Intervention de Isabelle Pasquet

Réunion du 4 mai 2011 à 14h30
Expulsions locatives — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Isabelle PasquetIsabelle Pasquet, rapporteur :

La création du nouveau prêt à taux zéro renforcé, le PTZ +, accessible aux catégories de la population qui bénéficient des revenus les plus confortables, avait aussi de quoi surprendre : je me rappelle que notre collègue rapporteur pour avis des crédits de la mission « Ville et logement », Jean-Marie Vanlerenberghe, l’avait jugée « difficilement compréhensible ».

Comme le constatait le Conseil d’État dans son rapport public de 2009, il reste beaucoup à faire pour que le droit du logement soit « au service du droit au logement ». De même, on ne peut que partager les préoccupations exprimées par le comité de suivi de la mise en œuvre du DALO, qui, dans son quatrième rapport annuel, intitulé « L’État ne peut pas rester hors la loi », entendait lancer « un message d’alerte ».

La présente proposition de loi procède des mêmes constats et son dispositif, très resserré, traduit une double ambition : donner une portée plus générale au DALO et renforcer concrètement les moyens de lutte contre le développement des expulsions, donc contre la précarisation du logement.

Je présenterai brièvement les mesures proposées pour atteindre ces objectifs.

Tout d'abord, il faut élargir la portée du DALO. Personne ne s’attendait à ce que ce droit résolve, comme par magie, les problèmes d’accès au logement, et les rapporteurs du projet de loi au Sénat avaient été les premiers à le dire. De fait, on est loin de cette ambition !

En 2009, le Conseil d’État notait même que le DALO pourrait acquérir rapidement la réputation d’être « un droit en partie fictif ». Les chiffres semblent, hélas, lui donner raison. Pendant les trois premières années d’application de la loi, entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2010, ont été formulées un peu plus de 200 000 demandes – c’est peu, mais le DALO reste mal connu –, et moins de 25 200 personnes ont été effectivement logées ou hébergées à l’issue de la procédure. Même si l’on ajoute à ce chiffre celui des quelque 13 500 demandeurs dont le dossier a été traité avant son examen par la commission de médiation – cela peut d’ailleurs faire craindre qu’il n’ait pas été examiné avec beaucoup de diligence avant le dépôt du recours ! –, le bilan est sans commune mesure avec le nombre des ménages non ou mal logés.

Il me semble que le législateur, qui a voté la loi du 5 mars 2007 instituant le droit opposable au logement, ne peut se satisfaire d’un tel résultat. Il faut donc que le DALO soit effectivement défini comme un droit fondamental et que toutes les autorités publiques contribuent à le faire respecter.

À cette fin, l’article 1er de la présente proposition de loi prévoit, d'une part, d’élargir ce droit à toute personne résidant sur le territoire national, et, d'autre part, de donner compétence à toutes les autorités publiques pour s’assurer de sa mise en œuvre effective.

J’évoquerai successivement ces deux aspects.

Sur le premier point, je rappellerai que la loi du 5 mars 2007 était destinée à rendre effectif un droit fondamental qui est considéré comme universel par nombre de textes internationaux, dans la mesure où il transcende le statut administratif des individus, de même, par exemple, que le droit à une vie familiale, le droit à la santé ou la protection de l’enfance.

C’est pourquoi les auteurs de la proposition de loi considèrent que les clivages opérés par les textes en vigueur entre nationaux et étrangers, d'une part, et entre étrangers européens et extra-européens, d'autre part, contredisent l’affirmation d’un droit au logement opposable et garanti par l’État.

Les dispositions de la loi soumettant à des conditions de régularité et de durée de la résidence en France l’accès des étrangers au DALO ont d’ailleurs été critiquées.

Ainsi, la HALDE a adopté, en novembre 2009, une délibération aux termes de laquelle la différence de traitement entre étrangers communautaires et non communautaires constitue une discrimination.

Le Conseil d’État, pour sa part, a relevé que le texte en vigueur ne règle pas le cas des étrangers en situation régulière sollicitant un regroupement familial.

Cette ouverture du DALO serait par ailleurs cohérente avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle « la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ».

En outre, laisser les étrangers en situation irrégulière à l’écart du DALO profite aux marchands de sommeil, puisqu’ils constituent pour ces derniers une clientèle captive et très lucrative.

Sur le second point, si la loi a fait de l’État le garant du DALO, il paraît utile, pour rendre ce droit plus effectif et satisfaire la demande de logements, d’inciter à une action concertée de toutes les autorités concernées.

S’il était adopté, cet article renforcerait donc la portée du DALO et exprimerait une volonté politique d’appliquer ce droit.

Toutefois, il faut aussi – c’est l’objet des articles 2 et 3 de la proposition de loi – lutter contre la multiplication des expulsions locatives, qui est la conséquence de la précarisation croissante du logement et qui contredit directement la garantie du droit au logement.

Depuis 2001, les loyers du parc privé ont augmenté de 83 % et ceux du parc HLM de près de 27 %. Avec la stagnation du pouvoir d’achat et la montée du chômage et du travail précaire, les dépenses de logement deviennent insupportables pour les travailleurs pauvres, les ménages à revenus modestes, mais aussi, de plus en plus, pour les personnes disposant de revenus moyens. En outre, les aides existant en la matière ne permettent plus de ramener à un niveau raisonnable le taux d’effort que représentent les dépenses de logement.

On le mesure au travers de l’augmentation continue du nombre des expulsions : 110 000 décisions judiciaires en ce sens ont été prononcées en 2009. Il faut cesser de fabriquer des exclus !

C’est pourquoi l’article 2 tend à interdire à l’État de prêter son concours à l’exécution d’une expulsion locative lorsque le locataire n’est pas en mesure d’accéder à un autre logement par ses propres moyens et n’a pas reçu de proposition de relogement adaptée.

Cette disposition permettrait, d'une part, d’inciter à la recherche de solutions de relogement adaptées lorsqu’un ménage ne peut pas, ou plus, faire face au coût de son logement, et, d'autre part, d’éviter la multiplication des expulsions locatives frappant des ménages qui sont fragilisés par la progression des dépenses de logement et que le moindre accident de parcours peut faire basculer dans l’exclusion.

Les propriétaires ne seraient pas lésés par la mesure proposée, puisque le refus de concours de la force publique leur permet d’obtenir une indemnisation équivalant au loyer et aux charges du logement.

L’article 3, quant à lui, s’inscrit plus spécifiquement dans le cadre du DALO. Il reprend – j’insiste sur ce point – des préconisations communes au Conseil économique, social et environnemental et au comité de suivi de la mise en œuvre du DALO. Il a pour objet de prévoir un sursis à l’expulsion des personnes ayant demandé à bénéficier du droit opposable au logement et d’exclure leur expulsion avec le concours de la force publique si la commission de médiation a conclu au caractère prioritaire de leur demande, tant qu’un logement adapté ne leur a pas été proposé.

Enfin, je ne m’étendrai pas sur l’article 4, qui prévoit un gage, sinon pour souligner que ce dernier ne serait en fait probablement pas nécessaire. En effet, le relogement des familles menacées d’expulsion, qui est la seule mesure conforme aux principes du DALO, est aussi la solution la moins coûteuse pour l’État.

Telles sont, mes chers collègues, les dispositions de cette proposition de loi à laquelle, vous l’aurez compris, je suis pleinement favorable.

Conformément à l’accord passé entre les présidents des groupes politiques, la commission des affaires sociales n’a pas adopté de texte, afin que ce soit la version initiale de la proposition de loi qui soit discutée aujourd’hui. Je souhaite que nos débats permettent d’emporter la conviction du Sénat quant au bien-fondé et à l’intérêt des mesures présentées.

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