Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 20 mai 2014 à 14h45
Débat sur les perspectives de la construction européenne

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les très prochaines élections européennes auraient dû être un instant privilégié de vie démocratique pour l’ensemble des citoyens de l’Union. Or, à quelques jours de ce qui devrait être une respiration démocratique majeure pour les centaines de millions d’Européens, nous sommes contraints de tirer la sonnette d’alarme.

Le taux d’abstention devrait atteindre des sommets. Les formations les plus hostiles à la construction européenne obtiendraient des résultats bien supérieurs à leur réel écho public. Le soir du 25 mai, nous allons peut-être voir plus d’une centaine de députés antieuropéens prendre place au Parlement de Strasbourg.

Ces prochaines élections risquent d’être la manifestation la plus aboutie du malaise qui gangrène les institutions européennes.

L’Union telle que nous la connaissons est la fille de notre histoire continentale. Les drames du siècle dernier ont fait prendre conscience à nos aînés de l’urgence et de l’évidence qu’il y avait à nous unir.

L’Europe a d’abord été l’Europe de la paix. Elle a également été – on a vite fait de l’oublier – l’Europe de la prospérité, de l’innovation et de la jeunesse, notamment grâce à la CECA, à Euratom, à Airbus, à l’euro, à Erasmus.

L’Europe, enfin, c’est celle de la justice. Jamais, dans l’histoire, nous n’avons pu voir un aussi grand ensemble de peuplement humain vivre sous l’empire d’un régime aussi élaboré de protection des droits de l’homme.

Quoi qu’on en dise, depuis soixante ans, l’Europe a toujours agi comme force de progrès et de liberté.

Et pourtant, l’Europe n’a plus rien d’une évidence pour les générations actuelles. Le temps a passé, et nos yeux ne sont plus suffisamment aguerris pour mesurer tout ce qu’elle nous a offert et nous offre encore aujourd’hui.

L’Europe apparaît à nos concitoyens désormais plus comme une source de contraintes que comme un atout. La crise a joué un rôle majeur, il faut en convenir, dans ce divorce consommé entre un nombre toujours plus grand de nos concitoyens et les institutions de l’Union.

L’euro est devenu le bouc émissaire de notre incapacité à sortir de la crise, alors qu’il nous a protégés pendant plus d’une décennie des aléas du monde extérieur. Selon la formule de notre collègue Jean Arthuis, la monnaie unique nous a permis de « jouer les prolongations », elle nous a dispensés de nous réformer dans le cadre de nos politiques nationales, alors que le monde a considérablement changé depuis le traité de Maastricht. C’est aussi dans ce retard pris sur la marche du monde que résident aujourd’hui nos difficultés.

Certes, cela a été rappelé, l’Union cumule plusieurs lacunes et dysfonctionnements qui l’empêchent de relever les défis auxquelles elle est confrontée. Pour autant, est-ce une raison pour tout abandonner au milieu du chemin ? Donnons-nous au contraire les moyens d’un second élan !

Le monde actuel est désormais dominé par des masses humaines, politiques et commerciales de dimension continentale. La Chine, les États-Unis et la Russie régentent la marche des affaires internationales. Face à de tels blocs, l’Europe que nous appelons de nos vœux n’a jamais été autant empreinte de faiblesse. Les crises syrienne et ukrainienne font la démonstration de notre impuissance structurelle face à la politique d’une Russie sûre d’elle-même et dominatrice.

Le constat est le même en matière de technologie et d’innovation. Alors que nous disposons de talents, nos politiques nous empêchent d’être concurrentiels face aux géants américains ou asiatiques de l’internet.

Le nouveau continent du numérique – je remercie le président de la commission de l’avoir rappelé – a déjà été conquis, et c’est maintenant l’Europe qui est en passe de devenir une colonie du monde numérique, pour reprendre l’intitulé de mon précédent rapport sur le sujet.

Nous devons donc nous battre pour convaincre de l’évidence qu’il existe une communauté de destin entre les peuples européens, mais aussi pour en avoir la maîtrise. Seuls, nous sommes condamnés à la marginalisation. Évoquant la seule question démographique, Pierre Bernard-Reymond l’a rappelé, dans ce siècle qui est le nôtre, nous sommes plus que jamais condamnés à l’unité.

Comment restaurer le consensus européen, garantir la paix, ramener la prospérité et faire enfin accoucher l’Europe de son véritable potentiel ? Nous avons évidemment besoin de plus d’Europe, mais pas n’importe laquelle !

Pour les sénateurs du groupe de l’UDI-UC, il n’y a pas deux manières de penser l’Europe, deux visions distinctes. Nous sommes clairs sur l’essentiel. C’est le manque d’harmonisation entre les pays européens, l’absence de politique ambitieuse pour protéger et promouvoir nos intérêts communs économiques, sociaux et culturels qui sont les sources de nos difficultés.

Il faut donc une harmonisation pour établir une nouvelle unité qui permettra de nouveaux partenariats conditionnant une partie de l’avenir de l’Union. Je pense bien évidemment à l’Afrique : les sénateurs de notre groupe ne cessent d’appeler à la relance des relations européennes avec les pays africains à travers un partenariat rénové. Car une chose est sûre : forte de son potentiel, géant de demain, l’Afrique ne nous attendra pas ; d’autres s’en occuperont…

Nous appelons ainsi à un approfondissement désormais nécessaire pour plus d’emploi, plus de protection, plus de démocratie.

Le chantier le plus urgent pour l’l’Europe est de combler le fossé démocratique qui l’éloigne depuis trop longtemps de ses citoyens.

Nous avons besoin d’institutions responsables et incarnées devant les citoyens, de politiques européennes évaluées, portées à la connaissance de tous et susceptibles d’être sanctionnées dans les urnes.

La démocratie doit être l’aiguillon de la construction européenne de demain. Sans une architecture institutionnelle robuste, solide et démocratique, l’Europe telle que nous la connaissons finira par s’écrouler sous son propre poids.

Par ailleurs, l’euro doit être achevé et marcher sur ses deux jambes. Nous avons donc besoin d’un gouvernement économique intégré qui manie à la fois la politique budgétaire et fiscale, en lien avec la BCE. Ce gouvernement doit être responsable devant les citoyens de l’Union.

C’est pourquoi le Parlement européen doit devenir une véritable chambre forte de toutes les compétences dévolues à une grande assemblée parlementaire.

L’Assemblée interparlementaire instituée à l’article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, peut constituer l’embryon d’une seconde chambre, qui représenterait aussi les citoyens à travers le prisme des États, dans le cadre strict de la zone euro.

Cet édifice serait le noyau du nouveau fédéralisme européen que les sénateurs centristes appellent de leurs vœux. Ce serait là le préalable à tout renforcement de la PAC, à toute politique environnementale ambitieuse, à notre politique de défense, à la prise en compte des enjeux de l’Europe maritime, à la gestion des flux migratoires.

En tout état de cause, cette refonte démocratique de nos institutions est la condition nécessaire à la réussite des politiques publiques européennes. Et cela est particulièrement vrai pour l’ensemble des secteurs stratégiques qui concernent les politiques à venir.

À ce titre, le travail mené par notre mission commune d’information sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie de l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’internet est sur le point de corroborer ce diagnostic général. Je parle, bien sûr, sous le contrôle de nos collègues Jean Bizet et André Gattolin.

Après avoir auditionné plus de cinquante acteurs de l’internet mondial et européen, que ce soit à Bruxelles, en Allemagne ou aux États-Unis, il nous apparaît que l’Europe bénéficie en la matière d’une opportunité historique. Depuis l’affaire Snowden, la gouvernance de l’internet souffre de la perte du magistère moral exercé naguère par les États-Unis. La tentation est grande désormais, pour les nations de l’internet démocratique, de se replier sur elles-mêmes.

Dans un tel contexte, l’Europe a l’occasion de s’affirmer comme le tiers de confiance en mesure d’infléchir la gouvernance de l’internet dans un sens conforme à nos valeurs de respect de la vie privée et de garantie de la liberté de chacun.

L’Europe en a l’occasion, mais en a-t-elle les moyens ? Nos institutions nous permettent-elles de prendre des décisions fermes et rapides ? Sont-elles en mesure de densifier le tissu industriel de l’internet européen ? En l’état actuel des choses, je ne le crois pas. C’est bien dommage, car cet enjeu concerne déjà tous les secteurs de l’activité humaine et, personnellement, tous les citoyens de l’Union. Notre mission commune d’information fera des propositions en ce sens dans les semaines à venir.

Afin de joindre le geste à la parole, et en vue de combler le fossé démocratique qui, je le disais, éloigne le citoyen de l’Union, je ne formulerai qu’un vœu : nous avons des citoyens prêts au débat et disposons des moyens techniques pour mener une vaste concertation continentale ; pourquoi donc ne pas faire de la France le fer de lance de la grande consultation européenne sur l’Europe souhaitée par nos concitoyens ? Cela nous donnerait enfin la pleine mesure de ce à quoi l’Europe des cinquante prochaines années devrait ressembler.

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