Madame la présidente, monsieur le président de la délégation à la prospective, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord, à l’instar des orateurs qui m’ont précédée, de féliciter M. Vaugrenard, sénateur de Loire-Atlantique, pour le travail important, à la fois précis et synthétique, qu’il a réalisé sur la pauvreté en France, avec toute la force de ses convictions et de son engagement politique.
C’est donc grâce à vous, monsieur le rapporteur, et grâce à la délégation à la prospective, que nous débattons cet après-midi, ici, au Sénat, de ce sujet qui touche des millions de Français au quotidien ; je souhaite vraiment vous en remercier.
Oui, je suis pleinement d’accord avec vous, je crois que l’on peut changer les choses par l’action politique, par la volonté et par la ténacité. Nous ne pouvons plus accepter « l’irréversibilité des situations de pauvreté » décrite par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale. C’est pour cela que le Gouvernement a mis en place un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, sous l’impulsion de Marie-Arlette Carlotti, qui m’a précédée dans ces fonctions. Il m’appartient désormais de poursuivre la mise en œuvre de ce plan, avec l’ensemble des ministères concernés. Soyez assurés que j’y mettrai toute ma détermination et toute mon énergie.
Comme vous l’avez dit, la pauvreté touche tous les âges, de la naissance à la mort. Elle est, bien sûr, inacceptable à toutes les époques de la vie, mais elle est particulièrement cruelle dans les situations de vulnérabilité.
Il en est ainsi, vous avez été nombreux à le dire, de la pauvreté des enfants, qui est une pauvreté héréditaire, transmise en héritage. À bien des égards, cette pauvreté est certainement l’aspect le plus révoltant des manifestations actuelles de l’exclusion. Elle touche désormais près de 2 665 000 enfants en France métropolitaine, soit un enfant sur cinq.
Tous les enfants ne sont pas confrontés de manière identique à la pauvreté. Certains, en raison des caractéristiques du ménage dans lequel ils vivent, connaissent des niveaux de pauvreté particulièrement élevés. C’est le cas des enfants vivant dans des ménages dont les parents sont sans emploi.
La situation familiale est également un élément majeur dans les situations de pauvreté. Les enfants de familles monoparentales sont plus fortement confrontés à la pauvreté que les autres. En 2010, environ 41 % des enfants vivant dans une famille monoparentale sont pauvres, contre 14, 5 % chez ceux qui vivent avec des parents en couple.
En outre, la pauvreté augmente avec la taille de la fratrie. Le taux de pauvreté était en 2010 d’environ 40 % pour les fratries de trois enfants et de 60 % pour les fratries de cinq enfants.
Enfin, le phénomène est particulièrement prégnant dans certaines zones, comme les zones urbaines sensibles, où près de 49 % des moins de dix-huit ans vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Dans de nombreux cas, ces différents phénomènes se cumulent.
C’est pourquoi le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, adopté par le comité interministériel de lutte contre les exclusions du 21 janvier 2013, comprend un certain nombre de mesures ciblées sur l’enfance.
La première des injustices, quand on est un enfant élevé dans une famille pauvre, c’est que l’on a moins souvent accès à une crèche. C’est pourquoi il est prévu, certes d’augmenter le nombre de places en crèche, avec 100 000 nouvelles places, mais aussi de réduire les inégalités sociales d’accès aux crèches. La nouvelle convention d’objectifs et de moyens de la Caisse nationale des allocations familiales prévoit donc que, sur chaque territoire, au moins 10 % des places en crèche seront réservées aux enfants vivant sous le seuil de pauvreté.
La scolarisation dès l’âge de deux à trois ans est également un bon moyen d’assurer l’égalité républicaine et de rétablir l’ascenseur social. C’est pourquoi, à chaque rentrée scolaire, de nouvelles places ouvrent en école maternelle dans les zones d’éducation prioritaire pour l’accueil des enfants, dès l’âge de deux à trois ans.
Enfin, les familles monoparentales et les familles nombreuses étant particulièrement exposées à la pauvreté – vous avez été nombreux à le souligner –, le complément familial pour les familles nombreuses modestes vient d’être revalorisé, au 1er avril, ainsi que l’allocation de soutien parental pour les parents qui élèvent seuls leurs enfants.
Venons-en maintenant aux jeunes adultes : les jeunes, notamment leur accès à l’autonomie et à l’emploi, telle est bien la grande priorité de ce quinquennat.
Monsieur le rapporteur, vous parlez de renforcer les droits des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans ? Je suis complètement en accord avec vous. C’est en effet durant cette période de la vie que les inégalités peuvent se figer, en fonction du capital social et de l’environnement familial.
Oui, vous avez raison, il est capital de renforcer l’accompagnement des jeunes les plus fragiles dans cette période, ceux qui sont « ni en emploi, ni en éducation, ni en formation », et n’ont pas de soutien de famille : il faut les aider à s’installer de façon autonome dans la vie active.
C’est tout le sens de l’expérimentation de la garantie jeune, que nous menons aujourd’hui dans dix départements. Ce programme donne une garantie à une première expérience professionnelle, laquelle est accompagnée de ressources proches du montant du RSA. Le démarrage a été assez lent, car il a fallu construire le dispositif, former les conseillers, mais les premiers résultats sont encourageants. C’est un dossier prioritaire, piloté avec volontarisme par mon collègue François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social.
Les enfants et les jeunes adultes sont, comme leurs familles, confrontés à la difficulté de se loger, avec des compositions familiales qui bougent en fonction des aléas de la vie.
Nous avons mis en œuvre la création et la pérennisation de 7 000 places d’hébergement d’urgence, de 7 630 places en logement accompagné, et de 2 000 places en centres d’accueil pour les demandeurs d’asile.
Un grand nombre d’engagements ont été concrétisés par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », adoptée par le Parlement voilà quelques mois : la mise en place d’un encadrement des loyers en zones tendues, le renforcement de la prévention des expulsions, la lutte contre l’habitat indigne et des dispositions permettant une plus grande transparence dans le processus d’attribution des logements sociaux.
Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que je continuerai à travailler avec Sylvia Pinel, ministre du logement, sur toutes ces questions, qui concernent des millions de Français.
En effet, sans logement, ou dans un logement insalubre, il n’est pas possible d’aller à l’école, pas plus qu’il n’est possible d’étudier ou de travailler.
La situation des travailleurs précaires ou modestes est préoccupante : ils sont presque 2 millions à vivre sous le seuil de pauvreté. On ne peut accepter que le travail ne prémunisse pas de la pauvreté.
Ces travailleurs pauvres sont en effet majoritairement des travailleuses, qui subissent des temps partiels aux horaires atypiques et instables. Un premier pas a toutefois été franchi, avec le minimum des vingt-quatre heures hebdomadaires imposé par l’article 8 de la loi relative à la sécurisation de l’emploi adoptée en 2013. Mais que de difficultés pour la mise en œuvre ! Les accords de branche se mettent en place, tout doucement. C’est trop long, j’en ai bien conscience, pour toutes celles et tous ceux qui survivent avec un demi-SMIC mensuel, des horaires impossibles et des enfants à élever.
Je veux aujourd’hui leur dire que leur situation, l’injustice qui leur est faite est au cœur de mon combat politique. L’exonération des cotisations pour les salariés jusqu’à 1, 3 SMIC, annoncée le 8 avril, apporte une première réponse. Mais elle doit être complétée par une réforme qui profite aux travailleurs pauvres, aux travailleuses pauvres, à celles et ceux dont les revenus sont inférieurs au SMIC à cause du temps partiel.
Une réflexion est en cours pour trouver une solution qui améliorera le système, à la fois du RSA-activité et de la prime pour l’emploi – je sais, monsieur le sénateur, que vous y êtes attentif –, en complément des réformes fiscales récentes.
Enfin, je me réjouis de la mesure tout récemment annoncée par le Premier ministre permettant d’exonérer de nombreux ménages modestes de l’impôt sur le revenu dès 2014 : cette décision va contribuer à l’amélioration du pouvoir d’achat et des conditions de vie.
Les familles aux revenus modestes jonglent au quotidien avec des budgets à l’équilibre précaire et dans lesquels les dépenses incompressibles pèsent de plus en plus lourd.
Oui, monsieur Vaugrenard, vous avez raison de dire que, quand on est pauvre, on paie son loyer plus cher au mètre carré, on paie son téléphone portable plus cher parce qu’on utilise des cartes prépayées, on paie son assurance à un tarif plus élevé, on paie plus d’électricité ou de gaz, car le logement est mal isolé.
Il faut donc attaquer la pauvreté sur tous les fronts : des avancées ont été réalisées en ce qui concerne les tarifs sociaux de l’énergie, une mission de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, travaille sur ce sujet afin d’améliorer la situation, et des expérimentations sont en cours pour la tarification sociale de l’eau. Mais, à vrai dire, je m’inquiète également pour l’accès à internet et aux nouvelles technologies du numérique pour les familles pauvres, car je ne voudrais pas que ce que l’on appelle la « révolution du numérique » contribue à exclure ceux qui sont déjà largement menacés par l’exclusion.
Envoyer un CV, réactualiser ses droits, consulter les horaires d’ouverture, imprimer un document, ne serait-ce qu’être joignable au téléphone : ces actes sont indispensables aujourd’hui, mais ils sont rendus très complexes lorsque l’on n’est pas équipé, sans accès au numérique ou sans crédit. C’est souvent encore plus compliqué pour celles et ceux qui vivent dans un territoire rural où internet n’arrive pas.
La promesse technologique de simplification, de rapidité et de connexion sociale doit être une réalité à la portée de tous, et je vais m’y atteler avec ma collègue Axelle Lemaire.
Parmi les charges incompressibles, il faut compter aussi les frais bancaires. Une grande avancée du plan a consisté, de manière très concrète, à mettre en œuvre le plafonnement des frais bancaires, au moyen d’un plafonnement spécifique des commissions d’intervention pour les clients les plus fragiles ou les bénéficiaires des services bancaires de base et d’une obligation pour les établissements de crédit de proposer à leur clientèle fragile une offre de moyens de paiements et de services adaptés à leur situation, afin de limiter les incidents et les risques de précarisation, ces dispositions figurant dans la loi de séparation et de régulation des activités bancaires de juillet 2013.
Et, pour conseiller et accompagner les ménages dans leur gestion budgétaire et leurs relations avec le secteur bancaire, il est prévu dès cette année d’expérimenter des « points conseils budget », destinés à accueillir tout citoyen qui éprouverait des difficultés de paiement de factures et de relations avec sa banque, afin de le conseiller sur les droits existants, les démarches possibles et les contacts lui permettant de trouver des solutions, comme la mise en place d’un microcrédit personnel.
À propos du gaspillage alimentaire dont parlait François Fortassin, je signale que l’une des mesures du plan de lutte contre la pauvreté prévoit la défiscalisation des dons pour les producteurs ; cette mesure sera mise en œuvre. Par ailleurs, le pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, lancé par le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, en juin dernier, prévoit une diminution du gaspillage alimentaire d’ici à 2025.
Autre poste de dépense qui pèse lourd pour les ménages, et qui est souvent sacrifié, la santé : c’est pour cela que le Gouvernement a rehaussé le plafond de l’accès à la CMU complémentaire et à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé. De plus, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé a été revalorisée, passant de 500 à 550 euros.
À la fin du mois d’avril, madame Archimbaud, car je sais que cette question, qui nous tient tous à cœur, vous est particulièrement chère, ces différentes mesures ont permis à 690 000 nouvelles personnes de bénéficier soit de la CMU soit de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé.
Bien entendu, madame Archimbaud, j’ai pris connaissance de votre excellent rapport, complémentaire de celui du Défenseur des droits. Certaines mesures que vous proposez pourront être reprises dans le futur projet de loi sur la stratégie nationale de santé, mais je sais que vous êtes déjà en contact avec Marisol Touraine à ce sujet.
Je le répète, la pauvreté touche tous les âges, et elle concerne aussi les personnes âgées. Les 564 400 retraités modestes de plus de soixante-cinq ans qui perçoivent le minimum vieillesse – l’aide sociale aux personnes âgées ou ASPA en langage technocratique – bénéficieront bien des deux revalorisations prévues en 2014, aux mois d’avril et d’octobre, qui porteront l’allocation à plus de 800 euros, ce qui est une bonne chose.
Le Gouvernement a fait le choix de la justice dans son plan d’économies : les minima sociaux sont préservés, je tiens à le redire, et ma collègue Laurence Rossignol, chargée, entre autres, des personnes âgées, est très investie sur ce sujet. De même, pour ce qui concerne le handicap, l’allocation pour les adultes handicapés est revalorisée suivant l’inflation.
La question de la pauvreté ne doit néanmoins pas être envisagée uniquement sous un aspect monétaire. Comment notre société considère-t-elle les plus pauvres ? Les mots se bousculent, tous plus violents, tous plus méprisants les uns que les autres : assisté, marginal, asocial, profiteur, fraudeur…
Notre rôle est donc aussi de faire évoluer les mentalités, car la discrimination sociale est aussi grave que toutes les autres formes de discrimination. Pour cela, la première mesure à prendre consiste à « faire ensemble » : construire, évaluer, avec l’aide des personnes elles-mêmes, elles qui sont expertes de la pauvreté, pour la vivre au quotidien.
Tel est le sens du huitième collège du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale : il permet aux premiers intéressés d’être pleinement acteurs. Je rencontre demain les huit personnes qui suivront les travaux du Conseil. Elles ont beaucoup à nous apprendre, par exemple pour faciliter l’accès aux droits, sujet que je juge prioritaire et que vous avez longuement évoqué, monsieur le sénateur.
Vous plaidez pour la simplification de nos procédures de façon générale et vous avez entièrement raison. Pour tout vous dire, je suis effarée par le degré de complexité qu’a atteint notre système de solidarité. Pour bénéficier de la moindre aide financière, la procédure est incroyable : il faut remplir des dossiers de trente-deux pages, fournir une multitude de pièces – jamais les mêmes ! – et lire des courriers difficilement compréhensibles. C’est un véritable parcours du combattant !
J’ai peine à croire que l’avancée des technologies informatiques ne permette pas de faciliter ces démarches. À cet égard, je suis particulièrement attentive à un projet expérimenté dans deux départements d’un dossier de demande simplifiée ouvrant des droits à plusieurs prestations.
Surtout, à mon sens, le dossier est le problème de l’administration, et non celui de la personne. Soyons clairs : la simplification du dossier n’est pas l’objectif, c’est un moyen de faciliter la vie de personnes ayant déjà beaucoup d’autres tracas par ailleurs.
Vous préconisez un contrôle a posteriori. L’idée est, bien sûr, séduisante. Néanmoins, comme vous, j’en suis sûre, j’ai rencontré lors de mes permanences des personnes à qui l’on réclamait des indus d’allocations : c’est catastrophique pour celles qui sont à quelques euros près pour finir le mois. Des avancées sont possibles dans ce domaine, par exemple, la fixation des droits pour trois mois. Nous y travaillons.
Enfin, la loi de 2002 nous a permis d’avancer de façon substantielle sur la participation collective des personnes, notamment avec l’instauration des conseils de la vie sociale dans les établissements sociaux et de divers comités consultatifs.
Je veillerai à ce que tout soit fait pour que le citoyen puisse agir et participer en conscience aux décisions qui l’intéressent et pour qu’il ait réellement accès aux informations le concernant. Plus que jamais, l’autonomie de la personne doit être au cœur du travail social.
Comme vous, je pense qu’il est important de réfléchir à la notion de référent unique de parcours et de réinterroger les savoirs et les compétences nécessaires au travail social d’aujourd’hui, mais aussi la place du bénévolat, l’importance de la prévention, la participation des citoyens.
J’évoquerai un autre engagement majeur du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale : les états généraux du travail social. Il s’agit de faire un état des lieux du travail social en France et d’établir des priorités, avec l’ensemble des parties prenantes, afin que l’intervention sociale réponde au mieux aux besoins des citoyens. Je piloterai ces états généraux, avec les départements, avec les régions, ces collectivités étant impliquées au quotidien auprès de la population au titre de la solidarité et de la formation professionnelle.
Pour conclure, le combat contre la pauvreté ne peut être uniquement l’apanage de l’État, car c’est dans les territoires et au plus près des personnes que l’on peut agir le plus efficacement. Services de l’État, collectivités territoriales – le Sénat, je le sais, y est particulièrement attentif –, établissements publics, organismes de sécurité sociale, associations : tous ont un rôle à jouer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne l’oublions jamais, au-delà des politiques publiques, au-delà des dossiers, au-delà du langage administratif, le politique n’a d’autre raison d’être que de s’occuper des gens, s’occuper de tous, sans exception et sans exclusion. C’est mon engagement !