Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord commencer mon propos en remerciant nos collègues de la délégation sénatoriale à la prospective qui ont participé à l’élaboration et la rédaction de ce rapport d’information de qualité.
Il s’agit d’un travail très intéressant dont ses auteurs ont eu l’ambition de lui donner une portée générale tout en reprenant des exemples éclairants.
Comment enrayer la pauvreté ? Le débat sur ce thème reste malheureusement toujours un sujet d’actualité.
Pour ma part, j’ai souhaité, dans le cadre de la préparation de cette discussion, associer ceux qui sont directement concernés par la pauvreté et la précarité. J’ai donc, comme vous l’avez fait dans vos départements respectifs, rencontré les représentants de RSA 38, association qui regroupe les allocataires du RSA du département de l’Isère.
Mon intervention est par conséquent le fruit d’un travail collectif, issu d’échanges que nous avons partagés sur les différentes problématiques rencontrées directement par ces citoyens.
Première remarque que je souhaite souligner et qui a été souvent relevée dans le rapport d’information : ces personnes, avec qui j’ai pu échanger, sont d’une grande dignité et refusent d’être assimilées à l’assistanat.
J’ai bien ressenti de leur part de l’incompréhension, parfois de la déception, voire de la colère devant certaines situations qui peuvent paraître injustes.
Ce nouveau rapport sur la pauvreté dans notre pays est une nouvelle occasion pour notre assemblée de proposer des mesures concrètes – j’espère que le Gouvernement l’entendra – afin d’essayer d’améliorer le quotidien de ces femmes, de ces hommes et même de ces enfants qui vivent dans une situation d’extrême précarité.
La pauvreté, c’est quoi ? C’est manquer de revenus et de moyens pour vivre dans des conditions convenables. C’est avoir des difficultés à satisfaire ses besoins fondamentaux, comme se nourrir, se loger, se faire soigner, s’éduquer, payer ses factures. C’est perdre sa dignité face aux regards des autres.
L’objectif que nous partageons tous, mes chers collègues, est d’éviter que ne se développe encore plus une France à deux vitesses, avec, d’un côté, une partie de la population qui aurait un logement, un emploi, qui serait insérée socialement et, de l’autre, une partie de notre société qui serait celle des personnes oubliées ou des laissés-pour-compte.
Le rôle de l’État, solidaire, doit être prioritairement ciblé sur la mise en place d’actions vers ceux qui, souvent à la suite d’un accident de la vie, se retrouvent en grande précarité.
Nous en sommes tous conscients, cette situation peut arriver à n’importe qui, quels que soient son métier, son milieu social ou familial... Pis, vous l’avez dit, cette situation peut s’inscrire dans la durée et se transmettre au travers des générations.
De telles situations, nous en connaissons tous. J’ai parfois l’impression que notre société préfère fermer les yeux afin de ne pas voir ce qui se passe à deux pas de chez nous.
Oui, dans nos quartiers, nos villes et nos villages, des personnes souffrent de la pauvreté qui s’accompagne souvent de l’isolement et pensent peut-être à tort être les oubliées des élus, de la République et de la machine administrative.
Nous sommes des responsables politiques, il est donc de notre devoir dans notre Haute Assemblée de réagir, mais également d’agir avec des propositions concrètes afin que les victimes ne s’enfoncent pas encore un peu plus dans leur situation.
Comment une société moderne peut-elle fermer les yeux face à un tel drame ?
De grands hommes ont, dans leur histoire, su tirer la sonnette d’alarme face à de telles situations comme l’Abbé Pierre qui, en 1954, a fait réagir notre pays. Soixante ans après, la situation n’a pas beaucoup changé en France.
J’espère que ce rapport qui nous est présenté et que nos échanges de ce jour vont permettre une prise de conscience de cette fracture au sein de notre société, et que, madame la secrétaire d’État, vous pourrez en retirer quelques propositions pour réinstaurer une confiance tout en développant plus de fraternité.
En effet, cette prise de conscience ne doit pas s’arrêter à l’étude de rapports et à la lecture de statistiques. Il faut remettre impérativement l’humain au cœur de ce débat.
Il est temps de redonner la parole à ceux qui disparaissent dans l’anonymat des chiffres et des études, voir leurs situations, comprendre leurs difficultés afin de trouver au mieux une solution pour les faire sortir de ce labyrinthe.
C’est ainsi qu’il nous sera possible de restaurer une confiance entre ceux qui souffrent et les pouvoirs publics.
Toutefois, pour cela, il faut réaliser du concret et ne pas se contenter de beaux discours.
Parmi les nombreux points que vous évoquez et les différentes préconisations que vous avancez, je souhaite pour ma part et à la suite des échanges que j’ai pu avoir avec les bénéficiaires du RSA revenir sur deux préconisations qui ont un effet direct sur ces personnes.
La première est l’automatisation des prestations sociales, qui paraît aller dans le bon sens.
Cependant, je pense, et c’est une demande des allocataires du RSA, qu’il faut encore alléger et simplifier les procédures pour que les personnes en difficulté bénéficient plus facilement de ces aides. Vous l’avez rappelé tout à l’heure, monsieur le rapporteur.
On me rétorquera qu’il faut des garde-fous contre ceux qui pourraient tricher et frauder pour bénéficier de ces prestations. Or il ne faut pas oublier non plus que les bénéficiaires ont souvent besoin d’être accompagnés afin de connaître les droits auxquels ils peuvent avoir accès.
Le second point sur lequel je souhaite revenir est la proposition de généraliser le principe de participation des personnes pauvres aux politiques qui leur sont destinées.
Cette demande, je l’ai entendue plusieurs fois de la part des personnes qui sont au RSA.
Il est en effet regrettable de constater que les personnes concernées par le RSA ne sont pas présentes dans certains conseils d’administration où sont abordées des problématiques qui les concernent directement. Il est vrai que des responsables d’associations y siègent, mais pourquoi ne pas donner la parole aux personnes directement concernées, en proposant par exemple que, dans chaque conseil d’administration des caisses d’allocations familiales ou des bailleurs sociaux, un représentant des bénéficiaires du RSA puisse siéger ? Ceux-ci ne doivent pas se contenter d’être un numéro au bas d’un dossier. Ils sont des femmes et des hommes à part entière.
La précarité réside principalement dans l’absence de sécurité permettant aux personnes mais aussi aux familles d’assurer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de bénéficier des droits fondamentaux que la société leur apporte.
La pauvreté est donc une violation des droits de la femme et de l’homme. Trop souvent, aujourd’hui, les inégalités sociales, économiques et culturelles s’additionnent.
Monsieur le rapporteur, vous l’avez rappelé, Nelson Mandela affirmait : « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi ». En effet, participer, c’est proposer, c’est revendiquer, c’est aussi assumer.
Donner à un précaire le droit de s’exprimer, d’être écouté et d’exister en tant que personne au sein de la société conforterait leur rôle de citoyen à part entière et nous permettrait peut-être de mieux comprendre certains mécanismes d’exclusion, les causes et par là même ses conséquences pour y apporter de bonnes réponses.
C’est dans cette fraternité, qui est une valeur de notre République, que l’on redonnera de l’espoir à ces personnes.
Prenons la problématique du logement, qui, pour ces Français en grandes difficultés, reste, comme cela vient d’être rappelé, une réelle priorité.
Pour ceux qui ont la chance d’avoir un logement, la préoccupation majeure chaque mois est de pouvoir dans les délais impartis régler son loyer, sa facture d’électricité, sa facture d’eau, et ce avant même de penser à manger.
Proposer une présence active d’un représentant des bénéficiaires du RSA dans les conseils d’administration des offices d’HLM et des CAF permettrait, je l’ai dit, de mieux cerner certaines problématiques. Cela irait dans le sens du principe de participation que vous préconisez et permettrait une plus grande proximité dans l’analyse et la mise en place des politiques publiques à destination des personnes défavorisées.
Il s’agit là d’une avancée attendue par un grand nombre de personnes, et je souhaitais ainsi le souligner.
Pour conclure, je dirai que ce rapport est très intéressant, certaines de ses propositions sont bonnes et j’espère qu’elles ne resteront pas des vœux pieux. Il serait regrettable, pour ces personnes qui se sentent oubliées par notre société, que rien de concret ne débouche de ce travail collectif. §