sur les risques et les enjeux réels, en s’affranchissant d’une lecture passéiste et simpliste des conflits. Il ne s’agit pas pour nous de soutenir les activités criminelles. Nous condamnons fermement et sans détour les actes de piraterie, d’autant qu’il est avéré que ces pratiques sont, pour partie, liées à des réseaux mafieux et terroristes. Le principe de réalité nous impose également de nous concentrer aujourd’hui sur les conséquences pour nos navires. Cependant, toute initiative sécuritaire doit s’inscrire dans un cadre coopératif et de développement plus large.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que le groupe écologiste s’abstiendra sur ce texte.

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