Intervention de Jean Bizet

Réunion du 20 mai 2014 à 14h45
Débat sur les perspectives de la construction européenne

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en cette année de commémoration du centenaire de la guerre de 1914 et alors que l’Ukraine sombre dangereusement dans la guerre civile, le projet européen a plus que jamais du sens et doit être l’objet de tout notre intérêt et de tous nos soins.

Le rapport de notre collègue Pierre Bernard-Reymond, qui est le support de notre débat d’aujourd’hui, nous le rappelle très utilement, comme d’ailleurs, le rapport de Jean Arthuis sur l’avenir de la zone euro, remis en 2012.

Certes, la défiance de nos concitoyens vis-à-vis de l’Europe augmente sous l’effet de la crise. Or c’est exactement pour cette raison que nous devons continuer et consolider ce qui a été élaboré depuis cinquante-sept ans, avec patience et détermination.

Jamais la construction d’un espace européen commun n’a été un long fleuve tranquille, pas plus hier qu’aujourd’hui, et il n’y a aucune raison valable pour que nous nous en lassions. L’Union européenne est un processus en perpétuelle évolution. Sous le choc de la crise, elle est au milieu du gué et il est de notre responsabilité de lui donner un nouvel élan.

Nos concitoyens ne doivent pas se laisser séduire par les sirènes des extrémistes ou des eurosceptiques. Pierre Bernard-Reymond l’a rappelé avec force : ce qui est en jeu aujourd’hui, ce n’est pas l’Europe elle-même, à laquelle la majorité continue d’adhérer, mais son fonctionnement. Nous devons consolider ses succès, combler ses manques et résoudre ses faiblesses, dans un cadre collégial et démocratique.

Oui, mes chers collègues, l’Europe est toujours un projet enthousiasmant, qui a déjà de nombreux succès à son actif ! Permettez-moi de les rappeler brièvement, en commençant par les valeurs de paix, de liberté, de dignité et de solidarité qui animent, intrinsèquement, le projet européen et le légitimeraient à elles seules, malgré les interrogations du moment.

Les jeunes générations ont tendance à l’oublier, mais la construction européenne a sorti le continent de guerres régulières qui, à deux reprises, ont débouché sur une conflagration mondiale.

L’Europe a consolidé la sortie de la guerre froide et accueilli l’est du continent dans la démocratie. Elle nous a ouverts les uns aux autres grâce à la liberté de circulation et au remarquable programme d’échange entre étudiants – je veux parler d’Erasmus.

De même, les politiques communes que sont la politique agricole commune et la politique commerciale, même si elles doivent s’adapter à la nouvelle donne économique mondiale, constituent, par leurs succès, de solides acquis.

Enfin, d’un point de vue économique, André Gattolin le rappelait à l’instant, l’Union européenne est le plus grand marché du monde. Sa balance commerciale est en excédent ; ses parts dans le marché mondial sont stables – autour de 16 %. Elle présente un surplus industriel et une réelle compétitivité en matière de services.

Il n’y a donc pas à douter du succès économique de l’Union européenne.

Surtout, ce serait une catastrophe que d’abandonner l’euro ! Générateur de confiance, de faible inflation et de stabilité des prix, l’euro a d’abord supprimé le risque de change et le coût des transactions monétaires. C’est aujourd’hui la deuxième monnaie la plus échangée au monde et la deuxième monnaie de réserve.

Sortir de l’euro et revenir à une monnaie nationale, dévalorisée, signifierait une hausse immédiate des taux d’intérêt, un renchérissement du coût de la dette publique. Cela entraînerait une dévaluation monétaire qui alimenterait l’inflation, laquelle serait elle-même combattue par une politique de hausse des taux d’intérêt, source de handicap pour le financement entier de l’économie.

Le résultat d’une sortie d’un pays de l’euro est clair : contraction du produit intérieur brut, appauvrissement et déstabilisation de toute l’Europe. Est-ce ce que nous voulons ? Assurément, non !

Il faut, au contraire, tordre le cou aux idées économiques aléatoires, qui ne sont que des mirages ineptes ! Ce n’est pas parce que l’Union européenne et la zone euro ne fonctionnent pas de façon optimale que nous devons tout arrêter. Bien au contraire, il nous incombe aujourd’hui de surmonter définitivement la crise et de consolider l’œuvre entreprise.

De fait, le choc de la crise a eu un effet remarquable : dans l’urgence et la contrainte – parfois, je vous l’avoue, de façon chaotique et quelque peu tardive – les pays de la zone euro ont réussi à améliorer la gouvernance économique. Pour y parvenir, ils ont créé le mécanisme de gestion de crise pérenne qui manquait – le Mécanisme européen de stabilité. Ils se sont accordés sur des orientations budgétaires communes – c’est le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ; c’est la procédure du semestre européen, qui améliore la supervision économique et budgétaire - et ils ont forgé une union bancaire ! Je le rappelle, la Banque centrale européenne sera officialisée en novembre prochain en tant qu’organe destiné à superviser les cent vingt-huit organismes bancaires de l’ensemble des vingt-huit États membres.

La conclusion est évidente : même avec ses défauts, la zone euro a résisté à la crise en faisant acte de solidarité envers les pays les plus en difficulté. Et les marchés financiers ne se risquent plus à considérer son démantèlement comme possible.

C’est le fruit des engagements des États, de la politique monétaire de la Banque centrale européenne et des efforts consentis par l’ensemble des citoyens européens.

Allons-nous relâcher nos efforts aujourd’hui, alors que la situation économique globale de l’Europe est en voie d’amélioration et qu’elle a des conséquences politiques qu’il est de notre responsabilité de traiter ?

Ce serait, à mon sens, gâcher ce que nous avons construit à la veille d’en récolter les fruits ! Ce serait renier une partie de notre histoire et de notre culture !

Notre objectif, pour reprendre les mots de Mario Draghi, est bien « une union plus parfaite ». Pour nous, la désaffection à l’égard de l’Europe s’explique en effet largement par les circonstances économiques actuelles.

Oui, la construction européenne connaît une période de fragilité, mais la crise nous fait définitivement comprendre qu’il n’y a pas d’avenir pour notre pays seul et isolé.

Seuls, nous ne pourrons pas relever le défi du chômage ! Seuls, nous ne pourrons pas réussir la transition énergétique ! Seuls, nous ne pourrons pas gérer la question de l’immigration !

Ce dernier sujet intéresse particulièrement nos concitoyens. Le quotidien et les médias nous le rappellent, hélas, cruellement, presque chaque semaine.

La libre circulation des Européens est une réalisation essentielle de l’Union à laquelle ils tiennent. Et ils ont raison !

Alors, comment gérer collectivement l’arrivée de migrants en situation illégale ? Comment accueillir les réfugiés et traiter les demandes d’asile ? Comment faire face à des afflux d’ampleur historique ? Nous soutenons une plus grande coopération entre les États membres, la création d’un Commissaire européen à l’immigration et, surtout, le renforcement des moyens de l’agence Frontex.

En matière économique, si nous voulons résorber le chômage, la convergence et la cohérence des politiques économiques et budgétaires est nécessaire.

Faut-il rappeler ici le « péché originel » qui consista à créer une union monétaire sans avoir préalablement créé une union économique et budgétaire ? On savait que la convergence n’irait pas de soi. Aujourd'hui, c’est malheureusement plus que le cas !

Car c’est en créant les conditions favorables à l’investissement des entreprises que l’on trouvera le chemin d’une croissance durable et créatrice d’emplois. Prendre le risque de bâtir des systèmes fiscaux et sociaux trop différents, c’est implicitement faire le choix d’une Europe des transferts et des subventions, alors qu’il faudrait collectivement créer de la croissance et de la richesse.

Telle est la logique de l’union bancaire et de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, que notre collègue Richard Yung connaît bien et qu’il nous explique régulièrement.

C’est dans ce sens que nous devons poursuivre.

Pour nous, il y a cependant un préalable : chaque pays doit prendre ses responsabilités et faire sa part du travail, qui consiste à réduire ses déficits et son niveau d’endettement, à engager des réformes structurelles.

Or, à ce titre, monsieur le secrétaire d’État, la politique économique actuellement menée par le Gouvernement nous laisse très sceptiques.

Vous le savez, mes collègues du groupe UMP l’ont dit à de nombreuses reprises au cours de nos débats : non seulement espérer le retour à la croissance ne fait pas une politique, mais, pire encore, cela fait prendre un risque collectif à l’Europe tout entière !

Dans cette perspective, le débat sur l’austérité est un faux débat : il faut arrêter de faire de l’Europe un bouc émissaire, comme le dit très justement notre collègue Pierre Bernard-Reymond dans son rapport.

Nous devons construire la convergence économique et fiscale en prenant les bonnes mesures au niveau national. Je sais que ce n’est pas facile. Je suis intervenu à plusieurs reprises dans ce type de débat et je n’ai jamais caché mon intention de transgresser les particularités entre partis pour nous permettre de nous retrouver sur des décisions importantes qui concernent l’ensemble de notre pays.

Il en va de même s’agissant de la transition énergétique – je viens de terminer un rapport sur la coopération énergétique franco-allemande qui m’a beaucoup appris. Dans un souci tant de préservation de l’environnement que de coût pour nos industries, la transition énergétique doit être menée au niveau européen, et par tous les États ensemble. L’une des grandes conclusions que j’ai retirées de ce rapport, c’est qu’aucun pays ne peut la réaliser seul.

Le choix des bouquets énergétiques nationaux doit être cohérent et coordonné. Nos réseaux doivent être modernisés en conséquence. Et l’indépendance énergétique doit être appréhendée à l’échelon européen. Ce qui se passe depuis plusieurs mois en Ukraine nous le rappelle : l’indépendance énergétique ne peut pas se concevoir en dehors de ce cadre européen.

Réinvestissons l’un des projets d’origine de la Communauté européenne, la Communauté européenne du charbon et de l’acier, et mettons en place une véritable Union européenne de l’énergie.

Il y a une vraie logique à agir de concert et de vrais gains à en attendre pour nos concitoyens et, bien évidemment, pour notre environnement !

Mes chers collègues, pour résumer, je dirai que le sujet n’est pas celui d’une Europe fédérale, mais bien celui de la poursuite d’une construction selon un modèle original.

Le choc de la crise et la réponse qui lui a été collectivement apportée par l’Europe ont profondément modifié l’organisation de l’Union européenne.

Aujourd’hui, nous devons franchir une nouvelle étape : il nous faut nous accorder sur l’étendue et les modalités de gestion de ce que nous voulons en commun, et trouver un nouvel équilibre entre le communautaire et l’intergouvernemental.

Nous devons choisir les politiques à traiter ensemble et ne plus laisser les administrations européennes réglementer dans le détail de trop nombreux domaines. Nous suivons presque quotidiennement ce sujet au sein de la commission des affaires européennes.

J’ai déjà donné plusieurs exemples, mais j’aimerais maintenant aborder la question d’un point de vue plus institutionnel.

Nous pensons que, s’il est très difficile d’envisager une modification des traités, il est tout à fait possible, en revanche, d’avancer dans le contexte légal actuel.

Pour cela, nous pouvons imaginer une Europe à plusieurs cercles. La zone euro doit poursuivre sur la voie d’une meilleure coordination économique avec un calendrier d’harmonisation fiscale, comme Jean Arthuis l’a souvent recommandé ici.

Nous devons aussi avancer vers un véritable budget européen, après les remarquables avancées négociées, en fin d’année dernière, par notre collègue Alain Lamassoure, président de la commission des finances au Parlement européen. Ce serait un budget plus important et plus intégré, qui devrait prioritairement financer des projets communs en matière de recherche, d’infrastructures et de transports.

Nous devons officialiser l’Eurogroupe et, mieux encore, l’identifier par une présidence permanente.

Pour conclure, mes chers collègues, nous sommes conscients que nombre de nos concitoyens n’ont plus une approche intuitive de la construction européenne. Ils demandent, légitimement, une Europe plus lisible et plus démocratique – cela a été dit par les intervenants qui m’ont précédé.

Nous sommes aussi conscients des faiblesses du fonctionnement de l’Europe et il est de notre devoir de les corriger. Il y a une voie pour l’amélioration, mais pas pour l’abandon du projet européen.

C’est ce à quoi nous devons nous employer. Le choix du futur président de la Commission, selon une procédure plus démocratique, en fonction du résultat des élections au Parlement, est déjà un premier pas, mais nous devons aller plus loin.

Dans cette perspective – et je terminerai par-là –, le couple franco-allemand a un rôle pilote à jouer, et un rôle déterminant. L’Europe ne peut se passer du « couple franco-allemand » non pas comme figure hégémonique, mais comme facteur de propositions et de dynamisme.

C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, comme j’ai pu le dire à plusieurs reprises dans cet hémicycle, nous ne pouvons qu’être inquiets des divergences économiques, voire politiques, qui se creusent de plus en plus entre nos deux pays. En effet, à force, elles vont finir par empêcher la structuration d’un noyau dur central européen. Ou alors, la France n’en ferait pas partie… Je suis persuadé que telle n’est pas la solution souhaitée sur l’ensemble de nos travées !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion