La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures quarante, sous la présidence de Mme Christiane Demontès .
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle, à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, le débat sur la question : « Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? » (rapport d’information n° 388).
La parole est à M. le président de la délégation sénatoriale à la prospective.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis toujours très heureux lorsque les travaux de la délégation sénatoriale à la prospective parviennent jusqu’à la séance publique et y suscitent un débat tel que celui qui s’ouvre.
Ces occasions nous permettent de prendre un peu de hauteur, ou plutôt de recul, en réfléchissant ensemble à un horizon qui n’est pas celui du court terme. Tel est l’exercice auquel nous nous apprêtons à nous livrer, sur un sujet particulièrement difficile : la pauvreté.
Dans la mesure où aucun organe équivalent n’existe à l’Assemblée nationale, vous ignorez peut-être, madame la secrétaire d’État, que la délégation sénatoriale à la prospective a pour vocation de déceler les évolutions économiques et sociales pour les porter à la connaissance du Sénat. Ses membres ont aussi pour tâche, si ces transformations ne leur paraissent pas aller dans le bon sens, de susciter les textes de loi, les infléchissements de politique et les actions positives propres à en corriger la trajectoire à moyen ou à long terme.
Le phénomène de la pauvreté, qui est l’objet de ce débat, n’est malheureusement pas nouveau, même dans nos pays riches ; mais ce qui a poussé Yannick Vaugrenard à écrire son rapport d’information, c’est le constat que la pauvreté devient héréditaire : elle se transmet de génération en génération, comme le ferait une malédiction.
Pour trouver les moyens de briser cet enchaînement tragique, M. Vaugrenard a entrepris un travail très approfondi, faisant preuve, sur ce sujet sensible, d’une grande détermination et d’une implication personnelle que je salue.
Bien évidemment, il n’a pas la prétention d’avoir entièrement exploré ce domaine qui apparaît sans limite mais, pour avoir suivi de près ses travaux, je sais combien il s’est attaché à consolider sa réflexion.
Conformément à notre processus de maturation interne à la délégation, nous avons achevé notre réflexion, avec la présentation d’un rapport, par un atelier de prospective, ce qui nous permet de rassembler les parties prenantes et de les faire dialoguer entre elles, et avec nous, bien sûr.
Je dois dire que celui que nous avons tenu en février dernier à cette occasion était particulièrement fructueux, ne serait-ce que parce qu’il a permis de donner la parole, ce qui n’est pas si fréquent, aux personnes en situation de pauvreté elles-mêmes et aux associations caritatives qui s’impliquent activement à leurs côtés, et dont je veux souligner le dévouement.
Avant de laisser la parole à notre rapporteur, je voudrais indiquer enfin, car sa modestie le conduira à le taire, que son rapport a fait l’objet d’une large couverture de presse qui s’est étendue jusqu’en Tunisie, ce qui veut dire qu’à l’étranger aussi on lit les rapports du Sénat quand ils sont bons !
En souhaitant que notre débat d’aujourd’hui soit constructif, pragmatique et porteur d’espoirs pour les millions de nos concitoyens qui vivent dans la précarité, je vous remercie, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, de votre présence et de votre écoute. §
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous dire combien je me réjouis de la tenue de ce débat, qui fait suite au rapport que j’ai présenté en février dernier à la délégation à la prospective sous le titre Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité !
C’est en effet animé par la conviction qu’il n’était plus possible d’accepter l’inexorable progression de la pauvreté et de l’exclusion que j’ai proposé à la délégation d’engager un travail sur ce thème.
Je veux ici remercier le président de la délégation, Joël Bourdin, qui a soutenu cette proposition, et les deux administrateurs qui m’ont accompagné avec disponibilité et grande efficacité.
« Ce qu’il y a de scandaleux dans le scandale, c’est qu’on s’y habitue », écrivait Simone de Beauvoir. Nous ne pouvons plus nous mettre la tête dans le sable et ignorer la triste réalité : la France, certes, est un pays riche. Et pourtant plus de 14 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit 977 euros par mois ; la pauvreté touche près de 9 millions de personnes et près de 4 millions de ménages.
Plus déstabilisant, plus choquant encore, un enfant sur cinq est pauvre ; dans les zones urbaines sensibles, c’est même le cas d’un enfant sur deux.
Nous devons nous rendre à l’évidence : le système, tel qu’il est actuellement conçu, ne protège plus contre l’exclusion. Et je ne vois pas que l’on puisse se résigner à ce « raz-de-marée de la misère », un raz-de-marée d’autant plus dramatique qu’il est devenu très silencieux.
Peut-être jugez-vous que le fait de conduire une démarche prospective sur le thème de la pauvreté était une entreprise originale, singulière, voire téméraire. Je pense très modestement qu’elle a eu le mérite de nous mettre dans l’inconfort et de nous obliger à reconsidérer un certain nombre de principes. C’était un vaste projet et il a été mené avec toute l’humilité que je devais à l’étude d’un sujet qui marque la vie de millions d’hommes, de femmes, mais aussi d’enfants.
Le rapport, dont la délégation a adopté les préconisations, doit beaucoup à l’écoute et à l’échange, notamment avec les associations, dont je veux saluer le formidable travail ainsi que l’engagement quotidien.
Plus de quarante auditions ont été menées. Elles ont été complétées par deux déplacements, l’un à Bruxelles, pour examiner la situation au niveau tant de l’Union européenne que de la Belgique, l’autre dans la Loire-Atlantique, un département investi dans l’action et l’innovation, et dont les initiatives méritaient d’être observées.
Toutes ces rencontres, que ce soit au Sénat ou sur le terrain, particulièrement à l’occasion de deux maraudes de nuit avec les équipes du SAMU social de Paris, ont été pour moi riches d’enseignements : j’ai pu m’entretenir avec des élus, des personnalités, des universitaires, des responsables administratifs et associatifs, sans oublier, bien sûr, des personnes en situation de pauvreté. Toutes et tous ont contribué, par leur expertise et leur expérience, à nourrir la réflexion et à nous aider à dégager des pistes d’amélioration.
Pour se projeter dans l’avenir, il faut partir du présent. Tel est le préalable à toute démarche prospective. Après les quelques données que j’ai déjà citées, j’irai plus loin dans l’analyse chiffrée pour démontrer l’impérieuse nécessité d’une prise de conscience collective.
Loin de diminuer, la pauvreté est un phénomène aux multiples visages, qui se durcit, se transforme et s’étend à de nouvelles populations. Si elle touche les jeunes, les familles, les chômeurs et les habitants des banlieues des grandes villes, elle frappe également les personnes âgées, les mères isolées avec souvent un seul enfant, les travailleurs précaires et de plus en plus les populations des territoires ruraux. Plusieurs facteurs m’ont apparu comme particulièrement marquants.
Le premier d’entre eux, ainsi que l’a souligné le président de la délégation, est la banalisation de l’hérédité de la pauvreté. Déjà, en 2008, la mission commune d’information sénatoriale sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion faisait ce constat à la fois inadmissible et insupportable : « Trop souvent, on naît pauvre, on le reste, on ne le devient que plus rarement. »
J’ai déjà évoqué les enfants pauvres, qui sont 3 millions dans notre pays. Les jeunes de moins de vingt-cinq ans ne sont pas mieux lotis : ils représentent 42 % de la population pauvre alors qu’ils ne forment que 30 % de la population totale.
Si des enfants sont pauvres, c’est parce qu’ils vivent dans des familles pauvres, lesquelles sont de plus en plus souvent monoparentales. Il s’est produit, au cours de ces dernières années, un changement notable dans la constitution sociale des ménages pauvres en France : désormais, le nombre de personnes pauvres vivant dans des familles monoparentales est bien supérieur au nombre de pauvres vivant dans des familles nombreuses.
À la tête de ces familles monoparentales on trouve essentiellement des femmes, dans neuf cas sur dix. Celles-ci subissent une double précarisation, parce qu’elles occupent très souvent des emplois sous-qualifiés, qu’elles subissent des temps partiels contraints, morcelés et peu rémunérés, mais aussi en raison des versements irréguliers, aléatoires, voire totalement inexistants, de la pension alimentaire.
J’évoquerai également le coût du logement. Alors que celui-ci a connu, en dix ans, une augmentation sans précédent, avec un doublement du prix d’achat, dans le même temps, les dispositifs censés atténuer les difficultés de logement, à l’instar des aides personnalisées au logement, ont été fragilisés.
Par ailleurs, ne nous voilons pas la face : pauvreté et inégalités sont indissolublement liées. Les deux dernières décennies ont en effet été marquées par une augmentation à fois des inégalités de revenus et du nombre de pauvres.
Ainsi, dans notre pays, les 10 % les plus riches accaparent la moitié de la fortune nationale quand les 50 % les moins fortunés ne s’en partagent que 7 %. Entre 2008 et 2011, le pouvoir d’achat des 10 % les plus pauvres a reculé de 3, 4 % tandis que celui des 5 % les plus riches augmentait de 3, 5 %.
Par conséquent, la lutte contre la pauvreté ne peut s’exonérer d’une réflexion sur les inégalités, d’autant que celles-ci ne sont pas uniquement financières.
À ce stade, je voudrais souligner, pour le déplorer, un point essentiel : c’est notamment en France que l’origine familiale et sociale des élèves pèse le plus lourdement sur leur réussite scolaire.
Aujourd’hui, dans notre pays, sept enfants d’ouvriers sur dix sont ouvriers et sept enfants de cadres sur dix sont cadres.
L’impact déterminant de l’origine familiale et sociale dans la réussite scolaire a été pointé par l’OCDE, lors de sa dernière enquête triennale PISA, menée en 2012, ce qui l’a amenée à conclure : « En France, lorsque l’on appartient à un milieu défavorisé, on a clairement aujourd’hui moins de chances de réussir qu’en 2003. »
Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce triste état des lieux de la pauvreté étant dressé, j’en viens aux objectifs que je vise et aux préconisations que je souhaite formuler.
Si rien n’est fait, nous l’avons vu, c’est à une prolongation de la situation actuelle que nous assisterons. En d’autres termes, le scénario noir va se répéter inexorablement. Une démocratie comme la nôtre, une République comme la nôtre, un pays des droits de l’homme comme le nôtre ne peut l’accepter ! Il importe donc de lutter contre l’immobilisme et l’indifférence, et de privilégier un scénario de rupture, en nous fixant trois objectifs généraux : prendre conscience, instaurer la confiance et enfin oser la fraternité. Cette ambition globale, j’entends l’étayer par des mesures concrètes, ciblées, d’application immédiate ou de plus long terme.
Prendre conscience, c’est d’abord rendre l’appareil statistique de mesure plus réactif. Il faut le savoir, l’INSEE fournit les statistiques officielles sur la pauvreté avec deux ans de retard. Les derniers chiffres dont nous disposons datent de 2011 : ce n’est pas admissible.
Pour nous donner les moyens d’appréhender la réalité de la situation et d’y faire face, il nous faut pouvoir disposer de statistiques mensuelles sur le taux de pauvreté, comme c’est le cas, du reste, pour le chômage ou l’inflation. C’est techniquement faisable : des techniques de microsimulation sont utilisées au niveau de l’Union européenne et déjà appliquées dans une dizaine d’États membres, dont le Royaume-Uni, l'Irlande, la Suède, l'Autriche, la Belgique. Pourquoi ne pas faire de même en France ?
Prendre conscience, c’est ensuite remettre la question des inégalités, que j’ai évoquées, au cœur du débat. Si nous vivons actuellement une crise économique, financière et sociale aux conséquences dramatiques, je veux le souligner ici : la croissance, pas plus que la baisse du chômage d’ailleurs, n’a d’impact automatique et réel sur la réduction de la pauvreté.
En outre, servir une cause comme la lutte contre la pauvreté, c’est avec volontarisme s’engager à lui attribuer de nouveaux moyens, par une plus grande fermeté contre la fraude et l’évasion fiscale, sans exclure la mobilisation de leviers fiscaux encore disponibles pour les plus fortunés de nos concitoyens !
Prendre conscience, c’est enfin consacrer la primauté du politique. Seule l’affirmation d’une volonté politique claire et déterminée permettra d’obtenir un infléchissement des tendances lourdes observées actuellement.
L’Union européenne a ouvert la voie en adoptant, en 2010, sa stratégie « Europe 2020 » aux objectifs ambitieux, parmi lesquels celui de s’attacher « à ce que 20 millions de personnes au moins cessent d’être confrontées au risque de pauvreté et d’exclusion ». Or, depuis 2010, le nombre de pauvres en Europe, loin de se réduire, a augmenté de 7 millions.
En France, au début de 2013, le Gouvernement a présenté un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui prévoit notamment la revalorisation des minima sociaux, l’instauration d’une « garantie jeunes », l’aide aux familles, ainsi que l’investissement dans l’hébergement et l’accès au logement.
Une telle initiative était nécessaire, elle était même indispensable. Néanmoins, je tiens à le dire aujourd’hui devant vous, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je pense qu’elle ne sera pas suffisante. Il faut aller plus loin, par une mobilisation générale immédiate et plus large que les mesures actuellement prévues. Le portage politique est donc un aspect essentiel. J’y reviendrai à la fin de mon intervention.
Instaurer la confiance constitue un deuxième objectif.
Non, les pauvres ne sont pas des assistés ! Il est plus facile de les stigmatiser, en les faisant passer pour des profiteurs, voire pire, pour des fraudeurs, plutôt que de s’attaquer résolument à la pauvreté.
Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : quand la fraude sociale – du fait, le plus souvent d’ailleurs, des employeurs – est évaluée à 4 milliards d’euros par an, la fraude fiscale s’élèverait, elle, à 60 milliards d’euros chaque année.
Il est plus que temps de mettre fin aux préjugés, celui d’un prétendu assistanat, notamment, et de balayer les idées reçues. Les personnes en situation de pauvreté sont d’abord et avant tout, et très majoritairement, des victimes, donc des ayants droit.
Penchons-nous réellement sur le phénomène du non-recours, car nombreux sont celles et ceux qui ne font pas valoir leurs droits, ne demandent pas les aides ou les minima sociaux auxquels ils sont pourtant éligibles, et renoncent même à se soigner, comme l’a montré notre collègue Aline Archimbaud, que je salue, dans un rapport remis en 2013 au Premier ministre et intitulé L’accès aux soins des plus démunis : 40 propositions pour un choc de solidarité.
Certains estiment que les non-dépenses résultant du non-recours font économiser 10 milliards d’euros à la collectivité dans son ensemble ! Cela explique peut-être l’acharnement pour le moins mesuré que l’on met à lutter contre le non-recours…
À mon sens, il est justifié d’envisager l’automaticité du versement des prestations sociales et de passer d’un contrôle a priori à un contrôle a posteriori : ce faisant, les fraudeurs de demain seront toujours moins nombreux que les non-recourants d’aujourd’hui.
Je suis au demeurant convaincu que passer ainsi de la défiance à la confiance coûterait au bout du compte moins cher à la société.
Instaurer la confiance, c’est également agir en priorité en faveur des enfants, pour briser ce déterminisme inacceptable qu’est l’hérédité de la pauvreté, sa transmission de génération en génération.
La société a changé. Elle n’est plus celle qui a présidé aux fondements du modèle social d’après-guerre. Hausse des divorces, multiplication des familles monoparentales, assumées le plus souvent par la mère, ce sont ces évolutions sociétales qui justifient de repenser véritablement la politique familiale.
Dans ce nouveau contexte, je suis favorable à l’attribution des allocations familiales dès le premier enfant, y compris si cela doit passer par leur mise sous conditions de ressources ou leur plafonnement.
Il convient, en outre, de pouvoir anticiper au mieux, lors de la séparation des parents, les conséquences matérielles et financières pour le ou les enfants concernés.
Pour les enfants qui vivent avec leurs familles des situations de grande détresse, je propose trois pistes d’action : d’abord, mettre en place un numéro spécial d’appel – un « 115 enfants », en quelque sorte –, en vue de venir prioritairement au secours des familles à la rue avec enfants ; ensuite, favoriser un hébergement durable dans un même lieu pour les familles sans logement afin de ne pas faire obstacle à la scolarisation de leurs enfants ; enfin, réduire à six mois le délai d’examen des demandes d’asile pour éviter les procédures d’expulsion touchant des familles dont les enfants ont été entre-temps scolarisés.
Quant aux jeunes adultes, ils sont trop souvent les laissés-pour-compte des politiques publiques.
Ils sont de plus en plus nombreux à être frappés par l’exclusion, sous le double effet de la précarisation du marché du travail et de l’éclatement des solidarités familiales. Cette situation met en péril la cohésion sociale en les pénalisant dans leurs droits à se voir accorder une pleine reconnaissance de leur citoyenneté.
Afin d’assurer, comme cela paraît légitime, l’ouverture des droits sociaux dès l’âge de dix-huit ans, il faut absolument faire coïncider majorité sociale et majorité légale.
De plus, pour ne pas figer les trajectoires de vie à la sortie du système scolaire, je souhaite que nous puissions nous inspirer de l’expérience danoise des bons mensuels de formation. Ceux-ci offrent jusqu’à cinq années de formation rémunérées, à utiliser en continu ou de manière fractionnée.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ne voyez là aucun signe de laxisme de ma part. Ce système, très astucieux, ne fonctionne évidemment pas sans de solides contreparties : l’assiduité à la formation est strictement contrôlée et la responsabilisation des bénéficiaires bien sûr favorisée.
Pour instaurer la confiance, il convient aussi d’instituer un référent unique pour l’accompagnement des personnes en détresse.
Fort d’un constat partagé sur la pluralité excessive des interlocuteurs, l’empilement inquiétant des structures et le cloisonnement opaque des dispositifs, la réponse logique est d’instaurer un accompagnement individualisé, plus simple et donc beaucoup plus efficace.
L’idée d’attribuer à chaque personne en situation de pauvreté un correspondant unique susceptible de la conseiller, de l’épauler dans ses démarches, de l’informer sur ses droits constitue, j’en ai conscience, une importante remise en cause des pratiques actuelles. Ce référent unique pourrait être un professionnel ou un bénévole, travailler dans un bureau d’aide sociale, à la caisse d’allocations familiales, à Pôle emploi, dans une association. L’essentiel est de parvenir à déterminer, au cas par cas, l’interlocuteur le plus à même de faire consensus en vue d’aider au mieux la personne en détresse et d’éviter que celle-ci n’ait à répéter son parcours de vie chaque fois qu’elle entreprend une nouvelle démarche.
J’en viens au troisième objectif : oser la fraternité.
Celui-ci, je tiens à le dire d’emblée, ne fait pas obstacle à la recherche de l’efficacité, tout au contraire.
Du fait de l’enchevêtrement des compétences et d’un millefeuille de dispositifs devenus illisibles, nombreuses sont les inefficacités constatées quotidiennement. Loin de moi bien sûr l’idée de remettre en cause les acquis de la décentralisation, mais force est de constater qu’il existe un traitement différencié de la pauvreté selon les territoires et des inégalités évidentes, selon les départements, dans le montant des aides extralégales versées.
Pour ma part, je considère que s’occuper des personnes en situation de pauvreté est une compétence régalienne de l’État. À ce titre, celui-ci ne doit plus se cantonner à un rôle d’infirmier ; il lui faut surtout agir en investisseur, en substituant la prévention à la réparation, en privilégiant une approche tout à la fois globale, en termes de politiques menées, et individualisée, en termes de publics visés.
Par ailleurs, la mobilisation coordonnée de tous les acteurs devrait permettre d’aller au plus près des populations concernées et d’adapter les dispositifs aux besoins réels.
L’un des enjeux essentiels qui est revenu comme un leitmotiv tout au long des auditions est l’absolue nécessité de généraliser le principe de participation des personnes pauvres aux politiques qui leur sont destinées. À cet égard, je rappellerai la célèbre formule de Nelson Mandela : « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi ».
De ce point de vue, la pérennisation du huitième collège du CNLE, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, collège qui réunit exclusivement des personnes en situation de pauvreté ou de précarité, est une excellente nouvelle.
Sur ce plan, la Belgique est largement en avance sur nous. Elle a développé une nouvelle fonction au sein des administrations fédérales, « l’expert du vécu en matière de pauvreté et d’exclusion sociale », dont la mission première est d’être un « chaînon manquant », un « passeur de savoirs » entre les personnes démunies, celles qui prennent des mesures et celles qui les exécutent.
La Belgique peut également nous servir d’exemple pour ce qui est de la simplification administrative.
Elle a en effet mis en place une banque de données dématérialisées, dénommée Banque carrefour de la sécurité sociale. Celle-ci permet de fluidifier et d’accélérer l’échange de données à caractère personnel entre les institutions de sécurité sociale, lesquelles, de ce fait, n’ont plus à demander plusieurs fois à la même personne toujours les mêmes renseignements.
Le service rendu s’en trouve considérablement amélioré, tandis que la protection de la vie privée reste totalement garantie par les procédures d’accès aux informations. Il aura fallu dix ans à nos voisins belges pour finaliser cet ambitieux projet. Qu’attendons-nous pour nous en inspirer ? Il va de soi qu’il appartiendra à la Commission nationale de l’informatique et des libertés de contrôler l’intégrité d’un tel système et le respect de la confidentialité.
Je sais que, dans deux de nos départements, une expérimentation est en cours sur l’instauration d’un dossier unique destiné à simplifier les démarches administratives des personnes en difficulté. Cependant, permettez-moi d’avoir des doutes sur la réelle portée simplificatrice de ce dispositif, qui me paraît encore bien trop compliqué.
Par ailleurs, je plaide pour que la simplification dans les transmissions des informations aille de pair avec celle des formulaires à remplir et du langage administratif employé, dont je puis vous assurer qu’ils ne sont clairs pour personne, pas même pour nous.
Une autre piste à explorer est celle qui consiste à libérer les initiatives et à promouvoir l’expérimentation.
En matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, tout n’a pas encore été essayé. Il serait temps de ne rien nous interdire, car c’est de l’expérimentation et de l’innovation qu’émergeront les bonnes pratiques.
Je souhaite, à ce titre, qu’il soit porté un regard attentif sur toutes les initiatives prises par le tissu associatif.
Soyons réalistes : une expérimentation qui ne serait pas suivie d’une évaluation, c’est l’assurance de répéter les mêmes erreurs et le risque de ne pas valoriser et généraliser une pratique innovante efficace. L’évaluation n’a de sens que si elle est effectuée à tous les niveaux et qu’elle devient une véritable aide à la décision.
Reconnaissons, concrètement, que toute politique publique peut avoir un effet, positif ou négatif, sur la pauvreté. Il importe dès lors de nous donner la possibilité d’évaluer systématiquement l’impact de chaque texte de loi ou même de chaque règlement, pour anticiper les conséquences potentielles non seulement sur la pauvreté elle-même, mais aussi et surtout sur les personnes concernées. Il s’agirait notamment de vérifier que les nouvelles dispositions leur sont accessibles, favorables, ou du moins qu’elles ne les pénalisent pas davantage, ce qui peut arriver.
De plus, toute action engagée devrait pouvoir faire l’objet d’une évaluation afin d’alimenter un « répertoire intelligent des pratiques innovantes ». Cela supposerait d’encourager également l’évaluation des professionnels, mais aussi, j’ose le dire, celle des bénévoles, avec toute la finesse et la diplomatie qui convient en l’espèce.
Telles sont, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les préconisations qui découlent des trois objectifs que nous nous sommes fixés : prendre conscience, instaurer la confiance, oser la fraternité.
Ce rapport d’information en appelle à des changements profonds sur un certain nombre de sujets fondamentaux. Toutefois, il a également l’ambition d’être le porte-voix de celles et ceux qui, frappés par la misère, sont contraints à « regarder passer la vie… mais sans y participer ». Privés de ressources, ils sont aussi privés de parole.
Lors de ma rencontre avec des membres d’ATD Quart Monde, l’un des intervenants, pourtant en situation de grande pauvreté, n’a pas un instant évoqué ses problèmes financiers. En revanche, il a insisté sur les notions de respect, de regard, d’attention, de dignité.
C’est pour cette raison que je soutiens l’initiative prise par ATD Quart Monde et relayée par Dominique Baudis, alors Défenseur des droits, dont je tiens à saluer ici la mémoire, visant à ajouter au sein du code pénal un vingtième critère de discrimination pour « précarité sociale », au même titre que l’âge, le sexe, l’origine, l’orientation sexuelle ou l’appartenance, réelle ou supposée, à une ethnie, race ou religion.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je conclurai en formant le vœu que le Sénat s’associe à l’édition 2014 de la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, célébrée le 17 octobre de chaque année.
Le président Jean-Pierre Bel m’a d’ores et déjà donné son accord de principe et exprimé son entier soutien pour l’organisation d’une ou de plusieurs manifestations. Je ne doute pas que celui ou celle qui lui succédera aura à cœur de reprendre cette initiative, qui s’inscrit, bien entendu, dans le cadre de l’engagement institutionnel de la Haute Assemblée.
Au bout du compte, mes chers collègues, je souhaite que notre réflexion et notre détermination collective pour enrayer le cycle de la pauvreté aboutissent à concrétiser l’espérance de notre éminent prédécesseur Victor Hugo, qui écrivit : « L’homme est fait non pas pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes ».
Applaudissements.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la délégation, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au nom de mon groupe, je voudrais tout d’abord remercier sincèrement Yannick Vaugrenard de l’important travail qu’il a fourni, saluer sa capacité d’écoute et la force de l’appel qu’il lance, appel qui, je l’espère, sera entendu et, surtout, suivi d’action. Car, comme vous l’avez dit, mon cher collègue, il y a urgence.
Toutes les études menées notamment par l’INSEE s’accordent à le dire : la pauvreté s’intensifie d’année en année dans notre pays. Si des dispositifs sont régulièrement mis en œuvre pour tenter de lutter contre l’exclusion des plus démunis, ils répondent rarement à une réflexion globale sur la pauvreté. C’est là l’un des principaux intérêts de votre rapport.
La pauvreté, si elle est multidimensionnelle, commence par une pauvreté économique. Vous l’avez rappelé : selon les chiffres publiés par l’INSEE, en 2011, 8, 7 millions de personnes vivaient avec moins de 977 euros par mois. À cette catégorie, sans doute plus nombreuse aujourd’hui, il faut ajouter les millions de nos concitoyens qui ne disposent que d’un peu plus que cette somme chaque mois. Ainsi, c’est une part importante de la population française qui est concernée.
Le mot « cycle » employé par Yannick Vaugrenard dans son rapport me semble très juste. En effet, les personnes fragiles sont enfermées dans un cercle vicieux dont il leur est extrêmement difficile de sortir. Emploi, logement, santé, transports, formation, culture, éducation sont autant d’aspects de la vie quotidienne qui forment la spirale de l’exclusion, laquelle est multidimensionnelle et cumulative.
Le baromètre de l’opinion lancé par la DREES, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, montre bien que nos concitoyens ressentent cette pluralité d’inégalités qui frappent les plus modestes et qu’ils ne les acceptent pas.
Pour la première fois depuis la mise en place de ce baromètre, en 2000, les inégalités d’accès aux soins sont jugées les moins acceptables – 22 % –, devant celles qui concernent les revenus – 19 % – et le logement – 16 %. Nos concitoyens y sont donc fortement sensibles.
Nous ne voulons pas d’un système social à deux vitesses. Malheureusement, le constat est évident : il subsiste dans notre pays de fortes inégalités de santé liées au niveau de revenu. Selon l’INSEE, l’espérance de vie d’un homme de trente-cinq ans diffère aujourd’hui de sept années selon qu’il est ouvrier ou cadre. Au-delà de la pénibilité du travail, qui peut partiellement expliquer les écarts d’espérance de vie, joue la question de la qualité et de l’accès aux soins en fonction du revenu.
Je pourrais citer d’autres exemples dans ce sens, mais je ne m’attarderai pas, car cela a déjà été développé. Toutefois, je veux insister sur le non-recours à des droits théoriquement ouverts – CMU complémentaire, aide à la complémentaire santé, aide médicale d’État –, mais aussi sur les énormes inégalités d’accès aux soins et, plus globalement, à la santé.
Près de quatorze ans après l’entrée en vigueur de la loi créant la couverture maladie universelle – CMU –, véritable avancée sociale, l’accès aux soins s’est détérioré en même temps que s’approfondissaient les difficultés sociales. La santé se dégrade avec la précarité et la maladie accroît la précarité.
Les chiffres publiés en octobre dernier dans le septième baromètre CSA pour Europ Assistance sont accablants : 33 % des sondés ont, en 2013, renoncé à se soigner pour raisons financières. Ce chiffre est en augmentation de six points par rapport à l’année précédente. Non seulement nous sommes bien au-dessus de l’ensemble des pays européens en termes de renoncement aux soins déclaré – la moyenne est de 18 % en Europe –, mais les Français sont aussi amenés à renoncer à se soigner en plus grande proportion que les Américains – ils sont 24 % à avoir pris cette décision –, dont le système de santé est pourtant régulièrement montré du doigt à la fois pour son coût et son caractère inégalitaire.
Cela a été dit, le renoncement aux soins est largement lié à une incroyable lourdeur et complexité des démarches à entreprendre pour les plus fragiles de nos concitoyens. Il tient également à des effets de seuils. Ainsi, pour un bénéficiaire du RSA socle, et donc théoriquement de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, toute activité rémunérée, même de seulement quelques heures par mois, lui fait dépasser le plafond de ressources. La personne perd alors son droit à la CMU-C. On pourrait multiplier les exemples.
Des pistes de travail ont été envisagées et des mesures, adoptées, comme cette Conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui s’est déroulée en janvier 2013.
Dans le temps qui me reste, je souhaiterais compléter mon propos.
J’ai remis au Premier ministre en septembre 2013 un rapport comprenant quarante propositions.
Il faut tout d’abord rendre effectif l’accès aux droits en simplifiant les démarches. Il existe actuellement un certain nombre de lourdeurs et de complexités administratives terribles.
Il convient de lever un certain nombre d’obstacles financiers en matière de lutte contre les inégalités dans le domaine de la santé. De ce point de vue, l’engagement de l’actuel gouvernement d’établir le tiers payant en 2017 est évidemment très important, et nous espérons que cette échéance sera respectée. Toutefois, il est aussi nécessaire de réguler les dépassements d’honoraires, qui posent un énorme problème d’inégalité d’accès à la santé. Il faut également soutenir les structures tournées vers les publics fragiles pour les rendre pérennes. En effet, un certain nombre d’entre elles se trouvent dans une situation extrêmement difficile – PASS, services des urgences dans les hôpitaux qui, de fait, accueillent de nombreux précaires, et beaucoup d’autres initiatives.
Par ailleurs, il est nécessaire d’améliorer la gouvernance territoriale et, mon collègue a évoqué avant moi cet aspect important, de renforcer les structures qui pratiquent aujourd’hui l’innovation, qu’il s’agisse de structures professionnelles, d’organismes animés par des associations, des bénévoles ou des salariés.
L’innovation consiste à mener des actions transversales, par exemple santé-logement ou santé-transport, qui puissent être soutenues par l’État. Or, aujourd’hui, elles ont beaucoup de mal à se faire entendre, dans la mesure où elles s’adressent à plusieurs interlocuteurs, et la vie de certaines d’entre elles est réellement menacée.
L’innovation, c’est aussi croiser dans les formations le social et le sanitaire ; c’est aussi tout ce qui permet, vous avez évoqué ce point, que les patients prennent en main leur santé et en soient acteurs. C’est ce que l’on appelle au Québec « la santé communautaire ». Au Québec, en Belgique et dans d’autres pays, il existe des pratiques de ce genre, qui sont encore considérées en France comme tout à fait marginales et dont on ne voit pas l’intérêt.
Enfin, l’accès à la prévention est extrêmement limité pour ce public.
Pour conclure, je remercie de nouveau Yannick Vaugrenard pour ce travail. Les résultats des élections municipales nous ont montré à quel point les inégalités sociales sont sources d’amertume, de colère, de risque de délitement de la cohésion nationale, de risque de montée des extrémismes sous toutes leurs formes. Il y a effectivement urgence. J’espère que ce débat permettra d’encourager des pratiques et des décisions utiles à tous les niveaux. §
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord commencer mon propos en remerciant nos collègues de la délégation sénatoriale à la prospective qui ont participé à l’élaboration et la rédaction de ce rapport d’information de qualité.
Il s’agit d’un travail très intéressant dont ses auteurs ont eu l’ambition de lui donner une portée générale tout en reprenant des exemples éclairants.
Comment enrayer la pauvreté ? Le débat sur ce thème reste malheureusement toujours un sujet d’actualité.
Pour ma part, j’ai souhaité, dans le cadre de la préparation de cette discussion, associer ceux qui sont directement concernés par la pauvreté et la précarité. J’ai donc, comme vous l’avez fait dans vos départements respectifs, rencontré les représentants de RSA 38, association qui regroupe les allocataires du RSA du département de l’Isère.
Mon intervention est par conséquent le fruit d’un travail collectif, issu d’échanges que nous avons partagés sur les différentes problématiques rencontrées directement par ces citoyens.
Première remarque que je souhaite souligner et qui a été souvent relevée dans le rapport d’information : ces personnes, avec qui j’ai pu échanger, sont d’une grande dignité et refusent d’être assimilées à l’assistanat.
J’ai bien ressenti de leur part de l’incompréhension, parfois de la déception, voire de la colère devant certaines situations qui peuvent paraître injustes.
Ce nouveau rapport sur la pauvreté dans notre pays est une nouvelle occasion pour notre assemblée de proposer des mesures concrètes – j’espère que le Gouvernement l’entendra – afin d’essayer d’améliorer le quotidien de ces femmes, de ces hommes et même de ces enfants qui vivent dans une situation d’extrême précarité.
La pauvreté, c’est quoi ? C’est manquer de revenus et de moyens pour vivre dans des conditions convenables. C’est avoir des difficultés à satisfaire ses besoins fondamentaux, comme se nourrir, se loger, se faire soigner, s’éduquer, payer ses factures. C’est perdre sa dignité face aux regards des autres.
L’objectif que nous partageons tous, mes chers collègues, est d’éviter que ne se développe encore plus une France à deux vitesses, avec, d’un côté, une partie de la population qui aurait un logement, un emploi, qui serait insérée socialement et, de l’autre, une partie de notre société qui serait celle des personnes oubliées ou des laissés-pour-compte.
Le rôle de l’État, solidaire, doit être prioritairement ciblé sur la mise en place d’actions vers ceux qui, souvent à la suite d’un accident de la vie, se retrouvent en grande précarité.
Nous en sommes tous conscients, cette situation peut arriver à n’importe qui, quels que soient son métier, son milieu social ou familial... Pis, vous l’avez dit, cette situation peut s’inscrire dans la durée et se transmettre au travers des générations.
De telles situations, nous en connaissons tous. J’ai parfois l’impression que notre société préfère fermer les yeux afin de ne pas voir ce qui se passe à deux pas de chez nous.
Oui, dans nos quartiers, nos villes et nos villages, des personnes souffrent de la pauvreté qui s’accompagne souvent de l’isolement et pensent peut-être à tort être les oubliées des élus, de la République et de la machine administrative.
Nous sommes des responsables politiques, il est donc de notre devoir dans notre Haute Assemblée de réagir, mais également d’agir avec des propositions concrètes afin que les victimes ne s’enfoncent pas encore un peu plus dans leur situation.
Comment une société moderne peut-elle fermer les yeux face à un tel drame ?
De grands hommes ont, dans leur histoire, su tirer la sonnette d’alarme face à de telles situations comme l’Abbé Pierre qui, en 1954, a fait réagir notre pays. Soixante ans après, la situation n’a pas beaucoup changé en France.
J’espère que ce rapport qui nous est présenté et que nos échanges de ce jour vont permettre une prise de conscience de cette fracture au sein de notre société, et que, madame la secrétaire d’État, vous pourrez en retirer quelques propositions pour réinstaurer une confiance tout en développant plus de fraternité.
En effet, cette prise de conscience ne doit pas s’arrêter à l’étude de rapports et à la lecture de statistiques. Il faut remettre impérativement l’humain au cœur de ce débat.
Il est temps de redonner la parole à ceux qui disparaissent dans l’anonymat des chiffres et des études, voir leurs situations, comprendre leurs difficultés afin de trouver au mieux une solution pour les faire sortir de ce labyrinthe.
C’est ainsi qu’il nous sera possible de restaurer une confiance entre ceux qui souffrent et les pouvoirs publics.
Toutefois, pour cela, il faut réaliser du concret et ne pas se contenter de beaux discours.
Parmi les nombreux points que vous évoquez et les différentes préconisations que vous avancez, je souhaite pour ma part et à la suite des échanges que j’ai pu avoir avec les bénéficiaires du RSA revenir sur deux préconisations qui ont un effet direct sur ces personnes.
La première est l’automatisation des prestations sociales, qui paraît aller dans le bon sens.
Cependant, je pense, et c’est une demande des allocataires du RSA, qu’il faut encore alléger et simplifier les procédures pour que les personnes en difficulté bénéficient plus facilement de ces aides. Vous l’avez rappelé tout à l’heure, monsieur le rapporteur.
On me rétorquera qu’il faut des garde-fous contre ceux qui pourraient tricher et frauder pour bénéficier de ces prestations. Or il ne faut pas oublier non plus que les bénéficiaires ont souvent besoin d’être accompagnés afin de connaître les droits auxquels ils peuvent avoir accès.
Le second point sur lequel je souhaite revenir est la proposition de généraliser le principe de participation des personnes pauvres aux politiques qui leur sont destinées.
Cette demande, je l’ai entendue plusieurs fois de la part des personnes qui sont au RSA.
Il est en effet regrettable de constater que les personnes concernées par le RSA ne sont pas présentes dans certains conseils d’administration où sont abordées des problématiques qui les concernent directement. Il est vrai que des responsables d’associations y siègent, mais pourquoi ne pas donner la parole aux personnes directement concernées, en proposant par exemple que, dans chaque conseil d’administration des caisses d’allocations familiales ou des bailleurs sociaux, un représentant des bénéficiaires du RSA puisse siéger ? Ceux-ci ne doivent pas se contenter d’être un numéro au bas d’un dossier. Ils sont des femmes et des hommes à part entière.
La précarité réside principalement dans l’absence de sécurité permettant aux personnes mais aussi aux familles d’assurer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de bénéficier des droits fondamentaux que la société leur apporte.
La pauvreté est donc une violation des droits de la femme et de l’homme. Trop souvent, aujourd’hui, les inégalités sociales, économiques et culturelles s’additionnent.
Monsieur le rapporteur, vous l’avez rappelé, Nelson Mandela affirmait : « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi ». En effet, participer, c’est proposer, c’est revendiquer, c’est aussi assumer.
Donner à un précaire le droit de s’exprimer, d’être écouté et d’exister en tant que personne au sein de la société conforterait leur rôle de citoyen à part entière et nous permettrait peut-être de mieux comprendre certains mécanismes d’exclusion, les causes et par là même ses conséquences pour y apporter de bonnes réponses.
C’est dans cette fraternité, qui est une valeur de notre République, que l’on redonnera de l’espoir à ces personnes.
Prenons la problématique du logement, qui, pour ces Français en grandes difficultés, reste, comme cela vient d’être rappelé, une réelle priorité.
Pour ceux qui ont la chance d’avoir un logement, la préoccupation majeure chaque mois est de pouvoir dans les délais impartis régler son loyer, sa facture d’électricité, sa facture d’eau, et ce avant même de penser à manger.
Proposer une présence active d’un représentant des bénéficiaires du RSA dans les conseils d’administration des offices d’HLM et des CAF permettrait, je l’ai dit, de mieux cerner certaines problématiques. Cela irait dans le sens du principe de participation que vous préconisez et permettrait une plus grande proximité dans l’analyse et la mise en place des politiques publiques à destination des personnes défavorisées.
Il s’agit là d’une avancée attendue par un grand nombre de personnes, et je souhaitais ainsi le souligner.
Pour conclure, je dirai que ce rapport est très intéressant, certaines de ses propositions sont bonnes et j’espère qu’elles ne resteront pas des vœux pieux. Il serait regrettable, pour ces personnes qui se sentent oubliées par notre société, que rien de concret ne débouche de ce travail collectif. §
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment enrayer le cycle de la pauvreté ? L’intitulé du présent débat peut laisser songeur – M. le rapporteur l’a concédé. Comme si le politique, discrédité, devait rappeler son hostilité aux plaies séculaires !
Sous nos latitudes, la question de la pauvreté comme fléau social se pose au moins depuis le XVIIIe siècle, et sans doute même depuis plus longtemps. Elle a donné lieu à plus d’une révolution et à nombre de théories, dont le marxisme, qui ont écrit notre histoire.
Sur le fondement des réponses à y apporter, trois modèles se sont affrontés au XXe siècle : celui de la collectivisation planifiée, celui du libéralisme dérégulé et un modèle intermédiaire, européen, de capitalisme social, également appelé « économie sociale de marché ».
Ce dernier modèle a porté ses fruits. Entre le début du XXe siècle et la fin des Trente Glorieuses, la pauvreté a considérablement régressé en France. M. le rapporteur l’a rappelé. Je tiens à le dire à mon tour. Mais, depuis, le phénomène semble bel et bien s’inverser. D’où la question posée aujourd’hui.
Monsieur le président de la délégation sénatoriale à la prospective, vous l’avez dit, cet exercice nous permet de prendre du recul. Vous avez précisé que, loin de vous était l’idée qu’en 2014, après mûre réflexion et un peu miraculeusement, nous aurions enfin trouvé la réponse !
Cette réponse, pour laquelle tant d’encre et de sang ont coulé, semble se trouver pour partie aux pages 119 à 124 de votre rapport d’information, qui renferment une douzaine de propositions, au demeurant très intéressantes. Suffiront-elles à résoudre un problème séculaire ? J’en doute. Toutefois, le présent débat revêt au moins un triple intérêt : intérêt du constat, intérêt de la clarification de la problématique et intérêt des propositions formulées.
Sur le constat, tout dépend de l’échelle de temps considérée. À l’échelle du siècle et au-delà, la pauvreté a reculé en France et en Europe. Mais, à l’échelle des seules dernières décennies, la tendance semble s’être sévèrement retournée. Je le souligne à mon tour. Les chiffres de l’INSEE sont éloquents : calculé par rapport à un seuil fixé à 60 % du niveau de vie médian, le taux de pauvreté en France a atteint, en 2011, son plus haut niveau depuis 1997. En hausse de 0, 3 point par rapport à 2010, il s’établit à 14, 3 % de la population. Cela représente 8 720 000 personnes, dont le quart est en situation de très grande pauvreté. Autrement dit, il s’agit de personnes vivant avec moins de 790 euros par mois.
Évidemment, cette situation n’est pas acceptable. Elle est même très inquiétante, d’autant que le décrochage peut se lire à travers d’autres indicateurs, tels que le classement PISA de la France en matière d’éducation, ou ces 15 % à 20 % d’enfants qui, malheureusement, entrent au collège sans maîtriser la lecture ou le calcul. Le père Joseph Wresenski, fondateur d’ATD Quart Monde, disait que la politique d’éducation était certainement l’arme la plus fondamentale pour combattre la pauvreté.
La partie du rapport consacrée à la problématisation du phénomène est elle aussi très éclairante, en particulier en ce qu’elle bat en brèche un certain nombre d’idées reçues relatives à la fraude sociale. Alors que la fraude aux prestations représente au maximum 4 milliards d’euros, le travail au noir atteindrait 15 milliards d’euros et la fraude fiscale 50 milliards d’euros !
La comparaison entre fraude sociale et non-recours aux prestations – qui vient d’être évoqué – est également très parlante : ce non-recours représenterait plus de 5 milliards d’euros. Il est donc, en volume, plus important que la fraude aux prestations. Cela n’excuse en rien cette dernière, mais en relativise tout de même l’importance.
J’en viens au volet « propositions » du présent rapport. Il s’agit d’une douzaine de pistes générales intéressantes, auxquelles on ne saurait globalement que souscrire. Comment ne pas acquiescer à l’objectif de rendre l’appareil statistique plus réactif, ou à celui de remobiliser l’État pour qu’il continue de jouer pleinement son rôle de réduction des inégalités territoriales ?
Certaines de ces propositions retiennent plus particulièrement notre attention, comme l’expérimentation, ou la concentration des aides sur les enfants et les jeunes adultes. En effet, ces pistes ouvrent d’autres perspectives qui nous sont propres.
Ce qui nous frappe d’emblée et le plus vivement dans ce rapport, c’est l’absence totale de réflexion économique. Bien sûr, je sais que l’on ne peut pas traiter de tout dans un rapport, et que celui-ci a avant tout une finalité sociale. Toutefois, comment répondre à la question posée sans évoquer la problématique de la croissance économique ? Pour enrayer la pauvreté, il faut redistribuer de la richesse. Et pour redistribuer de la richesse, il faut d’abord la produire !
Si, durant les Trente Glorieuses, les pauvretés se sont à ce point réduites dans notre pays, c’est parce que la croissance soutenue a alimenté notre système de redistribution. La fraternité commence par là !
La première approche doit donc être celle de la relance économique, en particulier de l’investissement, notamment humain. §C’est toute la problématique du choc de simplification et de compétitivité. Je ne m’étendrai pas sur ce sujet. Je souligne néanmoins que je défends, avec les membres du groupe auquel j’appartiens, une réforme structurelle de notre système de prélèvements obligatoires, précisément afin que celui-ci pèse moins sur la production et plus sur la consommation.
Voilà une première réponse.
Ensuite, une fois la richesse produite, se pose effectivement la question de sa répartition.
À ce stade de l’analyse, nous rejoignons les auteurs du présent rapport : le système aujourd’hui en vigueur a fait son temps et doit être adapté à la réalité actuelle. Mais, à nos yeux, la réforme à entreprendre est bien plus large, bien plus profonde que celle qui est esquissée, et à plus forte raison que les mesures du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, plan dont le rapport d’évaluation établi par François Chérèque dresse en filigrane un bilan assez négatif.
Plus fondamentalement, c’est l’ensemble de notre système de protection et d’aides sociales qu’il faut remettre à plat, à commencer par les retraites. Cette question est évoquée dans le présent rapport : la France occupe, en la matière, une position intermédiaire en Europe, loin derrière un groupe de pays rassemblant l’Autriche, les Pays-Bas et les États scandinaves. Il est souligné que ces pays ont, afin de maintenir cette position, consenti des adaptations « extrêmement vigoureuses » pour préserver leurs systèmes de retraites en les faisant basculer vers un système par points. C’est exactement ce que nous proposons.
Indépendamment de la question des retraites, notre collègue Valérie Létard avait publié en 2005 un rapport intitulé Minima sociaux : mieux concilier équité et reprise d’activité », qui mettait en exergue le poids des droits connexes aux minima sociaux. Ces réflexions ont d’ailleurs donné naissance au RSA.
Comment concilier en fait ces droits très variés et complexes, pour qu’ils ne deviennent pas des trappes à inactivité et donc des trappes à pauvreté ? Près de dix ans plus tard, la question est toujours d’actualité. Le rapport de M. Vaugrenard l’indique clairement : tout le système doit être repensé et concentré sur les populations les plus fragiles, sur ces hommes et ces femmes qui en ont le plus besoin. Autrement dit, il faut en finir avec le saupoudrage pour cibler les jeunes, les femmes seules avec des enfants à charge et les demandeurs d’emploi de longue durée.
En conclusion, j’affirme à mon tour que cette réforme doit passer par l’expérimentation. Elle doit passer par la fraternité, que pratiquent de nombreuses associations dont j’ai plaisir à saluer l’action et qu’il faut bien sûr continuer à soutenir. Telle est la réponse que nous apportons à votre excellent rapport, monsieur Vaugrenard.
MM. Gérard Roche, Michel Savin et François Fortassin ainsi que M. le président de la délégation sénatoriale à la prospective applaudissent.
Avec ces quelques mots, on voit bien qu’enrayer le cycle de la pauvreté, comme nous y invite la délégation sénatoriale à la prospective, est un projet ambitieux qui, je veux le dire d’emblée, suppose des changements radicaux.
Ce rapport présente trois objectifs et douze préconisations. Au-delà de ces pistes pratiques pertinentes, j’insisterai sur un point qui me paraît essentiel dans le cadre de notre débat.
À mon sens, il faut repenser le travail, et la place des femmes et des hommes dans cette sphère.
Il faut redonner du sens au travail, à la production de richesses, à l’orientation et la destination des richesses produites.
Il faut nous interroger sur la société que nous voulons construire et donc sur le sens de nos priorités, sur la manière dont il convient de faire primer les besoins humains, sociaux, sanitaires et environnementaux sur d’autres, et notamment sur ceux de la finance et des plus riches.
Yannick Vaugrenard le rappelle dans son rapport : « Les personnes en situation de pauvreté sont d’abord et avant tout des victimes. » Je partage sa conviction et, de cette affirmation, je tire deux constats.
Premièrement, si les personnes en situation de pauvreté sont des victimes, nous devons nous doter des outils permettant de sanctionner les coupables. Or, force est de le constater, en la matière, beaucoup reste à faire.
Avec des millions de femmes et d’hommes, nous espérions, au groupe CRC, que l’élection de François Hollande permettrait de s’atteler à la tâche. Nous avons été profondément déçus, notamment lorsque nous avons constaté que la principale disposition destinée à lutter contre la précarité des femmes au titre du projet de loi relatif à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes se limitait à un mécanisme de garantie des pensions alimentaires. Cette mesure devait être mise en œuvre, mais elle ne saurait suffire.
Le premier facteur de précarité, le travail, le sous-travail, les salaires de misère, les modes d’organisation précarisante des salariés et singulièrement des femmes salariées ne sont jamais remis en cause. Ce sont bien les employeurs qui, en favorisant pour des raisons financières le travail à temps partiel, sont responsables de cette précarité. Mais eux ne sont jamais inquiétés !
Les amendements que nous avions déposés, visant à sanctionner financièrement les employeurs qui généralisent le précariat, ont été rejetés par la majorité du Sénat.
Madame la secrétaire d’État, le gouvernement auquel vous appartenez s’y est opposé et a repoussé l’application d’une mesure partiellement protectrice pour ces mêmes femmes travaillant à temps partiel.
En réalité, le Gouvernement a fait comme s’il n’y avait pas de responsables à l’émergence d’un salariat précarisé, comme s’il n’était pas temps, dans le secteur marchand et la grande distribution notamment, de se poser, comme nous y invite ce rapport, la question de la répartition des richesses.
Ne nous y trompons pas : si la pauvreté progresse, les riches, les ultrariches sont à la fois de plus en plus riches et de plus en plus nombreux. Comment ne pas être scandalisé en découvrant que les cinq familles les plus riches de France possèdent beaucoup plus que les 30 % de ménages les plus pauvres ? La plus riche des familles françaises, celle de Liliane Bettencourt, onzième fortune mondiale selon Forbes avec 24, 8 milliards d’euros, détient à elle seule deux fois plus de patrimoine que les 20 % de ménages français les plus pauvres !
La situation est telle que même Le Figaro, à la suite d’une étude de l’INSEE consacrée aux inégalités sociales, titrait, dans un article d’octobre 2013 : « Des riches toujours plus riches et des pauvres toujours plus pauvres ».
Deuxièmement, parce que les personnes en situation de pauvreté sont des victimes, il faut prendre soin d’éviter les petites phrases, les discours culpabilisants et les métaphores assassines.
Non, celles et ceux qui tentent de survivre grâce aux mécanismes de solidarité ne sont pas des parasites et ne constituent pas un cancer de notre société.
M. Jean-Pierre Bosino acquiesce.
Non, il ne s’agit pas de personnes irresponsables qui préféreraient profiter de notre système plutôt que de se prendre en main. J’en veux pour preuve – M. Vaugrenard a insisté sur ce point – les taux connus de non-recours des personnes éligibles à certaines prestations ou à certaines aides sociales.
Pour le seul RSA de base, le non-recours était estimé en 2011 à 50 % des publics potentiellement concernés. En matière d’assurance maladie, l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, l’ACS, se caractérise par un taux de non-recours de 70 %. Au titre de ces seules deux prestations, ce sont plus de 6 milliards d’euros qui ne sont pas servis !
Nous ne pouvons pas ignorer ce constat. Il doit nous inviter à repenser notre politique d’accompagnement de nos concitoyens les plus pauvres. Il faut simplifier les démarches et, pourquoi pas, imaginer un interlocuteur et un dossier uniques pour toutes les demandes. Au titre du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, j’avais, en qualité de rapporteur de la branche famille, émis ce vœu pour les prestations sociales.
Paradoxalement, en apparence du moins, les plus précaires sont les plus nombreux parmi les non-requérants. Malgré cette réalité factuelle, mesurable et évaluée annuellement, un sondage de l’IFOP le révélait à la fin de 2012 : huit Français sur dix estiment qu’il y a « trop d’assistanat » et que « beaucoup de gens abusent des aides sociales ».
Ce hiatus entre la réalité des dépenses sociales et la perception qu’en ont nos concitoyens doit nous alerter sur l’obligation qui nous est faite, comme responsables politiques, d’éviter les raccourcis faciles et la stigmatisation.
Pour autant, que les choses soient claires : nous ne devons pas éluder la question de la pauvreté. Elle doit être appréhendée comme un sujet multifactoriel, et faire l’objet d’une politique transversale. Cela suppose, comme le préconise notre collègue, de remettre la question des inégalités au cœur du débat. Vous ne serez pas surpris que je partage également son analyse selon laquelle nous devons nous interroger sur la répartition et la redistribution des richesses. Je le dis ici pour la seconde fois, car c’est bien là le cœur du sujet.
Enfin, pour conclure, je voudrais dire quelques mots sur un aspect spécifique de cette pauvreté, qui ne peut que nous révolter, toutes et tous. En effet, le rapport de la délégation souligne, à raison, que la pauvreté est plus qu’un cycle – ce qui signifierait qu’elle est ponctuellement réversible – et apparaît de plus en plus comme héréditaire et transmissible, à l’instar, d’ailleurs, de la fortune.
Bien entendu, ce fait en dit beaucoup sur les insuffisances de notre système et sur l’échec partiel de nos politiques. Les premières victimes en sont les jeunes. Selon un rapport accablant de l’UNICEF, intitulé Mesurer la pauvreté des enfants, le taux d’enfants pauvres dans notre pays oscillerait entre 8, 8 % et 10 %.
Cela est d’autant plus dramatique que tout nous conduit à penser que ces enfants n’auront pas, ou quasiment pas, l’opportunité de bénéficier d’une réelle promotion sociale leur permettant de s’extraire de la pauvreté. Les parcours de vie des plus pauvres sont en effet différents de ceux des plus riches, ou même de ceux qu’il est convenu d’appeler les classes moyennes. Bien que celles-ci soient aussi touchées par une forme de paupérisation, on assiste à un mécanisme d’exclusion sociale qui se traduit par des parcours, des cheminements, des vies parallèles qui ne se croisent que rarement.
D’où l’impérieuse nécessité de faire de la lutte contre la pauvreté infantile une priorité nationale. Cela passe par les prestations sociales et familiales, notamment celles que servent les caisses d’allocations familiales. Mais ces prestations, fort heureusement, n’ont pas toutes pour seule vocation la lutte contre la pauvreté. Elles représentent la reconnaissance de l’intérêt de la nation tout entière pour ses enfants, tous ses enfants, car, riches comme pauvres, ils sont l’avenir de notre pays.
Il faut donc imaginer autre chose : une politique complémentaire, fondée sur les besoins des enfants.
Plusieurs pistes sont possibles et aucune d’entre elles n’a réellement été évaluée. Je pense, par exemple, à la proposition formulée par l’UFAL, l’Union des familles laïques, d’une fusion des prestations familiales à travers la mise en œuvre d’une prestation universelle unique versée dès le premier enfant. Je me félicite d’ailleurs que notre rapporteur soit favorable à notre proposition de loi visant à permettre le versement de l’allocation familiale dès le premier enfant.
Je pense encore à la proposition portée par l’UNICEF d’une politique ambitieuse destinée à réduire la pauvreté. Il me semble d’ailleurs qu’il serait plus juste de parler, à l’instar de notre collègue Yannick Vaugrenard, de « situation de pauvreté ». Situation de pauvreté, car elle n’est pas insurmontable ; situation, car les mécanismes et les conséquences sont pluriels.
Nous nous trouvons dès lors face à une analogie avec la notion de « situation de handicap », ce qui conduit l’UNICEF à proposer la création d’une allocation de compensation de la pauvreté pour les enfants, à l’instar de ce qui existe par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Ces pistes, madame la secrétaire d’État, nécessitent selon nous un approfondissement sérieux, public et contradictoire qui présente, compte tenu de la situation, un véritable caractère d’urgence ! §
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la délégation, monsieur le rapporteur et cher Yannick, mes chers collègues, je commencerai par remercier le rapporteur pour ce travail approfondi et courageux, sur un thème que l’on souhaiterait voir relégué au passé : la pauvreté.
Les chiffres sont accablants, ainsi que le démontre le rapport, et nous ne pouvons décemment rester sans agir, de manière solidaire, auprès des enfants et des adultes concernés.
Je souhaite insister, pour ma part, sur deux angles qui rejoignent mes préoccupations constantes : la situation des femmes et des enfants.
Car, oui, la pauvreté a un sexe. Les femmes comptent parmi les plus pauvres, quel que soit leur âge. Selon l’Observatoire des inégalités, au seuil de 60 % du revenu médian, on compte 4, 7 millions de femmes pour 4 millions d’hommes. Après soixante-quinze ans, on dénombre même deux fois plus de femmes pauvres que d’hommes pauvres.
Je ne vais pas détailler les caractéristiques des discriminations cumulées qui marquent la permanence de la précarité et de la pauvreté chez les femmes. Je n’en citerai que quelques-unes : leur difficile accès à l’emploi, notamment à temps plein ; les salaires inférieurs à travail égal, malgré un niveau de formation en moyenne plus élevé ; la pénibilité du travail des secteurs de l’aide à la personne, de la distribution, ou encore de l’industrie, où elles travaillent en nombre. La protection sociale étant liée au niveau de salaire, leurs indemnités maladie, maternité et retraite sont également plus faibles.
Tous ces éléments expliquent pourquoi les femmes comptent parmi les travailleurs les plus pauvres. Le chômage les frappe également plus durement et plus durablement que les hommes.
Selon une récente étude de l’Observatoire national de la politique de la ville, les femmes des zones urbaines sensibles, ou ZUS, accusent un retrait important du marché du travail depuis 2009. Ainsi en 2012, presque 42 % des femmes de vingt-cinq à soixante-quatre ans résidant en ZUS sont inactives, contre 25 % de leurs homologues des autres quartiers.
L’organisation familiale pèse beaucoup sur l’activité professionnelle et le niveau de revenu des femmes. Le taux d’activité des femmes sans enfant est presque équivalent à celui des hommes, mais il s’amenuise fortement avec le nombre d’enfants, alors que celui des hommes reste stable.
Ce sont aussi les femmes qui prennent en charge leurs parents vieillissants et leurs proches porteurs de handicaps. Ces activités, non rémunérées et non génératrices de droits sociaux et pourtant si utiles socialement et humainement, creusent indéniablement le fossé des inégalités.
Enfin, les femmes sont à la tête de 85 % des familles monoparentales. Celles-ci comptent, nous le savons bien, parmi les plus pauvres de notre pays.
Cette situation conduit, comme le souligne justement M. le rapporteur, à l’hérédité de la pauvreté. Un enfant sur cinq est pauvre, soit trois millions d’enfants au total.
Le projet de loi relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes, que nous avons voté ici il y a quelques semaines, tente notamment de corriger le constat accablant du non-versement des pensions alimentaires dans 40 % des cas. Dans la plupart des situations, cette ressource est indispensable aux mères pour satisfaire les besoins primaires des enfants.
Je porte une attention particulière à ces familles financièrement et culturellement précaires, dans le travail que je conduis actuellement avec ma collègue Muguette Dini sur la protection de l’enfance. Nous partageons en effet la conviction qu’aider la mère, aider les parents, c’est aider l’enfant.
La pauvreté est aussi dans les têtes, nous dit très justement ce rapport. Les femmes doivent être accompagnées pour sortir de ce sentiment d’infériorité qu’elles ont intégré au fil des siècles. La lutte contre l’illettrisme fait partie des outils à développer pour lutter efficacement contre la pauvreté. Le récent rapport d’Olivier Noblecourt, relatif aux femmes migrantes, insiste sur la maîtrise de la langue comme facteur d’intégration sociale et professionnelle.
Sur ce point, rappelons que deux tiers des personnes illettrées dans le monde sont de sexe féminin. Il s’agit d’un enjeu démocratique fort, que l’enlèvement récent des 223 lycéennes au Nigeria vient d’illustrer tragiquement.
Je terminerai mon propos en soulignant l’importance des statistiques sexuées sur ces questions de précarité et de pauvreté. Ces données permettront d’engager des actions ciblées relatives aux spécificités de genre. Prendre en compte le continuum des discriminations, notamment à l’égard des filles et des femmes, dans la construction de la pauvreté est en effet essentiel pour trouver les moyens d’y remédier efficacement et durablement. §
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que la délégation sénatoriale à la prospective ait proposé d’organiser un débat sur un sujet aussi important et grave que la pauvreté, et nous permette ainsi de réfléchir aux moyens d’y mettre fin. Le travail accompli par la délégation, sur l’initiative de notre collègue Yannick Vaugrenard, est d’une grande qualité.
Bien que la France s’attache à endiguer le phénomène par des politiques ciblées, la pauvreté ne cesse de progresser : près de 900 000 personnes supplémentaires sont passées sous le seuil de pauvreté entre 2008 et 2011. Le fossé se creuse entre les plus démunis et ceux qui sont relativement aisés.
Certes, les transferts sociaux ont contribué, ces dernières années, à réguler la montée de la paupérisation. Selon une étude de l’INSEE intitulée La France dans l’Union européenne, les allocations familiales, les aides au logement ou les minima sociaux auraient ainsi réduit le taux de pauvreté de 41 %.
Pour autant, en raison d’une augmentation des durées de chômage et d’une légère hausse du nombre de chômeurs ne percevant plus d’indemnisation, l’impact de ces transferts sociaux s’est amoindri. Aujourd’hui, la montée de la pauvreté touche les jeunes, les familles monoparentales, les personnes peu qualifiées, les chômeurs, les moins diplômés, qui sont parfois proches de l’illettrisme.
Comme l’avait rappelé le Premier ministre le 24 janvier dernier, lors d’un déplacement à Cergy, « Les personnes en situation de pauvreté ne désirent qu’une chose : s’en sortir ; travailler, accéder à un logement décent, se soigner correctement, tout faire pour la réussite scolaire de leurs enfants ». Pourtant, les personnes en situation de fragilité économique et sociale sont encore trop souvent stigmatisées, et le climat économique qui règne depuis 2008 n’a fait qu’accentuer les choses : elles sont devenues des boucs émissaires, soupçonnées d’être responsables de leur situation. C’est absolument inacceptable.
Lutter contre la pauvreté nécessite avant tout un profond changement des mentalités. Il n’y a pas de fatalité ! Bien sûr, nous avons un devoir d’assistance envers ces personnes vulnérables, ceux qui ont moins. Nous devons leur venir en aide et les accompagner vers un retour à l’autonomie. C’est le sens même du mot « fraternité », pilier fondamental de notre démocratie. La misère est l’œuvre des hommes, seuls les hommes peuvent la détruire.
Cela nécessite également la mise en œuvre de politiques ambitieuses – au plan tant local que national – selon une approche transversale : éducation, formation professionnelle, travail, logement, accès aux soins, participation à la vie politique, sociale et culturelle. Sur ce point, je me félicite des actions menées par la nouvelle majorité à travers le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale.
Dans le domaine du logement, le Gouvernement a notamment renforcé la lutte contre l’habitat indigne, et a mis en place l’encadrement des loyers et la garantie universelle des loyers pour qu’enfin le logement ne soit plus une source d’exclusion. N’oublions pas qu’aujourd’hui encore 3, 6 millions de personnes sont mal logées, que 150 000 d’entre elles vivent dans des structures d’hébergement ou, pire, dans la rue et que 350 000 ménages disposant d’un logement en Île-de-France n’ont pas les revenus nécessaires pour faire face aux dépenses vitales de nourriture et d’habillement tout en assumant celles qui sont liées à l’habitation.
En matière d’emploi, le Gouvernement a mis en place les emplois d’avenir et les contrats de génération, destinés à résorber le chômage et la précarité des jeunes, notamment les moins qualifiés, comme des seniors. Plus récemment, le Premier ministre a annoncé que le report de la revalorisation des pensions de retraite ne concernerait pas les pensions inférieures à 1 200 euros.
Ces mesures – il en existe soixante et une – vont dans le bon sens. On peut toutefois regretter le retard dans la mise en œuvre de certaines d’entre elles.
Je pense notamment à la réforme du RSA activité. Il donne le sentiment d’être une véritable usine à gaz. Résultat : des milliers de personnes qui pourraient prétendre à cette allocation ne la demandent pas, si bien que chaque année plus de cinq milliards d’euros de RSA activité ne sont pas alloués. Pour la seule année 2011, 50 % des ayants droit potentiels de ce dispositif n’en avaient pas fait la demande.
Mais le non-recours aux aides sociales ne concerne pas seulement le RSA. On peut également citer les prestations familiales ou les aides au transport.
Ce phénomène est particulièrement inquiétant, car il condamne ceux qui n’en bénéficient pas, malgré leur éligibilité aux dispositifs existants, à s’enfoncer davantage dans la pauvreté. Les dommages sanitaires et sociaux qu’il provoque pèsent lourdement sur le système social.
Nous le savons bien, le défaut d’information, la complexité du système de prestations et la difficile identification des organismes à contacter découragent les bénéficiaires. C’est la raison pour laquelle il est indispensable, madame la secrétaire d'État, de simplifier et de recentrer les aides, et d’améliorer le système de détection des ayants droit.
Enfin, je veux insister sur un problème qui est, à mes yeux, scandaleux, je veux parler du gaspillage des denrées alimentaires.
Comment peut-on accepter que des fruits, tel le melon, et des légumes soient jetés à la décharge parce qu’ils n’ont pas tout à fait la dimension requise ? De même, peut-on accepter que ne soient pas mis en vente les fruits légèrement tavelés, alors qu’ils ont la même qualité gustative que les autres ? Enfin, peut-on accepter sans sourciller que nombre de produits périssables ne soient pas mis en vente à un prix inférieur – il est bien entendu normal qu’ils soient retirés de la vente à la date limite – quelques jours avant la date de péremption ? Rien n’est fait – ou si peu ! – pour qu’il en soit ainsi. Pourtant, ces produits sont de qualité. Il y a un gaspillage énorme en la matière. Or éviter ce gaspillage contribuerait à réduire la pauvreté.
Aussi, j’espère, madame la secrétaire d'État, que le gouvernement auquel vous appartenez réglera ce problème. Il est absolument indispensable que l’on engage une réflexion approfondie sur ce sujet. En effet, l’alimentation est un élément fondamental dans la lutte contre la pauvreté. Le gaspillage des denrées alimentaires doit donc être stigmatisé de façon très nette.
Tous les acteurs – l’État, les collectivités territoriales, les élus, les associations – doivent s’engager dans cette lutte. Il est bien entendu indispensable d’y associer les personnes en situation de pauvreté. Car, comme l’a rappelé notre collègue Yannick Vaugrenard, ceux qui subissent cette situation doivent être les premiers acteurs de leur propre promotion, faute de quoi la solidarité restera un vain mot. Il faut avant tout que cette solidarité et cette fraternité soient bien plus que de simples considérations purement philosophiques et trouvent leur concrétisation dans des actions fortes sur le terrain. §
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens à souligner le titre du rapport d’information de notre collègue Yannick Vaugrenard – Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité ! –, qui remet à l’honneur le mot « fraternité ». Par les temps qui courent, il n’est pas inutile de rappeler que ce beau mot figure dans notre devise républicaine.
Aujourd’hui, les personnes touchées par la pauvreté sont de plus en plus nombreuses, comme cela a été dit précédemment, et, surtout, de plus en plus pauvres. Pourtant, au cours de ces quinze dernières années, des mesures fortes en matière d’assistance et d’insertion ont été adoptées, telles que la CMU, le RMI et, plus récemment, le RSA.
En tout, les minima sociaux couvrent directement près de 3, 5 millions de personnes et plus de 6 millions si l’on compte les ayants droit. Ces chiffres sont alarmants : la pauvreté touche 14, 3 % de la population française, soit près de 9 millions de personnes. Elle se concentre essentiellement sur les catégories les plus frappées par le chômage, à savoir les jeunes, les femmes – Michelle Meunier l’a excellemment rappelé voilà quelques instants – et les seniors. Pour une large majorité d’entre eux, le sentiment qui prédomine est celui de « ne pas réussir à s’en sortir en raison de la précarité de l’emploi, de l’augmentation des dépenses contraintes, du prix des produits de première nécessité ».
L’INSEE l’a très bien démontré dans une étude récente sur le marché du travail en France portant sur les trente dernières années. En 1975, le taux de chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans était de 7 %. En 2012, il a atteint 24 %.
La jeunesse, qui doit être une priorité pour tout gouvernement, peine de plus en plus à s’insérer sur le marché du travail. Les jeunes sont les premières victimes de la précarisation par l’emploi ; nous avons eu dans cette enceinte de nombreux débats sur ce sujet. La moitié des salariés embauchés en contrat à durée déterminée, en stage ou en apprentissage ont moins de 29 ans. De plus, 17 % des 18-29 ans vivent en dessous du seuil de pauvreté, contre 13 % pour l’ensemble de la population. En 2008, plus d’un pauvre sur deux avait moins de 35 ans !
Le Gouvernement a pris la mesure des enjeux, et les premiers résultats sont là, les premières mesures également. Cependant, il convient d’aller plus loin, en renouant le dialogue avec les partenaires sociaux et les régions et en élaborant des stratégies de confiance pour redonner à la jeunesse une vision positive et moins sombre de l’avenir – de son avenir ! Nos propositions doivent être justes et adéquates.
Alors, oui, dans un souci d’enrayer l’une des causes de la paupérisation des jeunes, il est urgent de prendre la question de l’emploi des jeunes à bras-le-corps. À cet égard, je vous invite, mes chers collègues, à relire Léo Lagrange qui disait : « Aux jeunes, ne traçons pas un seul chemin ; ouvrons-leur toutes les routes. »
Accordons-nous sur la nécessité de développer des dispositifs d’accompagnement adaptés aux besoins spécifiques que rencontrent ces jeunes. Je ne crois pas à la théorie d’une « génération sacrifiée ». Car ce serait émettre l’hypothèse que la génération des jeunes forme un tout, qui s’oppose aux générations aînées. Cependant, au sein même de la jeunesse, l’hétérogénéité grandit.
Plus qu’à un état des lieux, notre débat, au travers des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective, vise avant tout à alerter les pouvoirs publics sur les enjeux de ces inégalités, qui passent par une mobilisation de l’ensemble des acteurs sociaux – entreprises, collectivités, organisations socioprofessionnelles – et, bien évidemment, des jeunes eux-mêmes.
La précarité chez les jeunes a aussi un impact sur leur santé. En effet, le Haut Conseil de la santé publique considère que « la précarité éclaire de manière inquiétante le problème de la santé des jeunes qui plus que jamais doit devenir l’un des axes majeurs de la politique de santé publique en France ».
De même, il souligne que l’intégration des jeunes dans la vie active est, en France, un véritable problème, qui peut conduire à « une absence de perspectives d’avenir et à un sentiment d’inutilité générateurs d’un mal-être, voire d’une véritable souffrance psychique à l’origine de comportements à risque et de violences ».
Lutter contre la précarité, la pauvreté, et redonner de l’autonomie passent par une série de mesures qui interviennent en amont et en aval, comme le souligne, à juste titre, Yannick Vaugrenard dans son rapport d’information.
Gérer la pauvreté en amont, c’est marquer l’importance de la prévention appliquée à la lutte contre la pauvreté. Cette prévention doit passer, notamment, par l’éducation : « par une offre de formation plus riche et diversifiée » ; arriver à « concilier vie familiale et vie professionnelle de manière plus efficace » ; « repenser le fonctionnement de Pôle emploi » – vaste chantier ! – et « créer un accompagnant pédagogique » en adéquation avec les attentes et les besoins.
La seconde étape consiste à gérer la pauvreté en aval. La délégation à la prospective reconnaît que « même avec la meilleure volonté du monde, la pauvreté ne pourra jamais sans doute être complètement éradiquée ».
Plusieurs pistes sont avancées : la généralisation de l’accès aux nouvelles technologies ; l’innovation sociale ; la promotion de nouvelles pratiques dans le secteur du logement ; la vulgarisation de la prévention dans le domaine de la santé et la facilitation de l’accès aux droits, en fluidifiant l’information et en simplifiant les procédures.
Je ne reprendrai pas l’ensemble de ces pistes, mais insisterai sur les points les plus importants et les plus prometteurs.
Dans un premier temps, nous devons impérativement travailler sur la revalorisation des aides sociales. En effet, différents travaux plaident pour un relèvement substantiel du RSA socle. Ceux-ci démontrent que son niveau est insuffisant pour satisfaire aux besoins élémentaires d’un ménage. Pire, on constate même un décrochage du niveau des prestations depuis plusieurs années.
Le niveau du RSA a baissé de manière significative par rapport à l’ancien RMI. Cela explique d’ailleurs une partie de l’augmentation de l’intensité de la pauvreté depuis le début des années 2000.
La revalorisation fondée sur les besoins réels de la personne est une nécessité, mes chers collègues ! Il importe également de lutter fermement contre toute forme de discrimination. La classe d’âge la plus touchée par la pauvreté, je le disais précédemment, concerne les jeunes de 18 à 25 ans. Abaisser le droit au RSA à 18 ans pourrait offrir notamment aux classes populaires un nouveau souffle et, surtout, une amélioration du revenu familial.
Associée à la multiplication des bourses pour étudiants, cette réforme pourrait constituer un premier pas, en permettant à ces jeunes d’entrer dans la compétition universitaire avant de tenter leur chance sur le marché du travail.
Les droits sociaux doivent retrouver une forme d’universalité, en se fondant sur la citoyenneté et non plus sur le « statut », car le système actuel est source d’inégalités, d’injustices et parfois même d’opacité.
Faciliter l’accès, c’est aussi simplifier le droit et les démarches. La conception du RSA a donné naissance à un dispositif complexe. Pourtant, l’un des objectifs déclarés était de simplifier l’accès aux minima sociaux. Nous devons lutter efficacement contre le non-recours au RSA.
Enfin, il m’apparaît important de penser à ceux qui travaillent pour aider les personnes en situation de pauvreté et de précarité, je veux parler en particulier des travailleurs sociaux. Les acteurs du service social sont proches des publics en souffrance ; ils en connaissent les difficultés et sont parfois eux-mêmes en situation de précarité.
Frappée par un chômage élevé et une précarité grandissante, la France se doit aujourd’hui de mettre en place les réformes nécessaires pour lutter contre les inégalités. Le rapport d’information de Yannick Vaugrenard va dans ce sens.
Comme le disait François Mitterrand, « l’égalité n’est jamais acquise, c’est toujours un combat ». Aussi, d’autres dispositifs devront venir se greffer sur les dispositifs existants pour enrichir et consolider notre détermination dans la bataille contre la pauvreté. §
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens à remercier très sincèrement Yannick Vaugrenard pour la qualité et la pertinence de son rapport d’information, qui, compte tenu du climat dans lequel se trouve notre pays, arrive à point nommé.
Pierre Bourdieu rappelait que « la cécité aux inégalités sociales condamne et autorise à expliquer toutes les inégalités […] comme inégalités naturelles, inégalités de dons ».
Je n’irai pas jusqu’à dire qu’avec ce rapport d’information vous nous rendez la vue, mon cher collègue, mais il est bon parfois qu’un travail d’enquête permette à chacun de regarder la réalité en face, de refuser la fatalité, de remettre de la priorité dans certaines actions politiques et de tirer avec courage les conséquences qui s’imposent.
La première d’entre elles est culturelle. Ce rapport d’information a le grand mérite de tordre le cou, sans angélisme, avec humanité, à des idées reçues.
Non, les femmes, les hommes, ainsi que les enfants, se trouvant en situation de précarité ne sont pas, dans leur très grande majorité, des chômeurs par choix.
Non, ce ne sont pas, dans leur très grande majorité, dans leur immense majorité même, des fraudeurs professionnels.
Non, ce ne sont pas, dans leur très grande majorité, des assistés.
Ce sont, comme vous le rappelez très justement, dans votre rapport, monsieur Vaugrenard, des ayants droit. Ces femmes et ces hommes ne sont pas la France d’à côté ou la France d’en bas. Ils sont juste la France ! Ils sont trop souvent stigmatisés. Or cette stigmatisation représente une double peine, la pauvreté étant déjà inacceptable en soi.
Cette remarque établie, vous me permettrez, mes chers collègues, d’en formuler trois autres.
La première porte sur les visages et les formes de la pauvreté.
Mes collègues ont parlé des femmes, des jeunes, des familles monoparentales, et, surtout, ils ont fort justement abordé la question de la reproduction des inégalités.
Nous remarquons, y compris dans des villes comme celle dont je suis maire et qui compte 15 000 habitants, que, quel que soit le niveau de la croissance, un socle de chômage de longue durée ne baisse pas.
J’ai été, pour ma part, très sensible à l’évocation dans ce rapport d’information de la pauvreté en milieu rural, par exemple.
La ruralité n’est pas qu’un eldorado consacré au bien-vivre. Le monde rural accueille également des isolés, des mal-logés, des personnes sous-alimentées, des personnes n’ayant plus les moyens financiers de se déplacer pour trouver un emploi ou se soigner. La densité urbaine et la ghettoïsation de certains territoires rendent parfois la pauvreté particulièrement visible, mais la misère n’en est pas moins réelle au milieu des champs et des montagnes. Cela peut paraître une évidence. Pour autant, ce constat nécessite, j’en suis persuadé, que les services sociaux, l’État, en première ligne, les collectivités prennent en compte beaucoup plus précisément les contraintes de la ruralité, je pense notamment à la question des déplacements.
À ce titre, plusieurs remparts me paraissent nécessaires, au premier rang desquels se trouvent la proximité et la présence de l’État.
Je suis de ceux qui plaident pour un maillage serré des services publics, des services de santé. Je suis de ceux qui soulignent le rôle indispensable du maire et des équipes municipales. Dans les petits villages, dans les hameaux, c’est bien souvent le premier magistrat qui connaît les difficultés de ses concitoyens à payer les factures de fioul, de gaz, qui sait les factures de cantine impayées. La proximité de la commune est essentielle pour lutter contre la pauvreté.
Je suis aussi de ceux qui plaident pour une accélération en parallèle de la démocratisation des moyens de communication au service de l’insertion sociale. L’exclusion numérique, qu’elle soit géographique ou culturelle, est une réalité.
Ma deuxième remarque concerne la réforme de l’État providence.
Je suis très heureux, mon cher collègue, que vous placiez la réforme majeure en cours de la simplification des normes, de la simplification administrative, de la mutualisation des moyens et des collectivités au cœur des mesures utiles pour déraciner la pauvreté. Simplifier, mutualiser, ce n’est pas abaisser la France ou la tirer vers le bas. C’est au contraire la possibilité pour un plus grand nombre d’aller plus vite, plus loin, là où les plus précaires sont précisément pris par le temps et réduits dans leurs mouvements.
Madame la secrétaire d’État, j’insisterai sur deux points.
D’une part, la notion de référent unique présente dans ce rapport me paraît une idée excellente, qui est revendiquée. Plus ce référent unique fonctionnera, mieux la précarité et la pauvreté seront traitées. L’appareil d’État et les services publics doivent en être partie prenante. Madame la secrétaire d'État, sur ce sujet, où en sont vos réflexions avec Mme la ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique ? Est-ce envisageable et à quel horizon ?
D’autre part, madame la secrétaire d’État, je soutiendrai avec la plus grande vigueur les réformes engagées pour parvenir à une plus grande efficacité et mutualiser les moyens mis à disposition. Pour autant, je dois vous faire part de mes profondes inquiétudes concernant les conséquences directes de la baisse importante de prestations sociales annoncée : il serait question de plusieurs milliards d’euros. Une allocation en moins, une baisse radicale du montant de certaines prestations peuvent, vous le savez bien, précipiter le dévissage de citoyens fragiles, et ce d’autant plus que, dans l’opinion publique, déjà fragmentée, déjà divisée, cette baisse très importante véhicule l’idée que, si l’on peut parvenir à une telle économie, c’est que ces prestations étaient indûment versées. Dans ce contexte, comment comptez-vous donner des garanties pour que des prestations, sous-utilisées, ne deviennent pas du coup sous-abondées ? Comment comptez-vous sacraliser et sanctuariser les budgets consacrés à la lutte contre la pauvreté ?
Je terminerai par une remarque à laquelle je tiens tout particulièrement, celle de la dignité humaine et de la manière avec lesquelles certaines lois peuvent être appliquées.
Dans cet hémicycle a eu lieu le débat autour de l’allocation équivalent retraite, l’AER. Je me rappelle comment la suppression de cette prestation, qui concernait des gens ayant travaillé 40 ans, toute leur vie, parfois dans des conditions difficiles, avait, à elle seule, plongé des dizaines de milliers de salariés dans la pauvreté et le dénuement le plus total.
Un rapport serait nécessaire pour connaître précisément le nombre de personnes concernées par cette décision, mais, surtout, pour mettre en lumière le fait qu’aujourd’hui la société, par son fonctionnement même, peut jeter dans la pauvreté n’importe qui, y compris des retraités et des salariés.
Les mesures que nous devons prendre en faveur des plus précaires ne doivent pas être low cost ou au rabais. Je pense ainsi aux 25 % de logements sociaux sur une commune. Il ne doit pas s’agir de logements laids, mal placés, installés sur des terrains reculés ; il nous faut privilégier des projets esthétiques et de belle qualité.
Par ailleurs, la restauration scolaire a un rôle important à jouer pour que les enfants des familles en grande précarité puissent manger normalement. Des accords sont passés entre des municipalités et la caisse d’allocations familiales afin que ces enfants mangent à leur faim, se voit servir un bon repas, composé d’aliments de qualité.
Enfin, au risque de sembler iconoclaste, je considère que nous devons impérativement réfléchir à la multiplication des projets de microcrédit, d’économie sociale et solidaire, qui permettraient à certaines personnes de remettre le pied à l’étrier ; c’est déjà le cas, d’ailleurs. Les mesures d’innovation sociale et de création d’activité doivent aussi, et même de façon prioritaire, être accessibles à des personnes qui s’en sentent exclues.
Albert Camus qui a consacré une grande partie de son œuvre aux personnes précaires écrivait : « Nous ne pouvons pas faire de leur voix la nôtre. » Tout au plus, nous avons la responsabilité de faire de nos lois les leurs. §
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la pauvreté n’est pas une fatalité qui s’abat par hasard sur la société française, et encore moins son aggravation massive depuis la fin des années quatre-vingt.
La réalité, c’est que le système économique produisant massivement des inégalités aboutit à une aggravation considérable de la pauvreté. D’ailleurs, ce mécanisme se vérifie partout en Europe et, hélas ! dans le monde entier. Bien sûr, il faut prendre des mesures réparatrices, agir à l’échelon local, mais il convient tout de même de réfléchir à ce qui a déstabilisé à ce point nos sociétés pour que la pauvreté redevienne gigantesque, dramatique, récurrente. Il nous faut trouver des solutions qui ne soient pas de simples sparadraps.
La réalité, vous la connaissez : tout dans le libéralisme a conduit à cet accroissement des inégalités et de la pauvreté.
Je pense tout d’abord au rapport au travail, à la dérégulation du travail.
Pendant des lustres, on nous a expliqué qu’il fallait fragiliser, déréguler, déréglementer le travail pour, ensuite, régler le problème de l’emploi, du dynamisme économique, de la production de richesses, qui pourraient être redistribuées. Pourtant, la masse des gens pauvres est souvent composée de chômeurs, de travailleurs enchaînant les CDD de courte durée ou les emplois précaires.
Madame la secrétaire d’État, l’application de l’ANI, l’accord national interprofessionnel, devait entraîner moins de CDD courts. Force est pourtant de constater que, cette année, il y en a plus qu’auparavant, et les prévisions à venir ne laissent pas entrevoir de réduction de ce type de contrat et de la précarité.
Je pense ensuite à « l’État providence ». Je n’aime pas cette formule, qui n’est pas française. C’est une expression anglo-saxonne que les libéraux ont utilisée pour faire croire qu’il s’agit d’une espèce de don, de générosité. Non ! Pour notre part, nous défendons la protection sociale, c’est-à-dire la mutualisation entre tous les citoyens des risques par rapport au chômage, à la santé, et des risques, si je puis m’exprimer ainsi, par rapport au vieillissement et à la retraite.
Les libéraux nous ont expliqué que tout cela n’était pas bon, qu’il fallait privatiser pour responsabiliser les gens et qu’il était nécessaire de faire du ciblage social. Ce débat a lieu sur les allocations. Il aurait fallu – heureusement, la France a mieux résisté qu’ailleurs – privatiser tout notre système de protection sociale, le financiariser et nous contenter d’une activité pour les très pauvres.
Très souvent, ces mêmes libéraux expliquent que tout un champ de notre protection sociale doit être ciblé. Ils adorent « le ciblage social ». En général, quand on entend cette formule, cela signifie que l’on réduit les crédits et que l’on met en place une multitude de critères. Par conséquent, et nous qui sommes sur le terrain – élus locaux, associations – le savons bien, les gens ne rentrent jamais pile-poil dans les critères, il faut 25 dérogations, 3 commissions, etc. Et vous vous étonnez ensuite de l’incapacité à faire vivre le droit sur le terrain ?
Je pense enfin, et ce point est aussi extrêmement important, à l’émiettement des situations. La responsabilité individuelle et l’individualisation des prestations et des droits conduisent à une fragmentation de la société. Cette situation a une traduction politique : un certain nombre de nos concitoyens considèrent que ce sont eux, les salariés modestes, qui paient pour d’autres, lesquels toucheraient ces allocations et bénéficieraient de ces droits de façon illégitime. Il nous faut restaurer une philosophie politique républicaine !
Monsieur Vaugrenard, – votre rapport est excellent – vous avez raison de restaurer l’idée de fraternité. Mais il n’y a pas de fraternité sans égalité, sans liberté non plus, d’ailleurs. Liberté, égalité, fraternité. Chaque fois que l’on a des mécanismes qui accroissent les inégalités ou que l’on n’essaye pas de faire vivre l’universalité des droits entre les individus, on tue l’esprit de fraternité, parce que l’on met en concurrence les citoyens entre eux, au lieu d’être porté par un progrès collectif et une mutualisation des risques.
C’est pourquoi j’insisterai, pour ma part, sur un certain nombre de propositions que le Gouvernement doit mettre en place et de priorités qu’il doit établir.
Il n’est pas acceptable que 68 % des bénéficiaires potentiels du RSA, en particulier du RSA complémentaire, ne perçoivent pas cette prestation. Si tel est le cas, c’est parce que, comme je l’ai évoqué, la plupart des gens ne savent pas qu’ils y sont éligibles : il faut être polytechnicien, prendre sa calculatrice, réfléchir, calculer, vérifier ce qui se passe si l’on atteint certains plafonds, etc.
Pourtant, les CAF et les centres des impôts connaissent la situation de ces personnes. Il faut donc inverser la demande : ce n’est pas aux citoyens pauvres de demander leurs droits, c’est à la puissance publique de leur faire savoir qu’ils peuvent y prétendre. S’ils refusent ensuite d’en bénéficier, c’est leur problème. Néanmoins, c’est dans ce sens que cela doit se passer.
On pleure sur la montée du Front national. En tout cas, nous, les républicains, nous pleurons. Combien de fois ai-je entendu des bénéficiaires potentiels du RSA me dire qu’ils en avaient assez que les immigrés aient tous les droits, alors qu’eux n’avaient rien ? Pourtant, si leurs voisins, de façon tout à fait normale, touchaient le RSA, c’est parce qu’ils étaient suivis par une assistante sociale et si eux ne le touchaient pas, c’est parce qu’ils n’osaient pas le demander. C’est pour cette raison qu’ils ont l’impression qu’il y a des « privilégiés » de la pauvreté.
Il est donc nécessaire de revenir à cette cohésion nationale par une intervention des pouvoirs publics. Madame la secrétaire d’État, je vous demande d’organiser une conférence avec les caisses d’allocations familiales et l’ensemble des administrations et de fixer des objectifs quantitatifs pour restaurer un taux de RSA conforme à la réalité. Il faut y aller progressivement. C’est possible. Il faut mobiliser les moyens adéquats. C’est une priorité.
Je n’insisterai pas sur le fait que les allocations sous condition de ressources doivent évoluer comme les revenus et non comme les prix. Chaque fois que le montant d’une allocation pour les plus démunis baisse, cela entraîne un basculement dramatique. Il n’est qu’à voir le récent rapport sur la santé : dans ce domaine, de nombreux ayants droit passent à travers les mailles du système. Rendre les mutuelles obligatoires, instaurer la CMU complémentaire, c’est sympathique. Mais quand allons-nous redonner au tronc commun de la sécurité sociale le gros des prestations qui sont, si je puis dire, généralisées, obligatoires ? Cela coûtera moins cher en fonctionnement, ce sera plus cohérent, car un droit ne vit que quand il est simple d’accès et universel. C’est en faveur de cela que je plaide.
Je terminerai en évoquant le logement. Madame la secrétaire d’État, le gouvernement précédent a pris de nombreuses mesures en la matière. L’une d’entre elles est très négative et j’espère que nous pourrons y revenir. Je me réjouis que l’interpellation d’un certain nombre de nos collègues et des citoyens sur la fiscalité des smicards ait motivé le Gouvernement. Je lui demande de revoir la question de l’aide personnalisée au logement. Cette allocation touche essentiellement les publics dont nous parlons et c’est pourquoi il est nécessaire qu’elle soit revalorisée. Cela ne nous ruinerait pas, d’autant qu’il y aurait un effet relance.
C’est sur ce point que je souhaite conclure. Nous avons une croissance zéro. Je ne suis pas hostile à ce qu’une partie de notre croissance soit refondée sur l’investissement et l’offre : il faut redoper nos industries, même si j’ai des doutes sur le ciblage de nos aides publiques en la matière. Cependant, nous ne pourrons pas attendre sans une relance de la consommation populaire ciblée. Les propositions que l’on formule sur le RSA, sur les allocations – on aurait pu parler du prolongement de l’assurance chômage – vont dans ce sens. Obama l’a fait et cela a contribué à la relance américaine. Nous pourrions le faire aussi. D’ailleurs, toute une série d’études montrent que de telles mesures ont un effet tout à fait positif sur le PIB en période de crise.
En matière de lutte contre la pauvreté, rien n’est possible si nous n’engageons pas une stratégie massive de redistribution des richesses. Thomas Piketty l’explique bien, une rente foncière s’est accumulée dans notre pays, comparable à celle des années vingt. Il y a eu un enrichissement sans cause d’une partie de la société, mais aussi un appauvrissement de l’autre partie, beaucoup plus nombreuse que la première.
Notre système fiscal n’induit pas une redistribution suffisante des richesses pour permettre que l’objectif de fraternité, que je lie à l’égalité, puisse être atteint.
J’espère donc, madame la secrétaire d’État, que le chantier de la réforme fiscale, dont Jean-Marc Ayrault avait annoncé le lancement, loin d’être abandonné, sera poursuivi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Madame la présidente, monsieur le président de la délégation à la prospective, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord, à l’instar des orateurs qui m’ont précédée, de féliciter M. Vaugrenard, sénateur de Loire-Atlantique, pour le travail important, à la fois précis et synthétique, qu’il a réalisé sur la pauvreté en France, avec toute la force de ses convictions et de son engagement politique.
C’est donc grâce à vous, monsieur le rapporteur, et grâce à la délégation à la prospective, que nous débattons cet après-midi, ici, au Sénat, de ce sujet qui touche des millions de Français au quotidien ; je souhaite vraiment vous en remercier.
Oui, je suis pleinement d’accord avec vous, je crois que l’on peut changer les choses par l’action politique, par la volonté et par la ténacité. Nous ne pouvons plus accepter « l’irréversibilité des situations de pauvreté » décrite par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale. C’est pour cela que le Gouvernement a mis en place un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, sous l’impulsion de Marie-Arlette Carlotti, qui m’a précédée dans ces fonctions. Il m’appartient désormais de poursuivre la mise en œuvre de ce plan, avec l’ensemble des ministères concernés. Soyez assurés que j’y mettrai toute ma détermination et toute mon énergie.
Comme vous l’avez dit, la pauvreté touche tous les âges, de la naissance à la mort. Elle est, bien sûr, inacceptable à toutes les époques de la vie, mais elle est particulièrement cruelle dans les situations de vulnérabilité.
Il en est ainsi, vous avez été nombreux à le dire, de la pauvreté des enfants, qui est une pauvreté héréditaire, transmise en héritage. À bien des égards, cette pauvreté est certainement l’aspect le plus révoltant des manifestations actuelles de l’exclusion. Elle touche désormais près de 2 665 000 enfants en France métropolitaine, soit un enfant sur cinq.
Tous les enfants ne sont pas confrontés de manière identique à la pauvreté. Certains, en raison des caractéristiques du ménage dans lequel ils vivent, connaissent des niveaux de pauvreté particulièrement élevés. C’est le cas des enfants vivant dans des ménages dont les parents sont sans emploi.
La situation familiale est également un élément majeur dans les situations de pauvreté. Les enfants de familles monoparentales sont plus fortement confrontés à la pauvreté que les autres. En 2010, environ 41 % des enfants vivant dans une famille monoparentale sont pauvres, contre 14, 5 % chez ceux qui vivent avec des parents en couple.
En outre, la pauvreté augmente avec la taille de la fratrie. Le taux de pauvreté était en 2010 d’environ 40 % pour les fratries de trois enfants et de 60 % pour les fratries de cinq enfants.
Enfin, le phénomène est particulièrement prégnant dans certaines zones, comme les zones urbaines sensibles, où près de 49 % des moins de dix-huit ans vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Dans de nombreux cas, ces différents phénomènes se cumulent.
C’est pourquoi le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, adopté par le comité interministériel de lutte contre les exclusions du 21 janvier 2013, comprend un certain nombre de mesures ciblées sur l’enfance.
La première des injustices, quand on est un enfant élevé dans une famille pauvre, c’est que l’on a moins souvent accès à une crèche. C’est pourquoi il est prévu, certes d’augmenter le nombre de places en crèche, avec 100 000 nouvelles places, mais aussi de réduire les inégalités sociales d’accès aux crèches. La nouvelle convention d’objectifs et de moyens de la Caisse nationale des allocations familiales prévoit donc que, sur chaque territoire, au moins 10 % des places en crèche seront réservées aux enfants vivant sous le seuil de pauvreté.
La scolarisation dès l’âge de deux à trois ans est également un bon moyen d’assurer l’égalité républicaine et de rétablir l’ascenseur social. C’est pourquoi, à chaque rentrée scolaire, de nouvelles places ouvrent en école maternelle dans les zones d’éducation prioritaire pour l’accueil des enfants, dès l’âge de deux à trois ans.
Enfin, les familles monoparentales et les familles nombreuses étant particulièrement exposées à la pauvreté – vous avez été nombreux à le souligner –, le complément familial pour les familles nombreuses modestes vient d’être revalorisé, au 1er avril, ainsi que l’allocation de soutien parental pour les parents qui élèvent seuls leurs enfants.
Venons-en maintenant aux jeunes adultes : les jeunes, notamment leur accès à l’autonomie et à l’emploi, telle est bien la grande priorité de ce quinquennat.
Monsieur le rapporteur, vous parlez de renforcer les droits des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans ? Je suis complètement en accord avec vous. C’est en effet durant cette période de la vie que les inégalités peuvent se figer, en fonction du capital social et de l’environnement familial.
Oui, vous avez raison, il est capital de renforcer l’accompagnement des jeunes les plus fragiles dans cette période, ceux qui sont « ni en emploi, ni en éducation, ni en formation », et n’ont pas de soutien de famille : il faut les aider à s’installer de façon autonome dans la vie active.
C’est tout le sens de l’expérimentation de la garantie jeune, que nous menons aujourd’hui dans dix départements. Ce programme donne une garantie à une première expérience professionnelle, laquelle est accompagnée de ressources proches du montant du RSA. Le démarrage a été assez lent, car il a fallu construire le dispositif, former les conseillers, mais les premiers résultats sont encourageants. C’est un dossier prioritaire, piloté avec volontarisme par mon collègue François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social.
Les enfants et les jeunes adultes sont, comme leurs familles, confrontés à la difficulté de se loger, avec des compositions familiales qui bougent en fonction des aléas de la vie.
Nous avons mis en œuvre la création et la pérennisation de 7 000 places d’hébergement d’urgence, de 7 630 places en logement accompagné, et de 2 000 places en centres d’accueil pour les demandeurs d’asile.
Un grand nombre d’engagements ont été concrétisés par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », adoptée par le Parlement voilà quelques mois : la mise en place d’un encadrement des loyers en zones tendues, le renforcement de la prévention des expulsions, la lutte contre l’habitat indigne et des dispositions permettant une plus grande transparence dans le processus d’attribution des logements sociaux.
Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que je continuerai à travailler avec Sylvia Pinel, ministre du logement, sur toutes ces questions, qui concernent des millions de Français.
En effet, sans logement, ou dans un logement insalubre, il n’est pas possible d’aller à l’école, pas plus qu’il n’est possible d’étudier ou de travailler.
La situation des travailleurs précaires ou modestes est préoccupante : ils sont presque 2 millions à vivre sous le seuil de pauvreté. On ne peut accepter que le travail ne prémunisse pas de la pauvreté.
Ces travailleurs pauvres sont en effet majoritairement des travailleuses, qui subissent des temps partiels aux horaires atypiques et instables. Un premier pas a toutefois été franchi, avec le minimum des vingt-quatre heures hebdomadaires imposé par l’article 8 de la loi relative à la sécurisation de l’emploi adoptée en 2013. Mais que de difficultés pour la mise en œuvre ! Les accords de branche se mettent en place, tout doucement. C’est trop long, j’en ai bien conscience, pour toutes celles et tous ceux qui survivent avec un demi-SMIC mensuel, des horaires impossibles et des enfants à élever.
Je veux aujourd’hui leur dire que leur situation, l’injustice qui leur est faite est au cœur de mon combat politique. L’exonération des cotisations pour les salariés jusqu’à 1, 3 SMIC, annoncée le 8 avril, apporte une première réponse. Mais elle doit être complétée par une réforme qui profite aux travailleurs pauvres, aux travailleuses pauvres, à celles et ceux dont les revenus sont inférieurs au SMIC à cause du temps partiel.
Une réflexion est en cours pour trouver une solution qui améliorera le système, à la fois du RSA-activité et de la prime pour l’emploi – je sais, monsieur le sénateur, que vous y êtes attentif –, en complément des réformes fiscales récentes.
Enfin, je me réjouis de la mesure tout récemment annoncée par le Premier ministre permettant d’exonérer de nombreux ménages modestes de l’impôt sur le revenu dès 2014 : cette décision va contribuer à l’amélioration du pouvoir d’achat et des conditions de vie.
Les familles aux revenus modestes jonglent au quotidien avec des budgets à l’équilibre précaire et dans lesquels les dépenses incompressibles pèsent de plus en plus lourd.
Oui, monsieur Vaugrenard, vous avez raison de dire que, quand on est pauvre, on paie son loyer plus cher au mètre carré, on paie son téléphone portable plus cher parce qu’on utilise des cartes prépayées, on paie son assurance à un tarif plus élevé, on paie plus d’électricité ou de gaz, car le logement est mal isolé.
Il faut donc attaquer la pauvreté sur tous les fronts : des avancées ont été réalisées en ce qui concerne les tarifs sociaux de l’énergie, une mission de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, travaille sur ce sujet afin d’améliorer la situation, et des expérimentations sont en cours pour la tarification sociale de l’eau. Mais, à vrai dire, je m’inquiète également pour l’accès à internet et aux nouvelles technologies du numérique pour les familles pauvres, car je ne voudrais pas que ce que l’on appelle la « révolution du numérique » contribue à exclure ceux qui sont déjà largement menacés par l’exclusion.
Envoyer un CV, réactualiser ses droits, consulter les horaires d’ouverture, imprimer un document, ne serait-ce qu’être joignable au téléphone : ces actes sont indispensables aujourd’hui, mais ils sont rendus très complexes lorsque l’on n’est pas équipé, sans accès au numérique ou sans crédit. C’est souvent encore plus compliqué pour celles et ceux qui vivent dans un territoire rural où internet n’arrive pas.
La promesse technologique de simplification, de rapidité et de connexion sociale doit être une réalité à la portée de tous, et je vais m’y atteler avec ma collègue Axelle Lemaire.
Parmi les charges incompressibles, il faut compter aussi les frais bancaires. Une grande avancée du plan a consisté, de manière très concrète, à mettre en œuvre le plafonnement des frais bancaires, au moyen d’un plafonnement spécifique des commissions d’intervention pour les clients les plus fragiles ou les bénéficiaires des services bancaires de base et d’une obligation pour les établissements de crédit de proposer à leur clientèle fragile une offre de moyens de paiements et de services adaptés à leur situation, afin de limiter les incidents et les risques de précarisation, ces dispositions figurant dans la loi de séparation et de régulation des activités bancaires de juillet 2013.
Et, pour conseiller et accompagner les ménages dans leur gestion budgétaire et leurs relations avec le secteur bancaire, il est prévu dès cette année d’expérimenter des « points conseils budget », destinés à accueillir tout citoyen qui éprouverait des difficultés de paiement de factures et de relations avec sa banque, afin de le conseiller sur les droits existants, les démarches possibles et les contacts lui permettant de trouver des solutions, comme la mise en place d’un microcrédit personnel.
À propos du gaspillage alimentaire dont parlait François Fortassin, je signale que l’une des mesures du plan de lutte contre la pauvreté prévoit la défiscalisation des dons pour les producteurs ; cette mesure sera mise en œuvre. Par ailleurs, le pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, lancé par le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, en juin dernier, prévoit une diminution du gaspillage alimentaire d’ici à 2025.
Autre poste de dépense qui pèse lourd pour les ménages, et qui est souvent sacrifié, la santé : c’est pour cela que le Gouvernement a rehaussé le plafond de l’accès à la CMU complémentaire et à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé. De plus, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé a été revalorisée, passant de 500 à 550 euros.
À la fin du mois d’avril, madame Archimbaud, car je sais que cette question, qui nous tient tous à cœur, vous est particulièrement chère, ces différentes mesures ont permis à 690 000 nouvelles personnes de bénéficier soit de la CMU soit de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé.
Bien entendu, madame Archimbaud, j’ai pris connaissance de votre excellent rapport, complémentaire de celui du Défenseur des droits. Certaines mesures que vous proposez pourront être reprises dans le futur projet de loi sur la stratégie nationale de santé, mais je sais que vous êtes déjà en contact avec Marisol Touraine à ce sujet.
Je le répète, la pauvreté touche tous les âges, et elle concerne aussi les personnes âgées. Les 564 400 retraités modestes de plus de soixante-cinq ans qui perçoivent le minimum vieillesse – l’aide sociale aux personnes âgées ou ASPA en langage technocratique – bénéficieront bien des deux revalorisations prévues en 2014, aux mois d’avril et d’octobre, qui porteront l’allocation à plus de 800 euros, ce qui est une bonne chose.
Le Gouvernement a fait le choix de la justice dans son plan d’économies : les minima sociaux sont préservés, je tiens à le redire, et ma collègue Laurence Rossignol, chargée, entre autres, des personnes âgées, est très investie sur ce sujet. De même, pour ce qui concerne le handicap, l’allocation pour les adultes handicapés est revalorisée suivant l’inflation.
La question de la pauvreté ne doit néanmoins pas être envisagée uniquement sous un aspect monétaire. Comment notre société considère-t-elle les plus pauvres ? Les mots se bousculent, tous plus violents, tous plus méprisants les uns que les autres : assisté, marginal, asocial, profiteur, fraudeur…
Notre rôle est donc aussi de faire évoluer les mentalités, car la discrimination sociale est aussi grave que toutes les autres formes de discrimination. Pour cela, la première mesure à prendre consiste à « faire ensemble » : construire, évaluer, avec l’aide des personnes elles-mêmes, elles qui sont expertes de la pauvreté, pour la vivre au quotidien.
Tel est le sens du huitième collège du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale : il permet aux premiers intéressés d’être pleinement acteurs. Je rencontre demain les huit personnes qui suivront les travaux du Conseil. Elles ont beaucoup à nous apprendre, par exemple pour faciliter l’accès aux droits, sujet que je juge prioritaire et que vous avez longuement évoqué, monsieur le sénateur.
Vous plaidez pour la simplification de nos procédures de façon générale et vous avez entièrement raison. Pour tout vous dire, je suis effarée par le degré de complexité qu’a atteint notre système de solidarité. Pour bénéficier de la moindre aide financière, la procédure est incroyable : il faut remplir des dossiers de trente-deux pages, fournir une multitude de pièces – jamais les mêmes ! – et lire des courriers difficilement compréhensibles. C’est un véritable parcours du combattant !
J’ai peine à croire que l’avancée des technologies informatiques ne permette pas de faciliter ces démarches. À cet égard, je suis particulièrement attentive à un projet expérimenté dans deux départements d’un dossier de demande simplifiée ouvrant des droits à plusieurs prestations.
Surtout, à mon sens, le dossier est le problème de l’administration, et non celui de la personne. Soyons clairs : la simplification du dossier n’est pas l’objectif, c’est un moyen de faciliter la vie de personnes ayant déjà beaucoup d’autres tracas par ailleurs.
Vous préconisez un contrôle a posteriori. L’idée est, bien sûr, séduisante. Néanmoins, comme vous, j’en suis sûre, j’ai rencontré lors de mes permanences des personnes à qui l’on réclamait des indus d’allocations : c’est catastrophique pour celles qui sont à quelques euros près pour finir le mois. Des avancées sont possibles dans ce domaine, par exemple, la fixation des droits pour trois mois. Nous y travaillons.
Enfin, la loi de 2002 nous a permis d’avancer de façon substantielle sur la participation collective des personnes, notamment avec l’instauration des conseils de la vie sociale dans les établissements sociaux et de divers comités consultatifs.
Je veillerai à ce que tout soit fait pour que le citoyen puisse agir et participer en conscience aux décisions qui l’intéressent et pour qu’il ait réellement accès aux informations le concernant. Plus que jamais, l’autonomie de la personne doit être au cœur du travail social.
Comme vous, je pense qu’il est important de réfléchir à la notion de référent unique de parcours et de réinterroger les savoirs et les compétences nécessaires au travail social d’aujourd’hui, mais aussi la place du bénévolat, l’importance de la prévention, la participation des citoyens.
J’évoquerai un autre engagement majeur du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale : les états généraux du travail social. Il s’agit de faire un état des lieux du travail social en France et d’établir des priorités, avec l’ensemble des parties prenantes, afin que l’intervention sociale réponde au mieux aux besoins des citoyens. Je piloterai ces états généraux, avec les départements, avec les régions, ces collectivités étant impliquées au quotidien auprès de la population au titre de la solidarité et de la formation professionnelle.
Pour conclure, le combat contre la pauvreté ne peut être uniquement l’apanage de l’État, car c’est dans les territoires et au plus près des personnes que l’on peut agir le plus efficacement. Services de l’État, collectivités territoriales – le Sénat, je le sais, y est particulièrement attentif –, établissements publics, organismes de sécurité sociale, associations : tous ont un rôle à jouer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne l’oublions jamais, au-delà des politiques publiques, au-delà des dossiers, au-delà du langage administratif, le politique n’a d’autre raison d’être que de s’occuper des gens, s’occuper de tous, sans exception et sans exclusion. C’est mon engagement !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE. – M. Michel Savin applaudit également.
Nous en avons terminé avec le débat : « Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? ».
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de parlementaires de la Chambre des représentants de la République d’Indonésie, présidée par Mme Ayu Kus Indriyah, vice-présidente de la commission des finances.
Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, se lèvent.
Après une rencontre avec des collègues du groupe interparlementaire d’amitié « France-Indonésie et Timor Est », présidé par notre collègue Catherine Procaccia, cette délégation a consacré son après-midi à des entretiens à la commission des finances. Elle y a notamment rencontré le rapporteur général, François Marc, afin d’évoquer des questions relatives aux finances locales et au budget de l’État.
Cette visite atteste l’excellence des relations interparlementaires entre nos deux pays.
Au nom du Sénat tout entier, je forme le vœu qu’elle renforce encore nos liens et souhaite la plus cordiale bienvenue à nos collègues indonésiens.
Applaudissements.
L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires européennes, le débat sur les perspectives de la construction européenne.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat. Je veux remercier le président du Sénat et la conférence des présidents de l’avoir inscrit à notre ordre du jour. Je remercie également M. le secrétaire d’État de sa disponibilité pour cet échange, qui arrive à un moment particulièrement important.
Nous sommes en effet à quelques jours d’un scrutin qui va donner une nouvelle composition au Parlement européen. Depuis le traité de Lisbonne, celui-ci joue un rôle essentiel de codécideur dans de très nombreux domaines. Le choix des citoyens européens sera donc déterminant pour l’orientation des politiques dans les cinq prochaines années. Pour la première fois, les citoyens pèseront directement sur le choix du président de la Commission européenne.
Cependant – pourquoi ne pas le dire ? –, ce scrutin intervient dans un climat morose pour le projet européen. L’Europe apparaît trop souvent comme le bouc émissaire : elle serait responsable de tous les problèmes. Les dysfonctionnements sont amplement soulignés et commentés. En revanche, les réalisations sont trop souvent passées sous silence.
Pourtant, quelque quatorze millions d’Européens ont profité de la libre circulation pour s’installer dans un autre État membre. Le programme Erasmus a bénéficié à plus de trois millions d’étudiants depuis sa création. La politique agricole commune, la PAC, ce sont chaque année quelque 10 milliards d’euros pour notre agriculture. La politique de cohésion, ce seront 14 milliards d’euros au profit de nos territoires.
Sans doute certains voudraient-ils que l’on ignore désormais cette réalité, mais la construction européenne a permis à notre continent de vivre en paix de façon durable. C’est vraiment un acquis essentiel. Nous devons le redire, en particulier aux jeunes générations. Par ailleurs, comment imaginer répondre au défi de la mondialisation sans conforter l’Union européenne ?
Malheureusement, le sens du projet européen s’est effiloché au fil du temps. Les pères fondateurs de l’Europe étaient animés par une vision qui fait défaut aujourd’hui. Nos concitoyens ressentent ce manque. C’est pourquoi ils commencent à douter. Ce doute ne peut que faire le lit de tous les populismes. Il est de notre devoir de le combattre en redonnant à ce grand projet toute sa dimension. Nous le devons aux jeunes, qui doivent vivre l’Europe comme une chance et non comme une menace.
Nous avons donc jugé nécessaire, au sein de la commission des affaires européennes, de mener une réflexion approfondie sur les perspectives de la construction européenne. Notre collègue Pierre Bernard-Reymond, que je salue tout particulièrement, a bien voulu se charger de conduire cette réflexion. Il l’a fait avec la foi d’un Européen convaincu et expérimenté, mais pas dupe des « ratés » de la construction européenne. Dans un rapport très complet et argumenté, notre collègue dresse des constats lucides. Il formule des propositions pertinentes, même si certaines demanderont du temps avant de se traduire dans la réalité.
Ce rapport a suscité un débat approfondi dans notre commission, et a recueilli l’approbation unanime de nos collègues.
Quelle Europe voulons-nous ? C’est bien la première question à laquelle nous devons répondre.
Nous pouvons au préalable dire de quelle Europe nous ne voulons pas.
Nous ne pouvons pas accepter que les peuples subissent les conséquences des errements de la finance. Dans trop d’États membres, les populations doivent supporter des politiques d’austérité qui visent à réparer les manquements graves de quelques-uns.
Nous ne pouvons laisser se développer le chômage et la précarité sans réagir. Quel peut être l’avenir d’un continent dans lequel le chômage continuerait à toucher plus de 25 % des jeunes, comme c’est le cas dans beaucoup d’États membres ?
Oui, le rétablissement des comptes publics est indispensable. Oui, il faut réduire l’endettement abyssal qui obère les perspectives. Cependant, l’assainissement budgétaire doit impérativement se conjuguer avec des politiques ambitieuses au service de la croissance. Les peuples peuvent accepter des efforts, mais il faut leur donner des motifs d’espérer.
Il est possible de promouvoir une politique alternative à l’austérité. Nous voulons une Europe plus sociale, qui investisse davantage, lutte contre le chômage et pour l’harmonisation fiscale. C’est là que sont les attentes des citoyens européens touchés par la crise. Nous devons bâtir une Europe qui protège mieux les droits sociaux et les libertés fondamentales.
Gardons-nous aussi de diviser les Européens. Il n’y a pas, d’un côté, une Europe du Nord qui serait parée de toutes les vertus et, de l’autre, une Europe du Sud qui serait affligée de toutes les turpitudes.
La France porte ce message en Europe depuis 2012. Sous son impulsion, l’action pour la croissance est redevenue une priorité. L’emploi des jeunes a été inscrit à l’agenda européen : 8 milliards d’euros ont été débloqués par le Conseil européen pour apporter des réponses à ce défi majeur.
La France a aussi joué un rôle moteur pour qu’un texte soit adopté afin de lutter plus efficacement contre le véritable dumping social pratiqué à travers le détachement des travailleurs. En avril 2013, notre commission avait donné l’alerte sur ces pratiques, par le biais d’un rapport très argumenté de notre collègue Éric Bocquet. Le Sénat avait adopté une résolution demandant qu’il y soit mis un terme. Nous avons aussi voté récemment une proposition de loi visant à combattre plus efficacement les fraudes.
Nous n’aurons pas un espace commun sans harmonisation non seulement fiscale mais aussi sociale. La création d’un SMIC en Allemagne annoncée dans le cadre de l’accord de grande coalition va dans le bon sens. Il faut aller plus loin et s’engager sur la voie d’une véritable harmonisation en Europe.
L’Europe doit aussi retrouver le sens des grands projets, car eux seuls peuvent dessiner l’avenir de façon positive. Elle a su le faire dans le passé. Chacun garde à l’esprit le succès d’Airbus ou encore le processus de Bologne pour l’enseignement supérieur. C’est à l’échelle européenne que de grands projets peuvent avoir un effet de levier sur la croissance économique. C’est ensemble que nous pourrons réunir les moyens d’entrer de plain-pied dans l’économie numérique. Notre collègue Catherine Morin-Desailly l’avait parfaitement montré dans son rapport d’information : l’Europe ne doit pas devenir la « colonie » numérique.
La protection des données personnelles est une garantie essentielle que nous devons aux citoyens. Le scandale récent de l’espionnage américain à grande échelle agit comme une piqûre de rappel. L’Europe doit conforter son propre modèle de protection des données et le défendre au plan international. J’avais souligné cette exigence ici même, en ma qualité de rapporteur, lorsque nous avions examiné, il y a maintenant deux ans, la proposition de réforme de Viviane Reding. Les révélations inquiétantes de ces derniers mois ne peuvent, hélas, que conforter cette analyse.
De même, la crise ukrainienne est là pour nous rappeler que l’Union européenne aurait tout intérêt à intégrer davantage ses politiques énergétiques. Dans ce domaine plus encore que dans d’autres, avancer en ordre dispersé, c’est affaiblir la position de l’Union européenne mais aussi celle de chaque État membre face à nos partenaires des États tiers.
Pouvons-nous réaliser ces ambitions dans une Europe à vingt-huit où les intérêts sont souvent divergents et où le sens du projet européen n’est pas toujours défini de façon identique ? Le rapport de Pierre Bernard-Reymond a l’immense mérite de poser clairement la question. Il s’agit non pas d’exclure certains, mais de savoir qui veut réellement avancer dans le sens d’une véritable ambition européenne, d’une ambition qui laisse de côté les égoïsmes nationaux et affirme clairement les valeurs d’intégration et de solidarité.
Dans le passé, les coopérations renforcées ont surmonté les blocages, souvent en dehors des traités, comme pour Schengen ou l’interconnexion des casiers judiciaires, plus récemment dans le cadre des traités, avec le règlement des divorces transfrontaliers ou le brevet de l’Union. N’ayons pas peur de laisser les États qui le veulent agir pour approfondir le projet européen : les autres pourront les suivre ultérieurement.
Il faut rechercher davantage d’intégration au sein de la zone euro. Nous avons beaucoup réformé la gouvernance au cours des dernières années. L’union bancaire prend enfin forme. La coordination des politiques économiques et budgétaires a beaucoup progressé, même s’il est légitime de débattre de la forme et du rythme de cette coordination.
Pour construire une « Europe puissance », nous devons rénover les institutions européennes. Il faut les rendre plus crédibles et plus visibles. Il faut aussi un budget à la hauteur des ambitions. On ne peut plus continuer avec un budget européen aussi faible : il ne dépasse pas 143 milliards d’euros en 2014. Cependant, pour l’augmenter, il faut retrouver la lettre et l’esprit des traités en définissant de nouvelles ressources propres. Sous l’impulsion du Parlement européen, un groupe de travail interinstitutionnel a été créé. Il est présidé par Mario Monti. Nous étudierons ses propositions avec attention.
L’Union européenne devra aussi affirmer une ambition en matière de politique étrangère et de défense. Dans un monde incertain, comme nous le rappelle le conflit ukrainien, les Européens doivent unir leurs voix et leurs forces pour peser dans les affaires du monde.
Nous voulons aussi une Europe plus démocratique, dans laquelle les citoyens puissent exprimer clairement leur choix, avec un réel pouvoir de contrôle. La composition du Parlement européen doit évoluer. Il faut corriger les inégalités de représentation, qui nuisent à la légitimité démocratique.
Nous, parlements nationaux, avons aussi un rôle essentiel pour rapprocher les citoyens de l’Europe. Le traité de Lisbonne - c’est un progrès essentiel - nous confie un rôle important dans le contrôle de subsidiarité, et le Sénat, je dois le dire, l’exerce avec un grand sérieux. À deux reprises, les parlements nationaux ont adressé un « carton jaune » à la Commission européenne.
Ainsi la Commission a-t-elle retiré un texte qui pouvait mettre en cause le droit de grève. Il s’agissait du règlement dit « Monti II », qui concernait le droit de grève des travailleurs détachés ; c’est sur l’initiative de notre commission des affaires européennes que plus d’un tiers des parlements de l’Union ont manifesté leur opposition avec nous. La Commission européenne s’est ainsi trouvée contrainte de réexaminer son texte ; elle l’a si bien réexaminé qu’elle l’a retiré !
Elle a en revanche maintenu son texte sur le parquet européen, mais elle a indiqué que les avis des parlements nationaux seraient pris en compte dans la discussion du texte.
Le contrôle de subsidiarité permet aux parlements nationaux de s’opposer à une action qu’ils ne jugent pas justifiée. Nous devons aller plus loin, beaucoup plus loin. Un droit d’initiative nous permettrait de proposer, de façon positive, des actions à mener au niveau de l’Union européenne.
Les parlements nationaux sont progressivement associés aux procédures de contrôle pour un nombre croissant de politiques. En matière économique et financière, une conférence a été mise en place par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire. Un comité mixte assure le contrôle des politiques étrangères et de défense. Cette association sera prochainement établie pour le contrôle d’Europol et l’évaluation d’Eurojust. Les parlements nationaux doivent se saisir de ces opportunités pour mieux contrôler ce qui se passe à Bruxelles.
Pour conclure, madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux à nouveau me féliciter que le Sénat ait ce débat aujourd’hui. L’Europe est un grand projet. Ce projet a permis des avancées considérables. Des dysfonctionnements existent, certes. Il faut les identifier lucidement et jeter enfin les bases d’une nouvelle ambition. C’est ainsi que nous dessinerons l’Europe que nous voulons, une Europe proche de nos concitoyens et qui réponde à leurs attentes.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, de l’UDI-UC et de l’UMP.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, vivons-nous une simple crise financière, économique, sociale, morale, née aux États-Unis et qui a déferlé sur le monde, en particulier sur l’Europe qui, n’ayant pas achevé sa construction, n’a pas eu immédiatement à sa disposition tous les instruments nécessaires pour y répondre ?
Ne sommes-nous pas plutôt à l’aube d’une grande mutation, caractérisée par l’explosion démographique, l’évolution climatique et l’émergence de nouvelles puissances sur fond de mondialisation, qui va, pendant plusieurs décennies, rebattre les cartes avant de retrouver une nouvelle stabilité et un nouvel ordre du monde, sans qu’aucune nation ne puisse dire aujourd’hui quelle place elle y occupera ?
Ou bien encore, troisième hypothèse, ce petit cap de l’Asie, l’Europe, qui, depuis plus de 2 000 ans, a forgé une civilisation en apportant au monde les valeurs de liberté, de progrès et de solidarité, cette Europe-là a-t-elle amorcé son déclin ? Autrement dit, le Bas-Empire européen a-t-il commencé ?
Ces interrogations, cette peur n’expliquent-elles pas confusément, en partie, la radicalisation du débat dont nous sommes les témoins à l’occasion de ces élections européennes ? N’expliquent-elles pas l’hostilité, le désamour ou l’indifférence que nous constatons à l’égard de l’Europe ?
Entre ceux qui, face à ce défi, veulent de nouveau se réfugier sur la seule nation et ceux qui sont partisans de la fuite en avant vers un super-État, ou encore ceux dont l’horizon se résume à une échéance électorale et qui s’efforcent, chacun en ce qui les concerne, de concilier des contraires, nous percevons bien le trouble profond que créent ces différents avenirs possibles.
Au cours des siècles, notre continent s’est organisé d’abord sous la forme de l’impérialisme, c’est-à-dire de la domination des peuples par l’un d’entre eux, puis, en réaction, a été inventée la nation, que l’on a parée de toutes les vertus, jusqu’à ce que l’on constate que le nationalisme avait aussi donné deux guerres mondiales, et le centième anniversaire de la première nous en rappelle les atrocités.
De ces horreurs répétées est née l’intuition historique des pères fondateurs de l’Europe qui, en proposant de transcender les nations sans les effacer, ont fait émerger l’idée d’une lente maturation vers une « Communauté de nations » fondée sur la libre adhésion, la démocratie, la solidarité, le progrès et la recherche constante de la paix.
Cette paix fut le premier défi, et il a été gagné : la paix règne au sein de l’Union européenne depuis presque soixante-dix ans !
Le deuxième défi a, lui aussi, été relevé : il s’agit de la réunification du continent, puisque les pays ayant décidé d’abandonner la dictature comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal, puis ceux qui ont été libérés par l’implosion de l’URSS, sont venus nous rejoindre. Auparavant, ceux qui doutaient de la pertinence et de la clairvoyance de cette démarche de dépassement, tels que les pays nordiques et le Royaume-Uni, en étaient venus à penser qu’en définitive il valait mieux être dedans que dehors…
Le troisième grand défi qui se présente maintenant à nous est celui de la mondialisation ou, plus précisément, celui de la façon dont nous allons aborder et gérer les profondes transformations et convulsions auxquelles nous devons nous attendre.
La tâche ne sera pas facile, mais la question est simple : vaut-il mieux aborder ce défi seuls ou à plusieurs ? Le contexte qui nous attend appelle la réponse.
En 1950, c’était hier, la population mondiale comptait deux milliards et demi d’habitants ; en 2050, elle dépassera neuf milliards. Il s’agit de la plus grande révolution de tous les temps, qui se développe presque dans l’indifférence. D’ici là, tous les continents verront leur population augmenter, sauf l’Europe, qui passera de 530 millions d’habitants en 2030 à 515 millions en 2050. À ce moment-là, aucun pays de l’Union européenne ne représentera 1 % de la population mondiale et, dès 2030, aucun pays de l’Union ne figurera plus dans les huit premières puissances du monde.
Devant de tels chiffres, on pense au proverbe touareg : « Seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin ».
Voulons-nous être encore demain des acteurs de l’organisation de la planète et y défendre nos valeurs, nos intérêts, notre niveau et notre qualité de vie, ou bien, usés, fatigués, désabusés, divisés, allons-nous nous contenter d’en être les spectateurs repliés sur chacune de nos nations livrées à la puissance d’États-continents ?
J’espère que nous sommes nombreux en France et en Europe à vouloir relever ce troisième grand défi, après celui de la paix et de la réunification : notre participation à l’élaboration du destin de la planète et la défense de nos valeurs et de nos intérêts !
Les résultats des élections du 25 mai prochain nous montreront certainement que, si ce défi n’est pas gagné, il n’est pas perdu non plus.
Le désamour actuel à l’égard de l’Europe est réel, et en grande partie explicable : on peut lui trouver de nombreuses causes qui dictent autant de remèdes et d’inflexions. La crise financière née aux États-Unis de l’ultralibéralisme, d’un capitalisme non régulé, a provoqué beaucoup de chômage et beaucoup de souffrances, sans que l’Europe soit apparue comme protectrice face à cette vague.
Pendant longtemps, la plupart des chefs d’État et des hommes politiques n’ont pas osé dire à leurs peuples que les trente glorieuses étaient terminées et que l’on ne pourrait plus vivre tout à fait comme avant. Ils ont camouflé cette réalité en endettant leurs pays, ce qui rend beaucoup plus difficile, voire impossible au niveau de chaque État, une relance qui serait pourtant nécessaire.
Les bulles, financière en Irlande et immobilière en Espagne, ont prospéré jusqu’à leur éclatement et jusqu’à ce que l’Europe se dote, bien tard, de règles de régulation et d’une surveillance bancaire qui n’existait pas jusqu’ici. Quant aux règles budgétaires, elles ont été transgressées peu de temps après avoir été élaborées.
La facilité a consisté également, dans chaque État, à s’attribuer ce qui fonctionnait bien et à rejeter sur l’Europe, bouc émissaire commode, tout ce qui n’allait pas. L’évolution des pratiques de gouvernance n’est certainement pas allée non plus dans le sens d’une meilleure qualité.
Les horizons politiques se sont considérablement raccourcis – la prochaine élection plutôt que la prochaine génération ! –, et les pratiques politiques forment aujourd’hui un carré tragique fait essentiellement de sondages, de marketing, de tactique électorale et de communication, au détriment de la réflexion à long terme, des valeurs et du courage.
Les chefs d’État, qui prennent tous goût, et c’est légitime, à l’exercice du pouvoir, ont bien du mal à déléguer une partie de leur souveraineté. La politique de chacun d’eux devrait pourtant reposer sur deux piliers : le développement économique et la construction de l’Europe. Ce n’est malheureusement pas l’impression que nous avons en ce qui concerne le second pilier, et ce dans tous les pays de l’Union.
Les hommes politiques qui vantaient l’Europe il y a encore quelques années n’osent plus en parler, devant la montée du nationalisme, du populisme et du séparatisme, avec lesquels certains sont tentés de composer.
Les médias dans leur ensemble jugent que la question de l’Europe ne fait pas recette sur les antennes et, entre deux élections, ne s’y intéressent qu’au travers des dérapages de la Commission. À cet égard, je remercie Public Sénat d’avoir retransmis le débat entre les principaux candidats à la présidence de la Commission et j’appelle de mes vœux une telle émission tous les semestres.
Par ailleurs, la gestion de la Commission est apparue, souvent à juste titre, comme trop lointaine, trop tatillonne, trop technocratique et souvent maladroite, s’abandonnant à une inflation normative devenue parfois ridicule, parfois insupportable, alors que, par ailleurs, un travail important a été accompli, comme le prouve, par exemple, le bilan de l’action de Michel Barnier.
La politique commerciale a souvent donné l’impression d’une certaine naïveté à l’égard de nos concurrents. De même, l’absence d’une politique de change, qui contribue à un euro fort, lequel ne présente certes pas que des inconvénients, est surtout ressentie comme un obstacle à nos exportations.
La politique de concurrence dans l’Union apparaît aussi parfois comme une entrave à la constitution de grands groupes en mesure d’exister face aux géants de la concurrence internationale.
Surtout, la démocratie en Europe est largement inachevée. Le Président du Conseil européen est nommé et non élu, alors que l’Europe aurait besoin, comme toutes les grandes puissances, d’une voix, d’un visage et d’un patron. Le président de la Commission sera quant à lui désigné par le Conseil, certes en tenant compte du résultat des élections européennes, du moins l’espère-t-on, puis avalisé par le Parlement. Quant au mode d’élection des parlementaires, il conduit à ce que les électeurs ne les voient au mieux qu’une fois tous les cinq ans.
Le couple franco-allemand, qui a été le moteur de l’Europe, est aujourd’hui profondément déséquilibré, pour ce qui est tant des performances économiques que de la politique énergétique ou des perspectives démographiques.
La faiblesse du budget européen est également un grave handicap : 1 % du PNB européen, à comparer aux 25 % pour le budget fédéral des États-Unis. Certes, il ne s’agit pas de faire l’Europe sur le modèle américain, mais un budget représentant 1 % du PNB pose incontestablement un problème de crédibilité.
Cela est d’autant plus regrettable que, si une politique de désendettement est absolument nécessaire au niveau de chacun de nos États, elle ne l’est pas au niveau de l’Europe, puisque celle-ci, qui n’a pas le droit d’emprunter, n’est donc, par définition, pas endettée. C’est donc à cet échelon que l’on aurait dû faire la relance, mais les États ne l’ont pas voulu.
La méthode intergouvernementale, quant à elle, est à bout de souffle et la règle de l’unanimité, en usage encore dans bien des domaines, retarde et édulcore les décisions, lesquelles sont, reconnaissons-le, plus difficiles à prendre à vingt-huit qu’à six.
En France, les pro-Européens sont séparés par le mur de la bipolarisation et ont de plus en plus tendance, chacun de leur côté, à prêter une oreille trop attentive à la démagogie des extrêmes. Mais, peut-être plus que tout, c’est la coexistence de deux conceptions fondamentalement différentes de l’Europe qui pose problème : l’Europe-espace, prônée par le Royaume-Uni, qui s’accommode du seul marché unique et d’une politique transatlantique, et l’Europe-puissance, qui rassemble des partenaires souhaitant davantage d’intégration, autrement dit, à terme, une Europe à visée fédérale, et ambitionnant notamment que l’on fasse plus de place à des politiques communes telles que l’Europe sociale.
Il faut réorganiser la cohabitation de ces deux Europe en conservant, si possible, les vingt-huit pays dans l’Union, mais en faisant en sorte que ceux qui veulent aller plus vite et plus loin, au besoin selon des rythmes différenciés, puissent le faire sans être entravés par ceux qui n’adhèrent pas à la vision d’une Europe plus intégrée. Les premiers doivent lancer un véritable appel d’offres pour plus d’intégration.
Ce diagnostic, s’il est partagé, nous trace le chemin, nous dicte le projet.
Dans le rapport que j’ai eu l’honneur de présenter en commission et dans lequel, je le reconnais, j’ai davantage affirmé une conviction que cherché une impossible synthèse, j’ai articulé vingt-quatre propositions.
Bien sûr, toutes doivent être soumises à discussion, à concertation, à amélioration ; certaines disparaîtront et il faudra du temps, certainement beaucoup de temps, pour que les autres entrent éventuellement dans le droit positif.
Mais, mes chers collègues, j’estime qu’il est important que, après ces élections, l’Europe soit à nouveau dotée d’un grand projet, d’une grande ambition susceptible de rassembler une majorité d’Européens.
Il est important que les chefs d’État, à défaut d’hommes d’État, cessent de louvoyer, de ne s’intéresser qu’au futur proche et à des politiques réactives et sectorielles, dont l’efficacité serait démultipliée si elles étaient intégrées à un plan d’ensemble et à une vision à long terme. Il suffirait que quelques chefs d’État de l’Union, le président de la Commission et quelques commissaires, ainsi que le président du Parlement soient des visionnaires courageux plutôt que des tacticiens frileux, pour que l’Europe se réconcilie avec elle-même et entraîne à nouveau les peuples vers un projet fédérateur.
L’Europe doit être un projet de civilisation, servi par une puissance organisée à terme sur le mode du fédéralisme pour forger une communauté de nations. Ce projet pour l’Europe devrait franchir une nouvelle étape démocratique, renforcer sa capacité de gouvernance et développer son économie pour promouvoir, avec beaucoup plus d’efficacité, de nouvelles politiques, sociales, fiscales, énergétiques, climatiques, numériques, tant il est vrai que l’Europe sera politique ou ne sera plus !
Il faudra renforcer également la convergence et l’efficacité des politiques étrangère et de défense, faire élire le président du Conseil européen par tous les parlementaires d’Europe – députés, sénateurs, parlementaires européens, soit plus de 10 000 personnes dans un premier temps, avant de passer au suffrage universel –, faire élire le président de la Commission directement par le Parlement européen, hiérarchiser cette Commission comme un gouvernement en désignant des hauts commissaires, des commissaires, des commissaires délégués, promouvoir un mode de scrutin uniforme et garantissant une proximité de l’élu avec le citoyen pour désigner les parlementaires européens, conférer davantage de pouvoirs au Parlement européen en lui faisant partager une partie du pouvoir d’initiative aujourd’hui entièrement aux mains de la Commission et en lui conférant, dans certaines limites, le droit de voter une partie des recettes, mieux associer enfin les parlements nationaux à la conduite des affaires européennes.
Toutes ces orientations pourraient constituer, me semble-t-il, un programme d’approfondissement de la démocratie dans les années à venir.
Sur le plan économique, doter à nouveau le budget européen de ressources propres à hauteur de 60 % d’ici à dix ans, doubler le montant du budget dans la même période, autoriser l’Europe à emprunter en lui appliquant néanmoins les règles de Maastricht, créer des eurobonds dès lors que les productivités des différents États convergeraient, confier la politique des changes à la Banque centrale européenne – c’est elle qui a sauvé l’euro –, réformer la Cour des comptes européenne, en lui donnant des responsabilités d’analyse plus affirmées à l’instar de notre propre Cour des comptes, voilà autant de mesures qui, me semble-t-il, seraient, elles aussi, en mesure d’accroître collectivement notre capacité et notre intégration économiques.
Oui, l’Europe est au milieu du gué. Je crois profondément que c’est en étant davantage Européens que nous pourrons rester souverains.
L’évolution du monde nous interpelle, le défi ne sera relevé qu’avec imagination et courage. Comme le disait John Maynard Keynes, « la difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes ».
Il ne s’agit pas de faire la révolution ou le grand bond en avant, mais il s’agit de ne plus tergiverser, il s’agit de sortir du clair-obscur, de s’affranchir des égoïsmes nationaux, de dessiner un projet et de tracer un chemin. Face aux gigantesques défis que nous lance le XXIe siècle, la nation ne peut demeurer le stade ultime de l’organisation des peuples. « Les provinces ont fait la France, aujourd’hui les États doivent faire l’Europe sans défaire les nations. »
Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne sommes plus qu’à quelques jours des élections européennes, et pourtant, c’est un peu comme si ce scrutin n’existait pas !
L’exemple du débat qui a opposé, le 15 mai dernier, les prétendants à la présidence de la Commission européenne est, à cet égard, assez emblématique. Non seulement les grandes chaînes de télévision n’ont pas voulu le diffuser, mais l’une d’entre elles, la principale antenne du service public, a mis en place un programme concurrent, certes consacré à l’euro, mais sans aucun des candidats en lice sur son plateau !
France 2 entendait faire de l’info-audience plutôt que de faire de l’information citoyenne. Ceux qui, notamment parmi les politiques, avaient osé critiquer cette impasse allaient voir ce qu’ils allaient voir, selon les dires de la chaîne : eh bien, ce fut tout vu ! Cet ersatz de programme de campagne n’a recueilli que 7, 7 % de parts de marché, une des plus faibles audiences de l’histoire de la chaîne !
C’est avec la même désinvolture que France Télévisions et ses consœurs privées se sont exonérées des équilibres des temps de parole durant la phase de précampagne, obligeant le Conseil supérieur de l’audiovisuel, et son président, à procéder à un sérieux rappel à l’ordre la semaine dernière.
Ces manquements à leurs obligations de nos grands médias démontrent, s’il le fallait encore, la justesse de l’initiative, approuvée par le Sénat, de notre collègue Pierre Bernard-Reymond lorsqu’il a défendu la création d’une « Radio France Europe », vouée à informer de manière récurrente nos concitoyens sur l’Europe.
J’en profite ici pour saluer l’engagement européen sans faille de notre collègue, sur lequel je le rejoins totalement, au-delà de nos différences politiques. Cette assemblée ne serait pas tout à fait la même sans la voix de ce grand fédéraliste ! Les Européens tels que lui sont encore trop peu nombreux en France, car les lacunes de la classe politique n’ont, sur ces questions, rien à envier à celles qui sont observées dans nombre de nos médias.
Les responsables nationaux cèdent souvent à cette trop facile tentation : se défausser sur l’Europe pour masquer leurs propres erreurs ou leur absence de véritable vision politique. Il est si facile de blâmer des institutions lointaines forcément complexes en raison de leur fonctionnement, de leur localisation, de leur caractère polyglotte et des tâches ingrates que l’on veut bien leur confier !
L’Europe n’est évidemment pas parfaite. Telle qu’elle existe aujourd’hui, elle est même foncièrement viciée, inachevée. Elle est loin d’être suffisamment démocratique, lisible et efficace. C’est d’autant plus difficile à accepter, que le monde évolue très vite, alors que l’Europe semble, elle, faire du surplace.
Dans trente ans, comme l’a rappelé notre collègue Pierre Bernard-Reymond, plus aucun pays de l’Union européenne ne sera membre du G8, alors qu’ils sont quatre aujourd’hui à figurer : c’est évidemment une source d’inquiétude, et d’exigence, aussi.
Cette exigence, et elle n’est pas propre à la France, est aussi la résultante d’un autre trait commun qui renvoie à nos valeurs partagées : les Européens ont soif de progrès, de libertés, de démocratie. Or, au-delà de l’Union européenne elle-même, ce sont ces notions même de progrès, de liberté, de solidarité et de démocratie qui sont aujourd’hui en crise.
Comment l’Europe, qui s’est construite, dès l’origine, en tentant d’articuler ces attentes, pourrait-elle échapper à ces difficultés et à ces questionnements ? En paraphrasant l’abbé Sieyès, je résumerai ainsi la situation que nous vivons aujourd’hui : qu’est-ce que l’Europe ? Tout. Qu’a-t-elle été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-elle ? À devenir quelque chose.
L’Europe, c’est une formidable rupture historique, volontaire et pacificatrice, c’est une aventure visant à réunir des peuples qui, par-delà leurs frontières, leurs langues, leurs coutumes respectives, partagent déjà l’essentiel.
L’Europe, aujourd’hui, est la première puissance économique mondiale et le plus grand espace démocratique commun, après l’Inde. Le brassage de ses populations se voit à tous les niveaux de la société, dans tous nos pays. Aujourd’hui, le Premier ministre français et la maire de Paris sont d’origine espagnole ; le président de l’Assemblée nationale est d’origine italienne : autant d’illustrations de ce que l’Europe, en dépit de ses faiblesses, est bel et bien unie dans sa diversité, qu’elle constitue une part essentielle de notre identité collective.
Au lieu de l’assumer, les gouvernements successifs sont passés maîtres dans l’art de pousser toujours plus loin une certaine intégration européenne tout en cherchant à en minimiser l’aspect fédéral, démocratique, politique.
La Commission européenne est condamnée pour ses orientations libérales, mais on oublie de dire que ce sont les orientations des gouvernements réunis au sein du Conseil qu’elle sert.
Le Parlement européen est critiqué pour son impuissance politique, mais ce sont les États qui veulent à toute force restreindre son pouvoir législatif. L’opacité dans laquelle se négocie actuellement le projet de traité transatlantique est un véritable déni de démocratie. Cela n’est plus possible !
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat du 15 mai dernier, en dépit de son insuffisante médiatisation, a constitué une première historique.
Certains ont parlé d’un « putsch démocratique » lorsque les candidats ont, l’un après l’autre, prévenu les gouvernements que ce processus démocratique d’un genre nouveau s’imposerait à eux et qu’ils devraient choisir comme président de la Commission celui ou celle d’entre eux qui aurait réuni une majorité européenne sur son nom. Attendons encore de voir si les cinq conjurés tiendront bon face aux oukases de tel ou tel chef d’État ou de gouvernement, mais c’est bel et bien à un mini serment du Jeu de paume que nous avons assisté dans l’assourdissante indifférence des responsables politiques nationaux.
« Les pensées qui mènent le monde arrivent sur des pattes de colombe » écrivait un grand philosophe. Si nous sommes cohérents avec nous-mêmes, si nous voulons donner à l’Europe de nouvelles perspectives, nous devons nous joindre à ce serment et l’appuyer dans les faits.
Il ne tient qu’à nous de sortir de l’ornière dans laquelle nous nous trouvons, non pas en sortant de l’euro, mais en complétant l’Union, non pas en donnant plus de poids aux États ou à je ne sais quel marché intérieur, mais en rendant les institutions européennes plus démocratiques et en améliorant les interactions entre niveau européen et niveau national.
Il s’agirait, par exemple, de doter le Parlement européen, le cas échéant appuyé sur les parlements nationaux, d’un véritable pouvoir d’initiative législative, de déconnecter la citoyenneté européenne de l’unique et stricte notion de nationalité, de créer pour 2019 une circonscription transnationale dans laquelle serait élue une partie des eurodéputés, pour que les élections européennes de cette année soient les dernières à se dérouler uniquement à l’échelon national ou infranational.
Nous sommes déjà Européens sur les plans économique, historique et culturel, mais nous n’assumons pas encore de l’être sur le plan politique. C’est pourtant en franchissant ce pas décisif que nous donnerons enfin vie à l’Europe !
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste, du RDSE, de l’UDI-UC et de l’UMP.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en cette année de commémoration du centenaire de la guerre de 1914 et alors que l’Ukraine sombre dangereusement dans la guerre civile, le projet européen a plus que jamais du sens et doit être l’objet de tout notre intérêt et de tous nos soins.
Le rapport de notre collègue Pierre Bernard-Reymond, qui est le support de notre débat d’aujourd’hui, nous le rappelle très utilement, comme d’ailleurs, le rapport de Jean Arthuis sur l’avenir de la zone euro, remis en 2012.
Certes, la défiance de nos concitoyens vis-à-vis de l’Europe augmente sous l’effet de la crise. Or c’est exactement pour cette raison que nous devons continuer et consolider ce qui a été élaboré depuis cinquante-sept ans, avec patience et détermination.
Jamais la construction d’un espace européen commun n’a été un long fleuve tranquille, pas plus hier qu’aujourd’hui, et il n’y a aucune raison valable pour que nous nous en lassions. L’Union européenne est un processus en perpétuelle évolution. Sous le choc de la crise, elle est au milieu du gué et il est de notre responsabilité de lui donner un nouvel élan.
Nos concitoyens ne doivent pas se laisser séduire par les sirènes des extrémistes ou des eurosceptiques. Pierre Bernard-Reymond l’a rappelé avec force : ce qui est en jeu aujourd’hui, ce n’est pas l’Europe elle-même, à laquelle la majorité continue d’adhérer, mais son fonctionnement. Nous devons consolider ses succès, combler ses manques et résoudre ses faiblesses, dans un cadre collégial et démocratique.
Oui, mes chers collègues, l’Europe est toujours un projet enthousiasmant, qui a déjà de nombreux succès à son actif ! Permettez-moi de les rappeler brièvement, en commençant par les valeurs de paix, de liberté, de dignité et de solidarité qui animent, intrinsèquement, le projet européen et le légitimeraient à elles seules, malgré les interrogations du moment.
Les jeunes générations ont tendance à l’oublier, mais la construction européenne a sorti le continent de guerres régulières qui, à deux reprises, ont débouché sur une conflagration mondiale.
L’Europe a consolidé la sortie de la guerre froide et accueilli l’est du continent dans la démocratie. Elle nous a ouverts les uns aux autres grâce à la liberté de circulation et au remarquable programme d’échange entre étudiants – je veux parler d’Erasmus.
De même, les politiques communes que sont la politique agricole commune et la politique commerciale, même si elles doivent s’adapter à la nouvelle donne économique mondiale, constituent, par leurs succès, de solides acquis.
Enfin, d’un point de vue économique, André Gattolin le rappelait à l’instant, l’Union européenne est le plus grand marché du monde. Sa balance commerciale est en excédent ; ses parts dans le marché mondial sont stables – autour de 16 %. Elle présente un surplus industriel et une réelle compétitivité en matière de services.
Il n’y a donc pas à douter du succès économique de l’Union européenne.
Surtout, ce serait une catastrophe que d’abandonner l’euro ! Générateur de confiance, de faible inflation et de stabilité des prix, l’euro a d’abord supprimé le risque de change et le coût des transactions monétaires. C’est aujourd’hui la deuxième monnaie la plus échangée au monde et la deuxième monnaie de réserve.
Sortir de l’euro et revenir à une monnaie nationale, dévalorisée, signifierait une hausse immédiate des taux d’intérêt, un renchérissement du coût de la dette publique. Cela entraînerait une dévaluation monétaire qui alimenterait l’inflation, laquelle serait elle-même combattue par une politique de hausse des taux d’intérêt, source de handicap pour le financement entier de l’économie.
Le résultat d’une sortie d’un pays de l’euro est clair : contraction du produit intérieur brut, appauvrissement et déstabilisation de toute l’Europe. Est-ce ce que nous voulons ? Assurément, non !
Il faut, au contraire, tordre le cou aux idées économiques aléatoires, qui ne sont que des mirages ineptes ! Ce n’est pas parce que l’Union européenne et la zone euro ne fonctionnent pas de façon optimale que nous devons tout arrêter. Bien au contraire, il nous incombe aujourd’hui de surmonter définitivement la crise et de consolider l’œuvre entreprise.
De fait, le choc de la crise a eu un effet remarquable : dans l’urgence et la contrainte – parfois, je vous l’avoue, de façon chaotique et quelque peu tardive – les pays de la zone euro ont réussi à améliorer la gouvernance économique. Pour y parvenir, ils ont créé le mécanisme de gestion de crise pérenne qui manquait – le Mécanisme européen de stabilité. Ils se sont accordés sur des orientations budgétaires communes – c’est le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ; c’est la procédure du semestre européen, qui améliore la supervision économique et budgétaire - et ils ont forgé une union bancaire ! Je le rappelle, la Banque centrale européenne sera officialisée en novembre prochain en tant qu’organe destiné à superviser les cent vingt-huit organismes bancaires de l’ensemble des vingt-huit États membres.
La conclusion est évidente : même avec ses défauts, la zone euro a résisté à la crise en faisant acte de solidarité envers les pays les plus en difficulté. Et les marchés financiers ne se risquent plus à considérer son démantèlement comme possible.
C’est le fruit des engagements des États, de la politique monétaire de la Banque centrale européenne et des efforts consentis par l’ensemble des citoyens européens.
Allons-nous relâcher nos efforts aujourd’hui, alors que la situation économique globale de l’Europe est en voie d’amélioration et qu’elle a des conséquences politiques qu’il est de notre responsabilité de traiter ?
Ce serait, à mon sens, gâcher ce que nous avons construit à la veille d’en récolter les fruits ! Ce serait renier une partie de notre histoire et de notre culture !
Notre objectif, pour reprendre les mots de Mario Draghi, est bien « une union plus parfaite ». Pour nous, la désaffection à l’égard de l’Europe s’explique en effet largement par les circonstances économiques actuelles.
Oui, la construction européenne connaît une période de fragilité, mais la crise nous fait définitivement comprendre qu’il n’y a pas d’avenir pour notre pays seul et isolé.
Seuls, nous ne pourrons pas relever le défi du chômage ! Seuls, nous ne pourrons pas réussir la transition énergétique ! Seuls, nous ne pourrons pas gérer la question de l’immigration !
Ce dernier sujet intéresse particulièrement nos concitoyens. Le quotidien et les médias nous le rappellent, hélas, cruellement, presque chaque semaine.
La libre circulation des Européens est une réalisation essentielle de l’Union à laquelle ils tiennent. Et ils ont raison !
Alors, comment gérer collectivement l’arrivée de migrants en situation illégale ? Comment accueillir les réfugiés et traiter les demandes d’asile ? Comment faire face à des afflux d’ampleur historique ? Nous soutenons une plus grande coopération entre les États membres, la création d’un Commissaire européen à l’immigration et, surtout, le renforcement des moyens de l’agence Frontex.
En matière économique, si nous voulons résorber le chômage, la convergence et la cohérence des politiques économiques et budgétaires est nécessaire.
Faut-il rappeler ici le « péché originel » qui consista à créer une union monétaire sans avoir préalablement créé une union économique et budgétaire ? On savait que la convergence n’irait pas de soi. Aujourd'hui, c’est malheureusement plus que le cas !
Car c’est en créant les conditions favorables à l’investissement des entreprises que l’on trouvera le chemin d’une croissance durable et créatrice d’emplois. Prendre le risque de bâtir des systèmes fiscaux et sociaux trop différents, c’est implicitement faire le choix d’une Europe des transferts et des subventions, alors qu’il faudrait collectivement créer de la croissance et de la richesse.
Telle est la logique de l’union bancaire et de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, que notre collègue Richard Yung connaît bien et qu’il nous explique régulièrement.
C’est dans ce sens que nous devons poursuivre.
Pour nous, il y a cependant un préalable : chaque pays doit prendre ses responsabilités et faire sa part du travail, qui consiste à réduire ses déficits et son niveau d’endettement, à engager des réformes structurelles.
Or, à ce titre, monsieur le secrétaire d’État, la politique économique actuellement menée par le Gouvernement nous laisse très sceptiques.
Vous le savez, mes collègues du groupe UMP l’ont dit à de nombreuses reprises au cours de nos débats : non seulement espérer le retour à la croissance ne fait pas une politique, mais, pire encore, cela fait prendre un risque collectif à l’Europe tout entière !
Dans cette perspective, le débat sur l’austérité est un faux débat : il faut arrêter de faire de l’Europe un bouc émissaire, comme le dit très justement notre collègue Pierre Bernard-Reymond dans son rapport.
Nous devons construire la convergence économique et fiscale en prenant les bonnes mesures au niveau national. Je sais que ce n’est pas facile. Je suis intervenu à plusieurs reprises dans ce type de débat et je n’ai jamais caché mon intention de transgresser les particularités entre partis pour nous permettre de nous retrouver sur des décisions importantes qui concernent l’ensemble de notre pays.
Il en va de même s’agissant de la transition énergétique – je viens de terminer un rapport sur la coopération énergétique franco-allemande qui m’a beaucoup appris. Dans un souci tant de préservation de l’environnement que de coût pour nos industries, la transition énergétique doit être menée au niveau européen, et par tous les États ensemble. L’une des grandes conclusions que j’ai retirées de ce rapport, c’est qu’aucun pays ne peut la réaliser seul.
Le choix des bouquets énergétiques nationaux doit être cohérent et coordonné. Nos réseaux doivent être modernisés en conséquence. Et l’indépendance énergétique doit être appréhendée à l’échelon européen. Ce qui se passe depuis plusieurs mois en Ukraine nous le rappelle : l’indépendance énergétique ne peut pas se concevoir en dehors de ce cadre européen.
Réinvestissons l’un des projets d’origine de la Communauté européenne, la Communauté européenne du charbon et de l’acier, et mettons en place une véritable Union européenne de l’énergie.
Il y a une vraie logique à agir de concert et de vrais gains à en attendre pour nos concitoyens et, bien évidemment, pour notre environnement !
Mes chers collègues, pour résumer, je dirai que le sujet n’est pas celui d’une Europe fédérale, mais bien celui de la poursuite d’une construction selon un modèle original.
Le choc de la crise et la réponse qui lui a été collectivement apportée par l’Europe ont profondément modifié l’organisation de l’Union européenne.
Aujourd’hui, nous devons franchir une nouvelle étape : il nous faut nous accorder sur l’étendue et les modalités de gestion de ce que nous voulons en commun, et trouver un nouvel équilibre entre le communautaire et l’intergouvernemental.
Nous devons choisir les politiques à traiter ensemble et ne plus laisser les administrations européennes réglementer dans le détail de trop nombreux domaines. Nous suivons presque quotidiennement ce sujet au sein de la commission des affaires européennes.
J’ai déjà donné plusieurs exemples, mais j’aimerais maintenant aborder la question d’un point de vue plus institutionnel.
Nous pensons que, s’il est très difficile d’envisager une modification des traités, il est tout à fait possible, en revanche, d’avancer dans le contexte légal actuel.
Pour cela, nous pouvons imaginer une Europe à plusieurs cercles. La zone euro doit poursuivre sur la voie d’une meilleure coordination économique avec un calendrier d’harmonisation fiscale, comme Jean Arthuis l’a souvent recommandé ici.
Nous devons aussi avancer vers un véritable budget européen, après les remarquables avancées négociées, en fin d’année dernière, par notre collègue Alain Lamassoure, président de la commission des finances au Parlement européen. Ce serait un budget plus important et plus intégré, qui devrait prioritairement financer des projets communs en matière de recherche, d’infrastructures et de transports.
Nous devons officialiser l’Eurogroupe et, mieux encore, l’identifier par une présidence permanente.
Pour conclure, mes chers collègues, nous sommes conscients que nombre de nos concitoyens n’ont plus une approche intuitive de la construction européenne. Ils demandent, légitimement, une Europe plus lisible et plus démocratique – cela a été dit par les intervenants qui m’ont précédé.
Nous sommes aussi conscients des faiblesses du fonctionnement de l’Europe et il est de notre devoir de les corriger. Il y a une voie pour l’amélioration, mais pas pour l’abandon du projet européen.
C’est ce à quoi nous devons nous employer. Le choix du futur président de la Commission, selon une procédure plus démocratique, en fonction du résultat des élections au Parlement, est déjà un premier pas, mais nous devons aller plus loin.
Dans cette perspective – et je terminerai par-là –, le couple franco-allemand a un rôle pilote à jouer, et un rôle déterminant. L’Europe ne peut se passer du « couple franco-allemand » non pas comme figure hégémonique, mais comme facteur de propositions et de dynamisme.
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, comme j’ai pu le dire à plusieurs reprises dans cet hémicycle, nous ne pouvons qu’être inquiets des divergences économiques, voire politiques, qui se creusent de plus en plus entre nos deux pays. En effet, à force, elles vont finir par empêcher la structuration d’un noyau dur central européen. Ou alors, la France n’en ferait pas partie… Je suis persuadé que telle n’est pas la solution souhaitée sur l’ensemble de nos travées !
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les très prochaines élections européennes auraient dû être un instant privilégié de vie démocratique pour l’ensemble des citoyens de l’Union. Or, à quelques jours de ce qui devrait être une respiration démocratique majeure pour les centaines de millions d’Européens, nous sommes contraints de tirer la sonnette d’alarme.
Le taux d’abstention devrait atteindre des sommets. Les formations les plus hostiles à la construction européenne obtiendraient des résultats bien supérieurs à leur réel écho public. Le soir du 25 mai, nous allons peut-être voir plus d’une centaine de députés antieuropéens prendre place au Parlement de Strasbourg.
Ces prochaines élections risquent d’être la manifestation la plus aboutie du malaise qui gangrène les institutions européennes.
L’Union telle que nous la connaissons est la fille de notre histoire continentale. Les drames du siècle dernier ont fait prendre conscience à nos aînés de l’urgence et de l’évidence qu’il y avait à nous unir.
L’Europe a d’abord été l’Europe de la paix. Elle a également été – on a vite fait de l’oublier – l’Europe de la prospérité, de l’innovation et de la jeunesse, notamment grâce à la CECA, à Euratom, à Airbus, à l’euro, à Erasmus.
L’Europe, enfin, c’est celle de la justice. Jamais, dans l’histoire, nous n’avons pu voir un aussi grand ensemble de peuplement humain vivre sous l’empire d’un régime aussi élaboré de protection des droits de l’homme.
Quoi qu’on en dise, depuis soixante ans, l’Europe a toujours agi comme force de progrès et de liberté.
Et pourtant, l’Europe n’a plus rien d’une évidence pour les générations actuelles. Le temps a passé, et nos yeux ne sont plus suffisamment aguerris pour mesurer tout ce qu’elle nous a offert et nous offre encore aujourd’hui.
L’Europe apparaît à nos concitoyens désormais plus comme une source de contraintes que comme un atout. La crise a joué un rôle majeur, il faut en convenir, dans ce divorce consommé entre un nombre toujours plus grand de nos concitoyens et les institutions de l’Union.
L’euro est devenu le bouc émissaire de notre incapacité à sortir de la crise, alors qu’il nous a protégés pendant plus d’une décennie des aléas du monde extérieur. Selon la formule de notre collègue Jean Arthuis, la monnaie unique nous a permis de « jouer les prolongations », elle nous a dispensés de nous réformer dans le cadre de nos politiques nationales, alors que le monde a considérablement changé depuis le traité de Maastricht. C’est aussi dans ce retard pris sur la marche du monde que résident aujourd’hui nos difficultés.
Certes, cela a été rappelé, l’Union cumule plusieurs lacunes et dysfonctionnements qui l’empêchent de relever les défis auxquelles elle est confrontée. Pour autant, est-ce une raison pour tout abandonner au milieu du chemin ? Donnons-nous au contraire les moyens d’un second élan !
Le monde actuel est désormais dominé par des masses humaines, politiques et commerciales de dimension continentale. La Chine, les États-Unis et la Russie régentent la marche des affaires internationales. Face à de tels blocs, l’Europe que nous appelons de nos vœux n’a jamais été autant empreinte de faiblesse. Les crises syrienne et ukrainienne font la démonstration de notre impuissance structurelle face à la politique d’une Russie sûre d’elle-même et dominatrice.
Le constat est le même en matière de technologie et d’innovation. Alors que nous disposons de talents, nos politiques nous empêchent d’être concurrentiels face aux géants américains ou asiatiques de l’internet.
Le nouveau continent du numérique – je remercie le président de la commission de l’avoir rappelé – a déjà été conquis, et c’est maintenant l’Europe qui est en passe de devenir une colonie du monde numérique, pour reprendre l’intitulé de mon précédent rapport sur le sujet.
Nous devons donc nous battre pour convaincre de l’évidence qu’il existe une communauté de destin entre les peuples européens, mais aussi pour en avoir la maîtrise. Seuls, nous sommes condamnés à la marginalisation. Évoquant la seule question démographique, Pierre Bernard-Reymond l’a rappelé, dans ce siècle qui est le nôtre, nous sommes plus que jamais condamnés à l’unité.
Comment restaurer le consensus européen, garantir la paix, ramener la prospérité et faire enfin accoucher l’Europe de son véritable potentiel ? Nous avons évidemment besoin de plus d’Europe, mais pas n’importe laquelle !
Pour les sénateurs du groupe de l’UDI-UC, il n’y a pas deux manières de penser l’Europe, deux visions distinctes. Nous sommes clairs sur l’essentiel. C’est le manque d’harmonisation entre les pays européens, l’absence de politique ambitieuse pour protéger et promouvoir nos intérêts communs économiques, sociaux et culturels qui sont les sources de nos difficultés.
Il faut donc une harmonisation pour établir une nouvelle unité qui permettra de nouveaux partenariats conditionnant une partie de l’avenir de l’Union. Je pense bien évidemment à l’Afrique : les sénateurs de notre groupe ne cessent d’appeler à la relance des relations européennes avec les pays africains à travers un partenariat rénové. Car une chose est sûre : forte de son potentiel, géant de demain, l’Afrique ne nous attendra pas ; d’autres s’en occuperont…
Nous appelons ainsi à un approfondissement désormais nécessaire pour plus d’emploi, plus de protection, plus de démocratie.
Le chantier le plus urgent pour l’l’Europe est de combler le fossé démocratique qui l’éloigne depuis trop longtemps de ses citoyens.
Nous avons besoin d’institutions responsables et incarnées devant les citoyens, de politiques européennes évaluées, portées à la connaissance de tous et susceptibles d’être sanctionnées dans les urnes.
La démocratie doit être l’aiguillon de la construction européenne de demain. Sans une architecture institutionnelle robuste, solide et démocratique, l’Europe telle que nous la connaissons finira par s’écrouler sous son propre poids.
Par ailleurs, l’euro doit être achevé et marcher sur ses deux jambes. Nous avons donc besoin d’un gouvernement économique intégré qui manie à la fois la politique budgétaire et fiscale, en lien avec la BCE. Ce gouvernement doit être responsable devant les citoyens de l’Union.
C’est pourquoi le Parlement européen doit devenir une véritable chambre forte de toutes les compétences dévolues à une grande assemblée parlementaire.
L’Assemblée interparlementaire instituée à l’article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, peut constituer l’embryon d’une seconde chambre, qui représenterait aussi les citoyens à travers le prisme des États, dans le cadre strict de la zone euro.
Cet édifice serait le noyau du nouveau fédéralisme européen que les sénateurs centristes appellent de leurs vœux. Ce serait là le préalable à tout renforcement de la PAC, à toute politique environnementale ambitieuse, à notre politique de défense, à la prise en compte des enjeux de l’Europe maritime, à la gestion des flux migratoires.
En tout état de cause, cette refonte démocratique de nos institutions est la condition nécessaire à la réussite des politiques publiques européennes. Et cela est particulièrement vrai pour l’ensemble des secteurs stratégiques qui concernent les politiques à venir.
À ce titre, le travail mené par notre mission commune d’information sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie de l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’internet est sur le point de corroborer ce diagnostic général. Je parle, bien sûr, sous le contrôle de nos collègues Jean Bizet et André Gattolin.
Après avoir auditionné plus de cinquante acteurs de l’internet mondial et européen, que ce soit à Bruxelles, en Allemagne ou aux États-Unis, il nous apparaît que l’Europe bénéficie en la matière d’une opportunité historique. Depuis l’affaire Snowden, la gouvernance de l’internet souffre de la perte du magistère moral exercé naguère par les États-Unis. La tentation est grande désormais, pour les nations de l’internet démocratique, de se replier sur elles-mêmes.
Dans un tel contexte, l’Europe a l’occasion de s’affirmer comme le tiers de confiance en mesure d’infléchir la gouvernance de l’internet dans un sens conforme à nos valeurs de respect de la vie privée et de garantie de la liberté de chacun.
L’Europe en a l’occasion, mais en a-t-elle les moyens ? Nos institutions nous permettent-elles de prendre des décisions fermes et rapides ? Sont-elles en mesure de densifier le tissu industriel de l’internet européen ? En l’état actuel des choses, je ne le crois pas. C’est bien dommage, car cet enjeu concerne déjà tous les secteurs de l’activité humaine et, personnellement, tous les citoyens de l’Union. Notre mission commune d’information fera des propositions en ce sens dans les semaines à venir.
Afin de joindre le geste à la parole, et en vue de combler le fossé démocratique qui, je le disais, éloigne le citoyen de l’Union, je ne formulerai qu’un vœu : nous avons des citoyens prêts au débat et disposons des moyens techniques pour mener une vaste concertation continentale ; pourquoi donc ne pas faire de la France le fer de lance de la grande consultation européenne sur l’Europe souhaitée par nos concitoyens ? Cela nous donnerait enfin la pleine mesure de ce à quoi l’Europe des cinquante prochaines années devrait ressembler.
Mme Catherine Morin- Desailly . En 1916, Guillaume Apollinaire, poète français d’origine polono-italienne, écrivait : « Il est grand temps de rallumer les étoiles ». Aujourd’hui, nous sommes à nouveau, nous, engagés européens, dans la situation de devoir nous mobiliser pour dire quelle Europe nous voulons, afin de rallumer les étoiles européennes. À cet égard, je remercie le président de notre commission des affaires européennes, Simon Sutour, d’avoir pris l’initiative de ce débat.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et de l'UMP.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à quelques jours de l’élection des représentants au Parlement européen, ce débat me semble plus qu’essentiel.
Bien que nous constations depuis quelque temps un regain d’intérêt pour ces questions, dans l’ensemble, les enjeux de ce scrutin sont passés sous silence. Malheureusement, une grande majorité des Français se désintéressent totalement de cette élection, et la plupart de ceux qui y participeront s’interrogent sur la portée même de leur vote.
Pourtant, le 25 mai prochain, tous les citoyens européens ont le pouvoir de donner le sens qu’ils veulent à l’Europe, de choisir quel développement est le plus approprié pour l’intérêt des peuples. Ensuite, tout dépend de l’ambition que l’on porte s’agissant des véritables perspectives pour l’Europe.
L’Europe ne pourra dépasser les obstacles actuels sans une adhésion des peuples à un projet ambitieux. Elle ne pourra poursuivre sa construction si elle ne prend pas acte du besoin grandissant de démocratie et de transparence de nos sociétés.
L’enjeu majeur des années à venir est donc bien de remettre le citoyen au centre des préoccupations européennes.
Les politiques menées par l’Union européenne, ces dernières décennies, sont pourtant loin de favoriser le développement de coopérations utiles entre les vingt-huit pays qui composent l’Union. C’est au contraire, et de plus en plus, la mise en concurrence des peuples et des territoires qui est organisée.
Petit à petit, on le voit, ce phénomène est en train de tuer l’Europe, car cette concurrence exacerbée met les peuples sous tension et suscite toutes sortes de sentiments des plus nauséabonds.
L’idée originelle de la création de l’Union européenne était pourtant la création d’une zone de paix. Il s’agissait, certes, de favoriser les échanges marchands et le développement économique, mais la nécessité d’établir une paix durable était aussi un élément fondamental. Or nous constatons une nouvelle fois aujourd’hui, après la guerre des Balkans, que cette paix n’est pas forcément acquise et qu’elle est même en danger aux portes de l’Union.
Nous ne pouvons ignorer la crise dramatique que traverse l’Ukraine. Cette situation doit nous inquiéter et nous faire réagir. Face à ce drame, l’Union européenne devrait soutenir bien davantage l’organisation d’élections dans un climat apaisé.
Le peuple ukrainien doit pouvoir décider s’il souhaite, ou non, préserver l’unité d’un territoire et l’intégrité de ses frontières. C’est l’une des ambitions que doit justement soutenir une Union européenne porteuse de paix. On constate, au contraire, l’incapacité chronique de l’Union à jouer un rôle positif dans les conflits du monde, et particulièrement ceux des pays voisins.
De plus, si nous voulons que l’Europe prenne un nouveau tournant, qu’elle se développe sur les bases d’une véritable coopération entre les nations dans l’intérêt des peuples d’Europe et du monde entier, il est nécessaire d’informer les citoyens des véritables enjeux.
Prenons l’exemple du projet d’accord transatlantique, négocié en secret et dont la très grande majorité des Français ignorent même l’existence, la portée et les enjeux : il s’agit de la copie conforme du projet d’accord multilatéral sur l’investissement négocié dans le plus grand secret entre 1995 et 1997, et rejeté in extremis grâce à la percée des informations sous l’action de la société civile et à la pression populaire qui s’est ensuivie.
Ce projet d’accord transatlantique est une véritable menace pour les droits sociaux, l’emploi, l’environnement, l’agriculture, les droits civiques, la vie privée, la santé, la régulation financière, la démocratie, les services publics... Mais qui le sait ?
Nous ne pouvons laisser perdurer ces négociations dans la plus grande opacité. Or, honnêtement, en l’occurrence, nous ne pouvons compter sur le Gouvernement, puisque le Président de la République, en personne, a déclaré souhaiter que l’on accélère les négociations « pour éviter les contestations » !
À ce sujet, je dois avouer que le comportement des députés socialistes lors de l’examen en commission de la proposition de résolution européenne, déposée par les députés du Front de gauche, tendant à demander l’arrêt des négociations sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique, n’est pas pour nous rassurer sur leur volonté d’instaurer une plus grande transparence devant de tels enjeux. Ils ont en effet vidé ce texte de sa substance, validant ainsi la poursuite des négociations sur un grand marché transatlantique, ...
... alors même que des alertes avaient été lancées, en provenance de milieux très divers, sur le danger et les effets néfastes pour notre économie d’un tel chambardement économique mondial.
Autre élément indispensable pour une construction européenne cohérente : le Parlement européen. Bien que ses compétences aient été renforcées, il ne paraît pas avoir les moyens ou la volonté d’infléchir les décisions d’un Conseil et d’une Commission tout-puissants. Jamais le fossé entre les institutions européennes et les citoyens n’a été aussi grand : il est même devenu un gouffre !
Aujourd’hui, malgré ces dernières évolutions, l’équilibre entre les différents pouvoirs au sein de l’Union européenne est loin d’être atteint.
C’est pourquoi la position et le rôle du Parlement européen constituent un axe essentiel pour la construction de l’Europe : il est nécessaire de donner au Parlement européen les moyens de décider réellement des politiques conduites au sein de l’Union européenne.
Une autre question sur laquelle l’Europe ne pourra faire l’impasse est celle de la relance d’une politique industrielle cohérente.
Dans l’actualité, la proposition de rachat d’une partie de l’activité d’Alstom par General Electric, l’offre du groupe pharmaceutique américain Pfizer sur AstraZeneca en Grande-Bretagne, ou encore la façon dont la Commission européenne mène son enquête, en Allemagne, sur la fusion de deux opérateurs téléphoniques, suscitent nombre d’interrogations...
Même le lobby des très grandes entreprises européennes reproche à la Commission européenne de ne pas suffisamment protéger les intérêts stratégiques de l’Union, de ne pas être assez analytique sur les besoins d’investissement à long terme et de ne pas préserver les capacités de recherche.
Ces dernières années, les critiques à l’encontre de Bruxelles et de sa politique de concurrence se sont amplifiées. La Commission européenne ne peut pas continuer sur cette voie !
Il est indéniable que l’Europe, si elle veut exister et jouer un rôle sur le plan international, doit impérativement favoriser une politique industrielle ambitieuse et menée de façon concertée avec l’ensemble des pays.
Or il suffit d’examiner la situation de la Société nationale Corse Méditerranée, la SNCM, pour voir que la vision de la « concurrence libre et non faussée » ne peut que couler l’industrie européenne.
L’Union européenne a en effet condamné la compagnie maritime à rembourser 440 millions d’euros de subventions perçues. Ainsi, on expose la SNCM à une épée de Damoclès, alors même que son plan industriel est cohérent et a de fortes incidences directes et indirectes sur l’emploi, notamment dans les chantiers navals.
Tout cela s’inscrit dans la logique de libéralisation des transports suivie par la Commission européenne, une logique qui vise, in fine, à abaisser les règles du droit social. Nous ne pouvons pas approuver une telle vision de l’Europe !
Selon nous, les salariés doivent pouvoir s’impliquer pleinement dans les choix stratégiques de développement de leurs entreprises. Des propositions sont formulées qui peuvent leur en donner la possibilité. En particulier, il serait possible de donner aux salariés, dans le cadre des comités d’entreprise européens, des droits sur les choix stratégiques – investissements, localisation, montant des dividendes -, ou encore d’interdire l’action des fonds financiers prédateurs et spéculatifs.
Les perspectives de la construction européenne sont un sujet si vaste qu’il y aurait encore de nombreux aspects à aborder. Cependant, pour conclure et respecter le temps de parole qui m’a été attribué, je parlerai des citoyens. En effet, il me semble indispensable, pour qu’ils se sentent réellement impliqués dans le processus de construction européenne, que la consultation des peuples sur les traités essentiels soit rendue systématique.
Les sénateurs du groupe CRC pensent également qu’il est urgent d’avancer en matière d’harmonisation fiscale et sociale.
Mes chers collègues, il est nécessaire de construire une autre Europe, qui entende les peuples et agisse pour le progrès humain !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
M. Charles Guené remplace Mme Christiane Demontès au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi, alors que, monsieur le secrétaire d’État, vous venez de prendre vos fonctions, ce dont nous nous réjouissons, d’effectuer un bref rappel.
Quand le Gouvernement, le 19 octobre 2012, a demandé au Parlement de ratifier le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, dit « traité TSCG », il nous a incités à le « contextualiser », à considérer ce qu’il y avait autour et ce qui viendrait ensuite. Souvenez-vous, mes chers collègues, de ce dont on nous parlait alors : l’annexe sur la croissance et la taxe sur les transactions financières, sans oublier la régulation bancaire.
Défendant une motion, que j’avais déposée avec mon collègue Pierre-Yves Collombat, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi autorisant la ratification du traité TSCG, je soulignais que ce traité posait le principe d’un retour à l’équilibre budgétaire sous le contrôle de la Commission européenne et selon un calendrier fixé par elle, qu’il était facile de prévoir, ajoutant que le traité « nous [entraînerait] dans une spirale récessionniste dont nous ne [sortirions] que par une crise politique et sociale de grande ampleur ».
Je n’ai pas l’habitude de me citer, mais, cette fois, je ne puis résister ; car enfin, monsieur le ministre, je tenais ces propos il y a moins de deux ans, et nous y sommes ! La mise en œuvre de plans d’austérité budgétaire simultanés dans la plupart des pays d’Europe a plongé ceux-ci dans une stagnation économique de longue durée.
C’est ainsi que, au premier trimestre de cette année, la croissance, nulle en France, a été négative en Italie et à Chypre ; elle s’est établie à -1, 1 % en Grèce, à -0, 7 % au Portugal, à -1, 4 % aux Pays-Bas et à -0, 4 % en Finlande. Seule l’Allemagne, avec une croissance de 0, 8 %, a permis à la zone euro d’afficher une croissance globale de 0, 2 %.
Reste que, pour l’ensemble de l’année, la croissance prévue est seulement de 1 %, inférieure de deux fois et demie à sept fois à celle que l’on prévoit pour les autres régions du monde. Telle est la réalité de l’Europe dont nous parlons !
Mme Morin-Desailly, avant de quitter l’hémicycle, a cité Apollinaire, qui voulait « rallumer les étoiles » ; du reste, cette inspiration est présente dans le rapport de M. Pierre Bernard-Reymond. Pour ma part, je voudrais réhabiliter un pharmacien lorrain, le docteur Coué, qui fut très en vogue dans les années vingt parce qu’il guérissait les gens en leur faisant répéter tous les jours : « Demain sera meilleur qu’aujourd’hui ! » §Mes chers collègues, n’est-ce pas le leitmotiv de toutes les interventions que nous venons d’entendre, à l’exception de celle de Mme Demessine ?
Demain sera meilleur qu’aujourd’hui…Vraiment ? Mes chers collègues, nous voyons que la croissance est en berne, que le PIB de la zone euro n’a pas retrouvé, en 2013, le niveau qu’il avait atteint en 2008, cinq ans plus tôt, et qu’en France ce niveau a à peine été rattrapé. D’où un déclassement que l’opinion commence à percevoir.
De surcroît, la chute de l’investissement est générale en Europe. Quant au chômage, il atteint des niveaux sans précédent dans les pays de l’Europe du Sud ; je pense en particulier à la Grèce et à l’Espagne, où il est de 26 %, au Portugal, où il est de 18 %, ainsi qu’à l’Italie et à la France, où il est respectivement de 13 % et de 11 %. Sans compter que la déflation menace, avec une hausse des prix de 0, 7 %, ce qui renchérit le crédit et plombe à la fois la consommation et l’investissement.
La seule donnée positive, signalée par M. Bizet, est l’excédent de la balance commerciale de la zone euro. Mais, vous savez très bien, mes chers collègues, qu’il tient essentiellement, et presque uniquement, à l’excédent commercial allemand.
La réalité, pour la France, c’est un déficit de plus de 60 milliards d’euros !
En vérité, l’Allemagne bénéficie du cours de l’euro, du fait de la spécialisation de son économie dans le haut de gamme. À l’inverse, la parité de l’euro pénalise les autres pays, notamment la France : moins bien placés dans la division internationale du travail, ils ne peuvent s’ajuster qu’en comprimant leurs salaires et leurs investissements, sauf à accepter un déficit commercial très élevé – trois points de PIB dans notre cas.
Cet écart de compétitivité structurel au sein de la zone euro révèle – je le répète pour la énième fois – le défaut de conception de la monnaie unique, qui date de 1992 et même d’un peu avant : cette monnaie unique, à l’évidence, est inadaptée à une zone économique hétérogène. La seule issue économique à long terme est la « mezzogiornisation », c’est-à-dire la régression, de l’ensemble des pays de l’Europe du Sud.
Le seul moyen d’éviter cette issue serait de transformer l’euro pour que, de monnaie unique, il devienne une monnaie commune comportant des subdivisions nationales. En somme, il s’agirait de rétablir le système qui fut en vigueur entre 1999 et 2002, lorsque n’existait qu’une monnaie bancaire, ou scripturale, à cette différence près, toutefois, que des ajustements périodiques seraient possibles, sur le fondement de critères objectifs comme la productivité ou le déficit de la balance commerciale.
De cette façon, on ferait l’économie de dévaluations internes si douloureuses qu’elles ne manqueront pas de se traduire, dimanche prochain, dans le résultat des élections européennes. En effet, on peut prévoir, sans risque de se tromper, que l’abstention sera massive : elle sera la réponse, une nouvelle fois apportée, au déni de démocratie qu’a constitué le traité de Lisbonne, signé en décembre 2007 après que les Français, le 29 mai 2005, eurent rejeté massivement, à près de 55 %, le projet de Constitution européenne.
Au demeurant, cette solution politique du problème posé par l’euro est une idée qui commence déjà à faire son chemin en Allemagne. En effet, mes chers collègues, attendez-vous à ce que, de l’autre côté du Rhin, les candidats qui considèrent que l’Allemagne ne peut pas assurer à long terme la survie de la zone euro réalisent des scores – comment dire ? – intéressants. Je pense, pour ma part, que cette vue est juste.
Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes aujourd’hui dans un cercle vicieux. La stagnation économique pèse sur les rentrées fiscales, empêche la réduction des déficits et fait s’envoler la dette, d’autant plus que le PIB diminue, et même s’effondre dans des pays comme l’Espagne et la Grèce.
Ainsi, l’endettement de l’Espagne s’élève à 94 %, celui de l’Italie à 133 %, celui de l’Irlande à 126 %, celui du Portugal à 131 % et celui de la Grèce à 170 % – encore ces chiffres datent-ils de juin 2013. C’est au point que, pour la Grèce, mais aussi pour l’Irlande et peut-être pour Chypre, une restructuration de la dette est inévitable.
Alors on est tout ébaubi sous prétexte que les pays fortement endettés de la zone euro peuvent désormais se refinancer à long terme à des taux moins élevés, de l’ordre de 3 ou 4 % par an. C’est oublier que la Banque centrale européenne a ouvert aux banques italiennes et espagnoles, notamment, des prêts colossaux, dits « LTRO », qui leur permettent des placements très avantageux dans la dette souveraine de leurs pays. Cette injection de liquidités n’est du reste pas suffisante pour ranimer le crédit aux entreprises et sortir la zone euro du marasme.
Notre gouvernement, avec raison, demande à la Banque centrale européenne d’agir pour faire baisser le cours de l’euro. Mais, surévalué pour l’économie française, celui-ci ne l’est pas pour l’Allemagne, qui a beau jeu d’invoquer, à l’appui d’une interprétation à mon avis excessivement stricte du traité de Maastricht, l’article 88 de sa Loi fondamentale. Cet article, en prohibant tout prêt de la banque centrale à l’État, empêche ce que les Anglo-Saxons appellent le quantitative easing.
Ce que font les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Japon, nous ne pouvons pas nous le permettre depuis que nous avons signé le traité de Maastricht. De fait, les pratiques que la Loi fondamentale allemande prohibe nous sont par là même interdites, d’autant que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe veille au respect de la règle. Qui, en 1992, en avait avisé les citoyens français, et les autres européens ?
Une patiente recherche diligentée par la Fondation Res Publica, a fait apparaître que le premier président de la BCE, M. Duisenberg, avait retenu la possibilité, évoquée par les ministres des finances, réunis en décembre 1997, de « formuler des orientations générales en matière de change », uniquement « dans des circonstances exceptionnelles, par exemple lorsque le taux de change de l’euro subit des divergences manifestes et persistantes ».
Monsieur le secrétaire d’État, je tiens ce texte à votre disposition et je vous pose la question : n’est-ce pas le cas aujourd’hui ? Les circonstances ne sont-elles pas « exceptionnelles », alors que le cours de l’euro est supérieur de 15 à 20 % à son cours de lancement ? Il faudrait proposer d’introduire des montants compensatoires monétaires, au-delà de certains déséquilibres externes : trois années d’excédent au-delà de 6 %, comme l’Union européenne elle-même le prévoit, ou quatre points de PIB d’excédent et deux points de déficit, comme les États-Unis l’ont proposé au G20 de Séoul.
Sans doute faudrait-il tester la possibilité de réunir une majorité au conseil des gouverneurs de la BCE, éventuellement sans l’Allemagne, pour introduire des mesures correctrices à l’intérieur de l’Union européenne en matière de taux d’intérêt ou de taux de change. Si une telle perspective se révélait définitivement impossible, il faudrait mettre à l’étude un nouveau traité introduisant la monnaie commune, après une plage de transition à laquelle, au demeurant, l’instabilité non corrigée du système financier international peut rapidement nous conduire.
Monsieur le secrétaire d’État, il faut cesser de se raconter des histoires sur une crise de l’euro enfin surmontée, l’union bancaire ou encore la taxe sur les transactions financières internationales. En vérité, cette taxe aura une base si étroite qu’elle ne rapportera que 5 milliards d’euros par an : c’est une réforme cosmétique ! Pour l’union bancaire, c’est le modèle chypriote qui a été proposé par M. Dijsselbloem et, semble-t-il, entériné : en cas de faillite bancaire, les créanciers et les déposants seront mis à contribution au-delà du montant garanti de 100 000 euros, et ce au mépris des engagements qui ont été pris. Le meilleur moyen de déclencher des réactions systémiques en cas de crise, M. Dijsselbloem l’a trouvé !
Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une crise n’est malheureusement pas à exclure, pour de très nombreuses raisons sur lesquelles je ne m’étends pas. Notre monde est dangereux ; gardons-nous de l’aborder avec des idées trop simples. Donnons sa place à la raison, en particulier dans la crise ukrainienne, qui requiert une solution politique dégagée des préjugés russophobes. Donnons aussi sa place à la créativité, en particulier en matière de politique monétaire.
Un nouveau mandat va être donné à la Commission européenne. C’est la dernière occasion de préparer une issue concertée : monsieur le secrétaire d’État, saisissons-la !
Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe CRC. – M. Jean Bizet applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je centrerai mon propos sur l’avenir de l’Union monétaire.
Comme notre rapporteur, M. Pierre Bernard-Reymond, et contrairement à M. Chevènement, je pense que la zone euro est le cadre adapté pour affirmer une véritable ambition européenne.
La monnaie unique constitue, avec la paix, le symbole le plus fort du projet européen. C’est donc logiquement autour d’elle que se développe aujourd'hui un ensemble plus intégré, plus solidaire et plus démocratique.
Je voudrais souligner deux ou trois points qui me semblent être parmi les plus importants.
Contrairement à toutes les annonces pessimistes et euro-hostiles que l’on a pu entendre à l’époque, la crise a permis à la zone euro de franchir une étape décisive en matière d’intégration. Les institutions ont mené à bien des réformes qui étaient inimaginables il y a encore quelques années. Contrairement aux attentes de certains, la zone euro n’a pas implosé.
Une plus grande différenciation institutionnelle s’est opérée à l’intérieur de la zone euro. L’Eurogroupe a été constitué et une base juridique a été mise en place, permettant l’adoption d’instruments juridiques pour les pays de la zone euro. Autre innovation institutionnelle importante, le sommet de la zone euro a été instauré. Son existence a été consacrée par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’union économique et monétaire. Ce nouveau cadre institutionnel a permis l’émergence d’un « embryon » de gouvernance économique européenne.
La période de crise que nous venons de traverser a également été l’occasion d’avancées majeures en matière de prévention et de gestion des crises. M. Chevènement considère que l’union bancaire est peu de chose : pour ma part, j’estime qu’il s’agit d’un progrès formidable. Nous avons un régulateur unique, la Banque centrale européenne, ainsi qu’un mécanisme de jugement des crises bancaires, et nous mettons en place un système destiné à faire face aux défaillances bancaires, grâce auquel le contribuable ne sera plus amené à payer pour les faillites de banques dans la zone euro. C’est à mes yeux une avancée décisive !
Je ne partage pas votre point de vue sur ce sujet, mon cher collègue. Nous avions mis en place un tel dispositif à l’échelon national, nous le mettons maintenant en œuvre au niveau européen.
Cependant, l’union bancaire prendra du temps. Certains d’entre nous auraient souhaité qu’elle soit opérationnelle rapidement, mais il faudra environ dix ans pour que toute cette mécanique se mette en place. En attendant, il importe donc de mettre en œuvre un filet de sécurité. À cette fin, nous sommes un certain nombre à proposer que le fonds unique de résolution, chargé de faire face aux défaillances bancaires, soit adossé, au moins pendant cette période de montée en puissance, au mécanisme européen de stabilité, le MES. Pour ce faire, il faut convaincre la chancelière allemande, qui refuse toute modification du traité instituant le MES. C’est un message que nous devons adresser au Gouvernement et au Président de la République.
La Banque centrale européenne a joué un rôle décisif. Bien qu’elle ne soit pas à proprement parler une institution de la zone euro, mais une institution de l’Union européenne dans son ensemble, la Banque centrale européenne a orienté l’essentiel de ses activités vers la zone euro. Loin d’adopter, comme cela avait été le cas précédemment, une lecture étroite du mandat qui lui a été donné, défendue par la Bundesbank et le Gouvernement allemand, elle a au contraire pris des initiatives fortes qui ont permis de faire face à la crise. Je pense aux interventions sur le marché secondaire et au refinancement, dans une mesure extrêmement large – plus de 500 milliards d’euros – des banques commerciales. Elle a ainsi réduit les tensions sur les dettes souveraines.
Cela étant, il reste encore beaucoup à faire. Il faut, en particulier, remédier aux défauts de construction de la zone euro qui ont été évoqués par les orateurs précédents. Selon moi, il convient d’abord de défendre une idée qui fait déjà son chemin, celle de transformer la zone euro en une véritable union politique.
Je plaide ainsi pour la création d’un poste de président permanent de l’Eurogroupe. Ce « ministre des finances de la zone euro » devrait être doté de pouvoirs décisionnels autonomes. Il pourrait, notamment, promouvoir des initiatives en matière d’harmonisation fiscale et sociale.
Il convient également, me semble-t-il, de veiller au renforcement du contrôle démocratique de la zone euro. C’est un problème délicat. Dans l’édition de ce soir du journal Le Monde, l’économiste Thomas Piketty affirme nettement qu’il faut donner un parlement à la zone euro. Il développe cette idée en proposant la création d’une seconde chambre, d’une sorte de Bundesrat européen, qui rassemblerait des membres des parlements nationaux et représenterait les États.
C’est une possibilité, qui rejoint l’idée d’instaurer un contrôle des parlements nationaux sur les mesures prises au niveau de la zone euro en matière de politiques budgétaires et économiques, par exemple par le biais de réunions spécifiques à l’union monétaire organisées dans le cadre de la conférence interparlementaire prévue par l’article 13 du TSCG. Cependant, il me semble que cette voie ne mènera à rien, en raison de l’opposition tant des députés européens, qui estiment que ces questions relèvent de leur compétence et ne voient pas d’un bon œil une immixtion des élus nationaux, que du Gouvernement allemand et de la plupart des partis allemands, en particulier la CDU-CSU et le SPD. Cela fait beaucoup… Il convient donc de définir une autre tactique pour pouvoir avancer en la matière, ce qui est absolument nécessaire. Aujourd'hui, les parlements nationaux sont démunis pour intervenir dans ces débats.
Il importe de progresser sur la voie de l’union budgétaire. L’idée de mutualiser partiellement les dépenses d’indemnisation du chômage, défendue par notre collègue Dominique Bailly, me semble intéressante. Quant à la création d’une taxe sur les transactions financières, je me bornerai à dire que ce projet fait son chemin clopin-clopant… Enfin, comme l’a excellemment souligné M. Bernard-Reymond, la zone euro devrait avoir la possibilité de se financer en émettant des euro-obligations.
Ces quelques pistes de réflexion ayant été esquissées, je conclurai en rendant hommage au travail de M. le rapporteur, qui nous permet d’avoir cet intéressant débat sur les perspectives de la construction européenne. §
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout a commencé le 9 mai 1950 par une déclaration de Robert Schuman. Les pères fondateurs de la construction européenne ont permis de réconcilier les Européens et d’instaurer la paix et la prospérité dans des pays qui se déchiraient depuis plus d’un siècle.
Ce fut d’abord la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, en 1952, puis celles de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, en 1957.
Le 22 janvier 1963, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer signèrent le traité de l’Élysée. Ce traité posera la première pierre d’une coopération entre les deux pays, et lancera ainsi le couple franco-allemand, qui demeure le moteur de la construction européenne.
Dans les années soixante-dix, Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt firent avancer la coopération sur de nombreuses questions politiques clés. Les deux hommes d’État, aujourd’hui encore, continuent à poser un regard lucide sur la construction européenne et n’ont pas perdu leurs convictions profondes.
Nous devons garder en mémoire ces actes fondateurs, et affirmer que l’Europe est une chance pour nous et pour nos enfants.
Aujourd'hui, l’Union européenne apporte aux peuples qui la composent beaucoup d’avantages et peu d’inconvénients, même s’il ne faut pas non plus faire preuve d’euro-béatitude, car il existe de nombreuses faiblesses.
Cependant, comment peut-on imaginer revenir en arrière, alors que de grands blocs s’affirment dans le monde ? La Chine, l’Inde et le Brésil se hissent au rang des grandes puissances, les États-Unis d’Amérique ne sont plus tout à fait les maîtres du monde. Aujourd’hui, l’Union européenne représente 500 millions de citoyens. La zone euro, constituée par dix-huit pays, est sans doute la première puissance du monde en termes de PIB cumulé.
Notre monnaie est recherchée face au dollar. Cela lui est même reproché, alors que l’euro est un acquis fondamental de l’Europe : c’est un facteur de stabilité. Certains de ses détracteurs affirment que l’euro fort est un frein aux exportations. Les résultats de la balance commerciale de l’Allemagne apportent un contre-exemple. Avec la monnaie unique, des comparaisons peuvent être aisément établies.
Cependant, il est vrai que tous les pays européens ne peuvent pas ou ne veulent pas faire partie de la zone euro. C’est une réalité qu’il faut admettre, et l’Europe doit pouvoir fonctionner selon une géométrie variable : un noyau dur, avec une évolution vers des politiques plus intégrées, et un espace européen de libre-échange, avec des politiques renforcées dans certains domaines.
Ainsi, il est difficile d’envisager l’Union européenne sans le Royaume-Uni. C’est un grand pays européen, et ses gouvernants savent bien, d’ailleurs, que l’appartenance à l’Union européenne est déterminante pour l’avenir. Pourtant, ils ne veulent pas se soumettre aux règles de la zone euro. Il faut donc trouver un autre cadre, qui pourrait être celui d’un espace de libre-échange assorti de certaines coopérations.
Pour faire évoluer l’Union européenne, la France a un rôle déterminant à jouer.
Mario Monti, qui a été reçu récemment à l’Académie des sciences morales et politiques, a donné une leçon d’Europe et lancé un appel à la France : « Il serait bon […] que la France redevienne la force de proposition et d’impulsion qu’elle a su être par le passé. […] Il faut réfuter catégoriquement toute idée d’une alliance des pays du Sud contre l’Allemagne […]. L’enjeu est plutôt que la France redevienne la France, c’est-à-dire qu’elle joue pleinement son rôle de pont avec l’Allemagne, ce qui suppose toutefois qu’elle améliore ses performances », a déclaré l’ancien premier ministre de l’Italie, ancien commissaire européen et économiste reconnu.
L’Europe ne se développera et ne se consolidera qu’à cette condition. C’est l’histoire de nos deux nations, la France et l’Allemagne, qui a été à l’origine de l’Union européenne, et ces deux pays représentent la moitié de l’économie européenne.
Les principaux griefs qui sont faits à l’Europe sont la conséquence d’une méconnaissance des atouts de l’Europe, due à un profond déficit de communication.
Nous devons aussi sortir des égoïsmes nationaux et en finir avec les arguments qui font de l’Europe un bouc émissaire. Ces raisonnements conduisent les peuples au populisme. Dans une période de fragilité économique et monétaire, il est logique de rechercher la protection de l’État souverain. Mais n’est-ce pas un repli, et aussi un danger ? N’oublions pas que, dans l’histoire, les populismes ont conduit à la guerre. De plus, les eurosceptiques ne proposent rien.
Nous entendons souvent aussi s’exprimer un regret concernant l’élargissement de l’Europe aux pays de l’Est. Pourtant, cet élargissement est indispensable à l’évolution de la démocratie dans la partie orientale de notre continent.
La situation que nous déplorons en Ukraine ne se serait-elle pas produite dans les pays baltes ou d’Europe centrale si ces pays n’avaient pas rejoint l’Union européenne ? Dix ans après leur adhésion, les huit pays d’Europe centrale et orientale se félicitent de leur entrée dans l’Union européenne. L’ouverture au grand marché a dopé l’activité, favorisé les exportations et l’investissement étranger. De l’Estonie à la Slovénie, l’effet a été positif, comme il le fut dans les années quatre-vingt en Irlande, en Espagne ou au Portugal, avec des taux de croissance allant de 6 % à 10 %.
La Pologne a su tirer profit des aides de Bruxelles. Si nous comparons les deux pays voisins que sont la Pologne et l’Ukraine, le résultat est impressionnant. L’un et l’autre sont sortis de la période soviétique avec un revenu moyen à peu près égal. La Pologne s’est débarrassée de son carcan, en privatisant et en déréglementant.
C’est maintenant une démocratie reconnue. Le chômage y est encore plus fort qu’ailleurs en Europe et le revenu encore inférieur, mais les Polonais ont un niveau de vie quatre fois supérieur à celui des Ukrainiens.
Sur les dix pays entrants de 2004, six ont déjà basculé dans l’euro. Sur le plan électoral, même si des partis populistes ont vu le jour, la contestation de l’Europe, à l’encontre de bien des idées reçues, ne fait plus recette de ce côté-là du Vieux Continent, et ce même si certains pays ont connu une récession et des difficultés ces dernières années.
Dans son rapport d’information intitulé « L’Union européenne : du crépuscule au nouvel élan », notre excellent collègue Pierre Bernard-Reymond a décrit les différentes étapes de la construction européenne, fait une analyse de grande qualité de la situation de l’Union européenne aujourd’hui et formulé vingt-quatre propositions pour contribuer à un nouvel élan. C’est une bonne source de réflexion, et ce rapport doit faire date dans nos travaux.
Il est indispensable de mieux communiquer sur l’Europe et de sensibiliser les citoyens à l’idée de civilisation européenne. C’est un point essentiel soulevé par M. le rapporteur.
À mon sens, il faut aussi relancer des coopérations d’avenir dans le domaine de la recherche et de l’éducation. Le programme Erasmus a permis à plusieurs millions d’étudiants de découvrir l’Europe : c’est une très grande réussite. Le programme Erasmus + devrait en concerner davantage encore à l’avenir : c’est un projet emblématique.
Cependant, des harmonisations sont nécessaires sur les plans fiscal et social, et surtout des réformes économiques, financières, sociales doivent s’opérer au niveau de la zone euro, c’est-à-dire du noyau dur. Dans cette perspective, le moteur franco-allemand doit jouer un rôle essentiel.
Dans l’espace européen, comprenant aussi le deuxième cercle, nous pourrions envisager la mise en place d’une politique de la défense, qui a cruellement manqué dans les récents conflits et s’avère indispensable pour l’avenir.
Soixante-quatre ans après la déclaration de Robert Schuman, cinquante-sept ans après le traité de Rome, sept ans après le traité de Lisbonne, il faut continuer à transformer l’Europe.
L’histoire des peuples est en marche. Les Européens, depuis la Rome antique, ont construit une identité et une histoire communes. Avec ses vingt-huit États membres, l’Europe est indéniablement unie, mais toute construction a besoin de transformations et d’adaptations. En politique, il s’agit de réformer, mais aussi de faire preuve de réalisme et de courage.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Europe n’est pas une construction de l’esprit ; c’est un grand dessein qui demande de la patience, de l’énergie, mais surtout de l’audace : celle d’aller de l’avant. §
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dimanche, 400 millions de citoyens européens seront appelés aux urnes pour renouveler le Parlement européen. Il ne s’agit pas d’une simple élection. Le choix que les citoyens européens feront déterminera l’avenir de la construction européenne.
Quelle Europe voulons-nous ? Quelles perspectives pour l’Union européenne ? Il est primordial, à mon sens, de réaffirmer dimanche notre ambition, notre volonté politique pour la construction européenne. Ne laissons pas les eurosceptiques démanteler le projet européen que nous construisons pas à pas depuis plus de cinquante ans.
L’élection du 25 mai est une nouvelle étape de la construction européenne puisque, pour la première fois, les 741 députés du Parlement désigneront le président de la Commission européenne.
Oui, en venant voter le 25 mai, les citoyens européens donneront du poids au Parlement européen pour peser sur les décisions futures. Mais ils auront aussi, pour la première fois, leur mot à dire sur le choix du président de la Commission, qui devra être issu des rangs de la majorité qui se sera dégagée dimanche prochain.
Le 15 mai, d’ailleurs, a eu lieu, même si ce fut dans une certaine indifférence, le premier débat présidentiel pour l’Europe. Certains journalistes ont même évoqué la « naissance de la démocratie européenne ». L’Europe pourra donc très bientôt s’appuyer sur une légitimité démocratique qui lui fait défaut aujourd’hui.
Mais l’Europe a besoin d’un nouvel élan !
Les politiques d’austérité voulues et mises en œuvre par la droite européenne sont responsables de la défiance des citoyens à l’égard de l’Union européenne. Il nous faut donc sortir de l’austérité et montrer aux citoyens européens qu’une autre Europe est possible, une Europe qui protège, une Europe du progrès.
D’ailleurs, le Président de la République, François Hollande, œuvre depuis deux ans dans ce sens, comme l’attestent les batailles gagnées sur la garantie jeunesse, par exemple, ou encore sur le détachement des travailleurs. Oui, je veux saluer ici l’adoption par le Parlement européen de la directive d’application sur le détachement des travailleurs. C’est une avancée peut-être modeste, mais c’est une avancée, et l’action du Gouvernement français a été décisive pour trouver un accord entre les États membres et le Parlement européen.
Cette directive permettra une lutte plus efficace contre les fraudes et le dumping social. Elle prévoit notamment le renforcement des contrôles, grâce à une liste ouverte de documents permettant à chaque État membre d’exiger des entreprises les éléments qu’il estime utiles et nécessaires pour vérifier que les règles sont bien respectées dans le cadre d’un détachement de travailleurs. La directive prévoit aussi la responsabilisation des entreprises donneuses d’ordres à l’égard de leurs sous-traitants, grâce à la mise en place d’un mécanisme de responsabilité conjointe et solidaire obligatoire dans tous les États membres. Il sera donc désormais possible d’établir une chaîne de responsabilités au niveau européen pour lutter plus efficacement contre les montages frauduleux.
Cette directive permet également l’établissement d’une liste de critères donnant à l’État membre d’accueil la possibilité d’identifier une vraie situation de détachement, ainsi que le renforcement de la coopération et l’échange d’informations sur le détachement de travailleurs entre les États membres.
Cet accord est un progrès, peut-être léger aux yeux de certains, mais c’est un progrès, et il nous montre que l’Europe peut apporter des réponses concrètes pour protéger les droits des travailleurs contre le dumping social, en particulier. C’est cela que nous demandent nos concitoyens.
Le modèle social européen ne doit pas être une utopie, mes chers collègues ! Les traités actuels contiennent d’ailleurs des dispositions qui, si elles doivent être améliorées, assurent des droits sociaux aux citoyens européens. Mais les dirigeants libéraux et conservateurs de l’Europe ont toujours privilégié les politiques d’austérité. Voilà le problème !
Pour donner du corps à l’Europe sociale, le premier enjeu est donc la mise en œuvre effective des textes existants et le développement des droits sociaux au niveau européen par voie législative, dans les domaines où cela est déjà possible.
En décembre 2013, j’ai eu l’occasion d’intervenir lors du débat préalable au Conseil européen sur l’approfondissement de l’union économique et monétaire. J’avais alors souligné la nécessité de développer la dimension sociale de l’UEM, comme le prône le Gouvernement français, via la mise en œuvre d’un budget spécifique pour la zone euro et d’un dispositif d’assurance chômage européenne. Ce qui n’était à l’époque qu’une proposition presque marginale est aujourd’hui de plus en plus pris au sérieux, et relayé par de nombreux politiques et économistes.
La lutte contre les inégalités et la poursuite de la construction du modèle social européen sont l’avenir de l’Europe.
Des études montrent en effet les bénéfices économiques et sociaux de la lutte contre les inégalités. Une telle politique contribuerait non seulement à rétablir le contact entre l’Europe et ses citoyens, mais aussi à réduire considérablement le risque d’une nouvelle crise économique.
Oui, la mise en place d’une assurance chômage européenne permettrait d’atteindre l’objectif de stabilisation macroéconomique dévolu à la capacité budgétaire de la zone euro, les dépenses liées à l’indemnisation du chômage étant particulièrement cycliques, et contribuerait également à réduire la tendance à faire des politiques sociales les variables d’ajustement des efforts macroéconomiques en cas de choc asymétrique. Enfin, la création d’une assurance chômage européenne offrirait une visibilité forte aux citoyens européens, qui percevraient immédiatement les avantages sociaux de la zone euro.
La construction européenne, pour regagner en légitimité, a besoin de projets qui apportent des réponses aux difficultés des citoyens dans des domaines qui les concernent au plus près.
L’Europe a devant elle de nombreux combats à mener.
Il faut instaurer un salaire minimum européen défini en fonction du niveau de vie dans chaque État membre et égal à au moins 60 % du salaire médian du pays. C’est une mesure concrète, c’est une priorité pour lutter contre la précarité, limiter le dumping social et accroître la justice sociale.
Il faut garantir l’égalité entre les femmes et les hommes sur les plans salarial, économique, social et politique.
Il faut lutter, encore et toujours, contre le dumping social. Lors de cette nouvelle législature, droits sociaux et libertés économiques devront être placés sur un pied d’égalité.
Il faut combattre le chômage des jeunes, pour que la jeunesse européenne actuelle ne soit pas une génération perdue. Les propositions ne manquent pas dans ce domaine : renforcement de la garantie jeunesse, adoption d’un cadre de qualité pour les stages ou encore aide à la mobilité étudiante.
Il faut garantir à l’ensemble des Européens un accès à l’alimentation, à la santé et à l’énergie.
Enfin, il faut protéger les services publics.
Mes chers collègues, ce ne sont là que quelques exemples de ce que pourrait être, de ce que doit être l’Europe.
Alors oui, monsieur Chevènement, ne laissons pas l’Europe s’essouffler. Redonnons du cœur à la construction européenne, redonnons-lui du sens pour nos concitoyens.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. le président de la commission applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, du 22 au 25 mai, 507 millions de citoyens sont invités à se rendre aux urnes pour élire leurs députés européens.
Depuis 1979, le Parlement européen est élu au suffrage universel, et chaque citoyen a donc, en principe, la possibilité d’exprimer sa vision de l’Europe. Hélas, vraisemblablement, tous ne le feront pas, tant s’en faut ! Beaucoup en effet s’abstiendront ; pour eux, l’Europe est aujourd’hui d’abord source d’indifférence. D’autres, nombreux aussi, useront de ce scrutin pour exprimer leur inquiétude et aussi, pourquoi ne pas le dire, leur défiance. D’autres encore s’exprimeront en faveur de l’une ou de l’autre des forces politiques qui, ensemble, au cours de l’histoire, ont bâti l’Union. Pour ceux-là seulement, l’Europe est encore, dans une certaine mesure, synonyme d’espoir et d’espérance.
L’espoir, c’était déjà le sentiment qui animait les pères fondateurs de l’Union. Ces derniers, en travaillant dès l’après-guerre à « l’établissement d’une communauté économique qui introduit le ferment d’une communauté plus large », pour reprendre les termes de Robert Schuman, espéraient mettre à jamais un terme aux conflits qui ont émaillé l’histoire de l’Europe et construire un continent équilibré et prospère.
L’espérance, c’était celle de bâtir un projet politique qui, dépassant les difficultés, les vicissitudes de l’histoire, permettrait un jour à un Allemand et à un Français de se considérer non comme des ennemis irréductibles, mais bien comme des partenaires, d’imaginer construire ensemble des passerelles qui relient – je pense, bien sûr, à la passerelle des Deux-Rives reliant Strasbourg à Kehl – plutôt que des murs qui séparent, d’unir leurs armées, d’entonner un même hymne et de partager une même monnaie.
Mes chers collègues, dans ma ville de Strasbourg, siège du Conseil de l’Europe, de la Cour européenne des droits de l’homme et du Parlement européen, chacun mesure bien, peut-être plus qu’ailleurs en France, l’extraordinaire chemin que l’Europe a parcouru en plus de soixante ans.
Toutefois, chacun sent bien aussi que l’Union européenne est aujourd’hui à la croisée des chemins et que, à ce titre, l’élection à venir des membres d’un Parlement européen qui, jamais, dans son histoire, ne s’était vu conférer autant de compétences par nos traités, présente un enjeu décisif : l’avenir de notre continent, un avenir questionné au travers de l’orientation des politiques communautaires qui donnent sens à l’Union.
En effet, qui peut raisonnablement nier que, depuis 2008 et la crise financière, l’idéal européen s’est abîmé dans sa réalisation politique ? Qui peut contester que la recherche du progrès ne se soit trop souvent évanouie dans la poursuite aveugle de grands équilibres macroéconomiques, que l’Europe ne se soit faite en réalité sans les peuples ? Qui peut ignorer, enfin, les cris de colère des « indignés », non pas dirigés contre l’Europe elle-même, mais en appelant le plus souvent à une autre Europe ou s’adressant aux nations qui, aujourd’hui, constituent l’Union ?
Dans cette défiance, dans ces doutes qui s’expriment et qui constituent un terreau propice à la montée des extrêmes, c’est l’Europe que l’on interroge, mais c’est aussi l’Europe qui s’interroge.
Pour répondre à ces interrogations, un premier impératif s’impose : remettre le citoyen au cœur du projet européen. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : convaincre que le seul projet européen qui vaille est celui qui se construit avec les citoyens, et surtout pour eux !
Cette ambition est grande. Elle nous oblige, en premier lieu, à rompre avec une « vision minimale » de l’Europe, comme l’a exprimé le Président de la République dans sa tribune publiée dans Le Monde le 9 mai dernier, avec la vision d’une Europe « commerciale, apolitique […] qui ne voit en elle qu’un marché, qu’un espace monétaire sans gouvernance, qu’une somme de règles et fait de l’Union une entité sans âme et sans autre projet que celui d’accueillir les candidats qui frappent à sa porte ». À cette vision minimale, trop strictement économique, il nous faut, en tant que socialistes et sociaux-démocrates, opposer l’Europe des peuples, plus nécessaire que jamais aujourd’hui.
Pour construire cette Europe des peuples, j’ai la conviction qu’une évolution majeure s’impose : l’approfondissement du débat démocratique au sein de nos institutions.
Or, on le sait, la crise économique a profondément bouleversé les équilibres institutionnels européens, déplacé en quelque sorte le centre de gravité de l’édifice européen en précipitant sur le devant de la scène politique des institutions centrales, telles la Commission européenne ou la Banque centrale européenne, dont les orientations politiques échappent au débat démocratique.
Or comment vouloir raisonnablement faire accepter aux citoyens européens des décisions politiques, parfois douloureuses, prises par des institutions situées en dehors de l’espace délibératif ? Pourquoi ne pas ouvrir le débat démocratique, comme le fait le Gouvernement français, sur les choix opérés par la Banque centrale européenne en matière de politique monétaire quand ceux-ci déterminent si directement le destin économique des États et des populations ?
En effet, mes chers collègues, il ne faut pas s’y tromper : sous couvert de l’indépendance conférée aux institutions par nos traités, derrière le voile de la décision « technique » prise au nom de « l’intérêt supérieur du projet européen », ce sont bien des décisions politiques, au sens plein du terme, que prennent les institutions de « l’Europe de Bruxelles », comme j’aime à l’appeler. À mon sens, il importe qu’une plus grande transparence démocratique puisse aussi s’appliquer à ces dernières.
Depuis 1979, disais-je, tous les citoyens européens peuvent voter et ainsi exprimer leur vision de l’Europe, mais tous ne le feront pas demain, car beaucoup, en réalité, s’interrogent sur la pertinence d’un tel scrutin. Le problème central est en effet non pas seulement que les citoyens se détournent des élections parlementaires européennes, mais bien que la politique elle-même se détourne, d’une certaine manière, du Parlement européen !
Devant ce constat, nous allons franchir, ce dont je me félicite, une première étape dans le renforcement de la légitimité politique de la Commission. En effet, à l’occasion de cette campagne, les principaux partis politiques présentent pour la première fois leur candidat à la présidence de la Commission européenne, l’objectif avoué étant de personnaliser les débats pour politiser ce choix. De même, le Parlement européen a proposé, en avril dernier, que le plus grand nombre possible de commissaires européens soient choisis parmi les députés nouvellement élus. Il faut saluer là une première avancée démocratique notable, certes nécessaire, mais non encore suffisante, car les chantiers démocratiques demeurent nombreux.
Sans vouloir me livrer à la critique populiste du gouvernement des juges, je dirai que la récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne remettant en cause l’existence même des établissements publics industriels et commerciaux, au prétexte qu’ils bénéficieraient d’une « garantie financière implicite et illimitée », m’a particulièrement interpellé.
Si les commentaires sur la portée réelle de cette décision sont partagés, il n’en demeure pas moins que, en rendant des décisions de ce type, la Cour de justice de l’Union européenne produit des effets politiques qui, parfois – je pense par exemple aux droits du travail –, participent d’une remise en cause de nos modèles sociaux. Tout cela, malheureusement, ne peut qu’éloigner les citoyens de l’Europe.
On le voit bien à travers cet exemple concret, la frontière est poreuse entre, d’une part, l’approche technocratique et juridique, et, d’autre part, l’approche politique des grands dossiers européens. Il ne faudrait pas que la construction européenne dont nous rêvons s’enlise chaque jour un peu plus dans le juridisme, au détriment de la dimension politique et citoyenne sans laquelle l’Europe risque de n’être qu’un « machin » sans avenir.
C’est aussi là un des enjeux des élections de dimanche prochain : à l’Europe technocratique, dont le siège est largement à Bruxelles, je vous invite, mes chers collègues, à opposer l’Europe citoyenne, dont le siège est à Strasbourg.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier la commission des affaires européennes du Sénat, son président et son rapporteur pour le travail de très grande qualité qu’ils ont accompli, ainsi que pour les réflexions très riches et denses et les propositions rassemblées dans le rapport de M. Bernard-Reymond.
Cette contribution au débat européen est aussi, monsieur le rapporteur, la somme de vos expériences, de la relation intime que vous avez toujours entretenue avec la cause européenne, de la parfaite connaissance de ses arcanes que vous avez affirmée à travers les différentes fonctions que vous avez assumées, en tant que secrétaire d’État aux affaires européennes, que parlementaire européen ou que sénateur.
Je dois dire, d’ailleurs, que l’orientation générale qui se dégage de votre rapport rejoint, par de nombreux aspects, celle que s’efforce de promouvoir le gouvernement auquel j’appartiens. Nous partageons votre diagnostic : vous évoquez un crépuscule et le besoin d’un nouvel élan ; nous mettons l’accent sur la crise et le besoin de poursuivre la réorientation de la construction européenne et de relancer le projet européen.
Quoi qu’il en soit, nous partageons à l’évidence une même conviction européenne, une même ambition pour l’Europe, une même certitude que l’Europe est non pas la source de nos problèmes, mais un élément de solution pour répondre aux défis de notre temps et à ceux que doit relever notre pays, en particulier dans le cadre de la mondialisation. Vous avez rappelé, comme d’autres orateurs, des accomplissements de l’Europe : la paix, la réunification du continent, la promotion des valeurs de démocratie, de solidarité, de cohésion.
Des sensibilités différentes peuvent naturellement s’exprimer quant aux voies et moyens à emprunter pour atteindre ces objectifs.
En tout état de cause, le Sénat peut s’honorer d’avoir inscrit un tel débat à son ordre du jour ; j’en remercie particulièrement M. le président Sutour. À quelques jours d’élections européennes cruciales pour l’avenir de l’Europe et de la France, il permet d’éclairer nos concitoyens sur l’importance du choix qu’ils vont devoir faire. En effet, l’Europe ne peut se faire sans ses peuples, comme vient de le rappeler M. Ries.
Jamais en effet l’élection du Parlement européen n’aura été aussi importante : parce que, pour la première fois, plusieurs orateurs l’ont rappelé, il existe un lien direct entre le bulletin que l’électeur déposera dans l’urne et le choix du président de la Commission européenne ; parce que ce vote pèsera sur l’orientation qui sera donnée à la construction européenne pour les cinq prochaines années ; parce que le Parlement européen a des pouvoirs importants dans tous les domaines qui concernent très directement la vie de nos concitoyens, à savoir les règles qui régissent le marché intérieur, les services d’intérêt économique général, donc les services publics, l’environnement, la qualité de vie, les normes sanitaires, la lutte contre le dumping social, l’égalité entre les femmes et les hommes, la politique agricole, nos accords de commerce avec le reste du monde.
Il est donc grand temps de mettre fin à ce curieux paradoxe qui fait que l’abstention progresse alors même que les pouvoirs du Parlement européen augmentent.
Je veux le dire ici avec solennité : l’abstention est une renonciation, le repli sur soi une impasse. Nous devons donc appeler à la participation la plus forte, pour que les citoyens choisissent leur destin européen et pour que la France pèse en Europe.
Je voudrais revenir sur plusieurs points de votre rapport, monsieur Bernard-Reymond, en lien avec les priorités que se fixe le Gouvernement.
Je ne veux pas éluder la question de l’architecture de l’Union et de ses institutions, qui est centrale dans votre rapport.
L’Europe différenciée est déjà aujourd’hui une réalité. Le « cœur de réacteur » de l’Union européenne, c’est la zone euro ; l’espace Schengen, quant à lui, regroupe vingt-deux États membres de l’Union ; des coopérations renforcées se sont mises en place au cours des dernières années, que ce soit sur la législation applicable au divorce, le brevet et, plus récemment, la taxe sur les transactions financières.
Cette Europe différenciée, c’est une souplesse que nous nous donnons pour respecter ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas participer à une intégration plus poussée, sans pour autant empêcher ceux qui veulent aller de l’avant de le faire. Cette souplesse est utile et respecte le rythme de chacun.
Nous devons cependant, dans le même temps, prendre garde à ne pas créer les germes d’une division de l’Europe. Cela serait préjudiciable au projet européen dans son ensemble. Dans cette perspective, il nous faut faire preuve de méthode et de rigueur. Plusieurs principes doivent, me semble-t-il, nous guider.
D’abord, cette Europe différenciée ne doit pas nous empêcher de continuer à agir à vingt-huit, chaque fois que cela est possible et souhaitable, comme nous avons su le faire par exemple – M. Bailly l’a rappelé à l’instant – concernant la directive relative au détachement des travailleurs, avec en particulier le soutien décisif de la Pologne. En effet, la lutte contre le dumping social doit être menée à l’échelle de toute l’Europe et de l’ensemble du marché intérieur pour être réellement efficace. De même, d’autres enjeux méritent d’être abordés à vingt-huit : je pense par exemple à la sécurité énergétique, pour laquelle la cohésion de l’Union européenne dans son ensemble est nécessaire, en particulier face aux pays tiers.
Ensuite, cette Europe différenciée n’est pas et ne doit pas être une Europe fermée à ceux qui n’y sont pas : elle doit au contraire être laissée ouverte aux autres États membres qui souhaiteraient la rejoindre ultérieurement.
Enfin, cette Europe différenciée « positive », articulée autour d’un projet commun, ne doit pas devenir pour d’autres États membres une Europe « à la carte », qui permettrait à certains de bénéficier des avantages et des droits que confère l’appartenance à l’Union, mais en laissant de côté ce qui ne leur convient pas, en revendiquant par exemple un accès sans limite au marché intérieur des marchandises, des services et des capitaux, tout en refusant la libre circulation des citoyens de l’Union sur leur territoire. Procéder ainsi porterait réellement préjudice à l’intégrité du marché intérieur et de l’Union européenne et ne serait pas acceptable.
Au sein de notre maison commune à vingt-huit, la France et l’Allemagne ont évidemment un rôle irremplaçable à jouer. Elles le jouent : je voudrais, à cet égard, rassurer ceux des orateurs qui ont évoqué l’importance du couple franco-allemand.
Le déplacement du Président de la République dans la circonscription de la Chancelière, invitation très rare, tout comme la présence de Frank-Walter Steinmeier au dernier conseil des ministres, ont constitué des illustrations fortes de la densité de nos relations. J’ai moi-même des relations très nourries avec mon homologue allemand, Michael Roth. J’en tire d’ailleurs d’ores et déjà plusieurs enseignements.
Le premier d’entre eux, c’est que la relation franco-allemande tient bien sûr sa singularité de notre histoire – le cycle de commémorations de 2014 nous le rappelle avec force –, mais aussi de notre capacité à nous projeter vers l’avenir et à faire vivre le projet européen. Rien de ce qui s’est fait au cours des deux dernières années n’aurait été possible sans des accords solides entre la France et l’Allemagne.
Le second enseignement, c’est que cette fonction de laboratoire de la construction européenne, nous allons la mettre au service des défis à relever, tels l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, le soutien à la croissance et à l’emploi, la régulation financière, la lutte contre le changement climatique, la transition énergétique, la lutte contre le dumping social.
Nous devons également proposer ensemble des réponses aux défis migratoires, qui appellent une initiative commune, en particulier après les drames survenus en Méditerranée. Je songe notamment au renforcement des moyens de l’agence Frontex, ainsi qu’à la mise en place d’une politique de voisinage en direction des pays de la rive sud de la Méditerranée.
Nos initiatives concrètes sont autant de preuves de la capacité du couple franco-allemand à œuvrer au plus près des préoccupations de nos concitoyens. Nos propositions communes doivent aussi nourrir le programme de la nouvelle Commission qui s’installera après les élections européennes. Le renouvellement des institutions européennes crée en effet l’occasion de relancer la construction communautaire. Ce nouveau cycle doit être celui de la consolidation, de l’ambition et du progrès.
Notre conviction est que nous devons faire porter nos efforts sur ces enjeux, plutôt que de nous engager dans la voie d’une réforme institutionnelle qui ne correspond pas aux priorités de nos concitoyens et comporte en outre de nombreux risques, en particulier ceux d’un retour en arrière ou de la multiplication des clauses d’opt -out, dans le contexte du débat britannique sur l’Union européenne. Il ne s’agit pas d’exclure définitivement telle ou telle évolution, mais d’exploiter, à traités constants, tous les potentiels que les politiques européennes peuvent encore déployer.
Par ailleurs, l’enjeu aujourd’hui, c’est de continuer à remettre la croissance et l’emploi au cœur du projet européen. M. Chevènement a insisté avec raison sur ce point. C’est bien là l’axe majeur de la politique européenne de la France.
L’euro a été sauvé, la zone euro, qui était au bord de l’éclatement il y a encore deux ans – on parlait à l’époque d’une exclusion de la Grèce –, a été préservée et sort de la récession, même s’il faut encore accentuer ce mouvement, en renouant avec la croissance. Les deux premiers piliers de l’union bancaire, à savoir la supervision et la résolution, ont été mis en place pour protéger les épargnants et les contribuables.
Le retour et la consolidation de la croissance sont désormais au cœur de l’ordre du jour européen, en rupture avec la stratégie d’austérité qui a trop longtemps dominé en Europe.
Je tiens à vous assurer, monsieur Chevènement, que telle est bien la priorité de la France. C’est pourquoi, dès le Conseil européen de juin 2012, le Président de la République, François Hollande, s’est battu pour qu’une nouvelle politique soit menée et qu’un pacte de croissance de 120 milliards d’euros, mobilisant à la fois de nouvelles capacités de la Banque européenne d’investissement et des fonds structurels inutilisés, puisse être mis au service de projets européens communs.
L’augmentation de 10 milliards d’euros du capital de la Banque européenne d’investissement va permettre d’accroître à hauteur de 60 milliards d’euros, à l’échelle européenne, les investissements soutenus par celle-ci. Elle a d’ores et déjà permis de porter de 4, 5 milliards d’euros par an en moyenne à 7, 8 milliards d’euros en 2013 le montant des prêts alloués en France. Nous devrons renouveler ce résultat en 2014 et en 2015. Il faudra aller plus loin encore, en particulier en utilisant les project bonds, que plusieurs pays de l’Union européenne ont déjà commencé à mettre en œuvre.
Nous voulons également développer de nouvelles capacités d’investissement au travers du cadre financier pluriannuel, que nous avons sauvegardé en préservant les grandes politiques européennes – en particulier la politique agricole commune et les politiques de cohésion –, tout en mettant davantage l’accent sur les politiques d’avenir, avec l’augmentation des budgets consacrés à la recherche, à l’innovation, aux transports, à l’énergie, au numérique.
À cet égard, je conviens bien volontiers que nous aurions souhaité un cadre financier plus ambitieux et je rejoins les réflexions formulées notamment par M. Gattolin et M. le rapporteur sur l’enjeu central que constitue l’instauration de nouvelles ressources propres : c’est la seule voie qui nous permettra de débloquer durablement le débat budgétaire européen. §Nous suivons donc avec une grande attention les travaux du groupe de haut niveau qui a été constitué au sein des institutions européennes.
L’approche de la consolidation budgétaire a été infléchie et la position de la Banque centrale européenne elle-même a évolué, sous l’impulsion de Mario Draghi, comme il est souligné dans le rapport du Sénat.
Enfin, d’importantes avancées ont été accomplies en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Je songe en particulier à l’accord sur la directive sur la fiscalité de l’épargne intervenu lors du Conseil du 24 mars dernier, le Conseil européen de mars ayant permis de surmonter l’opposition de l’Autriche et du Luxembourg, notamment au sujet de l’échange automatique d’informations.
Ces évolutions sont importantes. Elles prouvent que nous pouvons respecter nos objectifs de sérieux budgétaire –c’est tout le sens du pacte de responsabilité – sans obérer pour autant notre capacité à prendre le train du retour de la croissance.
Ces grands chantiers doivent encore connaître des développements importants au cours des prochains mois.
Concernant l’union bancaire, à la suite de l’accord sur les textes relatifs au mécanisme de résolution unique, le Conseil devra adopter cet été un acte d’exécution pour répartir entre les banques européennes leur contribution à la constitution du fonds de résolution. À moyen terme, il nous faudra doter l’union bancaire de son troisième pilier, avec un mécanisme européen de garantie des dépôts, pour aller au bout de notre démarche de sécurisation et de régulation.
Concernant le renforcement de la zone euro, nous souhaitons une gouvernance renforcée, avec un président stable et une dimension parlementaire. En effet, il faut renforcer le contrôle démocratique de ce noyau dur de l’Union européenne. À terme, il faudra aussi mettre en place une capacité financière, comme l’a proposé le Président de la République.
Vos réflexions et les nôtres sont convergentes sur ce point. Cette gouvernance rénovée permettra en particulier de respecter la feuille de route que nous souhaitons suivre pour le soutien aux investissements et la croissance, mais aussi pour la convergence sociale et fiscale au sein de la zone euro.
Concernant la taxe sur les transactions financières, qui pourra entrer en application, dans un premier temps, à l’échelle de dix pays d’ici au 1er janvier 2016, elle portera sur les transactions sur les actions et certains produits dérivés.
Concernant le partenariat commercial transatlantique, que plusieurs d’entre vous, dont Mme Demessine, ont évoqué, je souligne qu’il doit permettre à nos entreprises et à nos agriculteurs d’accéder au marché américain, qui leur est souvent fermé aujourd’hui. Cependant, nous sommes très attentifs à ce que les négociations en cours n’aboutissent pas à remettre en cause les normes européennes en matière sociale, sanitaire, environnementale, ainsi qu’en termes de protection des consommateurs.
Nous l’avons dit, nous plaidons pour la plus grande transparence. Lorsqu’elle était, au sein du Gouvernement, chargée de ce dossier, Mme Nicole Bricq s’était déjà exprimée en ce sens : les Parlements, comme l’ensemble des différentes parties prenantes économiques et sociales, doivent évidemment pouvoir suivre le déroulement de ces négociations. Je rappelle que les parlements nationaux des vingt-huit États membres et le Parlement européen auront le dernier mot.
Nous devons par ailleurs veiller à la mise en œuvre rapide des grandes politiques européennes. Je sais que la Haute Assemblée y est particulièrement sensible. Je songe notamment aux contrats qui ont été transmis par les régions à la Commission européenne pour l’utilisation des fonds structurels.
Au sujet de la priorité donnée à la croissance, je souligne que la présidence italienne, qui débutera le 1er juillet, sera une chance à saisir. J’ai bien mesuré la disponibilité et l’ambition de nos voisins Italiens lors de mon déplacement à Rome, le 23 avril dernier.
À ce titre, le Conseil européen d’octobre, traditionnellement dédié aux questions économiques, sera un rendez-vous très important. Certes, la question des contrats de partenariat et des mécanismes de solidarité associés figure à son ordre du jour, mais la présidence italienne voudrait surtout en faire un « Conseil européen de l’économie réelle ». Nous souscrivons à cette ambition. Ce sera là une bonne occasion de revenir sur les enjeux industriels, que Mme Demessine a soulevés et dont traite le rapport de M. Bernard-Reymond, afin d’établir un véritable plan d’action en vue de faire remonter à 20 % la part de l’industrie dans le PIB européen, en veillant à bien prendre en compte cette priorité dans toutes les politiques européennes. Je pense en particulier à la politique de la concurrence et à la politique commerciale.
La présidence italienne sera aussi l’occasion de prolonger l’action engagée dans des secteurs clefs, comme le numérique ou la défense, sujets déjà évoqués lors des derniers Conseils européens.
J’évoquerai maintenant l’Europe de l’énergie, qui constitue un enjeu majeur, sur lequel Mme Mélot et M. Bizet ont insisté. Ce sujet a été à l’ordre du jour du dernier Conseil européen ; il sera de nouveau abordé en juin.
La crise ukrainienne met davantage encore en lumière l’importance stratégique des questions énergétiques pour l’Union européenne et l’impérieuse nécessité de bâtir une véritable union énergétique, qui doit également nous permettre d’aborder les enjeux du changement climatique. Les questions énergétiques et climatiques concernent tous les pays de l’Union et tous les Européens. Elles ont une incidence directe sur le quotidien de nos concitoyens et de nos entreprises, ainsi que sur nos économies et la capacité de notre société à préparer l’avenir.
Les travaux du Conseil s’articulent actuellement autour de trois enjeux.
Le premier enjeu, c’est la préparation d’un accord pour le cadre post-2020, à l’horizon 2030, sur la base des propositions transmises par la Commission européenne le 22 janvier, visant à réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre et à porter la part des énergies renouvelables à 27 %. Cela implique de bien évaluer les conséquences pour chaque État membre, de s’accorder sur le partage de l’effort, de prendre des mesures pour éviter les fuites de carbone et assurer la compétitivité de nos industries énergivores. Dans cette perspective, il faudra revoir, à partir de juillet, la directive sur l’efficacité énergétique.
Le deuxième enjeu, c’est l’élaboration d’objectifs spécifiques d’interconnexion. Ce sujet a évidemment pris une importance particulière dans le contexte de la crise ukrainienne.
Le troisième enjeu, c’est l’adoption d’un plan d’action en matière de sécurité et de dépendance énergétiques. Vous le savez, les pistes explorées portent sur des mesures d’efficacité énergétique, sur la diversification des sources d’approvisionnement et des routes, sur le renforcement des interconnexions, sur des mécanismes de solidarité et d’achats groupés, sur une nouvelle approche de la dimension externe de la politique énergétique européenne et sur les ressources indigènes. C’est dans ce contexte que les échanges entre le Président de la République française et le Premier ministre polonais ont permis d’enregistrer une avancée, qui sera formalisée au cours des prochaines semaines.
Dans ce domaine, je tiens à insister sur deux points qui, à mon sens, méritent d’être soulignés.
Tout d’abord, nous voulons que le Conseil européen de juin ne soit pas une simple étape procédurale, mais l’occasion d’un véritable débat de fond, au plan politique, sur la base des éléments demandés à la Commission et au Conseil en mars. C’est indispensable pour que nous soyons à même de décider au plus tard en octobre et pour que nous puissions envoyer un signal clair dès septembre, lors du sommet convoqué à New York par le secrétaire général des Nations unies. Vous le savez, un rendez-vous d’importance majeure, la conférence Paris Climat, ou COP 21, se tiendra en 2015 dans notre pays. Il faut donc que l’Europe ait pris, avant cette échéance, ses propres décisions en matière de lutte contre le changement climatique.
Ensuite, sur le fond, l’actualité a mis en évidence l’importance de l’enjeu de la sécurité d’approvisionnement. Nous devons naturellement y répondre avec toute la détermination nécessaire. Cependant, nous devons être clairs : les mesures que nous prendrons ne pourront être pleinement efficaces que si elles s’inscrivent dans une stratégie énergétique globale, fondée sur la transition vers une économie sobre en carbone. Il n’y a pas à choisir entre climat et sécurité énergétique : ce serait absurde ! À nos yeux, la sécurité d’approvisionnement énergétique de l’Union européenne et le cadre pour l’énergie et le climat à l’horizon 2030 forment un ensemble. Les deux volets se renforcent mutuellement : ainsi, les efforts accomplis pour lutter contre le changement climatique nous aideront à réduire à la fois notre dépendance à l’égard des grands pays producteurs d’hydrocarbures et la facture énergétique, qui pèse sur nos entreprises et sur nos concitoyens.
Le quatrième et dernier point de mon intervention sera consacré à l’Europe de la défense, à laquelle différents orateurs ont fait référence, en particulier Mme Mélot. Les derniers mois ont montré l’actualité de cette question, ainsi que la nécessité, pour l’Europe, de se doter d’une véritable politique étrangère et de défense commune.
La mise en œuvre des conclusions du Conseil européen des 19 et 20 décembre dernier doit être notre priorité. Des mandats ont été donnés aux institutions européennes, des calendriers ont été clairement énoncés. Nous devons veiller ensemble à ce que les différentes échéances qui ont été fixées soient respectées.
Cela est vrai, naturellement, pour les actions qui sont en cours sur différents théâtres d’opérations, en particulier en Afrique. Il convient de souligner que nos partenaires se sont engagés à nos côtés, notamment dans l’opération de formation de l’armée malienne, ainsi que dans l’opération Eufor-RCA. La brigade franco-allemande est également mobilisée au Mali.
Ces avancées doivent aussi trouver une traduction en termes de mutualisation et de coopération, qui sont aujourd’hui les seules voies réalistes en matière de développement capacitaire. Je pense tout particulièrement aux drones et aux avions ravitailleurs. Le partage de nos capacités industrielles et de nos savoir-faire est indispensable pour faire naître cette Europe de la défense et garantir l’autonomie stratégique des Européens, ainsi que la croissance et l’emploi dans ces industries. Ce sont, me semble-t-il, les principales priorités qui doivent figurer au cœur de nos travaux, afin de bien assurer le suivi de la mise en œuvre des décisions prises par le Conseil européen.
Tout cela, mesdames, messieurs les sénateurs, est au service de la mise en œuvre d’une grande ambition de la France pour une Europe plus forte, plus prospère et plus solidaire.
Si nos objectifs et nos actions ne recoupent pas la totalité de vos propositions, monsieur le rapporteur, vous voyez bien, néanmoins, que nous allons dans cette même direction.
J’entends comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ceux de nos concitoyens qui nous disent ne pas percevoir, dans leur quotidien, tous les bénéfices de ces réalisations. J’entends aussi ceux de nos compatriotes qui se plaignent d’un divorce entre l’Europe et les citoyens, parce que notre projet ne parle plus suffisamment la langue commune ou ne fixe plus un cap clair. C’est à ceux-là aussi que votre rapport s’adresse, et c’est aussi vers ceux-là que je veux me tourner.
Je veux leur témoigner notre détermination à avancer en suivant un cap clair, résolu, dans la poursuite de la construction européenne, de l’unité européenne, mais aussi de la réorientation de la construction européenne vers la croissance, l’emploi, les priorités des citoyens.
En effet, servir l’Europe avec de grandes ambitions, comme vous le proposez et comme nous le faisons, c’est non seulement servir une belle idée et un grand projet pour notre continent, mais c’est aussi la meilleure façon de servir la France, ses intérêts, son influence, son poids dans le monde de demain. §
Nous en avons terminé avec le débat sur les perspectives de la construction européenne.
J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 21 mai 2014, à quatorze heures trente :
Débat sur le climat et l’énergie en Europe.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.