Intervention de Ronan Kerdraon

Réunion du 20 mai 2014 à 14h45
Débat : « comment enrayer le cycle de la pauvreté ? »

Photo de Ronan KerdraonRonan Kerdraon :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens à souligner le titre du rapport d’information de notre collègue Yannick Vaugrenard – Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité ! –, qui remet à l’honneur le mot « fraternité ». Par les temps qui courent, il n’est pas inutile de rappeler que ce beau mot figure dans notre devise républicaine.

Aujourd’hui, les personnes touchées par la pauvreté sont de plus en plus nombreuses, comme cela a été dit précédemment, et, surtout, de plus en plus pauvres. Pourtant, au cours de ces quinze dernières années, des mesures fortes en matière d’assistance et d’insertion ont été adoptées, telles que la CMU, le RMI et, plus récemment, le RSA.

En tout, les minima sociaux couvrent directement près de 3, 5 millions de personnes et plus de 6 millions si l’on compte les ayants droit. Ces chiffres sont alarmants : la pauvreté touche 14, 3 % de la population française, soit près de 9 millions de personnes. Elle se concentre essentiellement sur les catégories les plus frappées par le chômage, à savoir les jeunes, les femmes – Michelle Meunier l’a excellemment rappelé voilà quelques instants – et les seniors. Pour une large majorité d’entre eux, le sentiment qui prédomine est celui de « ne pas réussir à s’en sortir en raison de la précarité de l’emploi, de l’augmentation des dépenses contraintes, du prix des produits de première nécessité ».

L’INSEE l’a très bien démontré dans une étude récente sur le marché du travail en France portant sur les trente dernières années. En 1975, le taux de chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans était de 7 %. En 2012, il a atteint 24 %.

La jeunesse, qui doit être une priorité pour tout gouvernement, peine de plus en plus à s’insérer sur le marché du travail. Les jeunes sont les premières victimes de la précarisation par l’emploi ; nous avons eu dans cette enceinte de nombreux débats sur ce sujet. La moitié des salariés embauchés en contrat à durée déterminée, en stage ou en apprentissage ont moins de 29 ans. De plus, 17 % des 18-29 ans vivent en dessous du seuil de pauvreté, contre 13 % pour l’ensemble de la population. En 2008, plus d’un pauvre sur deux avait moins de 35 ans !

Le Gouvernement a pris la mesure des enjeux, et les premiers résultats sont là, les premières mesures également. Cependant, il convient d’aller plus loin, en renouant le dialogue avec les partenaires sociaux et les régions et en élaborant des stratégies de confiance pour redonner à la jeunesse une vision positive et moins sombre de l’avenir – de son avenir ! Nos propositions doivent être justes et adéquates.

Alors, oui, dans un souci d’enrayer l’une des causes de la paupérisation des jeunes, il est urgent de prendre la question de l’emploi des jeunes à bras-le-corps. À cet égard, je vous invite, mes chers collègues, à relire Léo Lagrange qui disait : « Aux jeunes, ne traçons pas un seul chemin ; ouvrons-leur toutes les routes. »

Accordons-nous sur la nécessité de développer des dispositifs d’accompagnement adaptés aux besoins spécifiques que rencontrent ces jeunes. Je ne crois pas à la théorie d’une « génération sacrifiée ». Car ce serait émettre l’hypothèse que la génération des jeunes forme un tout, qui s’oppose aux générations aînées. Cependant, au sein même de la jeunesse, l’hétérogénéité grandit.

Plus qu’à un état des lieux, notre débat, au travers des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective, vise avant tout à alerter les pouvoirs publics sur les enjeux de ces inégalités, qui passent par une mobilisation de l’ensemble des acteurs sociaux – entreprises, collectivités, organisations socioprofessionnelles – et, bien évidemment, des jeunes eux-mêmes.

La précarité chez les jeunes a aussi un impact sur leur santé. En effet, le Haut Conseil de la santé publique considère que « la précarité éclaire de manière inquiétante le problème de la santé des jeunes qui plus que jamais doit devenir l’un des axes majeurs de la politique de santé publique en France ».

De même, il souligne que l’intégration des jeunes dans la vie active est, en France, un véritable problème, qui peut conduire à « une absence de perspectives d’avenir et à un sentiment d’inutilité générateurs d’un mal-être, voire d’une véritable souffrance psychique à l’origine de comportements à risque et de violences ».

Lutter contre la précarité, la pauvreté, et redonner de l’autonomie passent par une série de mesures qui interviennent en amont et en aval, comme le souligne, à juste titre, Yannick Vaugrenard dans son rapport d’information.

Gérer la pauvreté en amont, c’est marquer l’importance de la prévention appliquée à la lutte contre la pauvreté. Cette prévention doit passer, notamment, par l’éducation : « par une offre de formation plus riche et diversifiée » ; arriver à « concilier vie familiale et vie professionnelle de manière plus efficace » ; « repenser le fonctionnement de Pôle emploi » – vaste chantier ! – et « créer un accompagnant pédagogique » en adéquation avec les attentes et les besoins.

La seconde étape consiste à gérer la pauvreté en aval. La délégation à la prospective reconnaît que « même avec la meilleure volonté du monde, la pauvreté ne pourra jamais sans doute être complètement éradiquée ».

Plusieurs pistes sont avancées : la généralisation de l’accès aux nouvelles technologies ; l’innovation sociale ; la promotion de nouvelles pratiques dans le secteur du logement ; la vulgarisation de la prévention dans le domaine de la santé et la facilitation de l’accès aux droits, en fluidifiant l’information et en simplifiant les procédures.

Je ne reprendrai pas l’ensemble de ces pistes, mais insisterai sur les points les plus importants et les plus prometteurs.

Dans un premier temps, nous devons impérativement travailler sur la revalorisation des aides sociales. En effet, différents travaux plaident pour un relèvement substantiel du RSA socle. Ceux-ci démontrent que son niveau est insuffisant pour satisfaire aux besoins élémentaires d’un ménage. Pire, on constate même un décrochage du niveau des prestations depuis plusieurs années.

Le niveau du RSA a baissé de manière significative par rapport à l’ancien RMI. Cela explique d’ailleurs une partie de l’augmentation de l’intensité de la pauvreté depuis le début des années 2000.

La revalorisation fondée sur les besoins réels de la personne est une nécessité, mes chers collègues ! Il importe également de lutter fermement contre toute forme de discrimination. La classe d’âge la plus touchée par la pauvreté, je le disais précédemment, concerne les jeunes de 18 à 25 ans. Abaisser le droit au RSA à 18 ans pourrait offrir notamment aux classes populaires un nouveau souffle et, surtout, une amélioration du revenu familial.

Associée à la multiplication des bourses pour étudiants, cette réforme pourrait constituer un premier pas, en permettant à ces jeunes d’entrer dans la compétition universitaire avant de tenter leur chance sur le marché du travail.

Les droits sociaux doivent retrouver une forme d’universalité, en se fondant sur la citoyenneté et non plus sur le « statut », car le système actuel est source d’inégalités, d’injustices et parfois même d’opacité.

Faciliter l’accès, c’est aussi simplifier le droit et les démarches. La conception du RSA a donné naissance à un dispositif complexe. Pourtant, l’un des objectifs déclarés était de simplifier l’accès aux minima sociaux. Nous devons lutter efficacement contre le non-recours au RSA.

Enfin, il m’apparaît important de penser à ceux qui travaillent pour aider les personnes en situation de pauvreté et de précarité, je veux parler en particulier des travailleurs sociaux. Les acteurs du service social sont proches des publics en souffrance ; ils en connaissent les difficultés et sont parfois eux-mêmes en situation de précarité.

Frappée par un chômage élevé et une précarité grandissante, la France se doit aujourd’hui de mettre en place les réformes nécessaires pour lutter contre les inégalités. Le rapport d’information de Yannick Vaugrenard va dans ce sens.

Comme le disait François Mitterrand, « l’égalité n’est jamais acquise, c’est toujours un combat ». Aussi, d’autres dispositifs devront venir se greffer sur les dispositifs existants pour enrichir et consolider notre détermination dans la bataille contre la pauvreté. §

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