Intervention de Martial Bourquin

Réunion du 20 mai 2014 à 14h45
Débat : « comment enrayer le cycle de la pauvreté ? »

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens à remercier très sincèrement Yannick Vaugrenard pour la qualité et la pertinence de son rapport d’information, qui, compte tenu du climat dans lequel se trouve notre pays, arrive à point nommé.

Pierre Bourdieu rappelait que « la cécité aux inégalités sociales condamne et autorise à expliquer toutes les inégalités […] comme inégalités naturelles, inégalités de dons ».

Je n’irai pas jusqu’à dire qu’avec ce rapport d’information vous nous rendez la vue, mon cher collègue, mais il est bon parfois qu’un travail d’enquête permette à chacun de regarder la réalité en face, de refuser la fatalité, de remettre de la priorité dans certaines actions politiques et de tirer avec courage les conséquences qui s’imposent.

La première d’entre elles est culturelle. Ce rapport d’information a le grand mérite de tordre le cou, sans angélisme, avec humanité, à des idées reçues.

Non, les femmes, les hommes, ainsi que les enfants, se trouvant en situation de précarité ne sont pas, dans leur très grande majorité, des chômeurs par choix.

Non, ce ne sont pas, dans leur très grande majorité, dans leur immense majorité même, des fraudeurs professionnels.

Non, ce ne sont pas, dans leur très grande majorité, des assistés.

Ce sont, comme vous le rappelez très justement, dans votre rapport, monsieur Vaugrenard, des ayants droit. Ces femmes et ces hommes ne sont pas la France d’à côté ou la France d’en bas. Ils sont juste la France ! Ils sont trop souvent stigmatisés. Or cette stigmatisation représente une double peine, la pauvreté étant déjà inacceptable en soi.

Cette remarque établie, vous me permettrez, mes chers collègues, d’en formuler trois autres.

La première porte sur les visages et les formes de la pauvreté.

Mes collègues ont parlé des femmes, des jeunes, des familles monoparentales, et, surtout, ils ont fort justement abordé la question de la reproduction des inégalités.

Nous remarquons, y compris dans des villes comme celle dont je suis maire et qui compte 15 000 habitants, que, quel que soit le niveau de la croissance, un socle de chômage de longue durée ne baisse pas.

J’ai été, pour ma part, très sensible à l’évocation dans ce rapport d’information de la pauvreté en milieu rural, par exemple.

La ruralité n’est pas qu’un eldorado consacré au bien-vivre. Le monde rural accueille également des isolés, des mal-logés, des personnes sous-alimentées, des personnes n’ayant plus les moyens financiers de se déplacer pour trouver un emploi ou se soigner. La densité urbaine et la ghettoïsation de certains territoires rendent parfois la pauvreté particulièrement visible, mais la misère n’en est pas moins réelle au milieu des champs et des montagnes. Cela peut paraître une évidence. Pour autant, ce constat nécessite, j’en suis persuadé, que les services sociaux, l’État, en première ligne, les collectivités prennent en compte beaucoup plus précisément les contraintes de la ruralité, je pense notamment à la question des déplacements.

À ce titre, plusieurs remparts me paraissent nécessaires, au premier rang desquels se trouvent la proximité et la présence de l’État.

Je suis de ceux qui plaident pour un maillage serré des services publics, des services de santé. Je suis de ceux qui soulignent le rôle indispensable du maire et des équipes municipales. Dans les petits villages, dans les hameaux, c’est bien souvent le premier magistrat qui connaît les difficultés de ses concitoyens à payer les factures de fioul, de gaz, qui sait les factures de cantine impayées. La proximité de la commune est essentielle pour lutter contre la pauvreté.

Je suis aussi de ceux qui plaident pour une accélération en parallèle de la démocratisation des moyens de communication au service de l’insertion sociale. L’exclusion numérique, qu’elle soit géographique ou culturelle, est une réalité.

Ma deuxième remarque concerne la réforme de l’État providence.

Je suis très heureux, mon cher collègue, que vous placiez la réforme majeure en cours de la simplification des normes, de la simplification administrative, de la mutualisation des moyens et des collectivités au cœur des mesures utiles pour déraciner la pauvreté. Simplifier, mutualiser, ce n’est pas abaisser la France ou la tirer vers le bas. C’est au contraire la possibilité pour un plus grand nombre d’aller plus vite, plus loin, là où les plus précaires sont précisément pris par le temps et réduits dans leurs mouvements.

Madame la secrétaire d’État, j’insisterai sur deux points.

D’une part, la notion de référent unique présente dans ce rapport me paraît une idée excellente, qui est revendiquée. Plus ce référent unique fonctionnera, mieux la précarité et la pauvreté seront traitées. L’appareil d’État et les services publics doivent en être partie prenante. Madame la secrétaire d'État, sur ce sujet, où en sont vos réflexions avec Mme la ministre de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique ? Est-ce envisageable et à quel horizon ?

D’autre part, madame la secrétaire d’État, je soutiendrai avec la plus grande vigueur les réformes engagées pour parvenir à une plus grande efficacité et mutualiser les moyens mis à disposition. Pour autant, je dois vous faire part de mes profondes inquiétudes concernant les conséquences directes de la baisse importante de prestations sociales annoncée : il serait question de plusieurs milliards d’euros. Une allocation en moins, une baisse radicale du montant de certaines prestations peuvent, vous le savez bien, précipiter le dévissage de citoyens fragiles, et ce d’autant plus que, dans l’opinion publique, déjà fragmentée, déjà divisée, cette baisse très importante véhicule l’idée que, si l’on peut parvenir à une telle économie, c’est que ces prestations étaient indûment versées. Dans ce contexte, comment comptez-vous donner des garanties pour que des prestations, sous-utilisées, ne deviennent pas du coup sous-abondées ? Comment comptez-vous sacraliser et sanctuariser les budgets consacrés à la lutte contre la pauvreté ?

Je terminerai par une remarque à laquelle je tiens tout particulièrement, celle de la dignité humaine et de la manière avec lesquelles certaines lois peuvent être appliquées.

Dans cet hémicycle a eu lieu le débat autour de l’allocation équivalent retraite, l’AER. Je me rappelle comment la suppression de cette prestation, qui concernait des gens ayant travaillé 40 ans, toute leur vie, parfois dans des conditions difficiles, avait, à elle seule, plongé des dizaines de milliers de salariés dans la pauvreté et le dénuement le plus total.

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