Intervention de Boris Beaude

Mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet — Réunion du 22 avril 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Boris Beaude géographe chercheur à l'école polytechnique fédérale de lausanne

Boris Beaude, géographe, chercheur au sein du laboratoire Chôros de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne :

Des blocs, non, mais des attentes très différentes selon certaines zones du monde. Lorsque j'ai commencé mes travaux sur l'espace d'Internet, il y a cinq ans, j'étais plutôt optimiste et me focalisais sur l'innovation - Wikileaks, l'ouverture des frontières, l'accès à la connaissance... Puis j'ai analysé les problèmes posés par la coexistence de pratiques antagonistes, de pratiques illégales - de la diffamation à la pornographie - et en suis venu au constat que, dans les faits, on ne peut véritablement appliquer notre droit sur Internet, à moins de le transformer. Il ne s'agit pas seulement de nous protéger par exemple de la pédopornographie, mais de surmonter des divergences, des conflits de valeurs que l'on ne peut trancher sans faire de la politique : la Chine et la Russie, par exemple, ne veulent pas d'un développement qui emprunte les valeurs nord-américaines et des conflits existent même des deux côtés de l'Atlantique - schématiquement, les États-Unis censurent davantage le sexe tandis que l'Europe censure davantage la violence, ce qui conduit par exemple des musées à s'autocensurer pour être sur Facebook ; de même, la liberté d'expression n'a pas les mêmes contours ni la même portée juridique en Europe et aux États-Unis - et plus largement, le rapport de l'individu à la société n'est pas le même, ce qui conditionne la définition de la liberté, de la sécurité et même de la démocratie. Alors qu'Internet s'est développé plus vite que les normes susceptibles de l'encadrer, le risque serait d'être trop actif, trop prescriptif, de condamner trop vite des pratiques qui, en fait, répondent à des valeurs différentes que les nôtres mais non moins légitimes.

C'est pourquoi je crois que lors du prochain Sommet qui va se tenir au Brésil, une partition d'Internet par noms de domaine ou par grandes zones géographiques risque fort de l'emporter, malgré les discours contraires : une gouvernance mondiale peut tout à fait partitionner le réseau, c'est ce qui se profile lorsque, sous couvert d'une gestion multipartite, on annonce un rôle accru des États, qui sont un facteur éminent de partition.

Sous cet angle, on peut dire que le monde n'est pas prêt pour Internet tel qu'il a fonctionné et qu'on risque fort d'assister à un repli, conduit par les États. Votre Mission peut aider à maintenir l'ouverture la plus grande, à condition qu'on dise ce à quoi l'on tient le plus pour ne pas perdre cet espace inédit qu'est Internet.

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