Outre les souffrances humaines qu’engendrent toutes les expulsions, celles qui concernent des personnes prioritaires au titre du DALO constituent un véritable dysfonctionnement de l’État, garant du droit au logement !
Cette situation a d’ailleurs conduit le Conseil d’État, dans son rapport annuel de 2009, à définir les droits dits opposables à l’État comme des « droits fictifs », ce qui ne peut manquer d’interpeller tout citoyen pensant vivre en République et dans un État de droit…
Le comité de suivi de la mise en œuvre du DALO a donc demandé que l’État organise sa propre cohérence en appliquant les quatre principes suivants.
Premièrement, toute personne faisant l’objet d’un jugement d’expulsion doit être informée par le préfet de la possibilité de déposer un recours au titre du DALO en vue d’un relogement.
Deuxièmement, lorsqu’une personne a déposé un tel recours, la décision d’accorder le concours de la force publique doit être suspendue dans l’attente de celle de la commission de médiation.
Troisièmement, lorsqu’une personne a été désignée comme prioritaire par la commission de médiation, aucun concours de la force publique ne doit être accordé avant qu’elle ait reçu une offre de logement adaptée à ses besoins et à ses capacités.
Quatrièmement, le refus de concours de la force publique doit donner effectivement lieu à indemnisation du propriétaire, ce qui suppose l’abondement du budget concerné à hauteur des besoins. Je rappelle en effet que la dotation de ce fonds d’indemnisation a été divisée par deux en trois ans, passant de 78 millions d’euros en 2005 à 38 millions d’euros en 2008. Voilà la réalité !
Plus récemment, dans son rapport de décembre 2010, le comité de suivi de la mise en œuvre du DALO a, d’une manière que l’on pourrait qualifier de virulente, appelé l’État à ne pas « rester hors la loi ».
En effet, selon les chiffres fournis par le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, au 31 décembre 2010, alors que plus de 200 000 demandes ont été déposées auprès des commissions de médiation DALO, seules 25 189 personnes ont pu être logées ou hébergées à la suite d’un recours. Ce chiffre s’élève à 43 000 si l’on prend en compte les ménages relogés ou hébergés avant le passage en commission.
Quoi qu’il en soit, le nombre de personnes déclarées prioritaires et n’ayant pourtant reçu aucune offre de relogement reste donc trop important. Ainsi, au 30 juin 2010, 14 000 ménages étaient dans ce cas, dont 12 500 avaient été déclarés prioritaires par les commissions franciliennes et 10 000 par la seule commission de Paris. Ajoutons que, la procédure DALO visant à « écrémer » au maximum les dossiers, n’est déclarée prioritaire qu’une infime minorité des demandeurs de logement ! C’est ainsi que, à la fin de juin 2010, 43 % des dossiers seulement faisaient l’objet d’un avis favorable.
Nous ne pouvons que nous alarmer de la diminution constante du nombre de demandes acceptées. En Seine-Saint-Denis, par exemple, les commissions de médiation n’ont délivré que 20 % de décisions favorables en 2010 ! De tels chiffres sont inquiétants.
L’écart entre le nombre des ménages déclarés prioritaires et celui des ménages relogés, ou simplement entre le nombre des demandeurs et celui des personnes relogées, écart qui continue à se creuser, est le plus sûr révélateur des carences de l’action publique ! Plus généralement, dans la mesure où, en 2009, on comptait 1 023 000 demandeurs de logement social, les chiffres du DALO nous semblent gravement insuffisants.
Outre ces dysfonctionnements, le comité de suivi de la mise en œuvre du DALO déplore une confusion dans les critères utilisés par les commissions de médiation pour la définition des ménages prioritaires. En effet, certaines commissions de médiation refusent de désigner comme prioritaires les ménages expulsables tant que ceux-ci ne font pas l’objet d’une décision de recours à la force publique. Cette situation est anormale et n’est pas conforme à la législation actuelle.
La proposition de loi présentée par notre groupe comporte diverses mesures propres à garantir un droit universel au logement effectif.
L’article 1er vise à redéfinir le droit au logement comme un droit universel, accessible à tous, quelle que soit la situation juridique de la personne sur le sol français. Cette conception est d’ailleurs celle qui prévaut dans la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995, qui indique clairement que « toute personne a le droit de disposer d’un logement décent ». Dans cette optique, nous estimons, à l’instar de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité dans sa délibération du 30 novembre 2009, que la définition posée par l’article 1er de la loi DALO ne respecte pas cette dimension universelle, puisqu’elle conditionne le droit au logement à la régularité du séjour sur le territoire français, « dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d’État ». La prise en compte de ces conditions crée une discrimination inacceptable !
Certains d’entre vous, mes chers collègues, objecteront qu’il serait vain d’ouvrir le DALO aux sans-papiers, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas éligibles au logement social. Cependant, je voudrais tout de même rappeler que nous considérons cette situation de non-droit comme scandaleuse, s'agissant de personnes qui contribuent pourtant à l’économie de notre pays !
En outre, nous souhaitons, à travers cette disposition, alerter les consciences sur le fait que le Gouvernement s’est engagé sur une pente glissante.
Concernant l’hébergement, tout d'abord, nous avons pu constater, à l’automne, qu’il existait au sein du Gouvernement une tentation d’instaurer une clause de préférence nationale, mais également la volonté de durcir les critères d’accession au logement social dans le cadre de la réforme du fichier des demandeurs de logement HLM, par le biais du décret du 29 avril 2010. Ce décret fixe en effet des conditions de plus en plus drastiques pour les migrants, s'agissant notamment de la durée minimale de validité de leur carte de séjour, portée de un à deux ans. Une telle mesure n’a d’autre vocation que d’exclure un grand nombre de migrants de l’accession au logement social.
Par ailleurs, d’un point de vue tout à fait pragmatique, exclure du droit au logement les personnes ne disposant pas de papiers constitue le plus sûr moyen de faire prospérer les « marchands de sommeil », qui bénéficient ainsi d’une clientèle captive.
Signalons que, face à l’accroissement des demandes d’expulsion, les maires de certaines communes, se fondant sur les obligations internationales contractées par l’État et leur pouvoir de police, ont parfois pris des arrêtés anti-expulsions dont la jurisprudence conteste aujourd'hui la légalité.