Intervention de Aline Archimbaud

Réunion du 20 mai 2014 à 14h45
Débat : « comment enrayer le cycle de la pauvreté ? »

Photo de Aline ArchimbaudAline Archimbaud :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la délégation, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au nom de mon groupe, je voudrais tout d’abord remercier sincèrement Yannick Vaugrenard de l’important travail qu’il a fourni, saluer sa capacité d’écoute et la force de l’appel qu’il lance, appel qui, je l’espère, sera entendu et, surtout, suivi d’action. Car, comme vous l’avez dit, mon cher collègue, il y a urgence.

Toutes les études menées notamment par l’INSEE s’accordent à le dire : la pauvreté s’intensifie d’année en année dans notre pays. Si des dispositifs sont régulièrement mis en œuvre pour tenter de lutter contre l’exclusion des plus démunis, ils répondent rarement à une réflexion globale sur la pauvreté. C’est là l’un des principaux intérêts de votre rapport.

La pauvreté, si elle est multidimensionnelle, commence par une pauvreté économique. Vous l’avez rappelé : selon les chiffres publiés par l’INSEE, en 2011, 8, 7 millions de personnes vivaient avec moins de 977 euros par mois. À cette catégorie, sans doute plus nombreuse aujourd’hui, il faut ajouter les millions de nos concitoyens qui ne disposent que d’un peu plus que cette somme chaque mois. Ainsi, c’est une part importante de la population française qui est concernée.

Le mot « cycle » employé par Yannick Vaugrenard dans son rapport me semble très juste. En effet, les personnes fragiles sont enfermées dans un cercle vicieux dont il leur est extrêmement difficile de sortir. Emploi, logement, santé, transports, formation, culture, éducation sont autant d’aspects de la vie quotidienne qui forment la spirale de l’exclusion, laquelle est multidimensionnelle et cumulative.

Le baromètre de l’opinion lancé par la DREES, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, montre bien que nos concitoyens ressentent cette pluralité d’inégalités qui frappent les plus modestes et qu’ils ne les acceptent pas.

Pour la première fois depuis la mise en place de ce baromètre, en 2000, les inégalités d’accès aux soins sont jugées les moins acceptables – 22 % –, devant celles qui concernent les revenus – 19 % – et le logement – 16 %. Nos concitoyens y sont donc fortement sensibles.

Nous ne voulons pas d’un système social à deux vitesses. Malheureusement, le constat est évident : il subsiste dans notre pays de fortes inégalités de santé liées au niveau de revenu. Selon l’INSEE, l’espérance de vie d’un homme de trente-cinq ans diffère aujourd’hui de sept années selon qu’il est ouvrier ou cadre. Au-delà de la pénibilité du travail, qui peut partiellement expliquer les écarts d’espérance de vie, joue la question de la qualité et de l’accès aux soins en fonction du revenu.

Je pourrais citer d’autres exemples dans ce sens, mais je ne m’attarderai pas, car cela a déjà été développé. Toutefois, je veux insister sur le non-recours à des droits théoriquement ouverts – CMU complémentaire, aide à la complémentaire santé, aide médicale d’État –, mais aussi sur les énormes inégalités d’accès aux soins et, plus globalement, à la santé.

Près de quatorze ans après l’entrée en vigueur de la loi créant la couverture maladie universelle – CMU –, véritable avancée sociale, l’accès aux soins s’est détérioré en même temps que s’approfondissaient les difficultés sociales. La santé se dégrade avec la précarité et la maladie accroît la précarité.

Les chiffres publiés en octobre dernier dans le septième baromètre CSA pour Europ Assistance sont accablants : 33 % des sondés ont, en 2013, renoncé à se soigner pour raisons financières. Ce chiffre est en augmentation de six points par rapport à l’année précédente. Non seulement nous sommes bien au-dessus de l’ensemble des pays européens en termes de renoncement aux soins déclaré – la moyenne est de 18 % en Europe –, mais les Français sont aussi amenés à renoncer à se soigner en plus grande proportion que les Américains – ils sont 24 % à avoir pris cette décision –, dont le système de santé est pourtant régulièrement montré du doigt à la fois pour son coût et son caractère inégalitaire.

Cela a été dit, le renoncement aux soins est largement lié à une incroyable lourdeur et complexité des démarches à entreprendre pour les plus fragiles de nos concitoyens. Il tient également à des effets de seuils. Ainsi, pour un bénéficiaire du RSA socle, et donc théoriquement de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, toute activité rémunérée, même de seulement quelques heures par mois, lui fait dépasser le plafond de ressources. La personne perd alors son droit à la CMU-C. On pourrait multiplier les exemples.

Des pistes de travail ont été envisagées et des mesures, adoptées, comme cette Conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui s’est déroulée en janvier 2013.

Dans le temps qui me reste, je souhaiterais compléter mon propos.

J’ai remis au Premier ministre en septembre 2013 un rapport comprenant quarante propositions.

Il faut tout d’abord rendre effectif l’accès aux droits en simplifiant les démarches. Il existe actuellement un certain nombre de lourdeurs et de complexités administratives terribles.

Il convient de lever un certain nombre d’obstacles financiers en matière de lutte contre les inégalités dans le domaine de la santé. De ce point de vue, l’engagement de l’actuel gouvernement d’établir le tiers payant en 2017 est évidemment très important, et nous espérons que cette échéance sera respectée. Toutefois, il est aussi nécessaire de réguler les dépassements d’honoraires, qui posent un énorme problème d’inégalité d’accès à la santé. Il faut également soutenir les structures tournées vers les publics fragiles pour les rendre pérennes. En effet, un certain nombre d’entre elles se trouvent dans une situation extrêmement difficile – PASS, services des urgences dans les hôpitaux qui, de fait, accueillent de nombreux précaires, et beaucoup d’autres initiatives.

Par ailleurs, il est nécessaire d’améliorer la gouvernance territoriale et, mon collègue a évoqué avant moi cet aspect important, de renforcer les structures qui pratiquent aujourd’hui l’innovation, qu’il s’agisse de structures professionnelles, d’organismes animés par des associations, des bénévoles ou des salariés.

L’innovation consiste à mener des actions transversales, par exemple santé-logement ou santé-transport, qui puissent être soutenues par l’État. Or, aujourd’hui, elles ont beaucoup de mal à se faire entendre, dans la mesure où elles s’adressent à plusieurs interlocuteurs, et la vie de certaines d’entre elles est réellement menacée.

L’innovation, c’est aussi croiser dans les formations le social et le sanitaire ; c’est aussi tout ce qui permet, vous avez évoqué ce point, que les patients prennent en main leur santé et en soient acteurs. C’est ce que l’on appelle au Québec « la santé communautaire ». Au Québec, en Belgique et dans d’autres pays, il existe des pratiques de ce genre, qui sont encore considérées en France comme tout à fait marginales et dont on ne voit pas l’intérêt.

Enfin, l’accès à la prévention est extrêmement limité pour ce public.

Pour conclure, je remercie de nouveau Yannick Vaugrenard pour ce travail. Les résultats des élections municipales nous ont montré à quel point les inégalités sociales sont sources d’amertume, de colère, de risque de délitement de la cohésion nationale, de risque de montée des extrémismes sous toutes leurs formes. Il y a effectivement urgence. J’espère que ce débat permettra d’encourager des pratiques et des décisions utiles à tous les niveaux. §

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