Intervention de André Gattolin

Réunion du 20 mai 2014 à 14h45
Débat sur les perspectives de la construction européenne

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne sommes plus qu’à quelques jours des élections européennes, et pourtant, c’est un peu comme si ce scrutin n’existait pas !

L’exemple du débat qui a opposé, le 15 mai dernier, les prétendants à la présidence de la Commission européenne est, à cet égard, assez emblématique. Non seulement les grandes chaînes de télévision n’ont pas voulu le diffuser, mais l’une d’entre elles, la principale antenne du service public, a mis en place un programme concurrent, certes consacré à l’euro, mais sans aucun des candidats en lice sur son plateau !

France 2 entendait faire de l’info-audience plutôt que de faire de l’information citoyenne. Ceux qui, notamment parmi les politiques, avaient osé critiquer cette impasse allaient voir ce qu’ils allaient voir, selon les dires de la chaîne : eh bien, ce fut tout vu ! Cet ersatz de programme de campagne n’a recueilli que 7, 7 % de parts de marché, une des plus faibles audiences de l’histoire de la chaîne !

C’est avec la même désinvolture que France Télévisions et ses consœurs privées se sont exonérées des équilibres des temps de parole durant la phase de précampagne, obligeant le Conseil supérieur de l’audiovisuel, et son président, à procéder à un sérieux rappel à l’ordre la semaine dernière.

Ces manquements à leurs obligations de nos grands médias démontrent, s’il le fallait encore, la justesse de l’initiative, approuvée par le Sénat, de notre collègue Pierre Bernard-Reymond lorsqu’il a défendu la création d’une « Radio France Europe », vouée à informer de manière récurrente nos concitoyens sur l’Europe.

J’en profite ici pour saluer l’engagement européen sans faille de notre collègue, sur lequel je le rejoins totalement, au-delà de nos différences politiques. Cette assemblée ne serait pas tout à fait la même sans la voix de ce grand fédéraliste ! Les Européens tels que lui sont encore trop peu nombreux en France, car les lacunes de la classe politique n’ont, sur ces questions, rien à envier à celles qui sont observées dans nombre de nos médias.

Les responsables nationaux cèdent souvent à cette trop facile tentation : se défausser sur l’Europe pour masquer leurs propres erreurs ou leur absence de véritable vision politique. Il est si facile de blâmer des institutions lointaines forcément complexes en raison de leur fonctionnement, de leur localisation, de leur caractère polyglotte et des tâches ingrates que l’on veut bien leur confier !

L’Europe n’est évidemment pas parfaite. Telle qu’elle existe aujourd’hui, elle est même foncièrement viciée, inachevée. Elle est loin d’être suffisamment démocratique, lisible et efficace. C’est d’autant plus difficile à accepter, que le monde évolue très vite, alors que l’Europe semble, elle, faire du surplace.

Dans trente ans, comme l’a rappelé notre collègue Pierre Bernard-Reymond, plus aucun pays de l’Union européenne ne sera membre du G8, alors qu’ils sont quatre aujourd’hui à figurer : c’est évidemment une source d’inquiétude, et d’exigence, aussi.

Cette exigence, et elle n’est pas propre à la France, est aussi la résultante d’un autre trait commun qui renvoie à nos valeurs partagées : les Européens ont soif de progrès, de libertés, de démocratie. Or, au-delà de l’Union européenne elle-même, ce sont ces notions même de progrès, de liberté, de solidarité et de démocratie qui sont aujourd’hui en crise.

Comment l’Europe, qui s’est construite, dès l’origine, en tentant d’articuler ces attentes, pourrait-elle échapper à ces difficultés et à ces questionnements ? En paraphrasant l’abbé Sieyès, je résumerai ainsi la situation que nous vivons aujourd’hui : qu’est-ce que l’Europe ? Tout. Qu’a-t-elle été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-elle ? À devenir quelque chose.

L’Europe, c’est une formidable rupture historique, volontaire et pacificatrice, c’est une aventure visant à réunir des peuples qui, par-delà leurs frontières, leurs langues, leurs coutumes respectives, partagent déjà l’essentiel.

L’Europe, aujourd’hui, est la première puissance économique mondiale et le plus grand espace démocratique commun, après l’Inde. Le brassage de ses populations se voit à tous les niveaux de la société, dans tous nos pays. Aujourd’hui, le Premier ministre français et la maire de Paris sont d’origine espagnole ; le président de l’Assemblée nationale est d’origine italienne : autant d’illustrations de ce que l’Europe, en dépit de ses faiblesses, est bel et bien unie dans sa diversité, qu’elle constitue une part essentielle de notre identité collective.

Au lieu de l’assumer, les gouvernements successifs sont passés maîtres dans l’art de pousser toujours plus loin une certaine intégration européenne tout en cherchant à en minimiser l’aspect fédéral, démocratique, politique.

La Commission européenne est condamnée pour ses orientations libérales, mais on oublie de dire que ce sont les orientations des gouvernements réunis au sein du Conseil qu’elle sert.

Le Parlement européen est critiqué pour son impuissance politique, mais ce sont les États qui veulent à toute force restreindre son pouvoir législatif. L’opacité dans laquelle se négocie actuellement le projet de traité transatlantique est un véritable déni de démocratie. Cela n’est plus possible !

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat du 15 mai dernier, en dépit de son insuffisante médiatisation, a constitué une première historique.

Certains ont parlé d’un « putsch démocratique » lorsque les candidats ont, l’un après l’autre, prévenu les gouvernements que ce processus démocratique d’un genre nouveau s’imposerait à eux et qu’ils devraient choisir comme président de la Commission celui ou celle d’entre eux qui aurait réuni une majorité européenne sur son nom. Attendons encore de voir si les cinq conjurés tiendront bon face aux oukases de tel ou tel chef d’État ou de gouvernement, mais c’est bel et bien à un mini serment du Jeu de paume que nous avons assisté dans l’assourdissante indifférence des responsables politiques nationaux.

« Les pensées qui mènent le monde arrivent sur des pattes de colombe » écrivait un grand philosophe. Si nous sommes cohérents avec nous-mêmes, si nous voulons donner à l’Europe de nouvelles perspectives, nous devons nous joindre à ce serment et l’appuyer dans les faits.

Il ne tient qu’à nous de sortir de l’ornière dans laquelle nous nous trouvons, non pas en sortant de l’euro, mais en complétant l’Union, non pas en donnant plus de poids aux États ou à je ne sais quel marché intérieur, mais en rendant les institutions européennes plus démocratiques et en améliorant les interactions entre niveau européen et niveau national.

Il s’agirait, par exemple, de doter le Parlement européen, le cas échéant appuyé sur les parlements nationaux, d’un véritable pouvoir d’initiative législative, de déconnecter la citoyenneté européenne de l’unique et stricte notion de nationalité, de créer pour 2019 une circonscription transnationale dans laquelle serait élue une partie des eurodéputés, pour que les élections européennes de cette année soient les dernières à se dérouler uniquement à l’échelon national ou infranational.

Nous sommes déjà Européens sur les plans économique, historique et culturel, mais nous n’assumons pas encore de l’être sur le plan politique. C’est pourtant en franchissant ce pas décisif que nous donnerons enfin vie à l’Europe !

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